Séance du jeudi 28 mai 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 9e session - 23e séance

M 1203
19. Proposition de motion de Mme et MM. Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle, Alberto Velasco, Alain Etienne et Albert Rodrik concernant la répartition des compétences entre l'Etat et les communes en matière d'aménagement du territoire. ( )M1203

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- que la question de la répartition des compétences entre l'Etat et les communes, notamment en matière d'aménagement du territoire, est en discussion dans notre canton depuis plusieurs d'années ;

- que le groupe de travail ad hoc chargé depuis 1994 de l'étude de la répartition des compétences entre l'Etat de Genève et les communes préconise une extension des compétences communales en matière d'aménagement du territoire sans pour autant les préciser ;

- que les seules propositions concrétisées à ce jour sont celles qui en 1993 accordaient des compétences de proposition d'avant-projets aux communes ;

- que plusieurs communes, particulièrement les villes, ont des structures techniques et administratives qui leur permettraient de bien exercer une extension de leurs compétences (par exemple : service d'urbanisme, mandataires extérieurs) ;

- que de nouvelles compétences communales permettraient de stimuler la démocratie locale ;

invite le Conseil d'Etat

- à présenter un rapport sur l'usage fait par les communes depuis 1993 de leurs nouvelles compétences de proposition en matière d'aménagement du territoire ;

- à présenter des propositions de répartition des compétences entre l'Etat et les communes basées sur le principe de subsidiarité.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le but de cette motion est d'alléger les procédures de décision en matière d'aménagement afin de les optimiser, d'améliorer la rapidité d'élaboration des projets, de freiner la bureaucratie et de diminuer les coûts.

Il faut se souvenir qu'aujourd'hui, en matière d'aménagement, tout passe par le canton y compris les projets de construction anodins.

Notre proposition s'inscrit totalement dans la logique de centralisation des aspects stratégiques et de décentralisation des tâches opérationnelles. Une telle organisation développe évidemment la responsabilisation de chacun-e, augmente l'efficacité des processus et permet de placer le niveau de décision au juste niveau.

A l'heure où tout le monde parle de promouvoir la démocratie locale et de développer une politique de proximité afin de stimuler l'esprit de citoyenneté, il est temps de concrétiser des idées allant dans ce sens.

Cette nouvelle répartition des compétences devrait se baser sur le principe de la subsidiarité, c'est-à-dire :

- Le canton doit être compétent pour tous les objets dont les décisions ont des conséquences sur l'aménagement de l'ensemble du canton et sur les relations avec la France voisine et le canton de Vaud (notions d'intérêt général et d'intérêt public).

- La commune doit être compétente pour tous les objets dont les décisions n'ont pas de conséquences sur le plan cantonal, et qui ne concernent que des intérêts de la commune ainsi que des relations avec les communes voisines (notions de proximité et de voisinage).

- Selon les objets, un préavis du canton doit être demandé pour garantir la coordination générale et la conformité avec le plan directeur cantonal et le plan d'affectation du sol. Ce préavis porte sur le contrôle de la légalité des plans et non pas sur leur opportunité. Il porte également sur le contrôle de la qualité.

Ainsi les communes maîtriseront l'aménagement localisé alors que le canton gardera la vue d'ensemble et la stratégie globale, fixera les grandes orientations et assurera la cohérence d'un développement équilibré de notre République. Naturellement, des garde-fous pourront être fixés afin d'éviter et de combattre les égoïsmes locaux.

Chez nos voisins et amis français, la décentralisation de certains pouvoirs aux municipalités en matière d'aménagement a permis notamment d'embellir sensiblement les villes et villages, et à améliorer considérablement des conditions de vie.

Tenir compte des bons exemples réalisés par d'autres n'est pas une idée si saugrenue.

Concrètement, les instruments de gestion de l'aménagement du territoire pourraient être répartis de la manière suivante :

Canton : Elaboration et approbationCommune : Préavis

- concept de l'aménagement, plan directeur cantonal,

Principes généraux pour l'organisation du territoire cantonal, stratégie globale, coordination avec la France voisine et le canton de Vaud.

- plans d'affectation du sol,

Régime des zones.

- plans directeurs de zones de développement industriel,

- plans de sites, classement et inventaire des monuments à protéger,

- autorisations de construire et de démolir.

