Séance du jeudi 25 mars 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 5e session - 11e séance

R 401
8. Proposition de résolution de Mme et MM. Régis de Battista, René Longet, Laurence Fehlmann Rielle et Dominique Hausser «Travaillons avec les pays qui respectent les droits de l'homme et non pas avec la Chine». ( )R401

EXPOSÉ DES MOTIFS

Il n'est plus tolérable de continuer à avoir des échanges économiques et culturels avec la Chine, pays totalitaire et non démocratique par excellence.

Ces derniers temps, le vrai visage du « Dragon » est à nouveau apparu. En effet, certains ont peut-être été abusés par sa nouvelle volonté de changer de cap et sa campagne de charme lancée dernièrement lors des visites officielles du Président Clinton ou de Mme Mary Robinson, secrétaire générale du Haut Commissariat de l'ONU, mais depuis les dernières arrestations de décembre 1998, il n'est plus permis de douter : le Parti communiste chinois ne va jamais accepter un système politique démocratique qui respecte les minorités, les droits de la personne et permet un vrai débat démocratique avec d'autres partis politiques.

Les récentes condamnations des dissidents chinois Xu Wenli (13 ans), Wang Youcai (11 ans), Gin Yongmin (12 ans) et tous les autres marquent la fin de la tentative de mettre en place le nouveau parti chinois - Parti démocrate chinois - (PDC).

Il n'est plus possible de se faire abuser par ce parti « UNIQUE » qui ne respecte rien et trompe les gouvernements comme les organisations internationales. L'apogée de cette hypocrisie s'est déroulée le 5 octobre 1998, lorsque le gouvernement chinois a ratifié le Pacte international des droits civils et politiques. Il s'est avéré seulement un prétexte afin obtenir des marchés économiques, comme de donner un « alibi » aux investisseurs étrangers sans scrupule.

Il faut déplorer parallèlement toutes les sociétés qui « déplacent » leur production en Chine afin de profiter des avantages de coût de fabrication qui sont faits sur le dos de la population. En effet, le système de sécurité sociale est presque inexistant et le chômage touche quelque 15 millions de personnes.

Un des remèdes de cette crise économique chinoise est de soutenir comme de renforcer la mise en place d'une démocratie qui respecte les différentes opinions et tendances de la population. Il faut dénoncer la dictature du seul et unique parti qui viole toutes les bases essentielles de la Déclaration des droits de l'homme.

Le « Dragon » doit se voiler la face, comme tous ceux qui pour des raisons bassement économiques, continuent à collaborer avec cette dictature.

C'est pour tous ces motifs que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les député(e)s, de réserver un bon accueil à cette résolution et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

M. Michel Halpérin (L). Celles et ceux d'entre nous qui ont eu l'occasion, à la fin de la séance de 17 h, de regarder le journal télévisé auront constaté que les relations entre la Chine et la Suisse sont au plus bas : le président chinois est arrivé aujourd'hui à Berne, en visite officielle, où il a été accueilli par des huées qui l'ont indisposé. Certains trouveront que ce n'est pas grave, que c'est la moindre des choses... On peut évidemment se ranger à cette opinion, surtout si, comme on en a pris l'habitude sur ces bancs, on préfère privilégier nos satisfactions immédiates à la réalisation d'objectifs politiques sérieux et réfléchis !

Ce ne sera pas une comparaison abusive que d'évoquer ce soir la situation qui prévaut en Yougoslavie. Comme vous le savez tous, les forces de l'OTAN bombardent ce pays depuis vingt-quatre heures. Je suppose que, le mois prochain, les mêmes auteurs que ceux dont nous examinons les textes en ce moment viendront nous soumettre une résolution demandant à l'OTAN d'arrêter ses bombardements. Ils oublieront qu'ils ont, avec beaucoup d'autres à travers l'Europe et à travers le monde, fait partie de ceux qui les ont provoqués, notamment en adoptant, contre les voeux de cette partie-ci de la salle, des résolutions condamnant les crimes contre l'humanité commis par M. Milosevic.

Il se trouve que sur les bancs que j'ai l'honneur de représenter ce soir nous sommes nombreux à soutenir, dans le respect, l'amitié et l'affection quasi filiale, les travaux héroïques du Dalaï Lama et la résistance courageuse du peuple tibétain.

