Séance du jeudi 28 mai 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 9e session - 24e séance

M 1212
14. Proposition de motion de Mmes et MM. Pierre-Alain Champod, Fabienne Blanc-Kühn, Pierre-Alain Cristin, Dominique Hausser et Elisabeth Reusse-Decrey concernant l'accès aux prestations sociales pour les détenteurs d'un permis F. ( )M1212

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- le principe de l'égalité de traitement, garanti par l'article 4 de la Constitution fédérale ;

- la décision de la Commission cantonale de recours en matière d'assurance-chômage du 4 octobre 1994 ;

- l'adoption de la nouvelle loi cantonale sur le chômage le 6 juin 1997, garantissant l'accès des prestations cantonales aux détenteurs de permis F ;

invite le Conseil d'Etat

- à modifier la législation genevoise afin de permettre aux détenteurs de permis F de bénéficier dans tous les domaines des mêmes prestations sociales que les autres contribuables du canton ;

- à adresser, dans l'attente de ces modifications législatives, des directives administratives aux différents départements, afin que les détenteurs de permis F puissent bénéficier des mêmes prestations sociales que les autres contribuables du canton.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Ces dernières années, de nombreux permis de séjour ont vu le jour, dont notamment les permis F (admission provisoire) destinés aux personnes qui ne peuvent pas être rapatriées et qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir l'asile politique, les réfugiés de la violence par exemple. Ces permis devraient être normalement de courte durée, mais les cas de personnes au bénéfice d'un permis F depuis plusieurs années sont de plus en plus fréquents. Or, le problème qui se pose est que les droits aux prestations sociales de ces personnes, qui vivent, travaillent et paient des impôts dans le canton de Genève, ne sont pas clairement définis ou souvent oubliés par la législation sociale.

Lors de la dernière révision de la loi sur l'assurance-chômage en juin 1997, le Grand Conseil avait admis que les personnes au bénéfice d'un permis F, qui obtiennent des autorisations de travail à l'année à l'instar des étrangers titulaires de permis B, devaient également pouvoir bénéficier des prestations cantonales en matière de chômage si elles remplissent les autres conditions Cette décision ne faisait que suivre une jurisprudence de la Commission de recours de l'assurance-chômage qui, en raison du principe de l'égalité de traitement, avait accordé les prestations genevoises aux titulaires de permis F dès octobre 1994.

Si le problème des prestations en matière de chômage a été définitivement réglé, cette motion demande au Conseil d'Etat de clarifier la situation dans les autres secteurs de l'aide sociale, en modifiant la législation cantonale et/ou en envoyant des directives administratives aux départements concernés. Pour ne prendre que trois exemples, tant dans les domaines du logement, de l'assistance que de l'aide à la santé, les droits de ces contribuables ne sont pas clairement définis.

Cette demande, qui ne concerne que quelques personnes, est légitime dans la mesure où les détenteurs de permis F demeurent à Genève et y paient leurs impôts. De plus, cette population est souvent dans une situation matérielle particulièrement précaire. Ces personnes devraient donc pouvoir bénéficier des prestations sociales, au même titre que n'importe quel autre contribuable de ce canton. C'est en tout cas la conclusion à laquelle était parvenue la Commission cantonale de recours en matière d'assurance-chômage en octobre 1994.

Compte tenu des éléments développés ci-dessus, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accueillir favorablement cette motion.

Débat

M. Pierre-Alain Champod (S). Il est important de rappeler qui sont les bénéficiaires du permis F.

Ce permis, dont l'autre appellation est «admission provisoire», est généralement accordé aux personnes qui, ayant demandé l'asile, ne l'ont pas obtenu pour des raisons formelles. Ce sont, essentiellement, les réfugiés de la violence.

Ce sont aussi ces Erythréens qui n'ont pas été acceptés, la loi fédérale sur l'asile stipulant un délai limite de trois semaines entre le moment où la personne persécutée quitte son pays et celui où elle arrive en Suisse. Leur voyage avait duré bien plus longtemps. Ils n'ont donc pas obtenu l'asile mais n'ont pu être renvoyés en raison des risques qu'ils couraient en cas de retour dans leur pays.

Ces admissions n'ont de provisoire que le nom. De plus en plus de personnes concernées sont chez nous depuis cinq ans, voire dix ans.

La législation genevoise mentionne parfois les permis nécessaires à l'obtention de certaines prestations. C'était le cas de la loi cantonale sur le chômage qui stipulait l'obligation, pour les étrangers, de détenir un permis B ou un permis C, cela sans intention discriminatoire du législateur, la loi ayant été édictée avant l'introduction du permis F.

