Séance du vendredi 24 avril 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 7e session - 15e séance

M 1195
21. Proposition de motion de Mmes et MM. Claude Blanc, René Longet, Jean-Claude Dessuet, Yvonne Humbert, Hubert Dethurens, Luc Barthassat, Roger Beer, Jean-Louis Mory, Geneviève Mottet-Durand et Louis Serex pour le rétablissement d'un réel régime de zones franches autour de Genève. ( )M1195

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève

considérant :

- l'application défectueuse et à sens unique du régime des zones franches agricoles ;

- le risque de détérioration de la prospérité de notre région et de la qualité de nos relations de voisinage qu'une telle situation engendre ;

invite le Conseil d'Etat

à intervenir vigoureusement tant auprès des organismes transfrontaliers, que des douanes françaises et du Conseil fédéral - et ce en usant au besoin des moyens de pression dont il dispose - afin de rétablir une application du régime des zones franches conforme aux textes et à l'esprit des Traités de 1815 et 1816, ainsi que de la Sentence de Territet.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Aujourd'hui, bon an mal an, ce sont plus Fr. 50 millions de marchandises agricoles qui sont produites dans les zones franches entourant Genève, et qui entrent en Suisse sans droit de douane. Dans le sens inverse, ce flux représente moins de Fr. 50'000.-. Un déséquilibre dangereux pour l'avenir de notre région, lié à une application biaisée du régime des zones. Deux mots d'explication.

De l'origine des zones franches genevoises...

La création des zones franches autour de Genève découle du Congrès de Vienne de 1815 qui redessina les frontières de l'Europe, et d'un accord de 1816 avec le Royaume de Sardaigne. Sans ces traités, Genève serait devenu un territoire à l'arrière-pays très étriqué. Afin de permettre le développement d'une économie régionale propre, les zones franches - véritables zones de libre échange - furent créées.

... à leur application

Dans la sentence de Territet (1 933), les arbitres du Tribunal de La Haye ont voulu donner un caractère évolutif au régime des zones franches.Aussi ont-ils prévu des possibilités de restrictions temporaires au régime de libre échange, ou encore le maintien d'un dialogue continu autour des procédures administratives douanières dans le sens France-Suisse comme dans l'autre.

Dans la pratique, toutes tentatives de dialogue se sont soldées par des échecs. La dernière séance de la Commission permanente des zones franches a eu lieu en... 1982.Celle-ci s'était d'ailleurs déclarée incompétente pour résoudre le conflit opposant à l'époque maraîchers zoniens et genevois et leur avait prié de s'arranger entre-eux, sans leur en donner les moyens.

Déléguer les pouvoirs

Cet échec n'est pas un cas isolé. La « gestion » des zones franches étant assurée par Berne et Paris, toutes les tentatives d'en adapter le fonctionnement aux réalités économiques de la région franco-valdo-genevoise ont été soldées par des échecs. A l'heure où l'Europe multiplie les délégations de compétence aux collectivités territoriales et les initiatives communautaires pour la coopération transfrontalière, il est temps que le gouvernement cantonal revendique auprès du Conseil fédéral un droit de participation nettement plus étendu dans les négociations relatives aux zones franches.

Faire appliquer les Traités

Certes, les prix des produits agricoles suisses rendent difficile l'exportation sur les marchés zoniens. Et pourtant, à l'heure où les prix agricoles suisses baissent et où la qualité des produits genevois leur apporte une certaine renommée, nos producteurs souhaiteraient, eux aussi, pouvoir profiter de ce régime de libre échange pour exporter en franchise de douane sur la zone franche, et selon des formalités administratives simplifiées. Ce qui est aujourd'hui rendu impossible par les autorités françaises. En d'autres termes, soit le régime des zones franches est maintenu, mais appliqué dans les deux sens, soit Paris devra y renoncer. Ici aussi, il est temps que le Conseil d'Etat use de tout son poids pour exiger des douanes françaises qu'elles appliquent réellement les Traités sur les zones, et non simplement les règles relatives au commerce avec les pays hors UE. Dans le cas contraire, ne devrait-on pas alors par réciprocité appliquer aux importations zoniennes et aux travailleurs frontaliers les mêmes règles que celles appliqués vis-à-vis des autres régions françaises ? Une situation que nous souhaiterions éviter.

