Séance du
vendredi 20 novembre 1998 à
17h
54e
législature -
2e
année -
1re
session -
51e
séance
R 389
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il n'est pas nécessaire d'exposer ici en long et en large les motifs pour lesquels cette résolution est déposée ce soir en urgence, il nous suffit en effet à toutes et à tous de lire la lettre bouleversante de Mme Azra Ramic qui a été adressée à tous les députéEs par l'entremise de l'EPER (Entraide Protestante) et de rappeler que, pour les quatre enfants qui y ont vécu pendant quatre ans, leur véritable maison est à Versoix.
La famille Ramic ne demande aucune aide financière, elle dispose de sa propre voiture pour rentrer à Genève et peut entièrement s'assumer une fois de retour ici. De nombreuses personnes se sont déjà déclarées prêtes à se porter garantes de cette famille. La paroisse de Versoix s'engage par ailleurs à rembourser à l'Etat la totalité du montant qui avait été déboursé comme "; aide au départ ".
Les Bosniaques ont été dupés par cette illusoire ";aide au départ" attribuée par la Confédération. La démonstration de l'échec catastrophique du rapatriement dans leur pays d'origine de la famille Ramic, rapatriement pourtant "; garanti depuis la Suisse ", nous oblige à les aider par une solution rapide, digne de notre responsabilité et de notre devoir d'assistance. Il y a eu abus de confiance, à nous de réparer cette inhumanité en leur donnant sans plus tarder le droit de séjourner en Suisse sans restriction aucune, par l'octroi d'un permis de séjour ou d'un permis B humanitaire.
C'est pourquoi nous vous invitons à voter cette résolution sans aucune hésitation.
Débat
Mme Jeannine de Haller (AdG). Nous avons déposé cette résolution... (Brouhaha.) Il s'agit d'une situation humainement très douloureuse et je trouve que vous pourriez vous taire pour écouter ce qui suit. Nous avons déposé cette résolution pour que la famille Ramic, rentrée en Bosnie avec une aide au retour totalement illusoire, puisse revenir au plus vite à Genève afin de retrouver ici une vie décente, afin qu'elle puisse retrouver un logement et du travail et que leurs quatre enfants puissent retourner à l'école. En guise de rappel, je voudrais juste citer quelques extraits de la lettre bouleversante que Mme Ramic a envoyée à Genève et que vous avez tous reçue.
«En 1997, nous avons reçu des lettres de Berne, des avertissements pour le retour en Bosnie avec des informations sur l'aide à la réinstallation. Dans chaque lettre, il était indiqué que tous les réfugiés devaient rentrer au plus tard à la fin 1998. Celui qui ne s'annonçait pas devait quitter la Suisse, mais sans aide. Nous craignions que la police nous chasse par la force. Nous n'aurions pas supporté de nous faire chasser pour la deuxième fois, de nous faire expulser de force comme du bétail. C'était difficile de quitter l'appartement à Versoix; nous étions à la maison. Notre ville en Bosnie n'est pas une ville ouverte. Depuis que nous y sommes, nous ne pouvons pas retourner dans notre ville d'origine. C'est trop risqué. Nous ne savons où vivre. Mes enfants n'ont pas pu être inscrits à l'école cette année car les écoles sont divisées par ethnie. Les maisons n'ont pas d'eau, pas d'électricité, pas de fenêtres, pas de portes. Arrivés dans la maison, vous réparez et peu après le propriétaire de la maison réapparaît accompagné de la police et vous expulse. Du travail, il n'y en a pour personne.» Elle termine en disant : «Nous ne demandons pas d'aide financière, tout ce que nous demandons est un permis de séjour dans votre pays. Permettez-nous de rentrer pour que mes enfants puissent continuer leur scolarité, pour que je puisse retrouver le sourire sur leur visage. Avec mon mari, nous trouverons du travail pour subvenir à nos besoins. Cette lettre est notre dernier espoir.»
M. Michel Halpérin (L). Il y a des histoires qui crèvent le coeur, celle-là en est une. Simplement, je trouve qu'il y a un peu de confort moral à se faire le porte-parole irresponsable - et j'expliquerai pourquoi je choisis ce terme d'irresponsable - de ce type de démarche. Nous savons tous que la responsabilité réelle de ce genre de décision ne nous appartient pas. Par conséquent, nous nous offrons ce luxe de nous donner bonne conscience en faisant faire des choix aux autres, qu'ils font sur la base d'autres critères que ceux que nous leur demandons; nous nous mettons simplement en règle avec nous-mêmes à très bon marché et sans aucun effort de réflexion réelle. Une chose est ici, dans cette enceinte, d'essayer de conduire une politique cohérente en matière d'accueil de réfugiés et de droits de l'homme, une autre chose me paraît être de s'ingérer directement dans la responsabilité exécutive en faisant au cas par cas cette résolution-ci, la prochaine et puis toutes celles que vous voudrez, démarches individuelles qui toutes méritent notre attention, mais dont aucune ne relève de notre compétence.
