Séance du jeudi 21 janvier 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 3e session - 2e séance

M 1207-A
15. Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Nelly Guichard, Antonio Hodgers, Pierre Froidevaux et Luc Gilly concernant le travail des enfants. ( -) M1207
Mémorial 1998 : Développée, 2387. Renvoi en commission, 2395.
Rapport de M. Charles Beer (S), commission de l'économie

Cette motion traitée en une seule séance de Commission de l'économie, le 5 octobre, entendait utiliser l'arrivée à Genève de la marche mondiale contre le travail des enfants fin mai 1998 pour, selon les objectifs de la marche cités par l'exposé des motifs :

susciter une prise de conscience sur la question du travail des enfants ;

inciter les Etats à ratifier les conventions et à appliquer les lois existantes relatives au travail des enfants ;

mobiliser les ressources nationales et internationales nécessaires à l'accès de tous les enfants à l'éducation ;

mobiliser l'opinion publique et encourager les actions contre les causes du travail des enfants ;

exiger l'élimination immédiate des formes les plus intolérables du travail des enfants ;

inciter les employeurs et les consommateurs à entreprendre des actions, à assurer la réhabilitation et la réintégration des jeunes travailleurs.

Déposée avec le concours de députés et députées de cinq partis, cette motion repose sur un large consensus ayant permis un travail rapide, d'autant plus rapide que les renseignements font cruellement défaut à une analyse rigoureuse de la situation dans notre canton et que le plus urgent est incontestablement de demander au Conseil d'Etat une analyse de la situation et de ses moyens d'intervention. La motion appelle donc le canton, dans la foulée des objectifs de la marche mondiale, à entreprendre tout ce qui est en son pouvoir pour respectivement peser dans la mesure de ses moyens sur les problèmes internationaux afin que la Suisse ratifie la Convention 138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi, et veiller à la situation dans notre canton.

Audition

La totalité des renseignements fournis, outre ceux apportés par quelques commissaires, ont été tirés de l'unique audition de MM. Gisler et Rutchi, représentant l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail. A signaler que le second nommé représente plus spécifiquement le service des jeunes travailleurs, service nouvellement rattaché à cet office.

La première partie de cette audition à été consacrée à la Convention 138, à son contenu, à son articulation avec les autres textes internationaux et nationaux, à la liste des Etats signataires, ainsi qu'à la situation de la Suisse au regard de cette convention et de son dispositif légal national. Ainsi un communiqué de presse du Conseil fédéral, signalant l'intention de ratification de la Convention 138, a été distribué à la commission. M. Gisler a également insisté sur la conformité globale du droit suisse à cette convention.

L'autre partie de cette audition a été consacrée à la situation genevoise autour du rôle et de la mission de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail et de son service des jeunes travailleurs, de la situation de l'apprentissage (de la compétence de l'Office d'orientation et de formation professionnelle) et des cas d'abus constatés. M. Gisler a mis en évidence à cette occasion l'impossibilité d'enquêter de manière systématique et la complexité de l'identification des cas d'abus et de l'intervention - tout particulièrement pour ce qui concerne le travail des enfants effectué avec leurs parents. Un cas d'abus dans le secteur du nettoyage à été identifié et donnera sans doute lieu à un envoi de circulaire aux entreprises du secteur pour leur rappeler les dispositions légales pertinentes ainsi que les sanctions encourues. M. Gisler précise que ces dernières vont des sanctions administratives aux dénonciations au Procureur général.

Travaux de la commission

Comme relevé plus haut, la commission, face à la gravité de la problématique et à la complexité d'accès aux données, a travaillé dans un climat de quasi-unanimité.

Ainsi, la Commission de l'économie s'est penchée en premier lieu sur les considérants dont elle a d'abord accepté à l'unanimité les deux premiers sans débat. Quant au troisième considérant, partant des risques d'augmentation du recours au travail des enfants vu la situation économique et sociale actuelle, la commission a décidé encore à l'unanimité de noter cette évolution et les risques qu'elle comporte. Relevons enfin, toujours au niveau des considérants, la décision tout aussi largement appuyée de préciser que Genève a été choisie comme dernière étape de la marche mondiale.