Une production maraîchère en croissance continue

Pour les producteurs zoniens, le marché suisse des légumes est une affaire juteuse coûts de production français, prix suisses et marchandises déclarées comme indigènes. Pas étonnant, donc, que la production y ait doublé entre 1971-78 (1 965 t) et 1990-95 (3 975t). Pourtant, lors des négociations de Territet, la délégation française avait bien parlé d'un projet tendant à « assurer aux zones franches un régime qui leur permette d'écouter (...) leur production normale et seulement leur production normale vers l'un ou l'autre des marchés (...) ». Visiblement, on s'est fortement écarté de ce concept. De plus, l'art. 4a du Règlement de Territet prévoit expressément que: « Par dérogation aux dispositions (de libre échange), des contingentements (...) pourront être fixés, à titre temporaire (...) dans le cas où leur importation entraînerait (...) des inconvénients graves pour le marché des cantons suisses avoisinants ». Les conditions semblent donc réunies pour plafonner une production zonienne aujourd'hui déjà fortement spécialisée comme secteur d'exportation.

Du bio européen sous l'étiquette de bio suisse

Enfin, la production zonienne étant vendue en Suisse sous l'étiquette « indigène », il semblerait normal de lui imposer, en particulier concernant la désignation « bio », les mêmes exigences que pour les produits suisses. En particulier, il y a lieu d'exiger que l'ensemble de l'exploitation zonienne soit exploitée en agriculture biologique et non seulement les terres concernées par les produits exportés.

A contre-courant du rapprochement européen ?

Certains pourraient reprocher à cette motion d'aller à contre-courant du nécessaire rapprochement de la Suisse à l'UE. Nous ne le pensons pas : ce que nous demandons ici n'est aucunement la remise en cause du régime des zones franches, mais simplement l'application normale des Traités internationaux. Car c'est la condition sine qua non pour sauvegarder le marché libre genevois, et donc la prospérité (actuellement compromise) de notre région. Et pour ce, nous savons que notre gouvernement cantonal dispose d'un certain nombre d'arguments. Nous lui demandons par la présente de les utiliser comme jusqu'ici avec courtoisie, mais dorénavant avec plus de fermeté. Car jusqu'ici, celui qui s'est montré faible à toujours finit par avoir tort, et cela fait trop longtemps que ça dure. Nous devons respecter nos partenaires, mais nous devons aussi nous faire respecter.

C'est pour toutes ces raisons que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter ce projet de motion et de le renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

M. Claude Blanc (PDC). Nous vous présentons un projet de motion demandant au Conseil d'Etat d'entreprendre les démarches utiles pour que notre canton puisse se faire respecter en faisant respecter les accords internationaux toujours en vigueur, quoi qu'en pense le gouvernement français.

L'exposé des motifs rappelle que les traités de Paris et de Turin ont prévu que la zone entourant Genève serait une zone franche. Ils ont obligé la France à établir un cordon douanier supplémentaire qu'elle a abandonné. Elle ne peut donc plus vérifier si les produits entrant en Suisse, en franchise de douane, viennent de la zone ou d'ailleurs. Une de nos revendications est de pouvoir procéder à cette vérification et prendre des mesures pour que des ananas de la Martinique ne nous parviennent pas en franchise, sous prétexte d'avoir été produits dans la zone franche.

