Séance du
jeudi 21 janvier 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
3e
session -
2e
séance
M 1253-A
Cette motion urgente, adoptée par le Grand Conseil lors de sa séance du 18 décembre 1998, demande au Conseil d'Etat un rapport indiquant quelle serait la perte fiscale pour notre canton en cas d'adoption par le peuple suisse de l'initiative "Propriété du logement pour tous". Cet objet, soumis en consultation l'an dernier, a fait l'objet d'une réponse du Conseil d'Etat au Conseil fédéral, respectivement au chef du département des finances Monsieur Kaspar Villiger le 8 avril dernier.
La réponse à la consultation a porté essentiellement sur le contre-projet indirect du Conseil national - accession à la propriété du logement personnel, la variante dite de rupture des règles relatives à l'imposition du logement propre en vigueur actuellement. Au vu des inconvénients présentés par ces 2 propositions le Conseil d'Etat a proposé une voie médiane. Cette troisième variante propose de conserver le principe de l'imposition de la valeur locative et d'introduire, au plan fédéral (LIFD et LHID), la limitation de la déductibilité des intérêts des dettes privées, dans le sens du droit en vigueur actuellement dans le canton de Genève (art. 21 de la LCP).
En ce qui concerne la motion 1253, le Conseil d'Etat communique les constats suivants:
chaque année on compte 1000 nouveaux propriétaires occupant leur propre logement;
l'adoption par le peuple de l'initiative inciterait 200 personnes de plus chaque année a acquérir leur logement;
prix moyen du logement : 500 000 F pour 4,5 / 5 pièces
valeur locative moyenne du logement : 21 400 F par an;
l'épargne logement a été fixée à 11 000 F par an (chiffre du Département fédéral des finances);
les dispositions cantonales pour la mise en application de l'initiative entreraient en vigueur le 1er janvier 2001. Les références légales sont le PL LIPP, état au 30 septembre 1996 (PL 7532);
le taux moyen des impôts cantonaux et communaux considéré est de 26 %. La part cantonale est de 19,5 % et la part communale de 6,5 %.
Les incidences fiscales pour le canton de Genève en cas d'acception par le peuple de l'initiative fédérale "Propriété du logement pour tous", se répartiraient de la manière suivante:
1. Déduction de l'épargne destinée au logement
Pendant 10 ans 12 000 futurs propriétaires épargnaient 11 000 F par an destinés à leur logement.
Epargne annuelle : 11 000 x 12 000 = 132 000 000 F
Manque à gagner pour le fisc par année :
Assiette fiscale 132 000 000 F
impôts cantonaux 25 740 000 F
impôts communaux 8 580 000 F
total 34 320 000 F
2. Exonération des prestations du pilier 3A
A Genève, les prestations du pilier 3A sont taxées à un taux très réduit (taux ne représentant que le cinquième du barème) autrement dit, elles sont presque totalement exonérées. Le but visé par l'initiative est déjà réalisé sur ce point.
3. Réduction de la valeur locative à 60 % de la valeur du marché(nouveaux propriétaires)
Selon les dispositions de la LIPP, la réduction de la valeur locative à 60 % de la valeur du marché serait atteinte après 10 ans d'occupation.
Une réduction immédiate de cette valeur locative à 60 % de la valeur du marché signifierait sur 10 ans une perte d'assiette fiscale de 339 000 000 F, partant une perte en impôts de :
Moyenne annuelle
impôts cantonaux: 66 105 000 F 6 610 500 F
impôts communaux : 22 035 000 F 2 203 500 F
total 88 140 000 F
4. Réduction supplémentaire de la valeur locative durant les 10 années suivant la première acquisition (nouveaux propriétaires)
Cette réduction engendrerait sur 10 années une perte supplémentaire d'assiette fiscale de 106 000 000 F, partant une perte en impôts de :
Moyenne annuelle
impôts cantonaux: 20 670 000 F 2 067 000 F
impôts communaux: 6 890 000 F 689 000 F
total 27 560 000 F
5. Réduction de la valeur locative à 60 % de la valeur du marché (anciens propriétaires)
Cette réduction ne concerne que les personnes qui détiennent leur logement depuis moins de 10 ans.
