Séance du
vendredi 20 novembre 1998 à
17h
54e
législature -
2e
année -
1re
session -
50e
séance
M 1162-A
La motion concernant l'apport de l'informatique à la concrétisation de la démocratie a été renvoyée au Conseil d'Etat le 18 décembre 1997.
Sa teneur est la suivante :
Le Grand Conseil de la République et canton de Genève,
considérant :
- que la forte densité d'équipement informatique dans le canton et les perspectives d'évolution sur ce plan,
- que les possibilités mais aussi les risques qu'implique une interconnexion informatique croissante pour la démocratie,
invite le Conseil d'Etat
à susciter une étude prospective permettant de mettre en évidence les possibilités techniques, les avantages escomptés et les risques à éviter pour la démocratie, résultant de l'informatisation croissante des citoyens et de la progression de leur mise en réseau.
Cette étude portera notamment sur :
- les innovations et facilitations possibles sur le plan de l'exercice des droits politiques (droit de vote, signatures d'initiatives et de référendums) et sur le plan de la gestion des processus de consultation et d'interaction (processus de planification en temps réel, interaction citoyens-administration),
- les risques d'abus notamment en matière de protection des données et d'exclusion et les moyens d'y parer,
- les moyens de mettre en oeuvre l'informatique pour activer et appuyer le dialogue entre citoyens, entre citoyens et associations, entre citoyens et collectivités publiques.
Le Conseil d'Etat est en mesure de répondre de la manière suivante à ces invites.
Innovations et facilitations possibles sur le plan de l'exercice des droits politiques (droits de vote, signatures d'initiatives et de référendums) et sur le plan de la gestion des processus de consultation et d'interaction (processus de planification en temps réel, interaction citoyens-administrations)
La réponse à la deuxième partie de cette première invite "; la gestion des processus de consultation et d'interaction (processus de planification en temps réel, interaction citoyens-administration) " est intégrée à la réponse de la troisième invite.
Le développement rapide des réseaux informatiques et particulièrement d'Internet pose le problème de l'opportunité d'autoriser les électrices et les électeurs à exercer des droits politiques par l'intermédiaire de ces moyens de communication.
Si tout naturellement lorsque l'on parle d'exercice des droits politiques, c'est bien d'interactivité qu'il s'agit et de la possibilité d'exercer ses droits politiques complets par Internet, en revanche, il ne faudrait pas pour autant négliger l'aspect passif des moyens de communication en réseaux, à savoir la mise à disposition d'informations (textes officiels, programmes des partis politiques, résultats des votations et élections, compte rendu des débats, etc.) qui sont déjà partiellement en exploitation sur le site de l'Etat et qui seront appelées à se développer.
S'agissant de l'exercice des droits politiques et des "; innovations et des facilitations possibles " il faut constater qu'aujourd'hui déjà, il serait techniquement possible de :
- signer une initiative ou un référendum ;
- voter sur le plan fédéral, cantonal et communal ;
- élire sur le plan fédéral, cantonal et communal.
Des solutions techniques existent qui permettent d'assurer la confidentialité, l'intégrité et l'authenticité du vote ou de la signature (référendum/initiative), mais cette authenticité ne peut être réellement assurée que par l'utilisation des techniques dites "; biométriques " (par exemple empreintes digitales, "; scan " rétinien ou signature sur une tablette électronique).
Ces techniques sont les seules susceptibles d'attester que le résultat par Internet d'une votation ou d'une élection résulte de l'expression fidèle et sûre de la libre volonté du corps électoral avec les garanties relatives à la sauvegarde du secret de vote et de protection des données personnelles. Malheureusement les coûts, en investissements et en fonctionnement, de ces procédés sont particulièrement importants pour les électeurs et pour l'Etat.
En effet, chaque électeur désirant voter par Internet devrait faire l'acquisition d'un lecteur biométrique. S'il est possible de trouver des lecteurs biométriques à Sfr. 200.- ce type d'appareils n'offrent pas un niveau de sécurité suffisant et le prix d'appareils plus performants susceptibles de satisfaire aux exigences mentionnées ci-dessus est de l'ordre de Sfr. 1000.-.
Pour l'Etat, les frais de fonctionnement les plus importants seraient constitués d'une part par l'initialisation du système (établissement d'une banque de données liant le nom de l'électeur avec sa signature biométrique) qui nécessiterait, selon une première estimation, environ l'équivalent de 17 personnes travaillant pendant une année pour un électorat de 200 000 électeurs. D'autre part, la gestion de cette banque de données (enregistrement des mutations : décès, départs/arrivées dans le canton, etc.) nécessiterait 2 postes permanents.