D'une manière générale, les Français sont bien contents de bénéficier de ce régime dans la mesure où leur agriculture limitrophe peut livrer à Genève plusieurs produits, notamment du lait en grande quantité, chargeant ainsi le marché suisse. En revanche, ils nous refusent la contrepartie, c'est-à-dire l'exportation facilitée de certains de nos produits, car il est faux de dire qu'ils sont plus chers, alors qu'à qualité égale ils coûtent le même prix, voire moins. Cela vaut, notamment, pour certaines spécialités viticoles qui seraient appréciées des Français si nous pouvions les exporter librement dans la zone franche.

Les Français se retranchent derrière le traité de l'Union européenne pour dire que ses règles s'appliquent partout, même dans la zone franche, alors que c'est faux. Le traité de Rome prévoit expressément, à son article 234, que les traités anciens ne sont pas abolis par le traité instituant l'Union européenne.

Nous demandons donc au Conseil d'Etat de montrer ses muscles. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous parlons de ces problèmes et que l'on nous promet d'en discuter avec nos amis français. Il est vrai que l'on discute souvent et beaucoup. Il est vrai aussi que l'on s'entretient fort courtoisement et que l'on fait quelques gueuletons mémorables. Mais il est plus vrai encore que l'on en reste au niveau des paroles, que nous sommes toujours demandeurs, les Français ne voulant rien accorder.

Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin en ce qui concerne les négociations sur les transports publics. Nos amis français sont bien d'accord que nous réalisions des transports publics entre eux et nous pour autant que nous assumions la majeure partie de la charge.

Nous devons parler un autre langage. En un mot, nous devons nous faire respecter car si une partie, lors d'une négociation internationale, abandonne l'idée de se faire respecter, il est évident qu'elle ne le sera pas.

Notre motion demande simplement que le Conseil d'Etat utilise un langage plus ferme. Il a les moyens de le faire, car il a suffisamment d'atouts dans sa manche pour montrer aux Français qu'il existe et que nous ne sommes pas là pour nous conformer aux diktats de Paris.

Ce matin, vous avez pu lire dans «Le Temps» que Berne - une fois de plus ! - ne se préoccupe pas beaucoup de cette affaire. M. Jacques Besson, haut fonctionnaire au Département fédéral de l'économie publique, confie au «Temps» que ce n'est franchement pas le moment de réactiver tout cela au niveau gouvernemental. Pourquoi ? Parce que l'on en est aux négociations bilatérales et que pour en faire passer le maximum - de toute manière, ces négociations n'aboutiront pas ! - on est prêt à toutes les bassesses, on est prêt à abandonner Genève. Cela, nous ne pouvons l'accepter !

Par conséquent, nous vous demandons de faire pression sur notre gouvernement pour qu'il se fasse respecter par la partie adverse.

M. David Hiler (Ve). Nous comprenons les inquiétudes et l'irritation des paysans genevois. Néanmoins, nous avons quelques doutes quant à l'opportunité de la démarche proposée.

Je n'entrerai pas dans les détails, le but de mon intervention étant de faire renvoyer cette motion en commission.

J'estime, en effet, qu'il y a encore beaucoup de travail à faire sur l'interprétation des traités avant de voter la motion. En outre, un ton belliqueux ne me paraît pas approprié pour aboutir, d'une part, et pour mener la politique régionale souhaitée par M. Lamprecht, d'autre part, politique pour laquelle il consent bien des efforts.

Je ne crois pas que nous puissions nous moquer de ce que pense la Confédération, dire que les négociations bilatérales sont sans intérêt. Certes, le sort des paysans genevois nous tient à coeur, mais pour en traiter nous devons considérer le problème dans son ensemble. Si les diplomates de la Confédération estiment que le moment n'est pas venu d'ouvrir le dossier, il vaut quand même la peine de les entendre et ne pas les taxer d'emblée de mollesse et de défaitisme.

Pour toutes ces raisons, il nous est impossible de voter cette motion aujourd'hui et de la renvoyer au Conseil d'Etat. Par contre, le problème étant réel, nous sommes d'accord de voter un renvoi en commission afin que les députés disposent d'une information plus complète pour agir avec sagacité et atteindre le but qu'ils poursuivent.