Cela dit, nous suggérons aux auteurs audacieux de tous ces textes mal pensés, mal conçus et mal rédigés de s'inspirer de l'exemple du Dalaï Lama ! Lui connaît le poids des mots. Il n'utiliserait jamais ceux qui vous viennent sous la plume ! C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous y rallier.

M. John Dupraz (R). Je m'exprimerai dans le même sens que M. Halpérin. Depuis quatre ans que je siège au Conseil national à Berne, j'ai pu constater que ce type de résolution ne fait qu'agacer le Conseil fédéral, les autorités administratives et la diplomatie de notre pays, et ne fait qu'empoisonner leur travail.

Il est trop facile de dire : «On ne fait pas de commerce avec la Chine.» Vous ne pouvez pas à la fois réclamer le plein emploi, dire qu'on ne fait rien contre le chômage et refuser de commercer avec un pays qui est un grand client. S'il s'agit d'améliorer la situation dans le domaine des droits de l'homme et quelles que soient les critiques que l'on peut faire envers cet Etat et ses dirigeants, c'est en travaillant avec eux que nous pourrons les inciter à venir à de meilleurs sentiments et à respecter les droits de l'homme, et non pas en les boycottant, comme vous le proposez.

Je trouve cette attitude ridicule. Lorsqu'on reçoit un chef d'Etat dans un pays, on lui doit le respect, indépendamment des reproches qu'on peut lui faire personnellement ou au pays qu'il dirige. Je regrette ce comportement qui affaiblit la place internationale de Genève, qui est contreproductif pour les droits de l'homme et qui ridiculise Genève aux yeux du monde international.

M. Régis de Battista (S). Après ce que je viens d'entendre, je pense que M. Halpérin et M. Dupraz ne connaissent pas du tout la question tibétaine et je suis un peu surpris de leurs propos. Ce pays vit une situation de crise et, lorsqu'un chef d'Etat martyrise son pays, emprisonne un grand nombre d'opposants politiques et qu'il vient en visite dans un pays démocratique, il est tout à fait normal de prendre position.

Nous vivons dans un pays démocratique, nous sommes pour le fédéralisme, mais sachez qu'en Chine il n'existe pas de parlement comme le nôtre, où on peut débattre. Il n'y a qu'un parti unique, répressif, et MM. Halpérin et Dupraz ne pourraient pas s'exprimer en Chine !

Je vous demande donc de soutenir cette résolution afin de montrer que Genève est une ville de paix.

Mme Myriam Sormanni (S). Nous fêtions en 1998 le cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme et il est normal de réagir et de ne pas avoir envie d'accueillir ce chef d'Etat avec tous les honneurs qu'on lui devrait.

M. John Dupraz (R). J'ai bien entendu les propos de M. de Battista et je m'étonne qu'une résolution de ce type n'ait pas été présentée lorsque nous avons reçu M. Fidel Castro à Genève. Je m'étonne de votre attitude unilatérale envers certains pays et certains chefs d'Etat, alors qu'envers d'autres, qui vous sont politiquement plus proches, vous vous montrez royalement généreux et bienveillants !

M. René Longet (S). Je n'ai pas du tout envie de développer la question de la Chine et du Tibet à minuit. Je dirai néanmoins à MM. Dupraz et Halpérin et à d'autres aussi que nous avons vu au journal télévisé le président chinois perdre sa dignité de chef d'Etat, à la vue de manifestants qui osaient dire que les droits de l'homme et le peuple tibétain existent, et qu'un certain nombre de violations inacceptables continuent de se produire en Chine. A la manière dont il a réagi, en disant au Conseil fédéral qu'il ne comprenait pas que l'on puisse gouverner ainsi et permettre une telle liberté d'expression, on se rend compte de ce qui se passe dans son pays.

On se rend compte aussi de notre devoir et du caractère incongru et déplacé de vos propos. Après cet incident, la résolution de ce soir soutient le courage du Conseil fédéral et de Mme Dreifuss en particulier. (Applaudissements.)