La perte en impôts pour la première année serait de :
impôts cantonaux: 10 641 000 F
impôts communaux: 3 547 000 F
total 14 188 000 F
Sur 10 ans, la perte serait de :
Moyenne annuelle
impôts cantonaux: 72 297 000 F 7 229 700 F
impôts communaux: 24 099 000 F 2 409 900 F
total 96 396 000 F
En conclusion, l'acceptation par le peuple de l'initiative signifierait, sur 10 ans, une perte en impôts de
416 472 000 F sur le plan cantonal
et de 138 824 000 F sur le plan communal
(moyennes annuelles : canton 41 647 200 F communes 13 882 400 F)
Cette perte de recettes qui serait due à une initiative qui favoriserait principalement des gens qui ont les moyens de devenir propriétaire sans bénéfices d'allégements fiscaux devrait, en l'état des finances des collectivités, être compensée par des mesures telles que des coupes dans les subventions ou des augmentations d'impôts qui pénaliseraient principalement les locataires.
Au vu des indications données ci-dessus, le Conseil d'Etat vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de prendre acte de la présente réponse à la motion 1253.
Débat
Mme Micheline Calmy-Rey. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai cosigné un appel à dire non à l'initiative «Propriété du logement pour tous», en compagnie de MM. Kaspar Villiger, conseiller fédéral chargé des finances, Franz Marti, conseiller d'Etat, président de la Conférence des directeurs cantonaux des finances, et vingt autres conseillers d'Etat, directeurs des finances de leur canton.
Cet appel, Mesdames et Messieurs, car, du point de vue des finances publiques, l'initiative présente un certain nombre de défauts. La Confédération et les cantons devraient supporter des pertes fiscales très importantes : 100 à 500 millions de francs par an pour la Confédération et 1,4 milliard pour les cantons.
Une telle diminution des recettes se traduirait forcément par de nouvelles propositions d'économies, de hausses d'impôts, ou par un endettement accru. Dans la situation financière que connaissent aujourd'hui les collectivités publiques, il ne serait pas équitable de faire bénéficier un seul groupe de la population d'allégements fiscaux supplémentaires, dès lors que ces allégements seraient financés par des sacrifices consentis par tous les autres.
De plus, l'initiative accorde des privilèges à un groupe de population qui n'est pas confronté à des difficultés particulières et qui est d'ores et déjà bien traité par le fisc. En effet, la valeur locative est inférieure au loyer. Elle représente 70% du loyer usuel pour l'impôt fédéral direct; moins pour Genève. La valeur locative est donc fixée de manière modérée, son imposition étant le pendant de la déduction des intérêts hypothécaires et des frais engagés pour entretenir l'immeuble. Dans la majorité des cas, ces déductions sont d'un montant supérieur à celui de la valeur locative et conduisent à une réduction d'impôts pour les propriétaires. De ce point de vue, l'initiative est profondément injuste.
Quant à parler d'effet d'impulsion économique, dans la mesure où l'initiative favorise surtout ceux qui possèdent déjà des biens immobiliers, disposent de hauts revenus et pour lesquels la progressivité de l'impôt est élevée, l'effet d'impulsion est très faible.
Mesdames et Messieurs, un encouragement fiscal de l'épargne dans le but de promouvoir la propriété de son logement nécessite un tel niveau d'épargne et de déductions fiscales que, dans la réalité, seule une petite minorité pourrait en tirer un profit.
Enfin, le rapport coût/utilité de ces mesures est particulièrement mauvais. Ce rapport met en regard le coût de ces mesures pour la plus grande partie de la population, d'une part, et, d'autre part, leur utilité pour un très petit nombre de nouveaux propriétaires qui, pour la plupart, pourrait d'ailleurs s'en passer.
Ces remarques générales étant posées et en réponse à la motion renvoyée au Conseil d'Etat, les pertes fiscales pour le canton de Genève sont répertoriées dans un court rapport qui vous a été remis. Elles n'ont pas été simples à calculer, puisque l'initiative déploie ses effets sur une, voire plusieurs décennies, et qu'elles reposent sur des hypothèses quant aux évolutions économiques. Elles ne tiennent pas compte, en l'état, de l'incidence du gel des valeurs locatives, trop difficile à évaluer avec une quelconque fiabilité.
Mais, en tout état de cause, l'administration fiscale cantonale chiffre à 41,6 millions par an la perte pour le canton et à 13,8 millions par an la perte pour les communes, c'est-à-dire un total d'environ 600 millions sur dix ans !
En conclusion, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir considérer qu'il a été répondu à la motion présentée par votre Conseil, et je vous demande encore de bien vouloir voter et encourager à voter non à l'initiative «Propriété du logement pour tous».
