Séance du jeudi 11 juin 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 9e session - 26e séance

PL 7600-A
9. Rapport de la commission législative chargée d'étudier le projet de loi de MM. Bernard Lescaze et David Hiler modifiant la loi sur les archives publiques (B 2 15). ( -) PL7600
Mémorial 1997 : Projet, 2190. Renvoi en commission, 2193.
Rapport de Mme Christine Sayegh (S), commission législative

Au cours de ses séances des 6, 13 mars et 3 avril 1998, la Commission législative, présidée par M. le député Bernard Lescaze, a étudié le projet de loi 7600, lequel a pour but de rendre public l'inventaire des documents versés par l'administration aux archives d'Etat sitôt ce versement effectué, d'inscrire dans la loi le principe de la gratuité de la consultation, enfin d'harmoniser notre législation cantonale avec les autres pays européens en abaissant les délais de libre consultation, sous réserve de la loi sur la protection de la personnalité, à 25 ans (au lieu de 35 ans actuellement) pour les documents de type administratif et à 50 ans (au lieu de 75 ans actuellement) pour les documents à contenu personnel

Préambule

La loi cantonale sur les archives publiques date du 2 décembre 1925. Elle comprend 11 articles et se limite à définir les composantes des archives, leur qualification juridique et leur conservation, déléguant au Conseil d'Etat la compétence d'édicter les mesures "; de conservation, de précaution et de surveillance " nécessaires. C'est ainsi que toutes les modalités et notamment celles relatives à la consultation des documents sont jusqu'à ce jour contenues dans un règlement d'application.

Travaux de la commission

Audition de Mme Catherine Santschi, archiviste d'Etat :

D'entrée de cause, Mme Santschi a remercié les 2 auteurs du projet de loi 7600 de leur contribution à faire progresser la réflexion sur l'importance des archives et sur la nécessité de clarifier certains problèmes par voie législative, ajoutant qu'il y a très longtemps qu'elle travaille sur la question très complexe de l'accès aux archives ainsi que les conditions techniques, juridiques, politiques et même psychologiques qui lui sont liées.

Pour Mme Santschi, l'accès aux archives est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et la solution proposée par ce projet semble avant tout répondre aux besoins de la recherche historique sans prendre suffisamment en compte la conservation des documents et le respect de la sphère privée des personnes concernées.

Le projet de loi prévoit la consultation de l'inventaire des documents dès leur versement aux archives de l'Etat. Ceci est souhaitable, mais pratiquement assez difficile dans la mesure où en lieu et place des inventaires ce sont des bordereaux succincts qui sont fournis avec les documents. Mme Santschi se pose aussi la question des limites légales de la libre disposition du public pour ne pas enfreindre la législation sur la protection des données personnelles. Par ailleurs, Mme Santschi adhère totalement au principe de la gratuité de la consultation des inventaires, précisant que les demandes de photocopies, certificats et autres recherches sont soumises à émolument.

Quant au délai proposé d'une durée de 25 ans après laquelle la consultation des documents devient libre, il devrait, selon l'archiviste d'Etat, être pris en fonction de ce qui sera décidé dans la cadre des travaux relatifs à l'étude du projet de loi sur la liberté d'information ; ce délai peut aussi paraître trop long pour le libre accès à des documents publics par définition (ex. : plans de zone, d'aménagement). Toutefois, le droit fédéral en la matière prévoit un délai de 30 jours et il serait préférable de s'aligner sur la législation fédérale de manière à éviter des conflits d'intérêts entre la Confédération et les cantons.

En ce qui concerne les dossiers personnels, visés par le second délai, permettant leur consultation libre après 50 ans, Mme Santschi estime qu'il est trop court et fait part de ses craintes quant à favoriser la disparition, plutôt que le versement aux archives d'Etat, de documents contenant des données sensibles. Mme Santschi cite l'article de l'avocat zurichois Béat Rudini relatif à ce sujet et qui met en évidence 2 manières de fixer le point de départ des délais de protection des intérêts des personnes, à savoir la méthode relative qui tient compte des caractéristiques biographiques du dossier,(par ex. : date de décès) et la méthode absolue, qui calcule le délai en fonction de la date de dépôt du document. Mme Santschi a une préférence nette pour la méthode dite relative.

Audition de Mmes Isabelle Brunier, Corinne Walker Weibel et M. Daniel Palmieri, représentant l'Association pour l'Etude de l'Histoire Régionale (AEHR) :

L'AEHR est une association qui regroupe une soixante de membres, tous des historiens professionnels. Ces représentants relèvent plusieurs motifs d'accepter le projet de loi, en particulier, la nécessité de transparence, la libre consultation gratuite et l'harmonisation des délais de consultation avec les législations d'autres pays. Les délais sont appropriés pour permettre un débat public constructif à partir du passé. En effet, le débat public vaut souvent mieux que d'imaginer ce qui est contenu dans les archives, d'où l'importance de pouvoir disposer rapidement des inventaires. La plupart des pays européens, voire ceux du tiers monde connaissent des délais de consultation entre 20 et 30 ans. Pour ce qui est de la protection des données, les lois en vigueur sont suffisantes. Il faut, à ce propos, distinguer la notion de personnalité, au sens de personnalités politiques et célébrités, dont la protection des données personnelles doit être absolument assurée, de la notion de personnalité publique, traitée de manière plus quantitative et dont l'anonymat est davantage protégé.

Ce projet s'inscrit dans un cadre à la fois européen et mondial. L'exemple du CICR est significatif. En effet cette institution a ouvert ses archives au public en 1996 pour la consultation des documents datant de 50 ans et plus, estimant que ce délai était suffisant pour ne pas compromettre les négociations en cours, ni la validité des engagements pris.

