Séance du
jeudi 19 novembre 1998 à
17h
54e
législature -
2e
année -
1re
session -
48e
séance
E 957
Discours de M. René Koechlin, président sortant
Le président. Parvenu au terme du mandat que vous m'avez fait l'honneur de me confier il y a un an, il m'appartient d'en dresser le bilan. Pardonnez-moi à l'avance si ce bilan vous paraît un peu long, mais, compte tenu des fonctions qui ont été confiées au Bureau et à son président, je pense qu'il est nécessaire d'être un peu moins succinct que de coutume.
Cette fonction, nouvelle, de gestion du service du Grand Conseil, dont votre parlement a décidé de charger le Bureau depuis un an, modifie considérablement la tâche de ce dernier, ses responsabilités ainsi que celles de son président. Riche de cette expérience de gestion et conscient plus que jamais de la difficulté supplémentaire que présente la prise en mains de cette tâche, je réitère ici les réserves que j'avais formulées lors de l'élaboration du projet de loi qui impliquait l'attribution au Bureau de cette fonction administrative. Et je vous certifie que je ne formule pas ces réserves faute d'avoir consacré tout le temps et toute l'énergie nécessaires à l'exécution de cette nouvelle mission Mais ce sont précisément ces prestations supplémentaires qui, maintenant plus encore que précédemment, me paraissent peu compatibles avec le rôle de milicien qui nous est dévolu... Sans parler de leur prix de revient, dérisoire pour l'Etat, qui oblige à assimiler le rôle de président du Grand Conseil au bénévolat paroissial, avec les honneurs en plus, en lieu et place du salut éternel ! (Rires.)
M. Claude Blanc. C'est compatible !
Le président. C'est compatible, Monsieur Blanc... C'est un PDC qui le dit, on peut donc lui accorder foi ! (Rires.)
Cela dit, je pense qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, car elles seraient hâtives et superficielles, faute d'une expérience suffisamment longue - une année est insuffisante. Attendons deux ou trois ans avant de dresser un bilan péremptoire.
Toutefois, pour votre gouverne, j'ajouterai cette comparaison :
Antérieurement, le président du Grand Conseil avait pour seule tâche - outre la fonction de représentation - de préparer et diriger les séances du parlement. Il agissait un peu comme le capitaine d'un avion de ligne. Or, aujourd'hui, il se trouve dans la position qui consisterait à exiger de ce pilote qu'outre la conduite de l'aéronef il s'occupât aussi du service à bord, du menu servi aux passagers, de la préparation technique de l'appareil et de toute la logistique. Et, pour couronner cette mission et lui conférer la pureté cristalline qu'elle mérite, il est demandé au capitaine - alias votre président - de l'accomplir en amateur, un peu comme un «hobby», sans renoncer pour autant à ses obligations professionnelles, qui demeurent sa principale source de subsistance pour lui-même et ses dépendants.
L'exercice est original; il est aussi passionnant, mais plutôt acrobatique. A vrai dire, il plaît au funambule qui vous parle, notamment parce qu'il sait que la traversée sur la corde raide ne dure que l'instant d'une année. Le temps d'un discours à Saint-Pierre, de quelques poignées de mains à des chefs d'Etats qui tiennent la vedette, tels Fidel Castro, Bill Clinton, Nelson Mendela, et j'en passe. Le temps aussi d'échanger quelques propos et impressions avec de nombreux, charmants, et aussi intéressants que divers étrangers qui fréquentent notre cité.
Le temps, enfin - c'est ce qui est le plus important - Mesdames et Messieurs, de mieux vous connaître. Eh, oui ! Car du haut de cette tribune que vous appelez communément «le perchoir» - je devrais me tenir tel un échassier sur une jambe - il est imparti au président qui l'occupe le devoir de vous écouter - c'est l'inverse en ce moment, puisque c'est vous qui m'écoutez - attentivement, beaucoup plus attentivement que de coutume, et de tenter de vous comprendre - ou, du moins, de vous suivre, parfois au radar, dans les méandres de vos discours... Et cela, en respectant le devoir de neutralité auquel est soumis celui qui dirige vos débats, vos ébats, vos combats.