Une personne, détentrice d'un permis F, a gagné son recours auprès de la commission cantonale de recours en matière de chômage contre l'interdiction qui lui avait été faite d'accéder à un emploi temporaire. La commission a jugé qu'il y avait une discrimination entre le permis F et le permis B, alors que leurs statuts respectifs sont extrêmement proches.

Lors de la révision de la loi sur le chômage, en juin 1997, notre Grand Conseil a tenu compte de cette décision de la commission de recours. Il a modifié la loi en conséquence en introduisant, parmi les bénéficiaires de nationalité étrangère, les personnes détentrices d'un permis F.

Ainsi, pour les permis B et F, une décision judiciaire assure une égalité de traitement, égalité votée par notre Grand Conseil en matière de chômage.

Nous avons déposé cette motion, parce que nous estimons logique de supprimer ces discriminations dans les autres lois. Elle évoque la législation dans un sens général, puisque peu de lois genevoises mentionnent les permis. En revanche, celui-ci apparaît dans de nombreux règlements, voire dans de nombreuses directives.

Il va sans dire que, si nous préconisons des prestations pour les détenteurs du permis F, c'est à la condition qu'ils remplissent les critères y relatifs, par exemple avoir séjourné cinq ans à Genève pour accéder à un logement social.

A Genève, 2500 personnes sont en possession d'un permis F. Les situations étant très diverses, les prestations ne seront pas généralisées et les coûts resteront modestes.

C'est une question d'équité : du moment où des gens sont établis chez nous et paient leurs impôts, il n'y a pas de raison de leur refuser des prestations.

Je vous invite donc à rejeter les amendements qui vont être proposés et à renvoyer la motion telle quelle au Conseil d'Etat.

M. Pierre Marti (PDC). Cette motion nous est soumise alors que certaines personnes sont lourdement précarisées. N'ayant pas obtenu l'asile politique, elles séjournent temporairement dans notre pays, sans connaître la date de leur départ.

La plupart d'entre elles ont trouvé du travail. Elles sont autonomes, acquittent leurs charges sociales et leurs impôts. Elles doivent donc avoir accès aux prestations sociales.

Si j'ai déposé un amendement invitant le Conseil d'Etat à chiffrer le coût financier y relatif, c'est pour connaître le montant réel de la charge annuelle. Je suis certain que les services concernés pourront nous renseigner avec précision. En étant informés de ce coût réel, nous gagnerons du temps lors de nos travaux à la commission des affaires sociales.

En effet, nombre de motions, nombre de projets de lois, ne sont jamais évalués dans cette commission. Il vaut donc mieux être au fait des chiffres pour discuter en toute connaissance de cause. D'où mes propositions d'amendements.

Contrairement aux règlements qui sont de son ressort, le Conseil d'Etat ne peut pas modifier la législation genevoise. Je vous propose donc d'amender ainsi la première invite :

«- à proposer la modification de la législation genevoise...»

Je propose aussi d'ajouter une troisième invite conçue en ces termes :

«- à chiffrer son coût financier annuel.»

Je suis certain que nous serons unanimes à soutenir cette motion, vu la modicité de la dépense qu'elle engendrera.

Le président. Il est 19 h 30, heure à laquelle nous avons décidé de faire le point. Je vous suggère de terminer le présent débat, de traiter le point 70 bis - le projet de loi 7196-A sur l'université- et de clore la séance avec le point 83 relatif à la naturalisation. S'il n'y a pas d'objection, nous procéderons ainsi.

M. Claude Blanc (PDC). Nous avons tenu une séance exprès pour parvenir au bout de notre ordre du jour. Je propose donc d'interrompre nos travaux maintenant et de les reprendre à 21 h. (Protestations.)

Le président. Ce n'est pas ce qui a été proposé.

M. Christian Grobet (AdG). Nous avions dit être prêts à continuer jusqu'à 20 h. Nous avons déposé des amendements au projet de loi sur l'université, lesquels vont certainement entraîner des discussions. Il est 19 h 30 passé et nous sommes tous un peu fatigués. Par conséquent, je suggère de reporter à quinzaine le projet de loi 7196 sur l'université. Nous ne sommes pas à quinze jours près, le dépôt du projet remontant à la dernière législature. Cela permettra à la commission de siéger entre-temps et d'examiner les amendements; le débat en plénière s'en trouvera abrégé. Je suis sûr que M. Lescaze sera d'accord.

Le renvoi à quinzaine du projet de loi sur l'université nous permettrait de liquider les points figurant encore à l'ordre du jour.

Le président. Je mets donc aux voix la proposition de traiter ce soir encore tous les points restant à l'ordre du jour, à l'exception du point 70 bis.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée.

Le président. Je mets aux voix la proposition de M. Christian Grobet, à savoir de continuer l'examen des points à l'ordre du jour, à l'exception du point 70 bis, et d'arrêter nos travaux à 20 h. Etant entendu qu'à 20 h nous examinerons à huis clos le point 83.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Il en sera fait ainsi. Nous reprenons le débat sur la motion 1212.