Audition de MM. Michel Grandjean et Guy Le Comte, représentant la Société d'histoire et d'archéologie de Genève :

MM. Grandjean et Le Comte sont totalement en accord avec le projet de loi proposé. Le libre accès aux archives d'Etat procède d'un équilibre entre 2 exigences, d'une part l'ouverture maximale et d'autre part la protection de l'Etat et de la sphère privée. Il y a lieu également de distinguer 2 types de documents, à savoir ceux dont la consultation est soumise à un délai général et ceux dont la consultation est soumise à un délai spécial. En ce qui concerne les délais généraux, l'abaissement de leur durée est une évidence et le passage de 35 à 25 ans est parfaitement cohérent Quant aux délais spéciaux, la question est plus complexe, car la durée n'est pas en soi une protection de la sphère privée. En effet si l'on calcule les délais à partir de la date de la mort de la personne concernée, on pourrait limiter la durée à 25 ans. Toutefois, MM. Grandjean et Le Comte estiment que leurs remarques doivent s'inscrire dans la refonte complète de la loi sur les archives et qu'il y a lieu d'accepter, dans l'intervalle, ce projet de loi tel qu'il est, car en consacrant le principe de la liberté d'accès aux archives, il respecte un principe démocratique.

Discussion et vote

Les commissaires ont été convaincus du bien-fondé de la consultation des inventaires relatifs aux documents dès leur versement aux archives d'Etat, de la gratuité et du libre-accès aux archives. Ces principes sont pleinement justifiés par l'intérêt de l'information. La question de l'abaissement des délais a suscité un débat sur les critères à prendre en considération pour fixer la durée. Certains ont reproché le manque de souplesse à la méthode de calcul, suggérant de prévoir la possibilité de dérogation en fonction de la finalité de la recherche envisagée et du genre de documents à consulter. Toutefois et pour prendre en considération ces éléments, il y aurait lieu de prévoir une autorité indépendante, une commission d'éthique par exemple, pour décider d'accorder ou non la dérogation sollicitée. Après avoir examiné la possibilité d'introduire une clause dérogatoire à l'article 8A, les commissaires y ont finalement renoncé, se limitant, en l'état, à rapporter leur réflexion à ce sujet.

On passa au vote d'entrée en matière, lequel fut accepté à l'unanimité des 5 commissaires présents, soit (1L, 1R, 2S, 1DC), puis de la lecture article par article.

Commentaire

Article 5, alinéa 2

Il s'agit de la consultation des inventaires qui est acceptée à l'unanimité.

Article 8A

Alinéa 1 : Il est décidé à l'unanimité de consacrer un alinéa distinct pour la gratuité et le situer à la fin de la disposition.

Alinéas 2 et 3 sont permutés. Il est apparu plus adéquat aux commissaires de mettre les réserves conventionnelles à la consultation des documents avant les délais légaux généraux et spéciaux. Vote unanime.

Alinéa 4 : La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est gratuite.

Cet amendement est proposé pour qu'il n'y ait pas de confusion et qu'il soit clair que les restrictions possibles pour l'accès à un document ne s'appliquent pas à la gratuité.

Conclusions

Vu les explications données et moyennant quelques amendements formels, la Commission législative a accepté ce projet de loi, à l'unanimité (1 L, 1 R, 2 S) moins une abstention (DC), et vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter ce projet de loi dans la teneur suivante :

Projet de loi

(7600)

modifiant la loi sur les archives publiques(B 2 15)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La loi sur les archives publiques, du 2 décembre 1925, est modifiée comme suit :

Art. 5 Fonds d'archives (nouvelle teneur)

1 Les fonds d'archives des institutions et administrations dépendant de l'Etat doivent être versés aux archives d'Etat, dès qu'ils n'ont plus d'intérêt pour l'expédition courante des affaires.

2 L'inventaire des documents versés est consultable dès le versement effectué.

Art. 8A Consultations (nouveau)

 Documents déposés ou conservés

1 La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est libre, sous réserve des dispositions légales relatives à la protection de la personnalité.

2 Demeurent réservées les conventions de dépôt ou de versement et les conditions des donations de fonds.

3 Ne peuvent être consultés librement :

a) les documents datant de moins de 25 ans ;

b) les procédures judiciaires, les dossiers administratifs et fiscaux contenant des données personnelles datant de moins de 50 ans, à compter de la date du jugement ou de l'ouverture du dossier.

4 La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est gratuite.

Premier débat

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Il y a eu un certain nombre de discussions autour de ce projet de loi, notamment en ce qui concerne le délai proposé pour la consultation des archives. Le département dont j'ai la charge n'entend pas revenir sur cette question de délai d'autant moins qu'il existe actuellement une commission qui s'est mise en place et qui a pour but d'opérer une réflexion globale relative à la réglementation sur les archives, notamment de réfléchir à nouveau à la question des délais.

Je souhaite toutefois préciser ce qui suit afin que les choses soient tout à fait nettes : quels que soient les délais qui sont et seront fixés à l'article 8A de la loi, tous ces délais sont fixés sous réserve de l'alinéa 1 de cette disposition qui indique que - dans tous les cas - ce qui prime, ce sont les dispositions légales relatives à la protection de la personnalité. J'entends ici le dire très clairement : si je devais un jour ou l'autre être saisi d'un dossier où un problème de protection de la personnalité se poserait, sans aucun doute, je trancherais en faveur de la protection de la personnalité. Autant je suis attaché à la transparence et ai donné des instructions très précises en la matière aux fonctionnaires de l'administration pour leur demander d'être très flexibles et de mettre à la disposition de toutes les personnes qui s'adressent à notre département le plus possible de renseignements, autant il me semble que le droit à la protection de la personnalité doit, en tout cas, l'emporter sur cette transparence-là. En ma qualité de responsable du département, j'y serai attentif.

