Séance du
jeudi 21 janvier 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
3e
session -
2e
séance
M 582-B
La présente motion invite le Conseil d'Etat à :
faire un bilan de la situation actuelle de l'agriculture biologique à Genève, et de son évolution ces dernières décennies (surface, production, consommation, importation, prix des produits, enseignement, soutien financier, etc.) ;
proposer un projet cantonal de soutien efficace à l'enseignement en agrobiologie et à sa pratique aux agriculteurs déjà convertis ou désireux de le faire, en vue d'en promouvoir le développement dans notre canton.
Le Conseil d'Etat, en préambule, tient à faire un bref rappel de la situation générale de l'agriculture qui a fortement évolué en l'espace de neuf ans, c'est-à-dire depuis le dépôt de la motion le 13 avril 1989.
Situation actuelle de l'agriculture
Depuis le début des années nonante, notre agriculture, jusque-là fortement empreinte des choix politiques opérés au moment de l'adoption de la loi fédérale de 1951, s'est résolument engagée sur la voie de la rénovation.
Avec l'adoption des paiements directs non liés aux produits, suite à la publication du 7e rapport du Conseil fédéral sur l'agriculture en janvier 1992, la Confédération dispose aujourd'hui d'un instrument efficace lui permettant d'encourager des modes de production respectueux de l'environnement.
La réforme de la politique agricole (PA 2002), dont la deuxième phase est en cours, a pour objectif d'accroître la compétitivité de l'agriculture suisse tout en assurant le soutien aux prestations d'utilité publique et écologiques qu'elle fournit.
Dans ce contexte, la nouvelle loi fédérale sur l'agriculture du 21 avril 1998 contient les bases nécessaires à l'entretien du paysage rural et à la conservation des ressources naturelles.
Encouragement à l'agriculture biologique et à d'autres formes de production respectueuses de l'environnement et des animaux
Les paiements directs à caractère écologique versés jusqu'ici selon l'article 31b de la loi fédérale sur l'agriculture (Lagr), permettent aux agriculteurs de choisir parmi 5 sortes de prestations à caractère écologique :
la production intégrée (PI) ;
la culture biologique (BIO) ;
la compensation écologique (CE) ;
la détention contrôlée d'animaux en plein air (DPA) ;
les systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux (SST).
Production intégrée
Selon la définition qu'en donne la Confédération, une exploitation est reconnue comme pratiquant la PI si elle répond au moins aux exigences suivantes :
l'assolement, les quotes-parts de cultures, le mode d'utilisation des prairies et l'exploitation sont déterminés de manière à éviter autant que possible l'érosion du sol ainsi que l'écoulement et le lessivage d'éléments nutritifs et de produits de traitement des plantes ;
dans les grandes cultures, la couverture du sol doit être suffisamment étendue pour que l'érosion du sol et les pertes d'éléments nutritifs et de produits de traitement des plantes soient maintenues aussi faibles que possible ;
les cycles des éléments nutritifs doivent être aussi fermés que possible et la charge en bétail adaptée à l'emplacement. Il faut établir un bilan de la fumure en phosphore et en azote ;
en culture végétale, la préférence est accordée aux mécanismes de régulation naturels. Des interventions phytosanitaires directes ne sont autorisées que si le seuil de tolérance est atteint ;
les surfaces de compensation écologique doivent représenter au moins 5 pour cent de la surface agricole utile de l'exploitation, déduction faite des surfaces cultivées en vigne ;
des bandes tampons extensives sont aménagées le long des cours et plans d'eau, des haies et des lisières de forêt ;
l'intensité de l'utilisation des surfaces fourragères doit être différenciée et adaptée à l'emplacement et à la composition botanique.
Le tableau qui suit présente l'évolution à Genève du pourcentage de la surface exploitée selon les règles de la PI.
Pour 1998, notons que 280 exploitations inscrites, représentant une surface de 8645 hectares, bénéficieront du versement d'un montant d'environ Fr. 6,5 mio.
La culture biologique
La culture biologique est régie selon les principes suivants :
les cycles et processus naturels sont pris en considération ;
l'utilisation de matières auxiliaires et d'ingrédients chimiques de synthèse est évitée ;
les organismes génétiquement modifiés et les produits qui en sont issus ne sont pas utilisés ;
les produits ne sont pas soumis à des rayonnements ionisants, et les produits irradiés ne sont pas utilisés.