Ce devoir de neutralité silencieuse, je me suis astreint à le respecter de toutes mes forces, en dépit de l'envie, qui, sans cesse, me démangeait la langue et l'esprit, de réagir, de répliquer, ou, à défaut, de m'assoupir, aussi, parfois, quand le discours s'étalait sur le dallage plat, fade et poussiéreux d'un texte redondant, ânonné par son auteur... (Rires.)
Des voix. Des noms !
Le président. Je vous laisse le soin de désigner les responsables ! Vous les connaissez autant que moi.
Car, Mesdames et Messieurs, je suis en mesure de vous affirmer que nos débats ont un caractère extraordinairement universel en ceci qu'à l'instar de l'univers ils sont en pleine expansion. De ce phénomène, qui tient de l'astrophysique, le Mémorial nous fournit la preuve - et ce n'est pas Mme Chételat qui me contredira, n'est-ce pas ? - ce remarquable ouvrage qui, par les temps qui courent, fait couler beaucoup d'encre non seulement pour son propre usage mais encore à cause de la languissante attente que sa publication provoque, ce témoin, puissant et irrévocable, de nos discours et de tous les dires que nous égrenons ici, dans cette enceinte, pendant une année durant, cette Bible, des quelque 4 000 pages qu'il y a dix ans elle noircissait de ses écritures, en compte aujourd'hui plus de 11 000... 11 500 pages, Mesdames et Messieurs, sont actuellement nécessaires pour transcrire et relater les travaux annuels de ce Grand Conseil ! Alors qu'il y a dix ans la brochure n'en comptait que 4 000, vous disais-je.
Avec un service et des personnes dont les moyens, durant la même période, n'ont pratiquement pas changé... C'est un tour de force ! C'est un tour de force, car, il y a un an, ces moyens avaient même diminué. Il a fallu que le Bureau les renforce non seulement en rétablissant le nombre des collaboratrices attachées au Mémorial mais encore en en accroissant les compétences.
C'est pourquoi je rends ici hommage à toutes celles et ceux qui participent à l'effort en oeuvrant quotidiennement pour reproduire aussi fidèlement que possible et consigner en un livre les écrits, les déclarations, les interpellations, les interjections, les cris et jusqu'aux moindres souffles que nous prodiguons en cette enceinte.
Hommage à Mesdames les mémorialistes. (Applaudissements.)
Mais hommage aussi au service du Grand Conseil qui prépare les textes, tous tant qu'ils sont, et l'ordre du jour des séances. Des textes qui se sont multipliés et un ordre du jour qui, à l'instar du Mémorial, a gonflé au fil des mois et des années pour compter actuellement plus de cent points, en regard des quelque cinquante ou soixante objets qu'il comportait il y a une dizaine d'années.
Pour faire face à cette mission, le Bureau a également accru les compétences au sein du service proprement dit, par des transferts et la redéfinition ou la création notamment de quatre postes. Ainsi, les fonctions de sautier et de directeur adjoint ont été redéfinies, tandis qu'étaient introduites celles de correcteur et, respectivement, d'assistant informaticien. Ce dernier et notamment le sautier se sont attelés à la tâche délicate «d'informatiser» une part importante du travail de notre organe législatif.
Ainsi, peut-on dire qu'aujourd'hui les structures sont pratiquement en place et l'outil prêt à l'usage. Et sa bonne marche dépendra désormais de la manière dont les personnes en charge l'utiliseront.
Il y a quelques années déjà, l'outil fonctionnait mal. Il fonctionnait mal parce que sa conception, sa mécanique et ses rouages étaient obsolètes.
Il a fallu un bon mécanicien pour l'adapter et le moderniser. Ce travail est aujourd'hui presque achevé, grâce notamment à Mme le sautier, qui a tenu le rôle de ce mécanicien auquel je viens de faire allusion.
Mais il faut désormais conduire la machine. Or, un bon mécanicien ne fait pas nécessairement un bon pilote; surtout s'il s'est brûlé les doigts et meurtri en réparant l'outil.
C'est pourquoi le Bureau, après mûre réflexion, a dû finalement et à l'unanimité se résoudre à remplacer le pilote.
Cela dit, au nom de ce même Bureau et en votre nom à tous, je tiens ici à exprimer ma reconnaissance à Mme le sautier pour son excellent et ô combien délicat travail d'adaptation et de remise à neuf de l'instrument. Je vous invite à l'applaudir. (Applaudissements.)