M. Albert Rodrik (S). Le groupe socialiste se réjouit de l'issue des travaux de commission. C'est un pas en avant qui vient à point nommé. Nous voulons saisir cette occasion pour remercier M. Cramer qui, profitant de l'étude de ce projet de loi, a fait remettre sur le métier un loi ancienne et lacunaire qui donnait lieu à des règlements proliférants; nous comptons sur lui et nous le remercions d'avance. Le groupe socialiste s'en tiendra au texte issu de la commission qui a fait l'objet de réflexions longues et multiples.

M. Michel Halpérin (L). Le texte issu des travaux de la commission est utile. Comme vous le savez probablement, il est peut-être en grande partie provisoire puisque des experts planchent aujourd'hui sur un texte plus général concernant nos archives. N'empêche qu'il consacre un progrès sensible car il a amélioré la condition des historiens et, d'une manière plus générale, celle de tous ceux qui veulent accéder aux archives de l'Etat pour mieux comprendre et mieux connaître les périodes historiques, anciennes ou plus récentes.

C'est à très juste titre que M. le conseiller d'Etat Cramer vient de rappeler que ce projet ne comporte qu'une partie sur laquelle des réflexions sont permises de manière raisonnable et c'est celle qui est visée à l'article 8A à propos des délais. En fait, ce que nous avons voulu dans cette commission législative en termes d'abréviation des délais pour l'accès aux sources publiques et à celles d'Etat doit être tempéré, me semble-t-il, par deux amendements.

Puisque le débat a été ouvert par M. le conseiller d'Etat Cramer, je voudrais dire ici que je proposerais à vos suffrages, dans le cadre du deuxième débat, deux amendements très simples, l'un ayant trait à l'alinéa 2 de l'article 8A pour que l'on comprenne bien que les fonds qui sont réservés ou les conditions de versement, au sujet des conventions de dépôt, sont des fonds privés et non pas des fonds d'Etat. Il ne s'agit de rien d'autre que d'une correction de plume.

L'autre modification concerne l'alinéa 3 lettre b) parce que là, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit de savoir à quel moment le public ou les historiens peuvent accéder non pas à des dossiers d'Etat mais à des dossiers de personnes privées, c'est-à-dire aux dossiers concernant, par exemple, la situation fiscale ou la situation judiciaire d'un certain nombre d'administrés. Le texte issu des travaux de la commission propose cinquante ans dès l'ouverture du dossier; nous, nous proposerons que ce soit cinquante ans dès le décès de la personne concernée. Il nous paraît, en effet, que tant cette personne que son entourage ont droit à un respect de la vie privée dans des affaires qui relèvent de la sphère privée. Je souligne ici qu'il ne s'agit pas d'aspects concernant la vie publique mais bien la vie privée des intéressés, c'est-à-dire leur propre situation familiale ou leur relation avec l'Etat lors d'une procédure pénale. Je ne suis pas le seul à penser qu'il n'est pas concevable que, cinquante ans après le prononcé d'une condamnation, une personne, si elle est encore vivante, ou, si elle est morte récemment, ses enfants ou son conjoint aient le chagrin de voir resurgir la procédure pénale à laquelle elle aurait été mêlée ou le divorce douloureux qui aurait été le sien.

Dans de telles conditions, il m'apparaît raisonnable de déplacer le délai de cinquante à cent ans en vous rappelant qu'il ne s'agit pas ici d'une aggravation des conditions présentes puisque le texte de loi actuel prévoit que ce genre de dossiers ne sont accessibles que cent ans après leur ouverture.

Nous avons été ici un peu rapides dans l'abréviation des délais car nous n'avons pas assez tenu compte de ces droits de la personnalité qui indiscutablement nous concernent dès lors que nous ne voulons pas examiner la vie politique ou publique de tel ou tel d'entre nous, mais bien sa vie personnelle ou privée qui en définitive n'appartient qu'à lui et n'accède aux archives, d'ailleurs, que d'une manière aléatoire le plus souvent et non pas au terme d'une systématique, puisque nos dossiers personnels sont loin d'aboutir tous aux archives tant s'en faut !

Enfin, on ne me dira pas que les historiens seraient réellement très privés de ne pas avoir accès, dans cinquante ans, aux dossiers éventuels - et j'espère très éventuels - de la procédure pénale Halpérin 1999 car celle-ci, si malheureusement elle devait avoir lieu, n'intéresserait probablement pas plus la postérité que les propos que j'ai l'honneur de tenir devant vous.

M. Pierre-François Unger (PDC). Deux mots pour expliquer l'abstention du groupe démocrate-chrétien qui n'apparaît pas très clairement dans le très bon rapport, au demeurant, de Mme Sayegh. Il est vrai que le texte représente un progrès significatif puisqu'il raccourcit un certain nombre de délais actuellement en cours. Néanmoins, les délais qui ont été fixés sont relativement monoblocs. Cela nous a posé un problème au regard bien sûr de ce qui concerne les personnes privées ainsi que M. Halpérin vient de le dire. Deux points nous paraissent très importants : tout ce qui touche au respect de la personnalité, d'une part, et tout ce qui touche aux affaires privées, d'autre part, et en particulier les extraits judiciaires. Mais alors pour le reste, pourquoi faudrait-il fixer à 25 ans la consultation de documents qui probablement peuvent être consultés beaucoup plus rapidement ?

Ce délai monobloc nous gênait et nous avions suggéré en commission la création d'une commission d'éthique ou d'un conseil de sages qui étudie le motif de la consultation pour voir, le cas échéant, s'il est possible de donner des délais plus courts. Nous avons été en effet relativement horrifiés en commission d'entendre tel ou tel groupe d'historiens qui se plaisaient à se promener dans les archives publiques sans savoir ce qu'ils y cherchaient. Cela est très mauvais. Comme dans toute recherche, lorsqu'on ne sait pas ce que l'on cherche, on ne risque pas de trouver; c'est de l'intrusion mal placée. Nous pensions que nous pouvions prévoir des délais à la fois plus courts et plus longs, motivés en fonction de la nature d'une recherche mais qui se devaient d'être formalisés.