M. Louis Serex (R). J'aurais cinquante, voir cent raisons de vous inciter à soutenir cette motion ! Je me bornerai à l'essentiel après avoir écouté le brillant exposé de mon collègue Blanc et l'exposé raisonnable de mon ami Hiler.

Pour vous faire comprendre l'exaspération des vignerons et des agriculteurs, je me contenterai de vous lire le témoignage d'un vigneron de Dardagny, Guy Ramu, pour ne pas le nommer :

«Les réactions douanières françaises sont aussi différentes qu'inattendues envers les exportations de vins suisses. La pire de mes expériences s'est déroulée, il y a environ deux ans, à la douane de Meyrin/CERN où je me présentais avec huit vins différents destinés à un salon de vins à Thoiry, à trois kilomètres de la douane. Cela représentait environ trente-cinq cartons pour lesquels j'avais dû me procurer pas moins de huit documents, attestations et certificats divers, chacun auprès d'une administration différente : bulletins d'analyses de Changins, permis d'exportation, formulaire de douane UR1, formulaire de douane suisse, statistiques, l'acquit, acheté la veille à Gex, autorisant le transport du vin sur territoire français, le papier du transitaire garantissant le paiement de la TVA, la facture en trois exemplaires et la confirmation de mon inscription à ce salon. Le chef du bureau, en regardant les bulletins d'analyses de la station fédérale de Changins, me demande de patienter. Il revient une heure après en me disant que ces vins sont impropres à la consommation, car les analyses révèlent un taux d'acidité trop bas par rapport aux normes CEE. Inquiet, je téléphone à Berne qui me certifie que les permis sont conformes et qu'il existe un accord entre la Suisse et la CEE en ce qui concerne les acidités des vins suisses, accord que je me fais faxer. Le douanier dit qu'il n'en a rien à faire et que ce n'est pas la petite Suisse qui va dicter ses lois à la grande Union européenne. Ensuite, il trouve encore un défaut sur mes étiquettes, ce qui le décide, après cinq heures et demie de temps, à me confisquer les cartons jusqu'à nouvel avis et à envoyer en analyse trois bouteilles de chaque vin à Paris. Je n'ai jamais pu participer à ce salon. Mes vins sont restés bloqués trois mois et les analyses se sont révélées conformes.»

Voilà pourquoi les vignerons et les agriculteurs demandent à nos ministres des affaires étrangères d'intervenir et de se pencher vraiment sur le problème. Néanmoins, ne vous penchez pas trop, Monsieur le ministre, sinon vous allez tomber ! (Rires.)

Nous souhaitons que cette charmante assemblée fasse le nécessaire pour que nous allions de l'avant. Merci !

M. René Longet (S). Je regrette le ton extrêmement agressif de M. Blanc; il est de nature à brouiller les cartes dans ce dossier.

Monsieur Blanc, si vous voulez agresser les autorités fédérales, toutes les autorités françaises, de la région jusqu'à Paris, en passant par le département, vous dresserez une série d'obstacles qui empêcheront toute adhésion à vos propositions.

J'ai signé cette motion parce que j'estime, comme M. Hiler, que le problème est réel et démontré; qu'il faut témoigner des chicanes et des complications; qu'il nous appartient à nous, parlement cantonal, de transmettre cette analyse en étant solidaires de ceux qui subissent cette situation. En revanche, il ne nous appartient pas d'en rajouter verbalement et d'opposer ce dossier à celui des négociations bilatérales. Ce n'est pas une bonne argumentation et je la regrette.

Cela ne m'empêche pas de trouver cette motion opportune et nécessaire. Parfois les rouages et les complications des différents niveaux bureaucratiques sont tels, Monsieur Hiler, qu'il faut parler haut et fort pour qu'un faible écho «atterrisse» derrière les portes capitonnées des divers ministères où se déroule la négociation.