M. Pierre Meyll (AdG). Suite à mon intervention auprès du Conseil municipal de Versoix, nous avons recueilli les signatures de onze conseillers municipaux et de deux conseillers administratifs qui se sont adressés au Conseil d'Etat. De nombreuses lettres ont été adressées au Conseil d'Etat concernant cette famille. J'ai reçu de nombreux téléphones promettant d'apporter de l'aide, des parrainages, des dons de groupements, de paroisses. Je pense que je vais remettre tout ça en main de l'EPER afin qu'elle puisse mieux gérer le dossier que je ne saurais le faire. Je suis un peu débordé par le nombre de téléphones et de lettres.
Il faut quand même admettre que cette situation est le résultat d'un abus de confiance : on renvoie des gens qui n'ont ensuite aucun moyen de subsister sur place, qui ne retrouvent plus rien, ni leurs marques, ni leur terre. Il est entendu que l'on pourra se trouver face à de nombreuses personnes dans cette situation, mais je crois qu'il est de notre devoir - c'est ainsi que je le ressens - d'ouvrir la porte à ceux qui ont été nos voisins, qui n'ont demandé que le minimum de secours, qui peuvent être accueillis par leurs familles encore ici. Je crois que, là, on doit ouvrir la porte à celui qui frappe.
Il est bien entendu que nous ne pourrons pas accueillir tout le monde, mais accueillons au moins ceux qui se permettent de frapper, qui osent frapper, qui ont fait partie de notre communauté. J'ai des gosses à Versoix et vraiment je ne comprends pas la loi, sur ce plan je suis contre la loi et je crois qu'il faut faire ce qui est en notre pouvoir. Cette demande n'est peut-être pas dans les normes habituelles du cheminement que doit suivre un dossier, mais que le coeur parle, s'il vous plaît ! (Applaudissements.)
M. Luc Gilly (AdG). J'aimerais dire à M. Halpérin que, s'il a partiellement raison dans son analyse, ce n'est en tout cas pas ce soir que nous allons entamer un débat sur la politique d'asile et la violence sur la planète. Monsieur Halpérin, vous devez savoir - ou le parlement en général - que passablement de personnes ont été forcées de rentrer; elles n'auraient pas de problèmes, leur a-t-on assuré. Elles ont reçu 2 000 francs d'argent de poche - c'était peut-être trop - mais le résultat est que ces gens n'ont rien trouvé en arrivant et continuent à ne rien trouver; de plus, ils sont pourchassés.
J'aimerais rejoindre ici tous les amis qui soutiennent cette résolution. J'espère que nous n'aurons pas d'abstention, ni de non sur cette question. C'est une histoire de coeur, de compréhension. Ces gens ont été trompés par les autorités suisses, entre autres, qui leur assuraient que tout allait bien se passer, alors que certains rapports affirmaient le contraire - mais évidemment lorsque ce sont les petits qui donnent des informations ils ont toujours tort. Nous savions par les associations sur place que les renvois étaient dangereux, qu'ils étaient délicats, qu'il fallait faire attention et prendre des mesures. La Suisse officielle a démenti ces informations en disant que ces gens pouvaient rentrer; le voyage leur a été payé. Conclusion : c'est la misère. D'autres personnes vont peut-être venir frapper à notre porte, mais dites oui aujourd'hui dans ce cas, s'il vous plaît.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(389)
pour le retour immédiat de la famille Ramic à Genève
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- la situation désespérée dans laquelle se trouvent actuellement Azra et Mirzad Ramic ainsi que leurs quatre enfants, suite à leur retour "; volontaire " en Bosnie au mois de juin 1998: à la veille de l'hiver, ils n'ont ni logement ni travail et les enfants n'ont aucune possibilité d'aller à l'école ;
- les garanties de logement données par les autorités fédérales à cette famille et à toutes les personnes qui ont cédé à l'énorme pression exercée sur elles d'accepter l'aide au départ, alors même que sur place, en Bosnie, les maisons promises n'existent pas ;
invite le Conseil d'Etat
- à demander à Berne d'octroyer avant la fin du mois de novembre un permis de séjour à la famille Ramic ;
- à octroyer lui-même un permis B humanitaire à la famille Ramic au cas où Berne n'accéderait pas à sa demande ;
- à tout mettre en oeuvre pour que cette famille puisse se retrouver au plus vite dans la situation précédant son départ de Suisse.