M. Christian Grobet (AdG). Voyez-vous Monsieur Halpérin, je ne vous ferai pas le grief que vos amis politiques nous ont adressé tout à l'heure à propos du fait de saisir le plénum d'amendements et de remettre l'ouvrage sur le métier. Ce d'autant plus volontiers ici qu'effectivement la question des consultations d'archives est éminemment délicate.

Vous avez eu raison de mettre le doigt sur des documents qui relèvent effectivement de la protection de la sphère privée et qui n'ont certainement aucun intérêt quelconque au niveau général et public. M. Unger a bien défini le problème en soulignant que, dans certains cas, 25 ans c'est beaucoup trop long, lorsqu'il s'agit d'établir des faits historiques et, dans d'autre cas, M. Halpérin a raison de dire que ce délai est beaucoup trop court.

Monsieur Halpérin, il faut dire qu'il est difficile sur une question aussi délicate et technique de prendre position en séance plénière et surtout lorsqu'il est déjà 23 h 25 ! Dans la mesure où ce projet de loi ne revêt pas un caractère d'urgence, je suggérerais qu'il soit renvoyé en commission. Nous pourrions, le cas échéant, l'examiner déjà dans la séance qui a lieu vendredi prochain et, si ces problèmes étaient réglés, un troisième débat pourrait avoir lieu lors de la prochaine séance plénière.

Quant à moi, je ne verrais pas d'obstacle à ce que ce projet soit définitivement voté au mois de septembre. Je crois que ce genre de problème est trop délicat pour ne pas être examiné une nouvelle fois en commission.

Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Nous avons remarqué qu'en ce qui concerne les délais en matière de loi des archives le point de vue de l'archiviste s'oppose au point de vue des utilisateurs des archives. Nous avons tenté de faire une pesée d'intérêts relativement juste tout en sachant, comme l'a rappelé M. le conseiller d'Etat Cramer, que l'alinéa 1 est une priorité, c'est-à-dire les lois relatives à la protection de la personnalité. C'est la raison pour laquelle l'alinéa 3 lettre a) stipule un délai de vingt-cinq ans. En ce qui concerne la lettre b), il est vrai qu'il existe deux méthodes : la méthode relative et la méthode absolue. En l'espèce, la méthode absolue avait remporté l'unanimité en commission.

J'aimerais vous rappeler que, dans cette commission qui est composée de neuf membres, nous étions cinq pour voter cette loi. Si tout le monde était présent à la commission, le travail serait plus constructif. C'est une question qui se pose. L'archiviste a également fait quelques téléphones pour essayer de convaincre de ses préférences à la méthode relative. Peut-être qu'un renvoi en commission fera gagner la thèse actuelle de l'archiviste.

Je ne m'oppose pas personnellement à ce que le travail soit fait encore une fois peut-être. Il me semble que nous avons examiné toutes les possibilités; quant à prendre la méthode relative à la lettre b), effectivement il aurait été possible de retenir la date du décès de la personne concernée comme point de départ et de calculer environ une génération qui est vingt-cinq ans. C'est ce qui a cours si j'ai bien compris, mais je suis assez béotienne en la matière n'étant ni archiviste - pour l'instant en tout cas - ni utilisateur. Effectivement, il me semble que l'amendement de la lettre b) pourrait se décider ce soir.

Le président. Je vous demande de vous prononcer sur le renvoi en commission sur lequel nous voterons. S'il est refusé, nous poursuivrons le débat.

M. Bernard Lescaze (R). Je suis assez surpris de la tournure que prend ce débat. Je m'oppose résolument au renvoi en commission. Cette loi sur les archives n'avait pas été modifiée depuis 1922. La loi actuelle sur les archives ne comporte aucun article sur la consultation des documents. Ce n'est que dans le règlement qu'il y a des articles à ce sujet. Le projet de loi minimaliste proposé tient simplement compte des règles actuelles européennes.

Il est vrai que Genève aime bien être à la traîne - en ce moment surtout - et que nous pouvons continuer à avoir des lois désuètes. Ce n'est que parce que ce projet de loi a été déposé que M. le conseiller d'Etat Cramer s'est décidé à constituer une commission d'experts pour revoir l'ensemble du problème des archives. Comme il l'a dit très justement, la primauté de la protection de la sphère individuelle existe déjà. Les modestes modifications proposées par une commission réunie à trois reprises sont mineures et ce n'est pas de la faute des autres membres présents si certains étaient absents. Si les délais ne donnent pas satisfaction, en réalité il ne s'agirait que de la lettre b) qui abaisse à cinquante ans ce qui dans le règlement actuel est à septante-cinq ans pour les documents fiscaux - contrairement à ce qu'a dit M. Halpérin généralement mieux informé - et à cent ans pour les procédures pénales.

Le renvoi en commission est simplement une insulte faite à l'étude des commissaires qui ont bien travaillé en conduisant des auditions et qui nous remettent un projet tout à fait clair. En ce qui concerne les fonds d'origine privée, le premier amendement de M. Halpérin est parfaitement acceptable. Quant au second sur la question des délais, nous proposons de nous en tenir aux normes européennes en vigueur; c'est le texte actuel de la loi : cinquante ans au lieu de septante-cinq ou cent ans et je ne vois pas ce que pourraient ajouter des discussions ultérieures.

Par ailleurs, je suis étonné de ce débat qui me paraît être un débat d'obstruction de la part du représentant d'un groupe qui a lui-même proposé, par la voix des députés Carlo Poncet et Michel Balestra, un accès extrêmement aisé à certains documents administratifs...