Ces considérations me conduisent à une réflexion plus générale à propos de notre parlement. Il est semblable à un fleuve. Lorsqu'il y a treize ans j'en empruntais le cours, il coulait rapidement, joyeusement, entre ses berges avec ici et là quelque ressac déclamatoire - qui aurait plu à M. Ferrazino - des remous contestataires, une cascade oratoire aux effluves politico-ringardes, allant de la soupe aux légumes, pour les agriculteurs et les Verts, jusqu'à la soupe aux «impôtirons», pour la commission des finances, en passant pas la soupe de tomates pour vos adversaires respectifs.
Parfois, le fleuve décrit un coude impressionnant, modifiant la direction de son cours et de la vallée qu'il emprunte : virage à droite, puis virage à gauche, jusqu'au moment où il atteint la plaine.
C'est l'instant précis que nous vivons actuellement, Mesdames et Messieurs. Notre fleuve parlementaire atteint la plaine où il s'étale lentement et paresseusement. Il coule en décrivant des méandres, à l'instar de la Seine, sans Paris... Il s'attarde dans ses propres boucles et provoque ici, là, ô stupeur, des contre-courants... De ces contre-courants qui remontent, vous font revenir en arrière et vous procurent l'illusion, passagère, que vous retournez au départ y réviser votre préparation et la parfaire, fort de l'expérience de votre précédent parcours.
Il ne faudrait pas que ce mouvement de retour en arrière, précédant une nouvelle course en avant, à son tour suivie d'une autre marche en arrière, se métamorphosât en un perpétuel aller-retour qui donnerait au spectateur et, disons-le carrément, à nos électeurs, la fâcheuse impression que nous piétinons. Car, vous l'avouerez, cela serait de très mauvais goût, laissant une impression néfaste sur l'exercice de notre démocratie.
C'est pourquoi je vous invite, Mesdames et Messieurs, à éviter à tout prix les contre-courants; ces velléités que concrétisent des lois qui en annulent d'autres, toutes fraîches, que le Grand Conseil vient de voter.
Aussi, pour marquer notre efficacité légendaire, je vous invite à trancher résolument à travers les boucles de nos méandres, comme, jadis, le Rhône au pied des falaises de Cartigny, pour nous élancer plus franchement et plus directement vers la mer des solutions que nos électeurs et administrés attendent avec l'espoir, avoué, voire la naïveté des enfants.
Nous ne pouvons ni de devons les décevoir.
Cette envolée lyrique, proche de la nature et de l'une des expressions de son cycle aquatique, avait pour but de vous faire part de certaines de mes préoccupations, réelles, mieux que des explications technocratiques, chiffrées, parsemées de pourcentages, de statistiques, de références pseudo-scientifiques et de citations savantes.
Je sais pourtant qu'aucun discours n'est bon sans quelques citations. C'est pourquoi, pour terminer, je vous en livre trois, capables d'alimenter votre réflexion à propos de la politique. Rassurez-vous, elles sont très courtes.
Paul Valéry a dit : «La politique, c'est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.»
Plus cynique, Winston Churchill, quant à lui, disait : «Au combat, on ne peut être tué qu'une seule fois; tandis qu'en politique...». Je vous laisse conclure !
Enfin, un certain Charles de Montalembert estimait que : «Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique, elle, se charge de vous tout de même.»
Je lègue ces quelques pensées à votre réflexion, et vous dirai, pour terminer, que je quitte ma fonction satisfait, en dépit des difficultés - appelons-les comme cela - riche d'une multitude de souvenirs qui émergent de l'ordinaire quotidien, mais aussi, je l'avoue, un peu fatigué par le cumul et la diversité des charges. Et puis, j'ai appris à mieux vous connaître les uns et les autres, notamment à travers vos discours - j'étais bien obligé de les écouter ! (Rires.) - et cela constitue certainement, pour moi, l'un des aspects les plus positifs du bilan.
Je vous remercie d'avoir supporté mon autorité, avec patience et plutôt bonne humeur - n'est-ce pas, Monsieur Lescaze ! (Rires.) - et je souhaite bon vent à mon successeur. (Vifs applaudissements.)
M. Christian Ferrazino (AdG). Monsieur le président, je vous félicite de votre discours, puisque l'occasion m'en est donnée.