Les exploitations pratiquant la culture biologique dans notre canton sont au nombre de 5, dont 3 dans le seul secteur de la viticulture. En 1998, elles exploitent une superficie totale de 100 hectares environ, soit le 1 % de la surface agricole utile genevoise (SAU).
Faute d'être largement reconnue par les milieux de la consommation, les débouchés ont été jusqu'à ce jour limités. Toutefois, avec la prise de conscience des dangers qui planent, en particulier avec la mise en évidence de produits irradiés, il est à prévoir que dans le futur, la culture biologique tendra certainement à se développer, ceci pour autant que les prix soient suffisamment attractifs, c'est-à-dire qu'ils couvrent correctement les frais de production.
La compensation écologique
La Confédération octroie des contributions pour la compensation écologique sur la surface agricole utile pour :
les prairies extensives, les prairies peu intensives, les surfaces à litières, les haies et les bosquets champêtres ;
les surfaces cultivées de manière extensive situées sur les terres assolées et dans les cultures spéciales ;
les arbres fruitiers haute-tige.
La surface recensée, en 1998, au titre de la compensation écologique, représente à Genève un peu plus de 1000 hectares, soit environ 10 % de la SAU cantonale.
La détention contrôlée d'animaux en plein air
Outre le respect des dispositions générales en matière de protection des animaux, les exploitations qui entendent bénéficier de ce type de contributions doivent également se conformer aux prescriptions suivantes :
la stabulation doit répondre aux besoins spécifiques de l'animal de rente ;
les animaux ont régulièrement la possibilité de se mouvoir en plein air. L'exploitation tient un journal des pâtures et des sorties ;
le nombre d'animaux donnant droit à la contribution doit correspondre à au moins cinq unités de gros bétail.
Des contributions pour un montant de Fr. 80 000.- environ ont été versées aux détenteurs de bétail genevois, dans le cadre de ces mesures en 1997.
Systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux
La législation fédérale prescrit pour ce type de garde :
les animaux ne doivent pas être attachés ;
un éclairage suffisant par la lumière du jour, un climat d'étable approprié et des possibilités de se mouvoir et de s'occuper adaptées au comportement naturel des animaux favorisent leur bien-être ;
le nombre d'animaux donnant droit à la contribution doit correspondre à au moins cinq unités de gros bétail.
Un montant de près de Fr. 23 000.- a été versé, en 1997 à Genève, pour ces systèmes de stabulation.
Perspectives futures
A partir de l'année prochaine, le dispositif en vigueur sera abrogé. Pour bénéficier des paiements directs, toutes les exploitations, y compris celles pratiquant la culture biologique, devront satisfaire aux prestations écologiques requises (PER).
Il s'agira notamment :
de garantir un bilan de fumure équilibré ;
d'affecter une part équitable de surfaces à la compensation écologique ;
d'assurer une protection du sol appropriée et d'opérer un choix et une utilisation ciblée des produits de traitement des plantes.
Selon les prévisions de l'Office fédéral de l'agriculture, d'ici à la fin du siècle, toutes les terres agricoles devraient être exploitées selon des modes de production respectueux de l'environnement.
Soutien financier à l'agriculture biologique
Au cours de ces dernières années, les contributions suivantes ont été versées aux exploitations BIO, en application de l'article 31b Lagr :
Comme cité précédemment, on doit constater que l'agriculture biologique demeure encore secondaire dans notre canton, comme d'ailleurs, d'une manière générale, dans l'ensemble de la Suisse.
Relevons qu'une étude visant à octroyer une aide financière aux exploitations voulant pratiquer l'agriculture biologique est actuellement en cours. Il s'agirait en l'occurrence, par le versement de contributions à fonds perdus, de soutenir les exploitations pratiquant à ce jour une agriculture traditionnelle ou PI et qui souhaiteraient s'engager à l'avenir sur la voie de la reconversion de l'entreprise à la culture biologique .
Cette aide ponctuelle et forfaitaire pourrait être accordée, soit en tant que contribution à la surface, soit en tant qu'aide à la construction ou à la transformation de bâtiment ruraux, en vue notamment d'une mise en conformité des installations nécessaires à la garde du bétail de rente sur l'exploitation.
Une telle aide viendrait compenser, si ce n'est entièrement, du moins partiellement, le manque à gagner résultant, pour ces exploitations, de l'engagement dans la phase de reconversion. En effet, pendant les deux années que dure en principe cette phase d'adaptation, les exploitations doivent respecter le cahier des charges de la culture biologique avec toutes les contraintes que cela suppose, sans pour autant pouvoir commercialiser leurs produits sous cette appellation.