En l'occurrence, le sens politique me semble assez simple. D'une part, un problème réel nous est soumis et nous devons aider à sa solution. D'autre part, il y a le projet de la création progressive de la région qui nous tient très à coeur. Pour avoir souvent travaillé avec d'autres sur des projets tendant à donner plus de contenu et de substance à cette idée de région, qui doit exister en tant qu'entité juridique, j'estime que tout instrument est bon à prendre pour autant qu'il permette de relativiser la frontière, de résoudre des problèmes au-delà et de créer des passerelles.

Les zones franches représentent un instrument du XIXe siècle pouvant contribuer à la construction de la région du XXe siècle. Si quelque chose est bon à prendre au XIXe siècle, il faut nous en emparer.

C'est dans ce sens que j'ai souscrit à ce texte. M. Blanc ayant donné son interprétation, je vous ai donné la mienne.

M. John Dupraz (R). Le problème n'est pas nouveau. Si M. Hiler trouve le ton de la motion un peu vif, il faut savoir que les paysans genevois sont exaspérés par l'attitude des autorités françaises. Je m'en explique.

L'autorité française fait valoir systématiquement les règles de l'Union européenne concernant les zones franches, si bien que les produits des Genevois n'entrent pas en France voisine, alors que nous, qui appliquons les règlements à la lettre et à la virgule, laissons entrer chez nous les produits français.

La situation économique est bien plus dégradée dans le secteur agricole que dans d'autres. Elle devient souvent intenable et les agriculteurs genevois en ont marre.

Nous devons aller en commission entendre les uns et les autres. Nous devons renouer le dialogue et faire comprendre à nos collègues français que chacun doit trouver son compte dans un accord. D'où la remarque que je me permets de faire à M. Carlo Lamprecht, nouveau chef du département de l'économie publique :

Vous dites, Monsieur Lamprecht, souhaiter une région disposant de pouvoirs décisionnaires. Ne faudrait-il pas d'abord faire fonctionner ce qui existe ? Si vous désirez réaliser une nouvelle structure, dotée de pouvoirs décisionnaires applicables de part et d'autre de la frontière, je vous souhaite bon courage ! Il vous faudra cent ans pour y parvenir !

Si mes informations sont exactes, je crois savoir que le département de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement et de l'énergie n'est pas resté inactif. Il a eu des contacts avec la direction départementale de l'agriculture et des forêts pour mettre sur pied une commission paritaire de travail, sous l'égide des deux chefs de service responsables de l'agriculture à Genève et en Haute-Savoie. Cette commission devra examiner les points de litige, les points de convergence, et formuler des propositions concrètes.

Il faut que la commission se mette au travail dans les plus brefs délais pour présenter des propositions concrètes convenant aux deux parties. Actuellement, les responsables politiques et les responsables de la défense professionnelle dans le secteur primaire contrôlent la situation, mais s'il ne se passe rien d'ici l'automne prochain au niveau régional, ils ne répondront plus de rien. Nous devons passer des accords régionaux et notifier ensuite notre volonté à Berne et à Paris.

M. Claude Blanc (PDC). Je me rallie évidemment à la proposition de renvoi de la motion à la commission, la plupart des députés n'ayant pas une connaissance suffisante du dossier.

Mon excellent collègue Longet m'a reproché, au début de son intervention, mes propos extrêmement belliqueux et l'a terminée en disant «qu'il faut parler haut et fort pour qu'un faible écho «atterrisse» derrière les portes capitonnées des divers ministères».

En fait, je ne demande pas autre chose. Notre langage diffère parce que vous avez l'habitude des bureaux capitonnés où l'on ne doit pas élever la voix pour ne pas réveiller ceux qui y travaillent. Quant à moi, je n'ai pas l'habitude des bureaux capitonnés et quand je veux réveiller les gens, je gueule !

