Séance du
jeudi 29 avril 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
6e
session -
15e
séance
RD 321
Le président. Nous avons reçu la lettre de démission de notre collègue, M. Pierre-François Unger.
Je prie notre secrétaire de bien vouloir donner lecture de ce courrier.
Annexe : lettre
M. Pierre-François Unger (PDC). C'est en effet probablement la dernière fois que je prends la parole devant vous et, je ne le cache pas, c'est avec beaucoup d'émotion.
Les nouvelles responsabilités qui me sont confiées sur le plan professionnel ne sont certes pas constitutionnellement incompatibles avec la fonction de député. Elles sont néanmoins, si vous me permettez ce néologisme, «convictionnellement» incompatibles. Il est en effet un moment où les responsabilités dans une structure étatique ou para-étatique, si elles ne vous châtrent, Dieu merci, pas complètement de votre liberté de pensée, vous imposent cependant un certain devoir de réserve. C'est le respect que l'on doit à l'institution ; c'est aussi, et surtout, le respect que l'on doit à ses collaborateurs.
J'aurai connu deux législatures a priori très différentes. Dans la première, Genève, souvent considérée comme un laboratoire politique, aura testé un gouvernement homogène. Il faut reconnaître, au bilan, qu'il était à peu près aussi bien taillé pour nos institutions que la pourpre cardinale pour le camarade Grobet ! Cette législature 93-97 aura donc très largement permis à l'Entente de culpabiliser - on est tout de même dans la cité de Calvin - en renonçant en conscience, ou consciencieusement, à appliquer la politique pour laquelle elle avait été élue !
Cette seconde législature est, elle, marquée par une autre première genevoise : une majorité parlementaire Alternative, certes discrète, mais indiscutable. Vite remise à l'ordre par le peuple quant à ses velléités d'augmenter les impôts, l'Alternative pastèque s'est elle aussi rendue à l'évidence : rouge dedans - il paraît même que, dans le rouge, il y a des pépins - verte dehors, avec toutes les nuances du rose au milieu, la pastèque est sphérique, ce qui la rend instable sur une table ronde ! (Rires.) Après la gauche plurielle, c'était la gauche plus rien ! Mais le printemps est là et la pastèque fleurit à nouveau, comme si de rien n'était, sans autre programme que celui de mûrir... mais qui songerait à demander un programme à une pastèque ?
Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs les députés, Genève est gouvernée au centre grâce à l'arc-en-ciel des membres de notre gouvernement. Ce gouvernement est courageux. Il pourrait être fort, mais pour cela il devrait pouvoir s'appuyer sur un parlement sachant se montrer créatif et constructif, sur un parlement sachant, pour la constitution du bien commun, dépasser les habituels clivages entre une Entente n'ayant pas de culture d'opposition et une Alternative confrontée, non sans surprise, aux responsabilités du pouvoir.
La lutte pour la défense de grands systèmes de société me paraît toujours aussi vaine et futile. Je n'ai toujours pas plus d'affinités pour l'ultra-libéralisme, qui se plaît à lâcher le renard dans le poulailler, que je n'ai d'admiration pour l'élevage de poulets en batterie, qui nous est proposé par ceux qui voient dans l'Etat la solution miracle à l'ensemble des problèmes de ce monde.
Cela dit, c'est précisément cette incrédulité face à la capacité des systèmes à résoudre nos problèmes qui m'a permis de découvrir avec autant de plaisir les personnes, et souvent les personnalités, qui composent ce parlement. J'y ai découvert, sur tous les bancs, des personnes à l'intelligence acérée et à la dialectique brillante. J'y ai découvert de grands romantiques plus ou moins torturés - Gilles, tu n'es pas le seul : Jeannine aussi, peut-être ! - j'y ai découvert des gens au bon sens saisissant, j'y ai découvert quelques politicards malins comme trois singes... Permettez-moi, Monsieur le président, de préciser qu'après 20 h 30 c'est parfois six singes... (Rires.) J'y ai surtout découvert des gens capables des émotions les plus profondes, celles qui font de chaque homme l'expression des valeurs de ce monde. A titre personnel, et pourquoi vous le cacher, j'y aurai aussi, tout simplement, découvert la passion.
J'aimerais vous dire combien j'ai apprécié la découverte de pans immenses de la vie de notre cité dont j'ignorais tout, la fidélité et la conscience des serviteurs de l'Etat qui nous aident dans nos travaux. J'aimerais vous dire combien j'ai aimé la mission qui m'a été confiée et combien j'ai été fasciné par le virus qui pousse les uns et les autres, quelles que soient leurs convictions, à se battre pour un projet auquel ils croient.