Conclusions
Si nous reprenons les deux invites de la motion, nous constatons clairement, en premier lieu, que la Confédération, dans le cadre de la réforme de sa politique agraire, entend promouvoir une agriculture de qualité et plus proche du marché. Les nouvelles mesures visent, notamment, à mieux soutenir des formes de production durables et particulièrement respectueuses de l'environnement.
La nouvelle loi fédérale sur l'agriculture a pour principal but, hormis d'assurer comme par le passé la sécurité et l'approvisionnement de la population, d'assurer l'entretien du paysage rural et de contribuer à la conservation des ressources naturelles.
L'exploitation agricole s'oriente donc vers des techniques qui doivent mieux tenir compte de la protection des éléments naturels, tels que l'eau, l'air et le sol, sans lesquels aucune culture traditionnelle n'est possible.
Dans la mesure de ses moyens, notre canton contribue à la mise en oeuvre de ces nouvelles orientations et accorde des contributions financières complémentaires pour des mesures écologiques spécifiques.
Le soutien et le développement de l'agriculture biologique s'intègrent ainsi parfaitement dans la perspective générale de la réforme de notre politique agricole.
S'agissant de la deuxième invite visant à proposer un soutien efficace à l'enseignement en agrobiologie dans notre canton, il faut rappeler que Genève ne dispose pas à proprement parler d'une école d'agriculture spécialisée dans l'enseignement des techniques agricoles.
Le centre de Lullier assure, dans le domaine de la floriculture et du maraîchage, un enseignement qui intègre le respect de l'environnement et des techniques qui limitent l'utilisation des pesticides.
D'autre part, dans le cadre de la formation agricole continue, l'Association genevoise des centres d'études techniques agricoles (AGCETA), avec le soutien de la centrale romande de Lausanne, organise très régulièrement des journées sur le thème de la culture biologique avec des suivis pratiques dans le terrain.
Un spécialiste formé dans l'approche des techniques BIO suit les exploitations qui ont déjà choisi ce mode de valorisation de leur production, comme celles qui désirent l'adopter.
Relevons enfin que l'AGCETA est largement soutenue financièrement par les pouvoirs publics : canton et Confédération.
Débat
M. John Dupraz (R). C'est avec grand intérêt que nous avons lu le rapport du Conseil d'Etat, dont le grand mérite est de sortir des tiroirs une motion qui y traînait depuis dix ans et d'y donner, enfin, une réponse... Mais alors, quelle ne fut pas ma surprise de lire en page 5 et suivantes : «Soutien financier à l'agriculture biologique» ! Je suis d'autant plus étonné que Mme Calmy-Rey vient de nous faire un discours bien pensé, disant que nous pouvions faire ce que nous voulions de la résolution proposée par les partis de l'Entente mais que le Conseil d'Etat, lui, ne ferait aucune nouvelle dépense en dehors de celles déjà prévues dans le cadre du budget.
Or, Monsieur Cramer, vous ne devriez pas ignorer les principes de la nouvelle politique agraire dite «PA 2002». Elle consiste à se conformer aux accords du GATT, avec une protection à la frontière définie par ces accords et avec des paiements directs pour rétribuer les prestations non économiques de l'agriculture, sous certaines conditions très rigoureuses, y compris les règles de la culture biologique. Ensuite, c'est le marché qui doit réguler l'écoulement et les prix des produits agricoles. C'est donc aux paysans et à leurs organisations commerciales d'être performants pour vendre leurs produits sur le marché.
Mais, alors, je ne comprends pas le Conseil d'Etat... Alors que nous n'avons pas le moindre sou dans les caisses, vous proposez maintenant de soutenir financièrement la reconversion d'exploitations agricoles dites «traditionnelles» (en fait, elles sont maintenant pratiquement toutes en production intégrée à Genève) en production biologique. Après les propos de Mme Calmy-Rey, c'est à se demander si vos collègues lisent les rapports qui viennent devant notre assemblée !
Cette proposition est tout à fait inéquitable par rapport à ceux qui ont déjà fait l'effort de s'adapter à la culture biologique, ce d'autant plus que ce marché est très peu important et que c'est lui qui régule l'écoulement des produits. Actuellement, à Genève, plus du tiers des vins produits sous label biologique sont vendus dans le commerce traditionnel sous un label conventionnel, parce qu'il n'y a pas de marché pour ces produits biologiques.