Il m'appartient quant à moi, une fois n'est pas coutume, Mesdames et Messieurs les députés, de vous présenter un candidat de l'Alliance de gauche à la présidence du Grand Conseil.
Vous vous souviendrez qu'il y a une année, dans cette même salle, lorsque nous avons été amenés à élire le Bureau qui siège aujourd'hui, notre formation politique avait chaleureusement soutenu la candidature de notre collègue René Koechlin. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, nous formons le souhait que les députés de l'Entente partagent cet état d'esprit et le démontrent ce soir en apportant leur suffrage à la candidature de Jean Spielmann, pour la présidence du Grand Conseil.
En sa qualité de spécialiste des communications, Jean Spielmann était tout naturellement prédestiné à occuper cette fonction. L'expérience riche de sa vie parlementaire, tant aux niveaux communal, cantonal que fédéral, conduit à la même conclusion, puisque, vous le savez, Jean Spielmann siège sur nos bancs depuis maintenant vingt-sept ans sans discontinuité.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, élire Jean Spielmann à la présidence de ce Grand Conseil c'est non seulement rendre justice à un homme, dont les compétences et les qualités sont reconnues par tout le monde, mais c'est également mettre un terme à une injustice qui, elle, n'a que trop duré et qui consistait à évincer systématiquement de la présidence du Grand Conseil les candidats du parti du Travail. Ce soir, il est temps de rétablir une situation conforme à l'esprit démocratique de nos institutions. En élisant Jean Spielmann, vous y contribuerez.
J'espère en conséquence que nous serons nombreux à faire en sorte qu'une page se tourne dans l'histoire de la vie démocratique de ce parlement. (Applaudissements.)
Le président. Il n'y a pas d'autre candidature. Nous allons donc procéder au vote.
Bulletins distribués : 92
Bulletins retrouvés : 89
Bulletins blancs : 14
Bulletin nul : 0
Bulletins valables : 75
Majorité absolue : 38
Est élu : M. Jean Spielmann (AG), par 73 suffrages. (Vifs applaudissements. Mme Blanchard-Queloz remet un bouquet de fleurs au nouveau président.)
Présidence de M. Jean Spielmann, président
M. René Koechlin (L). Je félicite Jean Spielmann pour son élection et demeure persuadé qu'il sera un excellent président. Car il connaît notre parlement pour en être le doyen, non pas d'âge - il y en a de plus vieux que lui, dont celui qui vous parle - mais doyen de durée, puisqu'il siège en cette enceinte depuis bientôt vingt-huit ans.
C'est donc un président qui connaît bien tous les rouages de ce Grand Conseil qui en prend la direction.
Avant que je le retrouve à mes côtés au «perchoir», Jean Spielmann était pour moi un adversaire systématique dont les envolées lyriques me stimulaient et me poussaient à réagir au quart de tour.
Le temps passé, en sa compagnie, à gérer le service du Grand Conseil et organiser le travail parlementaire m'a appris à le connaître et à l'apprécier différemment.
Le loup agressif était devenu un compagnon avisé, conciliant et coopérant.
Nous avons travaillé la main dans la main, et j'avoue que cette expérience-là, aussi, fut pour moi à la fois gratifiante et enrichissante.
Jean Spielmann est une personne dont les qualités humaines sont indéniables. Il suffirait, en somme, qu'il cessât de s'occuper de politique ! (Rires.)
Cette phrase, il aurait pu la prononcer lui-même. Car il allie à sa vivacité d'esprit un humour latent, comme à fleur de peau, qu'il égrène par petites touches, à petites doses, au fil de ses propos et de la façon la plus inattendue.
Mais l'homme n'est pas d'une pièce, il est beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît... (Rires.) Il s'est forgé lui-même, à la force du poignet et au fil des expériences de la vie, sur le terrain du quotidien, dans les usines, au coeur des assemblées syndicales, à Sécheron, au Moyen-Orient - où il a rencontré sa compagne - à Berne et ailleurs.