M. Michel Balestra. Transparence, pas voyeurisme !

M. Bernard Lescaze. Dans ces conditions, Monsieur le président, je vous demande de poursuivre la discussion.

M. David Hiler (Ve). Pour ma part, je ne me sentirais pas particulièrement insulté, car bien qu'étant membre de cette commission et auteur du projet j'étais absent pendant les délibérations. Le poids des historiens n'était donc pas tel que l'on puisse imaginer que la décision n'ait pas été prise en connaissance de cause. Personnellement, je m'oppose à ce renvoi mais, s'il devait avoir lieu, cela ne m'empêcherait pas de dormir cette nuit.

J'aimerais cependant dire deux choses : si le renvoi en commission signifie - ainsi que semble le souhaiter M. Unger - qu'avant de traiter des archives de l'Etat il faut se doter de la loi sur l'information qui précise quels sont les documents qui peuvent être consultés sans délai par tout public et que, par ailleurs, il faille régler tous les problèmes liés à la philosophie des archives, il ne faut pas renvoyer ce projet en commission, il faut le refuser, cela ira plus vite !

Si la majorité de ce Grand Conseil, lasse de ce débat, décide le renvoi en commission, le seul point à débattre se situerait autour de ce qu'a présenté Mme Sayegh. Le délai est-il relatif ou absolu ? Il faudra de toute façon voter ici sur cette définition. Finalement dans les faits cela change peu de choses. Qu'il soit clair pour M. Unger, qui semble ne pas avoir compris, que le délai de vingt-cinq ans ne concerne que les documents que chacun, a priori, n'est pas autorisé à consulter immédiatement. Il ne s'agit pas de l'ensemble des documents. Prenons par exemple le Mémorial et tout ce qui est publié. Il est vrai que les plans localisés de quartier ont un statut difficile à définir. Je m'adresse à M. Cramer qui parle de transparence. Si cela devait s'avérer, nous devrions normalement avoir une loi d'information sur le modèle bernois d'ici grosso modo une petite année. A défaut, ce seront des déclarations de bonnes intentions et nous verrons derrière M. Cramer non plus la transparence mais Mme Santschi, ce qui serait quand même dommage !

M. Albert Rodrik (S). Il a été dit en début de ce débat qu'une loi vieille et lacunaire avait été confiée par le conseiller d'Etat en charge à un groupe de travail et d'experts pour examiner la question en profondeur.

En ce qui concerne les deux points du projet de loi qui nous a été soumis, le travail a été effectué et il n'y a aucune raison de retourner ce dossier en commission. Je constate qu'il arrive à tous les pur-sang de se braquer parfois devant l'obstacle et nos deux pur-sang - un de chaque côté - ont du mal visiblement à sauter l'obstacle ce soir. Il n'y a aucune raison de ne pas terminer le travail entrepris en commission et je vous remercie de le conclure.

M. Claude Blanc (PDC). Je reprochais tout à l'heure un certain totalitarisme de pensée à M. Ferrazino, mais maintenant, Monsieur Rodrik et Monsieur Lescaze, je pense que vous rejoignez le camp des totalitaires ! (Rires et applaudissements.) Pour la simple et bonne raison que certains députés ici se posent des questions sur des délais qui doivent être effectivement encore discutés et proposent le renvoi en commission. Vous avez l'air de dire : la commission a bien fait son travail, il est inadmissible que le dossier lui soit renvoyé; par conséquent, vous avez tort !

Nous sommes précisément ici pour juger du travail de la commission. Nous ne disons pas qu'elle a mal fait son travail mais plusieurs députés ont relevé que des questions subsistaient, notamment relatives à la protection de la sphère privée et au délai de cinquante ans qui est effectivement très court.

On peut, en effet, avoir été mêlé à une affaire judiciaire à 20 ans et se trouver à 75 ans avec le dossier relaté dans la presse. Il me semble que, là, il y a quelque chose qui n'est pas correct. Il faut admettre qu'un problème subsiste. Le travail en commission a bien été effectué mais peut-être pas d'une manière complète. c'est pourquoi je me rallie au renvoi en commission demandé par M. Grobet.

Le président. Je mets aux voix la proposition de renvoyer en commission ce projet et ce rapport.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette proposition est rejetée par 39 oui contre 41 non.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Article unique (souligné)

Art. 5 (nouvelle teneur)

Mis aux voix, l'article 5 est adopté.

Art. 8A (nouveau), al. 2

M. Michel Halpérin (L). Mon premier amendement concerne l'alinéa 2. Je propose d'ajouter à la phrase : «Demeurent réservées les conventions de dépôt ou de versement et les conditions de donation de fonds», les mots : «d'origine privée». Il ne faut évidemment pas qu'un département de l'Etat puisse conditionner l'accès aux archives.

M. Bernard Lescaze (R). Cet amendement est parfaitement acceptable. C'est effectivement exclusivement les fonds d'origine privée qui font l'objet de conventions de dépôt ou de versement, puisque la loi prévoit un versement sans convention pour les fonds publics, mais c'est encore mieux en le disant. En l'occurrence, nous acceptons l'amendement de M. Halpérin.

Le président. Je mets aux voix la proposition d'amendement de M. Halpérin qui porte sur l'alinéa 2 de l'article 8 A et dont la teneur est la suivante :

«2Demeurent réservées les conventions de dépôt ou de versement et les conditions des donations de fonds d'origine privée.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Art. 8A, al. 3, lettre b)

Le président. Il y a également un amendement à l'alinéa 3, lettre b) de l'article 8 A.