En ce qui concerne les invites, la première d'entre elles, demandant la ratification de la Convention 138, fut la seule décision prise avec une abstention que le commissaire démocrate chrétien en question a justifiée par les problèmes que la ratification de la Convention 138 poserait à l'agriculture, de montagne en particulier. Les autres invites ont toujours été votées à l'unanimité. Cependant, des amendements mineurs furent votés pour clarifier les deuxième et troisième invites, respectivement le caractère non exhaustif des moyens proposés et le fait que le Conseil d'Etat devrait en réalité dans le cadre de l'achat des fournitures de l'Etat, plutôt que de s'assurer, veiller à ce qu'aucun objet manufacturé ne provienne d'industries exploitant des enfants.

C'est la quatrième invite, partant de la situation genevoise, et plus particulièrement des abus dans le cadre de l'apprentissage, qui a provoqué le plus de débats et finalement encore un amendement voté à l'unanimité, évoquant les apprentis de façon non exhaustive comme cible d'employeurs particulièrement peu recommandables.

Finalement, devant ce qui pourrait être des situations particulièrement graves, la commission a estimé qu'il convenait, en plus d'un rapport de situation, de demander également au Conseil d'Etat, les mesures qu'il compte prendre pour remédier à d'éventuels abus.

Débat

M. Charles Beer (S), rapporteur. J'aimerais très brièvement ajouter quelques commentaires à ce rapport.

Nous nous sommes posé un certain nombre de questions, comme vous avez pu le lire, extrêmement importantes, sur l'ampleur du travail des enfants dans le canton de Genève. Mais nous avons peu de moyens pour répondre à ces questions. C'est la raison pour laquelle nous avons ajouté la dernière invite, pour demander au Conseil d'Etat de faire un rapport sur la situation dans le canton.

Je précise à cet égard - c'est l'objet de mon intervention - qu'une étude récente en Allemagne dans le Land de Hesse fait apparaître que le travail des enfants, notamment des jeunes de 13 à 17 ans, est relativement important, puisque 25% d'entre eux, d'après cette enquête, ont effectué un travail, cela en non-conformité avec la législation protégeant les jeunes gens contre les abus du travail. Cette enquête a été menée dans l'ensemble des écoles publiques de la région concernée et l'intégralité des enfants y a répondu par un questionnaire écrit.

Je précise ce fait afin de montrer l'importance d'une collaboration entre les différents départements et les services pour permettre de faire une véritable enquête sur l'ampleur du travail des enfants. En dehors du service de l'inspection du travail, qui compte aujourd'hui neuf postes comme il y a dix ans - c'est dire qu'il ne dispose pas de moyens supplémentaires, malgré l'intégration du service de jeunes travailleurs - il faudrait probablement la collaboration du département de l'instruction publique et des milieux scolaires en général, pour avoir une idée de l'ampleur du travail des enfants dans notre canton et des abus qui en découlent.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1207)

concernant le travail des enfants

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

que tout enfant a droit à l'éducation et à la formation ;

que des millions d'enfants dans le monde sont contraints de travailler dans des conditions souvent inacceptables ;

que notre canton, vu tout particulièrement les difficultés économiques et sociales de ces dernières années, n'est pas à l'abri de situations dans lesquelles des enfants sont obligés de travailler ;

que Genève a été choisie comme dernière étape de la marche mondiale des enfants ;

invite le Conseil d'Etat

à intervenir auprès des autorités fédérales pour qu'elles mettent tout en oeuvre afin que la Suisse ratifie dans les plus brefs délais la Convention 138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi ;

à intervenir chaque fois qu'il le peut, en particulier lors de rencontres ou  d'échanges diplomatiques avec des gouvernements de pays particulièrement touchés par l'exploitation des enfants, pour dénoncer ces agissements et réaffirmer le droit à l'éducation et à la formation ;

à veiller dans le cadre de l'achat des fournitures de l'Etat, qu'aucun objet manufacturé ne provient d'industries exploitant des enfants (ex : ballons de foot pour les écoles) ;

à veiller tout particulièrement dans notre canton :

à la tentation pour certains employeurs d'utiliser des jeunes, y compris des apprentis-ies, comme main-d'oeuvre à bon marché en négligeant l'aspect de formation ;

au travail des enfants dans les commerces familiaux non soumis aux horaires prévus par la loi sur les horaires de fermeture des magasins ;

au risque de voir se développer l'obligation, pour des enfants des milieux socioculturels les plus défavorisés, de travailler au-delà des normes admises par les Conventions internationales, la plupart du temps dans le cadre du travail de leurs parents ;

à faire rapport dans les meilleurs délais au Grand Conseil sur la situation dans notre canton et sur les mesures qu'il compte prendre pour remédier à des abus éventuels.