M. Michel Halpérin (L). Mesdames et Messieurs, c'est vous qui avez choisi de mettre ce débat à l'ordre du jour !

Vos propos dénotent une incroyable méconnaissance des exigences élémentaires en matière de relations internationales. On peut ne pas inviter le président chinois, mais si on l'invite on l'accueille avec déférence, parce que c'est la règle du jeu. Cela n'empêche pas l'expression d'un mécontentement, mais cela interdit les mesures de satisfaction prises à très bon compte !

Vous êtes de ceux qui prétendent constamment que les droits de l'homme doivent avoir une application tenant compte des facteurs culturels locaux. La Chine n'est pas un pays, c'est un continent ! Vous êtes de ceux qui prétendent qu'il faut tenir compte des particularismes de l'Algérie ou de l'islam, ou des pays du tiers monde qui ne vivent pas comme nous dans l'abondance, y compris sous l'angle des droits de l'homme. Vous prétendez donner des leçons au monde entier, alors que vous ne connaissez pas les difficultés du monde. Vous vous battez pour des loyers inférieurs de quelques sous, de quelques centimes à Genève, mais vous n'avez pas compris que la moitié du monde, ou les trois quarts, meurt de faim et vit selon d'autres critères que les nôtres... (Protestations.) Et c'est au nom d'une vérité que vous ne voulez pas imposer à certains que vous prétendez aujourd'hui donner des leçons à ceux qui se passent complètement de les recevoir !

Nous dénonçons l'irresponsabilité de ce comportement, indigne d'un parlement. (Manifestation dans la salle.) Vous pouvez essayer de me faire taire, cela fait partie de vos habitudes et cela ne m'étonne pas tellement dans un débat qui est précisément consacré au libre exercice des droits de l'homme !

M. Claude Blanc (PDC). Il a été fait allusion au cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme et il se trouve que cette année 1949 est précisément l'année où le communisme a mis la main sur la Chine. Le communisme n'a pas changé, il est toujours égal à lui-même là où il subsiste. Il n'y a que les communistes de notre pays qui ont changé et qui ont oublié qu'ils ont soutenu ce régime pendant des années. Aussi, l'hypocrisie dont vous faites preuve aujourd'hui me remplit de confusion, parce que vous voulez brûler aujourd'hui ce que vous avez adoré. Vous avez fait semblant de changer, mais ce que vous voulez brûler aujourd'hui n'a pas changé !

M. Bernard Clerc (AdG). Je constate que M. Halpérin semble oublier que M. Jiang Zemin n'est pas seulement le président de la Chine. Il est aussi le chef du parti «communiste», entre guillemets, chinois... (Exclamations.) Et je constate que le libéral Halpérin vient au secours du parti «communiste» chinois !

Monsieur Blanc, lorsque vous dites que le parti communiste est égal à lui-même et qu'il n'a pas changé, vous vous trompez ! La réalité - et c'est pourquoi aujourd'hui, dans les milieux libéraux, on ne veut surtout pas faire de vagues avec la Chine - c'est que la Chine est aujourd'hui engagée sur la voie du capitalisme. C'est cela la réalité et ce qui compte, ce sont les affaires !

Il s'agit évidemment d'un capitalisme relativement planifié, mais qui profite fondamentalement à une minorité de Chinois et vous le savez bien : certains s'enrichissent, comme cela a été le cas en URSS, et accumulent des fortunes considérables alors que la majorité du peuple vit dans la misère.

Mais, évidemment, cela vous intéresse de commercer avec ces gens-là et vos idéaux libéraux s'effacent alors complètement. Vous soutenez ABB, qui va construire le barrage des Trois Gorges, barrage qui va inonder une surface considérable et obliger des paysans à émigrer. Voilà ce que vous soutenez ! Ce sont uniquement des relations de type capitaliste...

Une voix. Hypocrite !

M. Bernard Clerc. ...qui vous permettent de faire du fric, comme vous l'avez fait avec l'Afrique du Sud et avec le Chili de Pinochet ! (Applaudissements.)

M. Albert Rodrik (S). Je me demande si on peut avoir un peu de sobriété ! Cette résolution a pour but de dire qu'un tortionnaire chamarré est un tortionnaire et le demeure. Un tortionnaire habillé en chef d'Etat qui a fait écraser, il y a dix ans, des manifestants reste un tortionnaire. Il ne s'agit pas d'autre chose.