M. Michel Halpérin (L). Si l'on considère que la durée de vie moyenne des individus est aujourd'hui probablement de 75 à 80 ans, il me paraît évidemment choquant qu'un dossier personnel, qu'il soit fiscal, judiciaire ou de l'ordre du droit de la famille, puisse être accessible du vivant de la personne. L'idée de pouvoir le consulter après son décès me choque moins. Je considère cependant que la sensibilité des proches et de la famille mérite des égards. Par conséquent, en proposant cinquante ans dès le décès, lorsqu'il s'agit de dossiers privés, je ne vois pas en quoi les historiens et la République seraient privés d'accès à des sources extraordinaires si on ne leur donne pas la faculté de savoir dans quelles conditions untel ou untel a payé ses impôts, ou a trompé sa femme, ou a commis une infraction... (Protestations.) Cela me paraît de nature à n'intéresser personne dans un délai raisonnable. Je ne vois pas d'intérêt pour la République qui soit supérieur à celui de la piété filiale si le délai d'attente est fixé à cinquante ans dès le décès. Cela représente grosso modo la durée actuelle prévue par les textes.

Aujourd'hui, sur ces sujets, le délai est de septante-cinq ans pour les problèmes fiscaux, cent ans pour les autres. Si l'on considère en gros que l'âge des infractions majeures se situe probablement entre 25 et 40 ans, ma proposition rejoint la pratique actuelle.

M. Bernard Clerc (AdG). Dans cette formulation, il est question de procédure judiciaire, c'est assez précis. Il est question de dossiers fiscaux, mais également de dossiers administratifs. Ces derniers peuvent comporter tout et n'importe quoi. N'oublions pas qu'il existe des dossiers de personnes assistées par l'Hospice général qui, après un certain temps, sont transmis aux archives de l'Etat. Ces dossiers ne contiennent pas que des données purement administratives mais également des renseignements sur les personnes. Le délai qui nous est proposé nous paraît un peu court. Il faut savoir que vous avez des enfants qui peuvent être assistés dès leur plus jeune âge en raison de l'absence des parents. Le délai de cinquante ans à partir de l'ouverture du dossier est un délai extrêmement court dans ces cas-là.

Cela dit, nous pensons néanmoins que l'amendement de M. Halpérin va vraiment trop loin puisqu'il propose un délai de cinquante ans après le décès. Il est juste de partir de la date du décès mais en définissant un délai beaucoup plus court, à notre avis dix ou vingt ans.

M. Albert Rodrik (S). La situation est typique. Il y a l'amendement de M. Halpérin auquel répond avec beaucoup de bon sens M. Clerc qui propose un contre-amendement, substantiellement différent, que M. Halpérin n'est pas prêt à accepter.

En commission nous avons discuté d'alternatives et en particulier des propositions de M. Unger, plus nuancées, qui prévoyaient des mécanismes d'examen et de pondération. En conclusion, cela signifie qu'à propos d'un projet de loi ponctuel et limité la commission, encore une fois, a fait son travail. Si, dans la révision générale et complète que demande le conseiller d'Etat, il nous est présenté des mécanismes plus subtils, plus pondérés, nous les examinerons et cela constituera déjà un progrès. J'espère que son projet rénové général nous parviendra rapidement. En l'état, peut-on voter ce qui ressort des travaux de commission, s'il vous plaît ?

M. Bernard Lescaze (R). Permettez-moi de rappeler qu'exception faite du nombre des années dans cet article le dispositif reprend très exactement l'actuel dispositif de la loi sur les archives publiques. Ceci pour dire à M. Clerc que, pour les dossiers administratifs contenant des données personnelles, le délai actuel n'est pas de cinquante ans mais de cent ans, à compter de la date d'ouverture du dossier. Nous pensons que le système actuel - qui est celui qui se pratique dans la plupart des pays européens - doit être conservé. C'est donc bien la date d'ouverture du dossier qui doit être retenue.

En ce qui concerne les autres normes appliquées dans divers pays européens tel l'Angleterre, la France, l'Allemagne, le délai de cinquante ans est un délai ordinaire qui est approuvé.

J'aimerais maintenant, si M. Blanc permettait aux membres de l'AdG de m'écouter... (Rires et brouhaha.) Je sais que l'heure est tardive, Monsieur le député Lombard, mais vous aimez les séances de nuit ainsi que vous me l'avez dit récemment. Eh bien, nous avons une séance de nuit ! (Rires.)

J'aimerais dire aujourd'hui que l'historien travaille généralement avec des méthodes d'histoire quantitative mais qu'il est important qu'il puisse accéder à des dossiers même relativement récents. Il existe d'ailleurs aujourd'hui des possibilités de consulter, sur demande, des documents extrêmement récents, sans le contrôle d'une commission d'éthique; simplement avec l'accord soit du procureur général soit de l'archiviste d'Etat. Cette procédure est parfaitement opaque. On l'a vu récemment en ce qui concernait le fichier de l'arrondissement territorial qui, bien qu'il date d'avant 1945, n'est pas consultable par les historiens mais seulement par les historiens de la couronne soigneusement choisis. C'est cela que nous ne voulons plus et nous pensons que le délai de cinquante ans est tout à fait raisonnable. La formulation est en tout cas meilleure que celle de M. Halpérin. Si ce dernier nous avait proposé septante ans au lieu de cinquante ans, nous aurions peut-être pu entrer matière. Mais, à l'évidence, ce n'est pas ce qu'il veut. Je ne suis d'ailleurs pas persuadé que M. Halpérin soit un grand spécialiste des archives... (Protestations.)

Une voix. Un peu de modestie quand même !

M. Bernard Lescaze. Il me paraît influencé par des fonctionnaires proches des archives et proches du parti libéral sur lesquels, en fonction de certains résultats, nous aurons l'occasion de revenir. A ce moment-là, nous verrons quelle est l'attitude du député Lombard !