Commune : Elaboration et approbationCanton : Préavis

- plans directeurs de quartier,

Espaces publics, alignements, terrains réservés aux équipements publics.

- plans localisés de quartier,

Tracé des voies, périmètre d'implantation, gabarit, destination des bâtiments, espaces verts, terrains réservés pour équipements publics, parkings.

- plans d'utilisation du sol,

Lignes directrices de l'affectation du territoire communal, utilisation du potentiel à bâtir.

Cette répartition des compétences devrait aller de pair avec une répartition des compétences politiques, techniques et administratives :

Canton (DAEL)

- politique d'aménagement du territoire,

- politique de protection des monuments, de la nature et des sites,

- élaboration des plans relevant de la compétence cantonale,

- supervision (préavis), contrôle de la légalité et de la conformité des plans relevant de la compétence communale,

- contrôle de la qualité par les commissions consultatives (urbanisme, architecture, monuments et sites),

- délivrance des autorisations de construire et de démolir.

Villes (communes de plus de 10'000 habitants)

- service municipal d'urbanisme et/ou mandataire extérieur,

- élaboration des plans relevant de la compétence communale.

Communes de moins de 10'000 habitants

- L'Association des communes genevoises met en place, puis à disposition des petites communes, un service d'urbanisme et/ou les services de mandataires extérieurs.

- Ce service élabore les plans relevant de la compétence communale.

Ces transferts de compétences devraient provoquer une diminution de certaines activités du DAEL. Il faudra en conséquence envisager un transfert de ressources humaines et financières de ce département vers les communes ou l'Association des communes genevoises.

En vous remerciant par avance de l'intérêt que vous porterez à cette motion, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les député-e-s, de lui réserver un accueil favorable.

Débat

M. Christian Brunier (S). Optimisation des processus, diminution de la bureaucratie, démocratie locale sont les mots clés de cette motion qui tient à donner une orientation nouvelle à la répartition des tâches entre l'Etat et les communes, en matière d'aménagement.

En effet, comme nous l'a rappelé M. Ramseyer, nous en parlons depuis des années sans jamais rien concrétiser. Il est temps d'agir. Notre proposition s'inscrit dans la logique de la centralisation des aspects stratégiques et de la décentralisation des aspects opérationnels de proximité. C'est ainsi que, sous l'impulsion d'un gouvernement de gauche, les villes françaises se sont sensiblement améliorées. Il suffit de se rendre chez nos voisins pour se rendre compte que, grâce aux lois de la décentralisation, les cités se sont améliorées tant du point de vue de l'embellissement que de la qualité de vie.

Dans notre projet, le canton resterait évidemment responsable de l'aménagement global de notre petit territoire, alors que les communes pourraient obtenir certaines compétences sur des objets concernant des intérêts municipaux spécifiques. Elles pourraient, par exemple, s'occuper des plans directeurs de quartier, des plans localisés et des plans d'utilisation des sols...

M. John Dupraz. T'as mis tes lunettes ? Tu veux la pagaille ?

M. Christian Brunier. Nous devons bien sûr fixer un certain nombre de garde-fous pour éviter les égoïsmes locaux. Pensant que cette motion nous permettra de débattre largement de ce thème et qu'elle valorisera le rôle des communes, mon groupe et moi-même vous invitons à la renvoyer en commission.

M. Daniel Ducommun (R). Nous avons bien entendu le message de M. Brunier. En première lecture, ce projet suscite trois réactions au sein du groupe radical. La première est plutôt négative et très retenue, l'opportunisme étant flagrant. Nos collègues socialistes entrent en fanfare dans la campagne électorale des prochaines municipales car rien n'est plus séduisant que de défendre l'autonomie communale. D'autres motions existent sur la circulation et le programme est déjà bien avancé.

La seconde réaction est suscitée par la nouvelle stratégie socialiste basée sur la décentralisation des responsabilités et du pouvoir, ce qui ouvre une brèche dans la centralisation doctrinaire traditionnelle, c'est un scoop !

Rassurez-vous, Monsieur Brunier, notre troisième réaction est plus positive ! Les compétences entre l'Etat et les communes doivent être revues pour les objets importants à l'échelon local et régional. Nous le savons parfaitement, puisque la plupart de nos nombreux magistrats radicaux font partie de groupes de travail sur ce sujet et participent aux options prises par l'Association des communes genevoises. C'est donc finalement sans trop d'arrière-pensées que nous apporterons nos réflexions et notre expérience en commission de l'aménagement.