M. Christian Ferrazino (AdG). (L'orateur est interpellé par M. Annen.) Eh bien, Monsieur Annen, je vous le dis : je remercie sincèrement Mme Calmy-Rey des propos sensés qu'elle vient de tenir...
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Au nom du Conseil d'Etat !
M. Christian Ferrazino. Monsieur Cramer, vous me faites plaisir, car mon inquiétude était celle-ci : quand Mme Calmy-Rey nous disait tout à l'heure qu'elle avait cosigné, avec vingt conseillers d'Etat, une déclaration invitant les citoyens de ce pays à rejeter cette initiative au titre trompeur, «Un logement pour tous», en nous donnant des arguments suffisamment convaincants pour comprendre pourquoi il fallait la refuser, je me demandais si les sept conseillers d'Etat genevois faisaient partie des vingt cosignataires de cet appel...
Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat. C'était les chefs des finances...
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Par délégation !
M. Christian Ferrazino. Je vous remercie, Monsieur Cramer, de me donner cette précision, parce que je dois dire que nombreux sont ceux qui se sont étonnés du silence, pour ne pas dire du mutisme du Conseil d'Etat concernant cette initiative... Si le Conseil fédéral est intervenu... (Mme Calmy-Rey proteste.) Madame Calmy-Rey, vous n'êtes pas du tout en cause ! Au contraire, je viens de dire que vos arguments nous ont rassurés et parfaitement convaincus ! Mais il y a de quoi être surpris quand le Conseil d'Etat in corpore se bat comme il l'a fait pour prôner l'équilibre des finances publiques et que les milieux immobiliers lancent une initiative qui - vous venez de le rappeler - si elle devait être acceptée, nous coûterait pas moins de 60 millions par année, canton et communes compris.
Madame Calmy-Rey, vous avez eu la sagesse de préciser que ces chiffres - qui nous ont été remis par le Conseil d'Etat, dans un rapport signé, Monsieur Bernard Annen, par Mme Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat - devraient encore être revus à la hausse dans la mesure où ils ne tiennent pas compte du gel de la valeur locative qui serait imposé par l'initiative si elle était acceptée. Je souligne simplement que le Département fédéral des finances, dans ses calculs sur le coût représenté par cette initiative, a évalué à 25 ou 30% de plus, en termes de pertes fiscales, le gel de la valeur locative. C'est dire que le montant de 60 millions par année dont vous nous avez parlé pourrait facilement être majoré de 25%. Cela serait le coût réel représenté par cette initiative pour les finances cantonales genevoises.
Alors, face à une telle situation, Monsieur Annen, je m'attendais effectivement à ce que le Conseil d'Etat, dans sa globalité... - Mme Brunschwig Graf semble préoccupée par d'autres objets en ce moment - prenne position de façon claire et nette, comme l'a fait Mme Calmy-Rey, et donne des arguments convaincants pour rejeter massivement cette initiative, qui serait effectivement une calamité pour les finances publiques cantonales.
M. Pierre-François Unger (PDC). Monsieur Ferrazino, je ne dénierai à personne le droit de s'opposer à cette initiative. Tel n'est pas mon cas, mais permettez-moi d'intervenir sur deux ou trois questions suscitées par le rapport qui nous est livré ce soir.
1. Sur la méthode. Il est tout de même extraordinaire que le Conseil d'Etat - qui pouvait le prévoir : il pouvait en effet s'attendre à recevoir une motion qu'il avait demandée - suite au vote dans l'urgence de cette motion, mette un mois à y répondre et dépose sur nos bancs, aujourd'hui, les résultats d'une étude - il conviendra d'analyser le sens sur le fond - dont la presse dispose depuis hier déjà... Cette méthode est tout simplement scandaleuse et les chiffres, franc pour franc, que l'on retrouve dans «Le Courrier» d'aujourd'hui montrent bien que, sauf télépathie particulière, la presse est traitée avec plus d'attention que les députés !
2. Sur le fond. Déposer un rapport à 17 h et demander la discussion à 20 h sur un sujet d'une telle complexité ne permet pas de procéder à une analyse bien soignée. Malgré tout, à cet égard, un certain nombre de problèmes de fond se posent déjà. Les approximations livrées par le Conseil d'Etat dans ce rapport sont tout simplement inacceptables. Les additions sont probablement justes - je n'ai pas pris la peine de les vérifier - mais les extrapolations sont à l'évidence fausses, puisqu'on parle de douze mille propriétaires, alors que le début de l'exposé parle lui de deux cents propriétaires nouveaux par année - il faudrait donc dix ans pour faire deux mille, à ajouter aux dix mille propriétaires actuels... J'avoue que devant ces chiffres j'éprouve un réel problème de confiance, problème renforcé par des éléments que vous avez balayés, Monsieur Ferrazino - peut-être à raison, mais je n'ai pas de réponse à cet égard - je veux parler des effets induits, le cas échéant, de l'acceptation d'une telle initiative...