Alors, je le répète, je trouve un peu curieux que le Conseil d'Etat n'ayant pas un sou se propose de soutenir financièrement les exploitations qui se tourneraient vers cette activité. C'est de la «doctrine écolo» mise en oeuvre par le Conseil d'Etat, dont ce n'est pas le rôle ! (L'orateur est interpellé.) Vous expliquerez ça au Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs !
Comme je l'ai déjà dit, c'est inéquitable par rapport à ceux qui ont déjà effectué cet effort de reconversion. Vous donnez ainsi de faux espoirs aux agriculteurs, car les marchés sont très serrés et très difficiles sur les produits «bio», car ils sont nettement plus cher.
Je trouve cette réponse tout à fait inadéquate, et je demande donc le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat, pour qu'il nous fournisse une réponse qui soit conforme à la politique agraire et à la situation financière du canton.
Votre rapport, Monsieur Cramer, c'est vraiment du petit Robert ! (Rires.)
M. Robert Cramer. Monsieur Dupraz, vous êtes singulièrement inattentif. Vous me donnez l'impression de ne pas lire le budget du canton de Genève... En tout cas, si vous le lisez, vous en méprisez manifestement une partie : celle qui concerne l'agriculture !
En effet, Monsieur Dupraz, si vous aviez eu la curiosité de lire le budget 1999 - celui qui n'existe plus... - de votre canton, vous auriez pu voir que figurait une petite somme sur une ligne - je n'ai plus le chiffre en tête, il devait s'agir de quelques dizaines de milliers de francs - pour favoriser la reconversion des entreprises qui souhaitent passer à l'agriculture biologique. Pourquoi cette rubrique nous a semblé nécessaire ? Vous le savez parfaitement ! Pendant une période de deux ou trois ans, les entreprises agricoles perdent pratiquement tout débouché pour la commercialisation de leurs produits, avant d'arriver à obtenir les labels qui sont décernés en matière de produits biologiques. Pendant cette phase de transition, elles ne peuvent donc pas commercialiser leurs produits sous les labels biologiques et, évidemment, elles sont loin d'avoir la rentabilité nécessaire pour survivre sous forme de production intégrée ou de production traditionnelle.
Voilà donc la raison de cette ligne budgétaire, à laquelle, à juste titre, vous ne vous êtes pas opposé lors de la discussion du budget. Cette ligne budgétaire n'existe plus, puisque, comme vous le savez, le budget a été retiré par le Conseil d'Etat et que nous vivons sous le régime des douzièmes provisoires.
C'est dire que vos craintes - si tant est que vous ayez la moindre crainte - n'ont pas lieu d'être dans la mesure où le Conseil d'Etat ne va bien sûr pas verser la moindre subvention pour les reconversions d'exploitation vers l'agriculture biologique tant que nous serons dans le cadre des douzièmes provisoires. Lorsque nous ne serons plus sous ce régime, c'est le Grand Conseil qui décidera de ce que nous ferons. Car, Mesdames et Messieurs les députés, finalement c'est vous qui devrez prendre une décision à ce moment-là, lorsque le budget 1999 vous sera soumis - si tant est que nous arrivions à en avoir un - ou en tout cas pour le budget de l'an 2000.
Cela étant et dès lors que la discussion devra avoir lieu à ce moment-là, je vous propose de prendre acte du rapport sur cette motion effectivement ancienne, puisqu'elle remonte à une dizaine d'années. Ce rapport trace les grands traits, comme vous l'avez relevé, Monsieur Dupraz, de ce qu'est la politique agricole - fédérale, pour l'essentiel - en matière de production biologique.
M. John Dupraz (R). Etant donné que nous n'avons pas de budget et que cette ligne budgétaire est maintenant «out», je renonce à ma proposition. Mais sachez que nous serons particulièrement attentifs au prochain budget, car votre politique en la matière risque de mettre certains agriculteurs dans une situation périlleuse en raison du marché. Laissez-les décider eux-mêmes ! Les inciter en les subventionnant, c'est une caution de l'Etat ! Et qui supportera les écarts financiers, lorsqu'ils ne pourront plus vendre sous le label biologique ? Vous ne pourrez pas dire alors que vous les avez aidés et qu'ils n'ont qu'à se débrouiller ! Laissez-les donc faire comme ils veulent !
L'Etat n'a pas d'argent à mettre dans ce type de reconversion des exploitations. C'est le marché qui doit régler cela. Si vous intervenez dans ce domaine, il faudra aussi le faire dans mille autres secteurs !
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.