Une voix. Ça ne va pas aller loin!

M. Christian Grobet (AdG). Nous ne nous opposerons pas au renvoi de la motion en commission. Nous sommes prêts à l'étudier, mais nous disons d'emblée que nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'onde que nos amis socialistes pour déléguer davantage de compétences aux communes en matière d'aménagement du territoire. Par rapport aux autres cantons suisses, Genève a l'énorme avantage d'avoir une véritable politique cantonale en la matière - qu'elle nous plaise ou pas. Les autres cantons nous l'envient et nous pouvons le constater en voyant l'aménagement dans des communes d'autres cantons.

A cet égard, j'estime particulièrement malvenu l'exemple de la France cité dans cette motion. Que des villes françaises aient pu embellir leurs sites urbains, grâce à la possibilité de bénéficier d'une part de l'impôt centralisé, est une réalité dont chacun se réjouit, mais cela n'a rien à voir, Monsieur Brunier, avec l'aménagement du territoire. Votre exemple est donc tout à fait faux.

Comme l'a relevé M. Dupraz, la décentralisation française, au niveau de l'aménagement du territoire, a été catastrophique. Aujourd'hui, dans ce pays autrefois exemplaire en la matière, seuls des intérêts strictement locaux, quand il ne s'agit pas d'intérêts particuliers, priment lors des projets de déclassement et autres.

Je sais pertinemment que, dans vos propositions, vous laissez à la compétence cantonale des sujets essentiels comme la modification de zones notamment. Mais quant à confier l'adoption des plans localisés de quartier aux communes, le passé a démontré que ce n'était pas forcément adéquat. Cela leur est très difficile et certains édiles communaux doivent faire preuve de beaucoup de courage pour faire adopter des plans localisés de quartier d'intérêt général. Je crois d'ailleurs qu'ils sont assez contents que le canton s'en occupe, étant entendu que celui-ci doit aussi être à l'écoute des communes.

Vous faites allusion à la réforme très importante - intervenue en 1993 après deux années de discussion en commission - qui a donné de nouvelles prérogatives aux communes. Vous indiquez, à juste titre, que ces prérogatives n'ont guère été utilisées. Cela confirme ce que j'avais déclaré à l'époque, à savoir qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'introduire ce nouveau droit d'initiative à l'usage des communes, qui l'ont fait valoir en quelques occasions. Cette réforme n'a pas donné de grands résultats, mais sans doute était-il souhaitable de l'entreprendre pour des raisons psychologiques et pour certains cas concrets.

Nous ne voulons pas aller au-delà de cette réforme qui a fait l'objet de discussions approfondies avec les communes. M. Blanc n'est pas là, mais en ce qui me concerne, je ne change pas de discours en matière d'aménagement du territoire.

Quelques améliorations ponctuelles peuvent effectivement être apportées en matière d'information des citoyens. Je me permets de dire aux auteurs de la motion qu'en Ville de Genève de graves défaillances se sont révélées en matière d'information des habitants sur les projets d'aménagement, en matière de dialogue entre l'exécutif de la Ville de Genève et les habitants des quartiers, mais ces manques ne justifient pas, selon nous, une modification de la loi. Aux communes d'utiliser les compétences qui sont les leurs !

Qu'est-ce qui empêche, aujourd'hui, le Conseil administratif de la Ville de Genève de dialoguer avec les habitants ? Qu'est-ce qui empêche le Conseil administratif de la Ville de Genève d'informer ces mêmes habitants, à l'aide de papillons illustrés, sur tel plan localisé de quartier qui va être mis à l'enquête publique et d'organiser des séances d'information ? Tout ce travail ne se fait malheureusement pas. J'ignore comment cela se passe dans les autres communes, mais à Genève il y a effectivement un problème.

Nous avons l'impression que l'on veut résoudre des problèmes de la Ville alors qu'en fait c'est son exécutif qui ne sait pas gérer convenablement les pouvoirs qui lui sont donnés. Dès lors, vous comprendrez qu'une mauvaise gestion des compétences communales n'encourage guère à les accroître. Il faudrait déjà que la Ville agisse plus démocratiquement et plus efficacement en traitant les projets dont elle s'occupe.