M. Olivier Vaucher (L). Cette motion, que l'on peut comprendre sur le fond, me paraît néanmoins erronée.

Les personnes détentrices d'un permis F bénéficient de subventions et de prises en charge par les offices sociaux qui leur permettent de vivre normalement.

L'exposé des motifs, que j'ai lu attentivement, comporte des contradictions. Tout d'abord on y écrit que «ces permis devraient être normalement de courte durée, mais que les cas de personnes au bénéfice d'un permis F depuis plusieurs années sont de plus en plus fréquents». Puis on termine en disant : «Cette demande, qui ne concerne que quelques personnes, etc.» Aussi soutiendrons-nous l'amendement de M. Marti qui invite le Conseil d'Etat à chiffrer le coût financier annuel découlant de la motion.

D'autre part, l'exposé des motifs affirme que ces personnes sont des contribuables. Permettez-moi d'en douter ! En effet, leur condition modeste - et c'est normal ! - ne leur permet pas de payer des impôts. Ne mélangeons pas les problèmes et ne les mettons pas tous dans le même panier !

Nous demandons le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales afin d'en étudier et le coût et le financement. Comme rappelé tout à l'heure pour un projet de loi, assurer le financement d'une telle dépense relève du droit constitutionnel.

Notre groupe soutiendra l'amendement de M. Marti invitant le Conseil d'Etat à chiffrer ce coût financier annuel. Par conséquent, il demandera le renvoi de la motion à la commission des affaires sociales en vue d'une étude plus approfondie.

Le président. Je mets aux voix cette proposition de renvoi à la commission des affaires sociales.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée.

M. Pierre-Alain Champod (S). Je me rallie à la proposition d'amendement de M. Marti concernant la première invite. Si nous avions invité le Conseil d'Etat «à modifier la législation...», c'est parce que la majorité des modifications concernent des règlements et non des lois. Les règlements sont de la compétence du Conseil d'Etat et non de la nôtre. Comme des lois sont aussi concernées, je me rallie volontiers à la proposition de M. Marti.

J'en viens au deuxième amendement de M. Marti. Je veux bien que le coût soit évalué, mais est-ce possible ? Il ne sera pas simple de déterminer, par rapport à une population, les gens susceptibles de bénéficier de prestations, si la barrière constituée par le permis F était levée. Si le Conseil d'Etat peut nous garantir que c'est faisable aisément, j'accepterai aussi ce deuxième amendement. En revanche, je le rejetterais si les études nécessaires à cette évaluation s'avéraient plus coûteuses que la dépense engendrée par les modifications proposées.

Le président. Je mets aux voix les deux amendements déposés par M. Marti.

Le premier, portant sur la première invite, est le suivant :

«- à proposer la modification de la législation genevoise afin de permettre, etc.»

Le deuxième consiste en une troisième invite :

«- à chiffrer son coût financier annuel.»

Mis aux voix, ces amendements sont adoptés.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Si j'avais pris la parole avant le vote des amendements, j'aurais dit que vous ne pouviez pas, étant donné l'état des finances publiques, voter une motion sans vous inquiéter des coûts qu'elle engendrera.

Excusez-moi de vous le dire : ce raisonnement devrait être automatique pour tout objet mis aux voix dans ce parlement. A quoi sert une table ronde sur l'équilibre des finances publiques si vous renvoyez, sans autre, des objets au Conseil d'Etat pour qu'il les traduise en dépenses supplémentaires ?

En l'occurrence, les amendements sont judicieux.

Le Le président. Nous avons devancé vos voeux, Madame la conseillère d'Etat, et nous espérons que vous êtes satisfaite.

Mise aux voix, la motion ainsi amendée est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1212)

concernant l'accès aux prestations sociales pour les détenteurs d'un permis F

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- le principe de l'égalité de traitement, garanti par l'article 4 de la Constitution fédérale ;

- la décision de la Commission cantonale de recours en matière d'assurance-chômage du 4 octobre 1994 ;

- l'adoption de la nouvelle loi cantonale sur le chômage le 6 juin 1997, garantissant l'accès des prestations cantonales aux détenteurs de permis F ;

invite le Conseil d'Etat

- à proposer la modification de la législation genevoise afin de permettre aux détenteurs de permis F de bénéficier dans tous les domaines des mêmes prestations sociales que les autres contribuables du canton ;

- à adresser, dans l'attente de ces modifications législatives, des directives administratives aux différents départements, afin que les détenteurs de permis F puissent bénéficier des mêmes prestations sociales que les autres contribuables du canton;

- à chiffrer son coût financier annuel.