M. John Dupraz. Il n'y en a point !
M. Pierre-François Unger. Monsieur Dupraz, vous ratissez large, c'est le propre d'un agriculteur ! (Rires.) Je regrette l'absence de M. Grobet, qui vous rappellerait, Monsieur Dupraz, qu'avant 20 h 30 vous êtes un député de poids et après 20 h 30 un député qui pèse ! (Rires et applaudissements.)
Je ne m'étendrai pas sur les bénéfices potentiels de cette initiative. J'observe néanmoins qu'il n'y a aucune considération des effets induits d'une relance de la construction; qu'il n'y a aucune considération de l'effet positif, sur les finances publiques, de la nécessité ou de la possibilité de diminuer les allocations en matière de subventions de logement, pas plus que de l'augmentation des effets positifs d'une prévoyance toujours librement consentie, lorsqu'il s'agit d'accession à la propriété.
En finale, je le répète, je n'ai pas d'avis définitif. Je trouve que la méthode employée est déplorable, que le fond est faible ! Personnellement, cela me pousserait à voter en faveur de cette initiative. (Exclamations.)
M. Michel Halpérin (L). Mesdames et Messieurs les députés, vous avez l'habitude, lorsque notre point de vue est différent du vôtre et surtout lorsqu'il s'agit du point de vue du gouvernement, que nous fassions preuve d'une aimable bonne humeur dans les remarques que nous formulons. M. Unger vient encore d'en donner l'éblouissante démonstration. Pour ma part, je ne suis pas sûr d'être aujourd'hui suffisamment enjoué pour vous emboîter le pas, mon cher collègue...
Premièrement. J'observe que, à l'intérêt que le Conseil d'Etat portait à la chose publique et, notamment, à ses propres projets négociés avec l'ensemble de la classe politique ou presque il y a un mois, il s'est trouvé une sorte de fronde passablement mouvementée sur les bancs d'en face pour s'indigner - avec du volume dans la voix - de ce que le Conseil d'Etat exprime le besoin de donner son opinion à toute la population par voie de «Feuille d'avis officielle» et de tous ménages. Que n'ai-je pas entendu à cette occasion, dans nos rangs et dans les vôtres, en termes d'égalité de traitement entre les positions qui doivent être défendues par les initiants et par les autres, ou sur la nécessité de tenir compte du poids respectif de vos dix-sept partis ou associations fantoches par opposition aux cinq ou six partis majoritaires au sein de cette enceinte !
Et voilà qu'aujourd'hui, par un tour de passe-passe, on nous présente une réponse à une motion, faite en trente jours, dans des conditions qui, je l'imagine, ont été difficiles, Madame la présidente du département des finances, puisque, dans ces trente jours, il y avait les vacances et que je crois comprendre que, malgré la crise traversée par l'Etat, les fonctionnaires en prennent encore un peu...
M. Champod nous disait tout à l'heure qu'à peu près deux cents motions seraient en rade, paraît-il, dans vos tiroirs, qui attendent des réponses depuis plus de six mois. Et voilà que sur un sujet qui est littéralement sur les fonts baptismaux de la volonté populaire, vous trouvez, toutes affaires cessantes, entre le 20 décembre et le 20 janvier, le temps de répondre à ces questions essentielles... Si ce n'est pas un tour de passe-passe, ça y ressemble ! Mais, moi, Madame la présidente du Conseil d'Etat, ça ne me fait pas rire...
J'y vois d'abord une renonciation de votre part - à vous tous, membres du Conseil d'Etat, en tout cas à ceux qui ont soutenu cette méthode - à respecter, comme il se doit, le devoir de réserve face à une initiative populaire fédérale qui est sur le point d'être votée, et je trouve cela déjà proprement scandaleux ! Et je ne vois pas pourquoi, je vous dirais que cela est scandaleux en souriant, alors que je le pense avec gravité...