Quand j'entends l'apitoiement de certains collègues sur les populations qui meurent de faim, je me souviens d'une expression des années 70 qui disait : «Il parle du Biafra la bouche pleine». C'est tout ce que j'avais à dire !

M. Michel Halpérin (L). Je voudrais faire remarquer que l'intervention de M. Clerc signifie, en d'autres termes, que si vous n'êtes pas intervenus pendant les quarante-cinq premières années du régime communiste en Chine, c'est parce que la planification étatique vous convenait, et qu'aujourd'hui ce serait l'orientation moins étatiste qui ne vous convient plus...

M. Christian Grobet (AdG). Monsieur Halpérin, des gens se sont battus de longue date pour le respect des droits de l'homme et tout simplement pour le respect de l'homme.

Aujourd'hui, la Suisse est en train de faire un retour en arrière assez terrible sur les années de guerre pendant lesquelles on s'est tu et on a collaboré malgré des drames épouvantables. Je crois que maintenant les gens ont compris qu'il y a cinquante ans en arrière on avait tort de se taire et d'être complice de ceux qui tuaient leurs concitoyens. Et si aujourd'hui on veut progresser dans ce monde, c'est en dénonçant ce genre d'actions !

Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Je n'interviendrai que brièvement pour répondre à l'allusion de M. Longet au sujet du soutien qu'il souhaitait apporter à Mme Dreifuss.

Mme Dreifuss, présidente de la Confédération, a choisi de poursuivre ce que l'on appelle le dialogue constructif, qui consiste à dire en face au président - comme elle l'a fait d'ailleurs - ce que vous pouvez penser et ce que nous pouvons tous penser des droits de l'homme en Chine et des progrès que nous souhaiterions y voir.

Il y a deux manières de contribuer aux droits de l'homme. L'une est de refuser que les gens viennent sur notre territoire et de manifester en espérant qu'ils nous entendent. L'autre est de les accueillir sur notre territoire en leur disant en face, de façon courtoise, ce que nous pensons de la situation des droits de l'homme dans leur pays, afin qu'ils puissent véritablement progresser. C'est le choix qu'a fait la présidente de la Confédération.

Monsieur le député Grobet et vous tous qui soutenez sa position feriez bien de vous abstenir de voter cette résolution.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil d'Etat et au Conseil fédéral.

Elle est ainsi conçue :

Résolution(401)

Travaillons avec les pays qui respectent les droits de l'homme et non pas avec la Chine

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

que la République de Chine demeure l'un des derniers pays à violer systématiquement les droits de l'homme ;

que de nombreux dissidents chinois sont condamnés et continuent à être envoyés dans des « camps de rééducation par le travail » ou en prison sans aucun jugement ;

qu'il existe près de 230 000 « contre-révolutionnaires » dans les prisons chinoises, selon l'Association Human Rights Watch Asia ;

que des déplacements forcés de personnes sont faits pour la construction du barrage des Trois Gorges (1,8 million de personnes) ;

la situation particulièrement dramatique que vit le Tibet depuis son occupation en 1951 par la République populaire de Chine (résolution 345, votée le 25 septembre 97) ;

qu'il est nécessaire que la communauté des nations fasse une forte pression sur la Chine, du même type que celle qui a fini par vaincre l'apartheid ;

que Genève est un canton ouvert à la paix et à la prévention de conflits,

faire que, lors de tous contacts officiels avec la République populaire de Chine, la situation des droits de l'homme et celle du Tibet soient clairement dénoncées et des comptes demandés ;

ne pas acheter et utiliser du matériel de ce pays tant que ne sont pas clairement établies les conditions de production, le respect de l'être humain et de l'environnement ;

déplorer les investissements suisses faits en République populaire de Chine dans la situation actuelle et les agissements consistant à faire du « dumping » en proposant des produits « made in China » qui ne respectent d'aucune façon les entreprises locales ;

invite le Conseil fédéral à faire de même ;

déplore la venue du Président chinois Jiang Zemin lors de sa visite officielle prévue du 23 au 27 mars 1999. 

La séance est levée à 0 h 10.