Le problème de la sphère personnelle a été traité il y a moins de dix ans par le Tribunal fédéral, précisément parce qu'au nom de la piété filiale un avocat de Zurich s'opposait à ce que soit révélé le passé, non point délictueux mais simplement le passé nazi de son père sans que celui-ci ait occupé aucune fonction officielle. Il avait trouvé des archivistes et des tribunaux qui avaient accepté cela, mais le Tribunal fédéral dans sa grande sagesse a cassé cette décision en disant que les journalistes qui avaient mené l'enquête sur le père de cet avocat avaient eu parfaitement raison.

Je vous demande, Mesdames et Messieurs, puisque de toute façon on nous promet une nouvelle loi complète d'ici deux ans, d'accepter ce délai de cinquante ans, un demi-siècle. Si dans la pratique ce délai ne convient pas, nous l'allongerons quelque peu d'ici deux ans.

M. Christian Ferrazino (AdG). Je serai plus bref que vous, Monsieur Lescaze, car je sais que vous aimez terminer nos séances pas trop tard. (Rires.) Vous ne contribuez pas forcément à respecter cet objectif !

Les cas que vous venez de citer illustrent à merveille les délicats problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il n'est pas suffisant pour nous convaincre de nous dire que la commission, qui était malheureusement peu fréquentée effectivement puisqu'il y avait cinq députés à cette occasion, a largement réfléchi à tous ces problèmes. (Remarque.) J'avoue, Monsieur Vaucher, avoir été absent moi-même et je suis parfaitement conscient que les problèmes que nous évoquons sont suffisamment délicats pour ne pas être réglés de la manière qui nous est proposée.

Ma proposition va dans un sens qui rallierait à la fois les craintes exprimées par M. Halpérin et par M. Blanc qui nous disent, à juste titre, qu'on ne peut pas se limiter à un délai de cinquante ans dès l'ouverture du dossier puisqu'il faut préserver la sphère privée. Est-il nécessaire de rappeler que tous ces dossiers administratifs, fiscaux concernent bien évidemment des données personnelles et le respect de la sphère privée ? Ce qui nous oblige à faire en sorte que cela soit concrétisé réellement. Vous avez évoqué un délai qui courrait à partir du décès de la personne intéressée. Il me semble que le seul moyen de garantir un respect de la sphère privée est de déterminer un délai à partir du décès. J'espère rallier une large majorité en suggérant de laisser votre proposition de cinquante ans à compter de la date du jugement ou de l'ouverture du dossier, puisqu'il semblerait que toutes les lois européennes prennent en compte l'ouverture du dossier, mais d'ajouter : «au moins vingt ans depuis le décès». Ainsi nous avons la double condition cumulative qui permet à la fois de respecter la sphère privée en ayant la garantie d'avoir ces vingt ans depuis le décès et ces cinquante ans depuis la date du jugement. Je pense que de la sorte, nous respectons les différentes préoccupations qui ont été exprimées ce soir.

M. Michel Halpérin (L). J'aimerais dire à notre excellent intervenant et collègue, M. le député Lescaze, que je suis toujours fasciné par son aptitude inouïe à se fâcher pour des riens. (Rires.) Il m'a fait tout à l'heure un aveu, à savoir qu'il me considère comme un mauvais archiviste, il a raison. Il oublie de dire que je suis un mauvais juriste car je connais moins bien les arrêts du Tribunal fédéral que lui, mais je crois me rappeler que celui qu'il a évoqué tout à l'heure visait précisément ce domaine de nos vies publiques - il n'est pas nécessaire d'occuper une fonction pour avoir une vie publique; les idées publiques, le nazisme ou le fascisme ou au contraire le communisme, cela relève de la sphère du débat d'idées.

Il n'y a pas le même problème à évoquer la mémoire d'un ancêtre qui aurait fait tel ou tel choix idéologique qu'à imaginer aujourd'hui que mes enfants pourraient avoir honte de moi plus tard. M. Lescaze, qui n'en était pas à une confidence près, tout à l'heure m'avouait que ce problème ne le concernait pas parce qu'il n'a pas d'enfants. (Rires.) Nous ne pouvons pas être logés tous à la même enseigne, Monsieur Lescaze !

En conséquence de quoi je voudrais saluer la proposition raisonnable de M. Ferrazino car, à mon sens, la date du décès fait que le premier degré de la sensibilité est ménagé. Je voudrais vous proposer de faire encore un tout petit effort. Nos vies sont longues, celles de nos descendants le seront davantage encore. Ne pourrions-nous pas pousser encore un peu cette limite ? Je suis prêt à descendre de cinquante à trente ans et le tour sera joué ! (Rires.)

Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Il est vrai que la méthode absolue protège la personne concernée tandis que la méthode relative protège les descendants de cette personne. Une formule qui pourrait protéger tout le monde serait l'idéal. Quant au critère à retenir pour la durée des délais, je ne crois pas que ce soit une enchère de dix, quinze ou vingt ans. D'après ce que nous avions retenu des auditions, le délai approprié serait plutôt la durée d'une génération. Je ne sais pas si les gens se marient très tôt ou très tard; il y a bien quatre générations pas siècle. On pourrait déterminer vingt-cinq ou cinquante ans, mais prenez un critère qui soit logique avec les intérêts protégés.

M. John Dupraz (R). Ce débat est fort intéressant. Certains parlent de la protection de la sphère privée et veulent mettre des délais estimant que les gens deviennent beaucoup plus vieux, que l'on meurt en moyenne entre 75 et 80 ans et que vingt ans seraient suffisants après le décès. Vous oubliez une chose, Monsieur Ferrazino, c'est que les vieux doivent mourir mais que les jeunes peuvent. Si l'on veut protéger la sphère privée d'une personne qui était concernée par un dossier délicat relatant une faute passée, par exemple, il y a également une famille qui peut être concernée. La meilleure solution serait de voter la loi telle qu'elle ressort des travaux de la commission et faire confiance au jeune conseiller d'Etat Cramer qui va proposer un projet pour refondre cette loi. La proposition qui nous est faite me semble être du bricolage et ne me paraît pas très sérieuse. (Brouhaha.)