Deuxièmement. J'ai lu paisiblement la lettre que vous avez «pondue» sous forme de rapport, qui porte d'ailleurs l'entête du département des finances. Cela n'étonnera personne, puisque, Madame la présidente du département des finances, vous avez eu l'honnêteté et pris la précaution de vous couvrir de quelques autres signatures que la vôtre pour afficher haut et fort - mais en votre qualité de membre d'un collège gouvernemental - votre opinion personnelle, naturellement idéologiquement teintée, sur un débat qui déjà vous échappe.
Qu'observais-je, donc, en lisant ce texte signé littéralement du Conseil d'Etat, mais sur papier à entête du département des finances ? Que les moyens mis en oeuvre ne sont pas plus honnêtes que les méthodes par lesquelles on les met en oeuvre !
M. Unger l'a dit - et je n'ai pas besoin d'insister longuement sur ce point - les méthodes de calcul sont pour le moins aléatoires, pour ne pas dire hasardeuses. On a décidé au petit bonheur la chance qu'il y aurait deux cents acquisitions de logements en plus par an : très bien, et, à partir de là, on fait des extrapolations qui n'ont même pas de relation avec ce chiffre. Ensuite, on procède à une série de déductions sur la masse fiscale, avec des taux qui sont pris sur des moyennes, lesquelles, naturellement, sont arbitraires, puis on arrive, très souriant, à vous dire que cela entraînera un coût d'environ 600 millions dans les dix ans...
Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat. C'est vrai !
M. Michel Halpérin. Non ! On n'a pas pris la peine de faire un vrai calcul et on n'a même pas les bases pour le faire ! L'initiative dont il est question ne détermine en effet pas les bases de calcul, notamment pour la fixation de la valeur locative du logement ou de la déduction que l'on peut y faire. Elle se borne à renvoyer à la loi, il faudrait donc que la loi pose ces critères.
Un deuxième élément est fondamental : le texte de l'initiative demande simplement que le montant de la valeur locative soit raisonnable. Or, en termes comparés, il est déraisonnable pour l'impôt fédéral, mais il est considéré par les professionnels comme raisonnable à Genève. Cela veut dire que l'argument retenu par les grands argentiers de la Confédération pour dire que cela coûterait cher à l'Etat fédéral ne tient pas à Genève où le montant de la valeur locative est déjà considéré comme raisonnable. Cela signifie que, dans les calculs qui nous sont présentés, 30 ou 40 millions sont complètement artificiels, puisque l'acceptation par le peuple de cette initiative n'aurait pas ces conséquences.
Troisièmement. On ne tient pas compte des retombées favorables de ce genre d'exercice - M. Unger l'a dit aussi. Si on avait voulu faire un semblant d'exercice d'intégrité intellectuelle - mais il n'y en a pas l'ombre du commencement du début d'un dans cette affaire - on se serait au moins demandé quels étaient les effets induits... Alors vous autres de la gauche, qui êtes toujours très bons pour comptabiliser les effets sociaux et pas seulement les effets financiers, vous auriez par exemple intégré dans vos comptes les bénéfices pour la collectivité sociale d'une diminution des conflits entre propriétaires et locataires; ou vous vous seriez demandé quels sont les effets sur la stabilité sociale d'une extension du parc des propriétaires. Mais aujourd'hui, ce genre de données sociales ne vous intéressent pas, pas plus que ne vous intéressent les rentrées inévitables dans les caisses de l'Etat qui résulteraient d'une promotion - même celle que vous décrivez, Madame Calmy-Rey - de cette propriété pour tous.
Par exemple, vos deux cents ventes annuelles à 500 000 F pièce représenteraient des rentrées de 3 millions au titre des droits de mutation. Où sont-ils dans vos calculs ? Nulle part ! Pourquoi ? Parce que vous n'avez probablement pas voulu qu'ils y soient ! Et à ma connaissance, vos services sont capables de s'en souvenir.
De même, on n'a pas pris en considération l'effet sur l'économie générale et, donc, sur les impôts de ces dépenses, dont vous avez par conséquent oublié de chiffrer l'impôt normal qui reviendrait, simplement du fait des travaux payés à ces occasions, et qui représente à lui seul 13 millions selon mon calcul.
Vous n'avez pas non plus compté l'impôt sur les bénéfices de ces ventes... Pourtant vous les prélevez abondamment lorsque l'occasion se présente ! Selon les quelque trois chiffres que je viens d'évoquer, on arrive au total de 20 millions de francs de recettes par an, soit 200 millions pour une période de dix ans.
Alors, Madame la cheffe du département des finances, Madame la présidente du Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, jusqu'où vous moquerez-vous de nous ?