Je vous assure qu'il vaut mieux gueuler ici que d'attendre que ça gueule aux frontières, car je sais que des plans sont en cours pour passer à une action que je qualifierais de musclée.

Par conséquent, parlons-en ici, avant qu'une action musclée se déroule dans nos rues et aux frontières !

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Le problème abordé par cette motion est extrêmement sérieux et préoccupe, à juste titre, le monde agricole genevois.

Le Conseil d'Etat estime souhaitable et normal que nous puissions discuter de la question des zones franches aussi bien dans cette enceinte qu'au sein d'une commission.

Le Conseil d'Etat n'est pas resté inactif et M. John Dupraz est bien placé pour le savoir. Le département dont j'ai la charge a pris divers contacts, au niveau du service de l'agriculture, avec ses homologues français. C'est ainsi que le responsable du service de l'agriculture de Genève a rencontré son homologue de la direction départementale de l'agriculture à deux reprises pour savoir s'il était possible, au niveau des agriculteurs genevois, de trouver des solutions de terrain pour gérer nos zones franches.

A un niveau plus institutionnel, mon collègue Carlo Lamprecht et moi-même avons pris l'initiative de demander aux autorités fédérales la réunion de la délégation suisse auprès de la commission mixte franco-suisse, chargée de gérer l'application du traité sur les zones franches. Cette réunion s'est tenue à Genève et c'est un événement ! Une telle réunion n'avait plus eu lieu depuis 1982.

Lors de cette réunion, présidée par un ambassadeur, la Confédération était représentée à un niveau élevé. Y assistaient des représentants fédéraux des associations agricoles suisses, des hauts fonctionnaires des administrations fédérales des douanes et de l'économie.

Lors de cette réunion - dont je voudrais vous parler plus longuement en commission - il est ressorti que la meilleure chance de régler rapidement et efficacement la question des zones franches était d'entretenir un dialogue régional et surtout d'éviter de la faire remonter au niveau des rapports d'Etat à Etat pour que nos discussions n'interfèrent pas avec les négociations bilatérales et lèsent ainsi les intérêts supérieurs de la Confédération.

Il s'agit de savoir ce que l'on veut, c'est-à-dire favoriser des solutions ou favoriser des gesticulations. Il va sans dire que le Conseil d'Etat souhaite favoriser des solutions, cela dans l'intérêt de l'agriculture genevoise.

Le message que j'aimerais faire passer dans cette enceinte publique est celui-ci : actuellement, toute gesticulation irait à fin contraire du but recherché. Je comprends l'exaspération des uns et des autres. Je comprends le besoin d'action des uns et des autres. Cependant, je vous avertis solennellement que si ce besoin d'action devait se traduire par des manifestations alertant les autorités françaises au niveau national, il en résulterait le verrouillage complet des discussions que nous pouvons tenter au niveau régional. Ce verrouillage complet serait extrêmement préjudiciable à l'agriculture genevoise, car nous n'abordons pas en position de force les discussions relatives à la sentence de Territet, les conventions qui nous lient ayant pour but, au départ, de favoriser l'exportation des produits de la zone de France en Suisse et pas l'inverse.

Nous essayons d'obtenir certains aménagements, nous tentons de trouver des solutions. Nous souhaitons y parvenir avec le concours du monde agricole. D'ailleurs la réunion précitée a été préparée très longuement avec les représentants de l'agriculture genevoise, notamment avec la Chambre genevoise d'agriculture. Les rencontres qui ont eu lieu avec la direction départementale de l'agriculture ont été organisées en étroite collaboration avec les agriculteurs genevois. Nous devons continuer d'oeuvrer dans cet esprit.

Autant je pense que le débat d'aujourd'hui est nécessaire et légitime, autant je pense qu'il faut se garder de toute gesticulation. Renvoyez cette proposition de motion en commission, de sorte que tous ensemble - le Conseil d'Etat, le Grand Conseil et les milieux concernés - nous suivions l'évolution de ce dossier.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires communales et régionales.