Séance du
jeudi 29 avril 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
6e
session -
14e
séance
GR 224-1
M. I. H. , 1976, Kosovo, Yougoslavie, serveur, recourt contre la peine d'expulsion judiciaire.
Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse. Ce dossier revêt une certaine gravité... (Brouhaha.) Monsieur le président, je serais très satisfaite que vous obteniez le silence ! Je vous en remercie.
M. I. H. est né le 14 avril 1976 au Kosovo. Célibataire, aîné d'une famille comptant trois enfants, il est arrivé en Suisse pour y rejoindre, en compagnie de sa famille, son père, M. Rouzdi I. H. dans le courant de l'année 1992. En effet, M. Rouzdi I. H., le père, a été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour permis B depuis le 11 mars 1991. Auparavant, il était en Suisse en tant que saisonnier depuis les années 80. Toute la famille I. H. jouit depuis bientôt huit ans d'autorisations de séjour B et ce sans interruption.
Dès son arrivée à Genève, c'est-à-dire à l'âge de 16 ans, M. I. H. a été inscrit en classe d'accueil de la scolarité post obligatoire. Il a par la suite suivi une formation de serveur à l'Université populaire albanaise. Depuis lors, il a été régulièrement employé dans différentes entreprises. Il s'est en outre acquitté de ses impôts et des assurances sociales.
Se laissant entraîner par de mauvaises fréquentations, M. I. H. a participé à un cambriolage, le 17 mars 1997, en compagnie de deux ressortissants du Kosovo et d'un quatrième individu resté inconnu, tous trois plus âgés que lui. L'établissement cambriolé, à savoir le restaurant «Le Bayou» à Versoix, a subi une perte de quelques centaines de francs - très exactement 450 F - et un dommage lié aux fractures de deux portes d'entrée.
Dans cette affaire, le rôle de M. I. H. a consisté à servir de chauffeur, utilisant la voiture de son père qu'il lui avait empruntée ce soir-là. Confronté aux interrogations judiciaires et de police, M. I. H. a entièrement reconnu les faits. Par ordonnance de condamnation du juge d'instruction du 24 mars 1997, condamnation confirmée le 5 mai 1997 par le Tribunal de police, M. I. H. a été condamné, pour vol et dommage à la propriété, à la peine de soixante jours d'emprisonnement sous déduction de huit jours de détention préventive, avec sursis de quatre ans et à une expulsion ferme du territoire de la Confédération pour une durée de trois ans. Il a dû en outre s'acquitter des frais de procédure : 447 F et de restitution correspondant à l'enrichissement illégitime pour un montant de 1 294,60 F.
C'est le lieu de relever, maintenant, qu'à l'époque il a été retenu de façon erronée que M. I. H. n'avait aucune attache avec la Suisse et que son expulsion pouvait être prononcée sans sursis. Cette constatation erronée a naturellement eu de très graves conséquences pour le recourant et sa famille. En date du 28 octobre 1998, M. I. H. est expulsé de Suisse, refoulé à Belgrade, en ex-Yougoslavie. Il tente de rejoindre sa province d'origine au Kosovo, alors qu'il ne connaît plus personne en Yougoslavie, pays qu'il a quitté à l'âge de 16 ans, et qu'il ne peut rejoindre d'éventuels membres éloignés de sa famille vu l'état de guerre existant dans cette région.
Au cours de ces péripéties, deux de ses compagnons sont tués, un autre grièvement blessé. Rescapé, M. I. H. est empêché, sur place, de rejoindre le Kosovo. Il n'a donc d'autre choix que de revenir en Suisse où se trouvent les seules personnes au monde qu'il connaît et susceptibles de l'aider.
C'est pourquoi, au début février 1999, il est contraint de revenir à Genève. Quelques jours après son arrivée, il est arrêté et emprisonné à Champ-Dollon.
Le recours en grâce contre la peine d'expulsion judiciaire, qui vous est soumis ce soir, est alors déposé.
Mesdames et Messieurs les députés, sous la mauvaise influence d'individus peu fréquentables, M. I. H. s'est rendu coupable d'un cambriolage portant sur quelques centaines de francs : acte répréhensible, atteignant à la sécurité publique, ce qu'il a totalement reconnu. Alors qu'il vivait à Genève depuis près de sept ans entouré de sa famille et domicilié chez elle, disposant d'un travail, parfaitement intégré et maîtrisant le français, faisant preuve ainsi d'une attitude équilibrée, cet événement a subitement fait basculer la vie de M. I. H., à l'âge de 21 ans.
Il nous est apparu à l'analyse minutieuse du dossier qu'il s'agissait d'un malheureux accident, dont M. I. H. a d'ailleurs reconnu la gravité, et pour lequel il a exprimé des regrets sincères avant son expulsion.
Mesdames et Messieurs les députés, les faits pour lesquels M. I. H. a été condamné ne doivent pas être minimisés, mais mis en regard de sa situation personnelle, de la présence de sa seule famille à Genève ainsi que du climat de guerre notoire au Kosovo, le larcin commis par ce jeune homme, sanctionné par les mesures d'emprisonnement et de dédommagement de frais, ne justifient pas qu'en plus nous lui fassions encourir des risques aux conséquences parfaitement irrémédiables.