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). Pendant des années, le département des finances s'est illustré par son immobilisme... (Exclamations.) Aujourd'hui, nous pouvons constater que ce département est capable de travailler avec précision et rapidement... (Exclamations, rires et applaudissements.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur Balestra, je vous en prie, laissez l'orateur s'exprimer !
M. Christian Brunier. Pour ma part, j'aimerais remercier les fonctionnaires qui ont fait ce travail. Et je regrette les propos de M. Halpérin, particulièrement indécents par rapport à l'activité des fonctionnaires qui ont essayé d'effectuer cette étude au mieux... (Manifestation dans la salle.)
Mesdames et Messieurs les députés, il y a un mois, la majorité parlementaire vous disait quels étaient les dangers de cette initiative. Aujourd'hui, le Conseil d'Etat confirme les dangers que représente cette initiative qui serait ruineuse pour les finances publiques, tant au niveau cantonal qu'au niveau national.
De plus, cette étude confirme que cette initiative est un leurre tant en matière d'accession à la propriété que pour le soi-disant boom de la construction promis de manière malhonnête par cette initiative. Le rapport le confirme : deux cents acquisitions nouvelles de logement. C'est ridicule par rapport au coût de cette opération !
En fait, l'approbation d'un tel projet est un cadeau fiscal pour une infime minorité, qui sera payé par un effort - car il faudra bien les payer, ces 60 millions - de la collectivité tout entière. Cela veut dire que l'effort va à nouveau reposer sur les plus défavorisés de notre société, ce qui est choquant.
Alors que les inégalités ne font qu'augmenter, cette initiative va encore creuser l'écart entre les plus riches et les plus pauvres...
Une voix. Qui paie les impôts ?
M. Christian Brunier. Je vous rappelle juste pour mémoire - ou je vous informe - qu'une étude de l'Ecole supérieure des cadres pour l'économie et l'administration à Zurich a déjà chiffré les avantages fiscaux accordés aux propriétaires. Cette estimation dépasse le milliard ! (Exclamations.) Une bonne partie de la droite soutient pourtant ce projet - nous l'avons entendu ce soir - et ce nouveau cadeau fiscal, à leurs amis en quelque sorte.
D'un autre côté, Mesdames et Messieurs les députés de la droite, vous ne cessez de répéter que vous souhaitez...
M. John Dupraz. Une partie de la droite !
M. Christian Brunier. Mais c'est ce que j'ai dit, Monsieur Dupraz ! Il faut m'écouter comme il faut !
M. René Longet. Celle qui ne pèse pas...
M. Christian Brunier. Celle qui ne pèse pas, me dit mon collègue Longet ! (Rires.)
Une voix. Nous ne sommes pas des voleurs de poules !
M. Christian Brunier. ...une partie de la droite ne cesse de répéter en parallèle qu'elle souhaite assainir les finances. Elle a même présenté, il y a seulement quelques minutes, un projet de moratoire des dépenses. Alors, je vous en prie, soyez un peu cohérents ! On ne redresse pas les finances publiques, Mesdames et Messieurs, en vidant les caisses de l'Etat ! Après avoir accompli une performance en matière de mauvaise gestion de l'Etat, notamment à la tête du département des finances, vous demandez maintenant, par le biais de cette initiative, un nouveau cadeau fiscal pour vos amis, voire pour vous-mêmes.
Vous voulez aussi proposer - vous l'avez annoncé et le peuple votera bientôt à ce sujet - une diminution généralisée des impôts. Vous souhaitez encore abolir le droit des pauvres, qui permet simplement d'assurer le minimum vital aux plus défavorisés à travers les prestations de l'Hospice général.
Mesdames et Messieurs les députés d'une certaine droite, vous êtes en plein délire et vous êtes en train de tuer l'Etat. Les socialistes veulent un Etat fort... (Brouhaha.) Les socialistes veulent fermement assainir les finances publiques, alors nous dirons : non ! Non, à cette initiative démagogique, comme nous dirons non à tous les projets qui videront les caisses de l'Etat !
M. Christian Ferrazino (AdG). Je ne voulais pas laisser passer l'intervention de M. Halpérin sans réagir. Nous devrions tous être satisfaits dans cette enceinte que M. Halpérin ne soit pas à la tête du département des finances. En effet, si certains propriétaires pourraient se frotter les mains, je pense que la majorité de la population aurait fort à en pâtir.