Mme Janine Hagmann (L). L'autonomie communale, comme vous le savez, est une prérogative très chère aux communes et je constate avec plaisir que, maintenant, les groupes parlementaires s'en préoccupent également. M. Ducommun l'a dit avant moi: il est vrai que nous sommes en année préélectorale.

Monsieur Rodrik, vous avez trouvé tout à l'heure un historien pour le parti socialiste. Il conviendra de lui faire ajouter l'intérêt et l'attachement de votre groupe pour les communes. Il est évident que l'autonomie communale est à protéger, mais est-ce véritablement ce que nous avons entendu tout à l'heure dans la bouche des intervenants d'en face qui se sont opposés aux décisions communales en matière d'aménagement du territoire ? Il faudrait être conséquent. Il est bien joli de lancer une motion pour défendre la répartition des compétences entre Etat et communes, mais alors il ne faut pas bafouer les décisions communales comme vous l'avez fait pour Dardagny ou Avusy.

Le groupe libéral accepte d'envoyer cette motion en commission car, contrairement à M. Grobet, il estime que plusieurs pistes méritent d'être étudiées et que la répartition des tâches pourrait être améliorée. Il tient cependant à faire deux remarques : la motion propose un transfert de fonctionnaires à l'Association des communes genevoises (ACG). Non, Mesdames et Messieurs les députés, je ne pense pas que l'ACG doive devenir une superstructure et ce n'est d'ailleurs pas là son voeu. Ma deuxième remarque vous demande d'éviter de vous ingérer constamment dans l'organisation des communes.

M. John Dupraz (R). J'aimerais compléter ce qu'a dit notre excellent collègue M. Ducommun concernant les problèmes d'aménagement du territoire. Je dirais qu'en la matière M. Grobet a été un magistrat exemplaire et que, si nous pouvons lui faire certains reproches, il a su donner une ligne très claire à l'aménagement du territoire, certes un peu sévère parfois mais qui, en période de haute conjoncture, a eu le mérite d'être cohérente. Le Conseil d'Etat poursuit du reste cette politique, mais de là à entendre M. Brunier nous citer la France en modèle ! Je connais personnellement bien la France voisine étant moi-même double national et je puis vous dire que c'est une catastrophe. Le territoire a été gaspillé car chaque commune a voulu sa zone artisanale, sa zone industrielle, sa route d'évitement... Une incohérence totale a conduit à détruire le territoire et on revient maintenant à un certain centralisme. Qu'on le veuille ou non, pour être cohérent l'aménagement doit être centralisé et ce d'autant que notre canton est extrêmement étroit et exigu. De plus, sur ce sujet, nous pouvons qualifier d'excellent le dialogue entre les communes et le Conseil d'Etat, j'en ai fait l'expérience en tant qu'adjoint dans ma commune.

Plutôt que de faire de l'électoralisme à bon marché comme vous le faites, Mesdames et Messieurs les socialistes, ne devrions-nous pas, aux fins d'une meilleure cohérence, nous demander si un seul service regroupant l'aménagement du territoire et l'urbanisme pour la Ville et le Canton ne serait pas justifié ? Cela me semblerait intelligent et favoriserait la synergie et la cohérence entre Etat et communes, et permettrait de réduire les coûts de fonctionnement des institutions avec un bien meilleur résultat.

Pour conclure, j'aimerais dire que, récemment, la commission de l'énergie, de l'aménagement du territoire et de l'environnement du Conseil national a siégé à Genève - avec la participation de M. Grobet. Je puis vous dire, Mesdames et Messieurs, que nos collègues suisses alémaniques sont époustouflés des résultats exemplaires de notre politique cantonale d'aménagement du territoire. Si vous voulez détruire cet acquis, il vous faut suivre cette motion qui est une espèce de faribole à la veille des élections municipales et qui ne mène à rien.

Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission mais, si nous avions le courage politique de faire quelque chose d'intelligent et de cohérent, nous devrions fusionner les services de l'Etat et de la Ville aux fins d'une meilleure cohésion et d'une meilleure approche des problèmes sans pour autant empêcher le dialogue avec la population. Je vous prie de ne pas détruire les remarquables résultats obtenus à ce jour.

Le président. Je mets aux voix la proposition de renvoi de cette motion en commission.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission d'aménagement du canton.