Friedrich von Hayek a dit : «Il n'y a pas de libéralisme possible sans des syndicats forts et intelligents.» Pour Jean Spielmann, c'est la seule phrase convaincante qu'il ait jamais entendue à propos du libéralisme ! Ça en fait au moins déjà une, dirai-je à ce terrien. Car Jean Spielmann est un homme de terrain, qui connaît la consistance de la matière et sent constamment sous ses pieds, pénétrant entre ses orteils, la chaleur de la terre humide qu'il se plaît à fouler. Il n'en est pour autant pas insensible aux vibrations de l'intellect. Il apprécie à leur juste valeur les émanations cérébrales, en dépit de la variété de leur capacité séductrice. Pour ce motif, il n'aime que les bons mets, qu'ils soient intellectuels ou culinaires.
Je n'allongerai pas l'éloge de Jean Spielmann, afin de ne pas davantage éprouver sa modestie, et je lui souhaite bon vent pour sa traversée de l'océan parlementaire; bon vent à ce navigateur passionné qui consacre le meilleur de ses loisirs à la voile, précisément.
Capitaine ! Voici la barre ! (M. René Koechlin tend le marteau de la cloche au nouveau président.) (Rires et applaudissements.) Le navire est entre vos mains. (Vifs applaudissements.) (Mme Janine Berberat remet des fleurs à M. René Koechlin.)
Discours de M. Jean Spielmann, président
Le président. Monsieur le président sortant, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour cette élection qui me touche beaucoup, pour toutes sortes de raisons. Je trouve effectivement - comme l'a dit M. Ferrazino dans son introduction - qu'un nouveau pas a été franchi.
Je voudrais également remercier M. Koechlin pour ses paroles; il m'a fait beaucoup d'honneur. Participer aux travaux du Bureau, siéger aux côtés de René Koechlin et des autres membres du Bureau a été effectivement une expérience enrichissante qui m'a énormément apporté. Très souvent, en politique, on a l'impression de donner beaucoup; pendant cette année, j'ai beaucoup reçu de votre part, et je tiens ici à vous en remercier publiquement. Ceux qui ont siégé au Bureau s'en rendent compte, les autres peut-être moins : il est effectivement enrichissant de discuter, de débattre, de former une équipe pour tenter de trouver des solutions. Cela n'enlève rien - et je rassure ici René Koechlin et les autres - à la fermeté des convictions, ni à la vivacité du débat, mais il est important que nous puissions définir en commun un mode de fonctionnement pour permettre à chacun de s'exprimer et à chacun ici, dans ce parlement, d'intervenir ensuite dans le débat.
Je voudrais dire aussi qu'en me désignant à la présidence du Grand Conseil c'est bien sûr un hommage, un honneur, que vous faites directement à mon parti, à l'Alliance de gauche et au parti du Travail, mais aussi à tous les anciens qui se sont battus dans ce parlement pendant des années pour défendre les plus humbles. Je crois qu'ils méritaient bien cette reconnaissance aujourd'hui. Merci encore une fois pour eux de l'honneur que vous me faites !
Au moment du changement de présidence, il est de coutume de dire quelques mots à l'adresse du Grand Conseil. Je m'en voudrais, bien sûr, de commencer cette présidence sans respecter cette tradition. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, comment, au moment où nous procédons à un changement de présidence et où nous sommes en plein débat sur le fonctionnement et l'organisation du Grand Conseil, ne pas avoir à l'esprit quelques considérations sur l'évolution du monde et, surtout, comment ne pas penser à ceux qui dans ce monde souffrent du mal développement, de la faim et de la misère ?
Malheureusement, les images de cette violence, de cette misère, sont devenues quasiment habituelles et constituent le quotidien des médias et des journaux. Devant ces images, je crois qu'on ne peut que se révolter, mais aussi penser que les problèmes et les soucis que nous avons dans ce parlement sont, somme toute, très relatifs par rapport à ces préoccupations plus importantes. Cette réalité doit nous inciter à nous ouvrir davantage sur le monde, à faire preuve de solidarité, à rester à l'écoute du tiers-monde qui attend de nous qu'on l'aide à se développer, qu'on lui donne enfin les moyens de choisir librement ses voies. C'est une de nos responsabilités, aujourd'hui, de rester à l'écoute, de nous ouvrir car je considère qu'il n'y a pas d'avenir pour un pays comme le nôtre à vivre toutes fenêtres fermées, alors que dehors se construit l'avenir. Donc, ouverture, participation et solidarité.