Je rappelle à M. Unger que si sa section cantonale a pris - peut-être sous son influence - le point de vue des milieux immobiliers, son parti au niveau fédéral a eu beaucoup de sagesse, puisqu'il recommande le rejet de cette initiative. Pourquoi le recommande-t-il ? Parce qu'il a fait siens les arguments qui ont été développés par M. Kaspar Villiger, que l'on ne peut pourtant pas soupçonner d'avoir une position pro-locataires - n'est-ce pas, Monsieur Unger ? Simplement, M. Villiger, lui, s'est dit que le devoir de réserve, dont M. Halpérin a parlé tout à l'heure, avait ses limites. Les milieux immobiliers ont lancé une initiative au titre trompeur, pouvant laisser croire à la population que tout un chacun pourra devenir propriétaire. Face à une telle supercherie, la moindre des choses est de dénoncer publiquement la malhonnêteté de l'argument, quand on a une fonction au niveau de l'exécutif. Cela a été fait par M. Villiger, cela vient d'être fait par Mme Calmy-Rey. Et, une fois la malhonnêteté des initiants dénoncée, il est normal de chiffrer le coût de cette initiative au cas où elle serait acceptée.
Alors, je comprends que les chiffres donnés par le département des finances gênent énormément les milieux libéraux qui soutiennent cette initiative. Mais, Monsieur Annen, on peut les remettre en question... (M. Annen hoche la tête. Rires et exclamations.) Donc, vous ne les remettez pas en question... Eh bien, cela veut dire qu'il y a au moins un libéral qui est d'accord avec ces chiffres ! C'est bien !
Il faut tout de même savoir que le gouvernement vaudois a fait les mêmes calculs et qu'il est arrivé à une perte de 100 millions pour le canton de Vaud. M. Villiger a fait des projections au sein de son département, le Département fédéral des finances... (L'orateur est interpellé par M. Annen.) On est dans le domaine de la macro-économie, Monsieur Annen, donc nous devons faire des projections. Le résultat de la perte fiscale, pour l'ensemble des cantons, se monte à 1,4 milliard - pour les cantons ! - et 500 millions pour la Confédération, soit, comme le disait M. Brunier, 1,9 milliard en tout.
Les différents renseignements donnés par l'administration fédérale, par l'administration cantonale des finances du canton de Vaud et par celle du canton de Genève convergent. (L'orateur est interpellé par M. Annen.) M. Annen sort du bois, ainsi nous pouvons voir quel est son choix ! Monsieur Annen, vous pouvez faire les calculs dans tous les sens, ceux de M. Villiger sont plus convaincants que les vôtres, hypothétiques ! Une chose est certaine, c'est que cette initiative, en dehors du coût énorme qu'elle représente pour les collectivités publiques, engendrera une facture que les locataires, qui sont en majorité dans la population, devront payer une fois de plus. C'est une raison supplémentaire pour ne pas accorder des cadeaux fiscaux au tout petit nombre que vous représentez, Monsieur Annen, et qui seraient payés par la grande majorité de la population.
Cela étant, je réitère ce que je disais tout à l'heure : ô combien heureux serions-nous d'entendre la nouvelle présidente du Conseil d'Etat nous dire que ce que nous laissait entendre M. Cramer tout à l'heure est une réalité, à savoir que le Conseil d'Etat, au même titre qu'un certain nombre de partis dans ce canton et de partis au niveau fédéral, nous recommande de rejeter cette initiative clairement... (L'orateur est interpellé par Mme Martine Brunschwig Graf.) Mais oui, Madame Brunschwig Graf, ayez le courage de dire que nous ne pouvons pas nous permettre de creuser des trous pareils dans les finances publiques !
Ce serait déraisonnable. Je vous ai beaucoup entendue vanter les mérites de la table ronde. Vous auriez peut-être pu être plus discrète à cette époque... Mais, maintenant, vous avez l'opportunité de nous prouver que ce Conseil d'Etat a le courage de nous recommander de rejeter cette initiative.
Mme Micheline Calmy-Rey. J'ai parlé au nom du Conseil d'Etat, et la conclusion du rapport déposé sur vos tables est extrêmement claire à cet égard. C'est le Conseil d'Etat qui vous recommande de rejeter cette initiative.
J'ai également signé un appel sur ce sujet avec vingt autres conseillers d'Etat, chefs des finances de leurs cantons respectifs, et j'ai considéré qu'il était de ma responsabilité de m'exprimer ici, ce soir, sur une initiative dont les effets sont extrêmement néfastes pour les finances publiques de notre canton.