Mais, attention, je n'aimerais tout de même pas tomber dans l'angélisme, ne serait-ce que pour prévenir les remarques de M. le député Halpérin à mon égard ! Et je ne peux pas quitter ce parlement sans faire part des échecs programmés auxquels je n'ai su m'opposer ou auxquels, au pire, j'ai pu contribuer. Nous devons impérativement trouver tous ensemble un projet commun, un projet pour Genève. Ce projet impose deux consensus, pas dix mille mais deux ! Le premier est de nature budgétaire. Il est banal de rappeler qu'un Etat ne peut être fort que s'il est financièrement sain. Notre Etat dispose chaque année de 5 milliards pour servir 400 000 habitants. A cela s'ajoutent les ressources et les prestations tant communales que confédérales. A qui peut-on faire croire qu'il n'y en a pas assez ? Que l'on puisse s'étriper sur des aspects de technique fiscale pour collecter cette somme, cela c'est de la politique, mais que l'on ne trouve pas d'union sacrée pour utiliser ces milliards - juste ces milliards et rien que ces milliards - dans l'intérêt général qui passe par la réinvention de l'Etat, dans l'intérêt de notre République et de ses citoyens, plutôt que dans une addition d'intérêts particuliers, que l'on ne trouve pas d'union sacrée pour cela paraît impensable !
Le second consensus tient au rôle que nous entendons jouer avec les atouts qui sont les nôtres. Voilà quelques mois que nous errons dans une politique internationale «fromageuse» produisant des actes flous, parfois bâclés, purement épidermiques, des actes qui, hélas, contribuent activement à la propagation de l'image d'une Genève anémiée et prétentieuse. Les événements dramatiques que les Balkans vivent, non pas depuis six mois comme certains font semblant de le découvrir, mais depuis dix ans ou plus, indiquaient pourtant clairement la voie. Les gesticulations, d'où qu'elles viennent, sont profondément néfastes. Nous devons promouvoir Genève comme une ville de paix, d'accueil et d'ouverture. Nous devons assurer le cadre des médiations, du respect des droits de l'homme, le combat pour la dignité, cette lumière que la liberté projette sur les êtres humains. Pour cela, nous devons nous engager sans faiblesse et tous ensemble, pour que Genève soit dynamique, forte, mais surtout apaisée.
Pardonnez-moi, je suis probablement trop long. Que les parlementaires continuent à se fâcher, à se convaincre, à rire, mais surtout à travailler ! Sans vous, Mesdames et Messieurs les députés, le temps ne sera pour moi plus le même, même si ma passion pour l'humain restera - j'en suis sûr - intacte ! (Applaudissements.)
Le président. Monsieur Unger, le Grand Conseil prend acte de votre démission.
M. Pierre-François Unger est entré au Grand Conseil en 1993. Il fut notamment président de la commission judiciaire. Nous le félicitons, nous formons nos voeux de réussite dans sa nouvelle carrière professionnelle et nous lui remettons le traditionnel stylo-souvenir.
M. Claude Blanc (PDC). Au nom du groupe démocrate-chrétien, je voudrais dire à Pierre-François combien nous regrettons de le voir partir, combien nous regrettons l'apport vraiment important qu'il a donné pendant ses six années passées au Grand Conseil et dans notre groupe.
Je voudrais souligner particulièrement l'esprit qu'il a toujours mis dans toutes ses interventions et le désintéressement avec lequel il a toujours soutenu les projets qui lui semblaient bons. Ce désintéressement est allé jusqu'à vouloir partir, bien que j'aie tenté de l'en dissuader, pour être totalement fidèle à une position qu'il avait défendue dans ce parlement quand il s'était opposé à la levée des incompatibilités. Il m'a dit qu'il avait défendu une idée et que, même si cette idée n'avait pas passé et qu'il ait pu rester au parlement, il voulait être fidèle à lui-même ; voilà pourquoi il s'en allait. Cela est grand ! Alors, même si ce départ nous chagrine beaucoup, je lui dis : merci ! (Applaudissements.)
M. Christian Grobet (AdG). Mesdames et Messieurs, vous permettrez à un député qui ne siège pas sur les mêmes bancs que l'Entente de droite de s'associer aux propos de M. Blanc.
J'ai eu le privilège de siéger à la commission judiciaire sous la présidence de M. Unger, ainsi qu'à la commission législative en sa compagnie, commissions où il a su démontrer qu'en plus de ses grandes compétences médicales, qui lui ont valu la promotion qui l'honore, il avait également de grandes compétences juridiques qui ont étonné plus d'un avocat. J'aimerais souligner la très grande honnêteté intellectuelle de M. Unger, doublée d'une courtoisie fort appréciée. Cela nous a souvent permis, dans ces deux commissions qui traitent de lois délicates posant des problèmes de principe, de fonctionnement de nos institutions, de trouver des solutions où nous étions finalement tous d'accord. M. Unger a joué un rôle très important dans plusieurs de ces projets de lois et je voudrais dire le plaisir que j'ai eu - certains en souriront - à pouvoir signer avec lui, avant son départ, un projet de loi sur le Tribunal des prud'hommes.
Je vous souhaite également, cher Docteur, une excellente carrière sur le plan universitaire. (Applaudissements.)