C'est donc, Monsieur le président, à l'unanimité de la commission de grâce que nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le recours contre la peine d'expulsion judiciaire.
Je ne peux cependant pas laisser notre parlement ignorer qu'une sanction administrative, probablement liée à son inéluctable retour en Suisse, a été décidée à l'encontre de M. I. H. lui interdisant d'entrer en Suisse du 10 février 1999 au 9 février 2004. Cette sanction lui a été notifiée le 15 mars 1999. Il a été reconduit en ex-Yougoslavie à quelques jours de l'explosion du conflit. Depuis cette date, sa famille, ses avocats, ses connaissances sont sans aucune nouvelle de lui.
Mesdames et Messieurs les députés, nonobstant la sanction administrative, notre décision nous appartient pleinement, et je vous encourage vivement, au nom de l'ensemble de notre commission, à rejeter la peine d'expulsion judiciaire.
M. Luc Gilly (AdG). Je suis effaré d'apprendre cette histoire. C'est la deuxième fois que, dans ce parlement, nous essayons d'empêcher le refoulement de certaines personnes vers l'ex-Yougoslavie. Aujourd'hui, la commission de grâce nous informe qu'elle est opposée à l'expulsion de cette personne, mais, en même temps, on nous dit que l'expulsion a déjà été effectuée !
Monsieur Ramseyer, combien de cas semblables vont-ils se reproduire encore à Genève ? Cette fois-ci, j'attends des explications très claires de votre part, Monsieur Ramseyer !
M. Gérard Ramseyer. Monsieur le député, vous m'interpellez sur une affaire que je ne connais pas du tout... Je découvre à l'instant la feuille indiquant de quoi il s'agit !
Permettez-moi tout de même de prendre le temps d'examiner ce dossier. Si vous le souhaitez, c'est très volontiers que je vous répondrai personnellement. Mais en l'état actuel des choses, je ne me sens absolument pas concerné par cette affaire...
M. Luc Gilly (AdG). Excusez-moi, Monsieur Ramseyer, je ne peux pas me satisfaire de cette réponse !
Moi, je ne sais pas qui expulse les gens : des infirmiers, des maçons, ou des policiers chargés de les conduire à l'aéroport et de les mettre dans l'avion ? Quels sont les services qui s'occupent de l'expulsion de ces personnes, Monsieur Ramseyer, si ce ne sont pas les vôtres ?
M. Christian Ferrazino (AdG). Nous pouvons comprendre que M. Ramseyer ne soit pas au courant du dossier précis dont nous parlons. Nous pourrions toutefois attendre du chef du département que, d'une manière générale, il prenne l'engagement devant ce parlement de ne pas procéder à une expulsion lorsque nous sommes saisis d'une demande de grâce portant précisément sur une expulsion judiciaire; ou, au moins, d'intervenir auprès de l'office cantonal de la population.
En effet, vous savez, Monsieur Ramseyer, que c'est ce département qui prend la décision d'exécuter les expulsions administratives, département qui dépend de votre autorité. Il faudrait donc que l'office cantonal de la population ne prenne aucune décision en matière d'expulsion administrative tant et aussi longtemps que le parlement n'a pas tranché une demande de grâce d'une expulsion judiciaire. Autrement, nous nous trouvons dans la situation d'aujourd'hui : à savoir que nous allons prendre une décision qui n'a absolument aucune signification pour l'intéressé qui la demande, puisqu'elle a perdu tout effet et tout sens, étant donné qu'il a déjà été expulsé.
M. Gilly a raison de rappeler que c'est déjà la deuxième fois que nous sommes placés devant ce que nous pouvons appeler «une politique du fait accompli». Je pense donc que nous serons nombreux à reconnaître que ce n'est pas acceptable. Pas plus que votre réponse, Monsieur Ramseyer, car si vous ne connaissez pas ce dossier - je le répète, cela peut se comprendre - nous ne pouvons toutefois pas accepter que vous ne preniez pas l'engagement aujourd'hui que cela ne se reproduira pas. Pour ce faire, il faut que vous acceptiez de dire à vos services, y compris à l'office cantonal de la population, qu'ils ne doivent pas exécuter des mesures d'expulsion administrative lorsque le parlement est saisi d'une demande de levée de l'expulsion judiciaire.
J'attends de vous que vous preniez une position générale à ce sujet.
Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse. Je suis également choquée de cette situation. Je pense que le ton de ma proposition l'a laissé sentir, et je suis bien déterminée à ce que les choses n'en restent pas là. Je vous le dis très clairement, Monsieur !
Alors que faire et comment pour faire bien ? Je ne sais pas encore ! Je peux simplement vous dire que les commissaires ont également été très étonnés pendant la séance et que, sous la présidence de M. Daniel Ducommun, nous avons l'intention de clarifier ces procédures de façon à ne plus nous trouver devant ce genre de problème.
Mais, de grâce - si j'ose dire - prenez tout de même une décision au sujet du cas qui nous occupe ! Ne faites pas l'impasse sur cette décision - ce serait le pire des cadeaux empoisonnés que vous feriez à ce monsieur - et exercez votre droit de vote, indépendamment - je vous en prie - de la sanction administrative qui a été prise !
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce de la peine d'expulsion judiciaire) est adopté.