Deuxième remarque. Si les fonctionnaires du département des finances partent également en vacances comme tout le monde, le département des finances et le Conseil d'Etat ont jugé qu'il était important de fournir une réponse dans les délais impartis, étant donné que la motion a été déposée en urgence et que la votation a lieu au début du mois de février. C'est une façon de respecter les interventions du Grand Conseil.
Troisième remarque. Si l'initiative «Propriété du logement pour tous» a des effets moins durs sur les finances publiques cantonales genevoises que sur les finances publiques d'autres cantons ou de la Confédération, cela tient notamment au fait que la valeur locative est située à un pourcentage déjà inférieur à Genève.
Comme je l'ai déjà dit, nous nous sommes basés sur des hypothèses économiques formulées par le Département fédéral des finances. Pour le reste, il s'agit effectivement d'estimations de l'administration fiscale. Je regrette que M. Halpérin ne soit plus là... Mais je lui dis que je ne laisserai pas penser à ce Grand Conseil que l'administration fiscale donne des chiffres qui ne sont pas fiables... (Brouhaha.) Permettez-moi de vous dire que j'ai davantage confiance dans les calculs de l'administration fiscale que dans ceux de M. Halpérin !
Voilà, Mesdames et Messieurs, pour ce qui est des effets induits.
Quant aux effets d'impulsion économique, ils sont négligeables, dans la mesure où ils favorisent une catégorie déjà favorisée de propriétaires. Par conséquent, le terme «d'impulsion économique» est mal choisi.
Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Je n'ai rien à enlever aux propos de ma collègue, mais je voudrais ajouter quelques mots, pas à ce sujet mais à l'intention de M. Ferrazino. Il faudra bien que nous nous mettions d'accord une fois pour toutes dans ce Grand Conseil sur ce que le Conseil d'Etat a le droit de faire ou de ne pas faire dans le cadre d'une votation.
Je vous ai bien entendu, Monsieur le député. Lorsque le Conseil d'Etat dépose un rapport, c'est l'ensemble de ses membres qui défend ce rapport, quelles que soient par ailleurs les opinions de chacun d'eux.
Monsieur le député, j'aimerais que vous vous souveniez de votre attitude lors du débat sur l'initiative sur le génie génétique. En effet, que n'a-t-on entendu sur la position du Conseil d'Etat qui devait répondre à des interpellations urgentes lui demandant quelles étaient les conséquences de l'application de cette initiative ! Interpellée par certains députés dans cette salle, j'ai même été accusée de faire de la propagande...
Alors, j'ai bien entendu vos questions, mais j'aimerais bien, à l'avenir, que vous ayez toujours la même attitude et que vous autorisiez le Conseil d'Etat à répondre en toute bonne foi et en toute conscience aux questions qui lui sont posées dans le cadre d'une votation, fût-elle fédérale, admettant ainsi que ces réponses ne sont pas de la propagande dans certains cas ou du miel qui vous plaît dans d'autres !
M. Michel Balestra (L). Chers collègues, vous avez le droit de penser qu'une population n'a pas le droit d'accéder à la propriété pour conserver votre fonds de commerce, puisque vous avez fait de la défense des locataires votre profession...
Mais ce que vous n'avez pas le droit de faire, c'est de refuser aux défenseurs d'une initiative de disposer de moyens comparables à ceux qui s'y opposent pour promouvoir leurs idées !
Mesdames et Messieurs, la démocratie directe à deux vitesses : tel est votre credo, ce soir.
Thème de gauche : elle est intouchable - même si les thèmes ne sont pas conformes au droit supérieur, comme dans l'initiative «Genève, République de paix». Thème qui vous dérange : elle est condamnable et elle serait même à supprimer - personne n'a osé le dire, mais j'ai cru comprendre que, si vous aviez un droit de veto sur cette initiative vous permettant d'interdire au peuple de voter, vous l'auriez utilisé. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, vous n'avez pas de joker ! Vous n'avez pas le droit d'empêcher cette votation populaire, et je suis convaincu que les Suisses, qui ont envie d'accéder à la propriété, voteront massivement oui à cette initiative. Et ils auront raison de le faire, parce que, Mesdames et Messieurs, l'économie n'est pas statique : elle est dynamique, et lorsqu'une dynamique est créée dans l'économie, il y a toujours plus d'argent à gagner que d'argent à perdre !
Une voix. Ça dépend pour qui !
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.