De plus, la communication entre les ordinateurs de l'Etat et ceux des électeurs devrait impérativement être cryptée afin d'assurer la confidentialité du vote. Le seul moyen pratique pour mettre en oeuvre un système de cryptage pour un nombre aussi important de personnes est le système appelé "; cryptage à clé publique " (public key encryption). La mise en oeuvre et l'entretien d'une infrastructure de cryptage à clé publique de cette envergure exigerait des ressources importantes, de l'ordre de 2 à 5 personnes à plein temps.
Par ailleurs, la majorité des scrutins populaires organisés dans le canton de Genève concernent simultanément des objets fédéraux, cantonaux et communaux. Tout développement de système de reconnaissance doit pouvoir prendre en compte ces trois niveaux de vote. Le Conseil national, sur proposition du Conseil fédéral du 14 août 1996 ayant exclu l'utilisation d'Internet pour le vote et la signature au niveau fédéral, l'introduction d'un système qui ne serait valable que pour les votes cantonaux et communaux n'est pas envisageable.
Dans tous les cas, l'utilisation de moyens électroniques pour l'exercice des droits politiques exigerait des modifications légales importantes. En effet, l'article 58 de la constitution genevoise utilise le mot "; signature " ce qui exclut tout moyen électronique en vertu de l'article 14, alinéa 1 du Code des obligations. Le même problème se pose, pour les mêmes raisons, dans les lois fédérales et cantonales sur l'exercice des droits politiques.
Les risques d'abus notamment en matière de protection de données et d'exclusion et les moyens d'y parer
Il est impératif que la protection de la personnalité en particulier celle des données personnelles, ne soit pas affaiblie par rapport à la situation actuelle. C'est pourquoi, l'utilisation de techniques non-biométriques, par exemple mot de passe, carte à puce ou "; Secure ID ", ne peuvent garantir une authenticité du vote. En effet, l'électeur serait en mesure de transmettre à une tierce personne son code et sa carte, ce qui revient à autoriser illégalement le vote par procuration et permettre sa systématisation.
Même si aujourd'hui un certain pourcentage de votes sont faits par procuration, notamment dans le cadre familial, l'autorité de contrôle peut déterminer ces abus moyennant des vérifications et par un dépouillement manuel. Ces moyens de contrôles seraient inexistants dans le cadre d'un système d'authentification électronique non biométrique.
En ce qui concerne le référendum ou l'initiative, le problème de la signature électronique est plus difficile et plus complexe à résoudre que pour les votations et les élections. En effet, les votations ont lieu à des dates fixes, planifiées à l'avance et elles touchent tous les électeurs ce qui permet de mettre en place d'éventuels moyens électroniques en profitant d'économies d'échelle. Par contre, une initiative ou un référendum peut être lancé à n'importe quel moment et n'est signé que par un petit pourcentage des électeurs.
Il ressort de ce qui précède, que des solutions techniques existent pour assurer la confidentialité, l'intégrité et l'authenticité du vote. Par contre, l'utilisation de telles méthodes est particulièrement coûteuse et nécessite non seulement que l'Etat s'équipe mais que les électeurs soient équipés d'un système biométrique. La mise en place de ces moyens techniques pour garantir la confidentialité d'une telle banque de données peuvent paraître disproportionnés en relation avec les nombres d'électeurs susceptibles d'utiliser de tels moyens.
Quoi qu'il en soit, un tel procédé ne serait pas en mesure d'exclure la manipulation du processus d'authentification des votes, la modification des résultats par des combinaisons appropriées lors de la transmission des données (fraude interne) ou le sabotage du procédé en provoquant une surcharge du réseau. Ces dangers sont plus importants dans un réseau informatique et plus particulièrement sur Internet que dans le cadre de l'actuelle procédure de vote. En effet, si nous ne pouvons pas exclure quelques fraudes individuelles dans le système actuel, en revanche nous pouvons proscrire la fraude massive.
Le problème posé par l'introduction de techniques informatisées pour les votes ne se situe pas exclusivement au niveau de la technique, mais également et avec autant d'importance au niveau éthique. La simple possibilité qu'une autorité soit en mesure de manipuler les résultats ou négliger la protection des données n'est pas conforme à la volonté du contrôle démocratique des scrutins par le peuple, comme il est inopportun que les électeurs soient écartés de la maîtrise des scrutins par l'utilisation de "; procédés " ou de "; langages " propres à une petite élite. De plus, il ne faut pas oublier que pour satisfaire aux exigences du système biométrique il faudrait constituer une banque de données des empreintes digitales, génétiques ou des rétines de toutes les électrices et de tous les électeurs.
