Séance du
jeudi 11 juin 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
9e
session -
26e
séance
I 2002
M. Bernard Clerc (AdG). Mon interpellation s'adresse à Mme Calmy-Rey qui est absente.
La presse a fait état de nouveaux graves problèmes auxquels la Banque cantonale de Genève est confrontée dans le cadre de l'une des affaires où elle s'est engagée à la légère, à savoir la reprise de l'entreprise Sécheron SA et de sa holding.
L'AdG tient à rappeler qu'elle était intervenue le lendemain de la conférence de presse de la direction de la BCG du 23 février 1995, annonçant la reprise de la société Sécheron SA, pour relever qu'à cette occasion la documentation remise aux journalistes était une plaquette publiée par les vendeurs présentant les activités et le chiffre d'affaires du groupe Sécheron, c'est-à-dire de la société Sécheron Holding SA. Aucun document établi par la BCG n'a été distribué à cette occasion. Un communiqué trompeur du groupe Sécheron a été diffusé, lequel mêle astucieusement des explications sur le rachat de Sécheron SA et les activités de la holding.
La presse a pris pour argent comptant la présentation de l'entreprise faite par son directeur avec des documents établis par l'équipe mise en place par M. Nessim Gaon. Elle a cru que la BCG avait racheté l'ensemble du groupe Sécheron en évoquant le chiffre d'affaires réalisé par celui-ci, et non celui réalisé par la seule société Sécheron SA !
Quant à M. Dominique Ducret et M. Marc Fues, ils n'ont pas voulu donner la moindre indication sur le montant de la reprise de Sécheron, invoquant un accord confidentiel avec M. Nessim Gaon. La «Tribune de Genève» de l'époque a fait toutefois état d'un montant de 50 millions de francs et d'une estimation de 55 millions de M. Chabanel quant à la valeur de l'entreprise. Le journal titrait encore qu'une cinquantaine d'investisseurs se bousculaient pour reprendre cette affaire prétendument florissante, mais qui avait néanmoins besoin d'une augmentation immédiate de son capital-actions !
Après les articles dithyrambiques de la presse, on a eu droit, suite aux questions de l'AdG, à une réponse rassurante de l'ancien conseiller d'Etat Jean-Philippe Maitre, qui a présenté le rachat de Sécheron SA par la BCG comme une opération de portage temporaire, de l'ordre de six mois, destinée à sauver une entreprise d'avenir des risques de faillite de son actionnaire principal, M. Nessim Gaon, alors même que ce dernier a toujours affirmé que toutes ses sociétés étaient indépendantes les unes des autres et que la faillite de l'une d'entre elles n'aurait pas d'incidence sur les autres, thèse également soutenue par M. Maitre.
Lorsque la faillite de la société mère de M. Nessim Gaon, la société Noga, a finalement été prononcée, l'AdG a déposé, en novembre 1996, une motion sur les conséquences de cette faillite. Lors de la séance du Grand Conseil du 21 février 1997, au cours de laquelle cette question fut traitée, les députés de l'AdG ont évoqué à nouveau l'entreprise Sécheron SA et les craintes qu'elle pouvait susciter, à la suite d'une augmentation, six mois plus tôt, du capital-actions de Sécheron Holding SA par la BCG, faisant passer celui-ci de 1 à 18 millions de francs, et des prêts que la BCG a dû consentir sitôt après la reprise en mai 1997 de la holding, présidée dès ce moment-là par M. Dominique Ducret.