Autre thème que je voudrais aborder ici, c'est celui des certitudes. Je ne parle pas de dogmes, mais d'un certain nombre de certitudes qu'on a, les uns et les autres, affirmées. Reprenant l'habitude de René Koechlin, je vais aussi faire quelques citations pour vous montrer combien les choses sont parfois contradictoires et combien de vérités assénées avec violence se trouvent souvent être contredites par les faits, comme nous le démontre l'histoire. Ainsi, à propos du traditionnel débat gauche-droite : libéralisme égale liberté, liberté égale libéralisme; moins de lois, moins d'Etat, moins d'interventionnisme, mais, au siècle passé - puisqu'on fête les 150 ans de l'Etat fédéral - le père Lacordaire écrivait en 1838 : «Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère.» Vous voyez donc que, là déjà, on se retrouve en pleine contradiction.
De même pour ceux qui pensent que le socialisme équivaut à l'étatisme et qu'en définitive il faut collectiviser ou étatiser l'ensemble des activités. Marx dénonçait déjà cela, il disait : «Bismarck serait le plus grand socialiste d'Europe pour avoir nationalisé les postes, s'il suffisait de nationaliser et d'étatiser pour être socialiste.»
Ces deux citations nous montrent qu'en définitive le monde est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et qu'il faut mettre au placard les certitudes et les réalités, dans un monde qui se transforme comme jamais et où on a besoin de se ressourcer et de remettre l'humain au centre des préoccupations. En effet, comment ne pas réagir face à une société où l'on voit les nations devenir des marchés, les êtres humains des marchandises, la culture de la publicité, bref une évolution qui laisse souvent l'homme sur le bas-côté de la route et ses préoccupations en attente ?
Si les marchés peuvent effectivement paraître la panacée pour certains, je crois que nous avons une responsabilité dans cette mondialisation et cette globalisation : celle de remettre l'homme au centre de nos préoccupations. C'est ce que nous devons faire ici en rapprochant les travaux du parlement des problèmes concrets qui concernent directement la population, en étant davantage à l'écoute de cette dernière pour permettre de trouver des solutions plus pragmatiques. S'agissant de la mondialisation, de la globalisation, il est aussi intéressant d'écouter ce qu'en disent ceux qui en sont les chantres. Ainsi, Alain Minc, qui a beaucoup écrit sur la mondialisation, disait : «Je ne sais pas si les marchés pensent juste, mais je sais qu'on ne peut pas penser contre les marchés. Je suis comme un paysan qui n'aime pas la grêle, mais qui vit avec.»
Je crois, Mesdames et Messieurs les députés, que l'on ne peut pas se contenter de cette fatalité et accepter les choses comme elles sont. En effet, la société et le développement économique ne sont que ce qu'on veut qu'ils soient et c'est l'homme, en définitive, qui fait ses choix. Nous sommes ici, dans cette enceinte, bien placés pour en débattre. Ce débat doit avoir lieu, et je m'efforcerai, tout au long de cette présidence, de le favoriser. Il faut que chacun s'exprime, quels que soient ses pulsions et l'énervement qu'il provoque chez d'autres, il faut laisser la liberté au débat, et pour laisser le débat se faire il faut, entre autres, mettre au placard les discussions juridiques et techniques qui n'ont, à mon avis, pas grand-chose à faire dans ce parlement. Les débats techniques doivent avoir lieu dans les commissions; ici, il s'agit d'affirmer des idéaux et de défendre des positions concrètes, afin que l'homme de la rue, la population, puisse se reconnaître dans les décisions que nous prenons.
M. Koechlin tout à l'heure a évoqué les 11 000 pages du Mémorial, reflet des débats parlementaires qui ont lieu dans cette enceinte. Je crois que certains de ces débats pourraient être raccourcis, si nous arrivions à cerner davantage les problèmes en commission.
En conclusion, je dirai que si chacun doit pouvoir s'exprimer, la fermeté des opinions exige aussi le respect de la personne qui les exprime, et je veillerai à ce que l'on soit respectueux les uns des autres, au niveau des idées défendues. Enfin, et j'en finirai par là, n'oublions pas que nos attributions ne sont en définitive que la délégation de la suprême autorité du peuple. Et je crois que le peuple serait bien inspiré de s'intéresser davantage à ce qui le regarde et, par conséquent, à ce que nous faisons ! Merci. (Vifs applaudissements.)