C'est pourquoi, le Conseil d'Etat, à l'instar des autorités fédérales, estime que la nature des problèmes posés par l'exercice des droits politiques sur Internet et les risques d'abus qui en découlent, ne justifient pas de mener une étude plus approfondie sur la faisabilité d'un tel système.
Par contre, le Conseil d'Etat suivra l'évolution de ces technologies et de la législation fédérale et réexaminera en temps opportun les développements susceptibles de régler les obstacles énoncés.
Dans ce contexte, votre Grand Conseil pourrait examiner la possibilité d'introduire le vote électronique pour ses séances. En effet, les parlementaires de plusieurs pays, dont les conseillers nationaux, votent de manière électronique depuis de nombreuses années. Les problèmes techniques sont beaucoup plus faciles à maîtriser dans l'environnement restreint d'un parlement et la mise en oeuvre des moyens de sécurité peut être faite à des coûts raisonnables.
Moyens de mettre en oeuvre l'informatique pour activer et appuyer le dialogue entre citoyens, entre citoyens et associations, entre citoyens et collectivités publiques.
Le site officiel Internet de l'Etat de Genève a été conçu dès son ouverture comme le site d'informations et de prestations de l'administration cantonale. Cependant, les projets du Conseil d'Etat peuvent y être présentés et la possibilité existe pour les internautes de poser des questions aux collaborateurs de la fonction publique, voire au Gouvernement, par le biais des messageries.
A mesure du développement du site officiel, il est prévu de généraliser les processus interactifs, afin d'améliorer et de simplifier les échanges et les relations entre la collectivité et l'administration. L'objectif est de proposer des informations utiles ou la possibilité de bénéficier de prestations, à l'instar des pages consacrées aux démarches simplifiées mises en place dans le cadre du Guichet universel, des possibilités de commander des publications ou encore de l'accès à la base de données payante du Registre du commerce.
Par ailleurs, le site officiel permet de répondre à la volonté du gouvernement de mettre à disposition du public l'information officielle, ainsi que la documentation la plus complète possible relative à des événements particuliers, tels que la concertation budgétaire 1999. Les documents distribués lors des tables rondes du 8 juin et 30 juillet 1998, sont ainsi disponibles sur Internet, et la possibilité est donnée aux internautes de communiquer leurs opinions à une adresse électronique créée pour l'occasion. Les communiqués de presse des départements ou encore les synthèses de points de presse hebdomadaires du Conseil d'Etat sont également affichés sur le site pratiquement au moment même de leur diffusion aux médias.
Plus récemment, un site spécifique à la problématique du passage à l'an 2000 a été ouvert. Son but est d'informer en permanence sur l'état d'avancement et le déroulement des travaux qui permettront à l'administration cantonale de franchir le cap du millénaire, de mettre à disposition les textes légaux sur lesquels s'appuient les informaticiens, ainsi que de fournir la liste des responsables départementaux et une liste de contacts utiles pour quiconque désire s'informer plus précisément.
Les opérations électorales - depuis les élections de l'automne 1997 - font l'objet d'une diffusion on-line des résultats et ont connu un grand succès, avec plus de 120 000 pages consultées lors des élections et près de 40 000 lors des votations du 7 juin dernier.
Internet est devenu un outil incontournable de communication entre la collectivité et l'administration cantonale, qui n'entend pas se laisser distancer par les progrès de la technologie. Au sein des départements, des rédactions Internet se sont mises en place et leurs travaux font l'objet d'une coordination confiée au comité d'édition Internet de l'Etat. Enfin, en collaboration avec la Ville de Genève, les communes, voire d'autres entités publiques, la volonté de coopérer se manifeste et oriente résolument les projets vers des interfaces "; clientèle " qui constitueront avant longtemps des moyens d'information efficaces et conviviaux.
En outre, Internet offrant des possibilités presque illimitées de "; réunir " la population, le comité d'édition a tenu à inscrire dans la charte régissant les usages du site officiel la possibilité de mettre en place des forums de discussion. Ainsi, en fonction de l'actualité, des forums pourraient être ouverts sur des thèmes importants pour notre canton.
De son côté, pour améliorer le dialogue avec la population, le Grand Conseil pourrait également introduire dans son site Internet des présentations des projets soumis aux députés. Il lui appartient donc ainsi qu'à ses services de concevoir et d'offrir aux internautes l'opportunité d'apporter leur pierre à l'édifice démocratique genevois, en mettant en place des interfaces, des échanges avec la population.
Le Conseil d'Etat espère avoir ainsi répondu aux invites des motionnaires et vous prie donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir accepter le présent rapport.