Monsieur Balestra, il semblerait que par les temps qui courent vous êtes meilleur déménageur que député ! Je fais confiance au conseiller d'Etat qui prochainement va nous présenter un projet pour cette loi.

M. Albert Rodrik (S). Je rappelle en tout cas à notre excellent ami M. Dupraz que j'ai assez défendu dans ce débat les travaux de la commission pour pouvoir dire que la proposition d'amendement de notre collègue Ferrazino est pondérée et sage; elle nous permet de ne pas finir cette affaire aussi délicate par un affrontement et une salle coupée en deux. Je vous demande instamment d'adopter cet amendement et de ne pas amender l'amendement, etc. etc.

M. David Hiler (Ve). La solution proposée est admissible mais probablement, Monsieur le député Ferrazino, qu'elle résistera peu de temps. Nous devons, en principe, choisir l'un des deux systèmes. Celui-ci offre des garanties extrêmement fortes, en réalité plus fortes que chaque système pris séparément puisqu'il couvre une infinité de cas.

Vous devez être conscients tout de même - et vous le serez lorsque nous étudierons la nouvelle loi dans son ensemble - que d'une certaine manière, pour les fautes infamantes auxquelles M. Halpérin pensent, il n'y a pas de délai.

Lorsque vous êtes amené à écrire - nous avons ici quelqu'un qui pourrait nous en parler - sur des événements qui ont eu lieu au XIXe siècle mais qui impliquent des comportements déviants ou criminels, les petits et arrière-petits-enfants vous tomberont encore dessus en disant que c'est toute la lignée qui est attaquée. Il y a un moment où vous êtes obligé de dire : «Eh bien non, ça s'arrête !» C'est-à-dire qu'il y a une protection qui est accordée. Elle peut être accordée soit en termes de délais absolus soit en terme de délais relatifs.

Pour ce soir, j'imagine que la solution est satisfaisante du point de vue de la doctrine. Et si, de manière comparative, elle ne le sera pas, je ne pense pas que ce soit dramatique étant donné que nous allons revenir sur cette question, suite aux travaux de la commission d'experts, dans un ou deux ans. Nous ferons l'essai. Je vous suggère, même s'il s'agit d'un bricolage peu solide - il faut en être conscient - d'achever aujourd'hui ce débat par cette décision et de voter la loi.

Le président. Je mets aux voix l'amendement le plus éloigné du texte qui ressort des travaux de la commission, à savoir la proposition d'origine de M. le député Halpérin :

«...de 50 ans, à compter de la date du décès de la ou des personne(s) concernée(s).»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Je mets aux voix l'amendement proposé par M. Ferrazino. En voici la teneur :

«...de 50 ans, à compter de la date du jugement ou de l'ouverture du dossier, mais au moins 20 ans après le décès.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 8A ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Malgré l'heure tardive, vous me permettrez une très brève intervention avant que je demande le troisième débat, ce que je ferai tout à l'heure.

Ce serait une erreur de la part des auteurs du projet de loi, qui par ailleurs siègent dans la commission d'experts qui a été désignée, de considérer que ce débat est un débat où il y a eu un certain nombre de députés, mus par la main malveillante de je ne sais quel fonctionnaire, qui se sont ingéniés à contrecarrer une loi qu'ils avaient déposée pour le bien de la recherche. J'ai entendu tout autre chose dans ce débat et je vous prie, Mesdames et Messieurs, d'y être attentifs. J'ai entendu une assemblée du Grand Conseil, qui n'avait pas de lumière particulière sur la recherche historique ni sur la question des archives et qui, parce que le débat a commencé, s'est sentie à un moment donné très profondément touchée personnellement par un débat qui ne concernait plus une question théorique mais qui concernait une question de mémoire et des questions intimement liées au droit de la personnalité. Je vous demanderais simplement, lorsque vous aurez à revoir cette loi sur les archives puisque vous êtes en train de le faire, de ne pas oublier ce débat-là; avant tout, il y a aussi un devoir de protéger la personnalité. Il faut ménager l'intérêt de la recherche, c'est important et nous le souhaitons. Il faut vouloir la transparence chaque fois que nous pouvons la pratiquer; vous savez que c'est de plus en plus le souci de l'administration. Il faut aussi savoir pratiquer les valeurs qui doivent l'être et ces valeurs-là qui sont liées à la personnalité, je vous demande de ne pas les oublier dans vos travaux lorsque vous referez cette loi.

Pour le surplus, Monsieur le président, je demande le troisième débat. (Applaudissements.)

Troisième débat

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

Loi

(7600)

modifiant la loi sur les archives publiques (B 2 15)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La loi sur les archives publiques, du 2 décembre 1925, est modifiée comme suit :

Art. 5 Fonds d'archives (nouvelle teneur)

1 Les fonds d'archives des institutions et administrations dépendant de l'Etat doivent être versés aux archives d'Etat, dès qu'ils n'ont plus d'intérêt pour l'expédition courante des affaires.

2 L'inventaire des documents versés est consultable dès le versement effectué.

Art. 8A Consultations (nouveau)

 Documents déposés ou conservés

1 La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est libre, sous réserve des dispositions légales relatives à la protection de la personnalité.

2 Demeurent réservées les conventions de dépôt ou de versement et les conditions des donations de fonds d'origine privée.

3 Ne peuvent être consultés librement :

a) les documents datant de moins de 25 ans ;

b) les procédures judiciaires, les dossiers administratifs et fiscaux contenant des données personnelles datant de moins de 50 ans, à compter de la date du jugement ou de l'ouverture du dossier, mais au moins 20 ans après le décès.

4 La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est gratuite. 

La séance est levée à 0 h.