Les demandes d'explications de l'AdG furent combattues par la droite qui considérait, sous prétexte de ne pas déstabiliser la banque, qu'il ne fallait pas revenir sur les affaires anciennes de la Caisse d'épargne et de la Banque hypothécaire, alors qu'il s'agissait là de décisions prises par la BCG. Bien entendu, l'ancienne majorité rejeta notre proposition de motion. Nous tenons, toutefois, à relever que l'AdG a fait preuve de beaucoup de retenue concernant les nombreuses affaires de la BCG qui l'ont amenée à constituer des provisions dépassant le milliard de francs. L'AdG n'a nullement l'intention de créer un climat de panique qui pourrait mettre en péril la BCG. Elle a préféré attendre de voir comment la situation de celle-ci et de ses malencontreux investissements allait évoluer. Nous avons préféré déposer un projet de loi visant à instituer un cadre plus solide pour la banque plutôt que d'évoquer trop souvent certaines affaires. Mais il arrive un moment, Mesdames et Messieurs les députés, où il n'est plus possible de se taire et de laisser faire. Lorsque les risques pris par la banque conduisent à des pertes qui ont des conséquences graves pour celle-ci, des demandes d'explications sont non seulement légitimes, mais constituent un devoir de la part de ceux qui sont chargés de contrôler le bon fonctionnement de l'Etat dont dépend la Banque cantonale, ce d'autant plus que 4,2 milliards de comptes d'épargne sont garantis par l'Etat. Face aux erreurs répétées d'une direction qui n'a manifestement pas compris les leçons du passé, qui abuse d'une autonomie de gestion de toute évidence trop large, le Grand Conseil se doit de réagir.
Rappelons que la reprise de Sécheron SA s'inscrit dans un contexte beaucoup plus vaste qui pèse lourdement sur la situation de la BCG en raison de l'énorme imprudence commise par les deux banques ayant formé la BCG, à savoir leur participation pour près de la moitié au prêt de 170 millions de francs consenti à la société Noga Invest SA pour l'achat des terrains de Sécheron qui constituaient la seule garantie accordée par M. Gaon. Ce prêt dépassait nettement le prix d'achat de ces terrains pour lesquels il n'y avait aucune garantie de déclassement.
A partir du moment où Noga Invest SA avait épuisé le supplément de crédit qui lui avait été accordé et n'était plus en mesure de payer les intérêts du prêt, celui-ci est devenu un boulet insupportable pour la BCG qui a mené une politique de fuite en avant en rachetant Sécheron SA, puis la Holding Sécheron SA, alors qu'elle savait que M. Gaon avait conçu un projet bidon d'une nouvelle méga-usine pour cette entreprise qui n'a jamais vu le jour. Le dernier épisode de ce mauvais feuilleton a été le rachat par la BCG des terrains de Sécheron pour 125 millions de francs, soit un prix qui n'a rien à voir avec leur valeur réelle.
Aujourd'hui, on apprend que Sécheron SA - ou est-ce la holding ? ou les deux ? - risque la faillite. C'est d'autant plus grave que la BCG avait déjà perdu beaucoup d'argent dans une autre entreprise industrielle qu'elle avait reprise, il y a une dizaine d'années, et qu'elle a dû porter, durant de nombreuses années. La leçon n'a pas servi. La BCG a racheté une autre entreprise industrielle à la hâte, sous la pression des événements, sans prendre les précautions qui s'imposaient, et elle doit admettre aujourd'hui que l'affaire est loin d'être aussi bonne qu'elle l'avait prétendu. Combien de dizaines de millions, qui auraient pu servir à de petites et moyennes entreprises, ont été gaspillés dans cette affaire ? Combien de centaines de millions l'ensemble de l'opération Sécheron a-t-elle coûté à la BCG ? Il s'agit d'établir l'ardoise et de donner enfin des explications précises, au lieu des faux-fuyants habituels.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le temps qui m'est imparti ne me permettant pas de poser les vingt questions, extrêmement précises, que l'AdG souhaite poser au Conseil d'Etat, je ne vous en donnerai pas lecture. Je les ai remises directement à Mme Calmy-Rey.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. En ma qualité de suppléant de Mme Calmy-Rey, dans la mesure où vous avez lu un texte, je vous prie d'avoir l'amabilité de me le remettre, je pourrai le transmettre à ma collègue.
Le président. Cela a été fait.