Débat
M. René Longet (S). Je voudrais vous rappeler très brièvement ce sur quoi nous avions porté notre réflexion. Il s'agissait de voir dans quelle mesure les méthodes liées à la diffusion de l'informatique peuvent faciliter et concrétiser la démocratie. C'est une préoccupation qui a été exprimée sur le plan fédéral par un élu fédéral genevois, M. de Dardel, qui a posé le problème au Conseil fédéral sous la forme d'un postulat. L'entrée en matière lui avait d'ailleurs été sèchement refusée par le Conseil fédéral. Dans un deuxième temps cependant, la Chancellerie fédérale s'est mise très sérieusement à explorer ces perspectives. Après avoir pris connaissance de la réponse du Conseil d'Etat, j'ai vu que cette réflexion n'était en tout cas pas globalement écartée. Lorsque des technologies nouvelles arrivent à maturité, comme c'est le cas avec l'informatique, quand elles commencent à se développer non seulement en qualité mais aussi en quantité - je rappelle que la Suisse et Genève ont une densité extraordinairement forte en équipements informatiques, nous en sommes au Grand Conseil les premiers acteurs et témoins - je pense qu'il est important de pouvoir utiliser ces outils pour concrétiser la démocratie. Ces outils ne servent pas seulement à faire des jeux, ne servent pas simplement à diffuser des convocations, ils ne servent pas seulement à établir des comptabilités, ils peuvent aussi servir à concrétiser le débat démocratique.
La réflexion que je me suis faite en lisant le rapport du Conseil d'Etat, c'est que vous avez, Mesdames et Messieurs, éclairé à la fois la partie la plus difficile et la plus facile. La plus difficile : l'exercice du droit de vote. Voter sur Internet, dans l'état actuel de la technique, c'est compliqué. Vous le dites et nous en prenons acte, en sachant aussi que la technique évolue parfois plus vite que les obstacles qu'on imagine quand on la décrit. Je pense que l'évolution de la technique nous permettra de surmonter ces obstacles et il me paraît important de rester ouvert à cela. Vous avez en même temps choisi le côté le plus facile, parce que Internet peut en effet aussi servir de support; il suffit de cliquer sur la bonne fenêtre et l'Etat de Genève est chez vous. Là, évidemment, c'est une information relativement unilatérale.
Ces deux pôles sont ainsi bien développés. Ce qui manque, c'est la partie du milieu. C'est en quelque sorte le côté interactif de l'informatique, où l'on peut intervenir en temps réel sur un certain nombre d'informations, où l'on peut questionner d'autres utilisateurs, où l'on peut dialoguer. Je rappelle à ce sujet qu'il est question - notamment dans certaines communes en Suisse alémanique - de discuter par exemple de cette façon-là le budget de la commune avec les citoyens. Cela me paraît intéressant. Cela se situe quelque part entre le vote et la pure consultation de l'annuaire officiel en trois dimensions par écran interposé. C'est sur ce plan qu'à mon avis la réflexion manque un peu de substance pour l'instant. Je vous invite néanmoins, sur la base de ce que vous nous avez répondu, à rester très attentifs aux possibilités que les technologies nouvelles apportent à la concrétisation de la démocratie.
Nous vivons au Grand Conseil, dans le débat démocratique, sur des méthodes du XIXe siècle. Or, le citoyen, lui, a déjà un pied dans le XXIe siècle et c'est à nous de le précéder et non à lui de nous suivre. Dans ce sens, je vous remercie de ce début de réponse et je pense que nous pourrons poursuivre sur ce terrain
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je remercie le député Longet de ses propos. Je tiens à lui confirmer ici - ainsi que mentionné à la page 7 du rapport - que les intentions du Conseil d'Etat et de l'Etat de Genève en général sont effectivement de ne pas en rester là. Ainsi, en ce qui concerne Internet, en fonction de l'actualité, des forums pourraient être ouverts sur des thèmes importants pour notre canton. C'est une des actions possibles.
J'aimerais vous dire ceci en conclusion, Monsieur le député. Nous avons constamment présent à l'esprit le souci d'utiliser ces outils en les mettant au service de la population, en développant, comme vous le soulignez, non seulement l'information, mais aussi l'interactivité. Nous ne voulons pas, en tant qu'Etat, être une sorte de «Pravda» et nous devons toujours naviguer entre ces deux pôles, en facilitant l'accès de ces outils aux acteurs de la cité - c'est le projet «Smart Geneva» que défend très volontiers mon collègue - sans devenir les seuls détenteurs de l'information. C'est donc un peu la prudence qui nous conduit à ne pas trop en faire à la fois, pour permettre aussi à d'autres acteurs d'intervenir; les mettre en relation les uns avec les autres fait aussi partie de notre rôle. Merci de votre intervention; nous comptions bien continuer dans ce sens.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.