Séance du
jeudi 19 février 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
5e
session -
6e
séance
M 1185
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ayant observé une dégradation des soins prodigués dans certains services de l'Hôpital cantonal (notamment en pédiatrie, maternité, policlinique de chirurgie et service des urgences) et suite aux plaintes qui ont été déposées auprès de la commission de surveillance des activités médicales, nous devons malheureusement constater que la qualité des soins n'est plus garantie.
Ces faits ont par ailleurs été soulevés lors d'une récente émission de la Télévision suisse romande.
En effet le personnel soignant étant en sous-nombre, il ne peut faire face de manière adéquate à la prise en charge et aux soins. Il s'est avéré que des personnes peu expérimentées ou qui n'ont pas les compétences nécessaires ou sans supervision, doivent prendre en charge des cas lourds avec toutes les conséquences que chacun-e peut imaginer tant pour les patients-es que pour le personnel.
Pour ces motifs, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir cette motion.
Débat
Mme Dolores Loly Bolay (AdG). Les dysfonctionnements de certains services de l'hôpital cantonal ne sont plus un secret pour personne. La qualité des soins se dégrade de jour en jour. Il faut faire plus avec moins, ce qui est contraire aux critères de qualité prévus dans le cadre de la planification sanitaire.
Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés, en Suisse, à une dégradation progressive de la situation économique et sociale. La récession économique a entraîné une poussée du chômage dont le taux a triplé à Genève entre 1991 et 1997. Environ dix-sept mille personnes sont au chômage, soit près de 8% de la population active.
Il est reconnu qu'une période de chômage constitue une rupture sociale, laquelle entraîne la dégradation de la santé et il est impératif de prévenir, autant que possible, les effets délétères de cette précarisation de la santé.
Par ailleurs, de très nombreux assurés ont dû renoncer, faute de moyens, à leur assurance complémentaire.
Face à tous ces constats, nous devons réagir pour garantir à tous l'égalité d'accès aux soins. Il faut assurer la qualité et la continuité des soins donnés et des services rendus, lesquels doivent être soumis à une évaluation régulière.
Vouloir diminuer les effectifs à l'hôpital cantonal, c'est aller à l'encontre même des critères de qualité.
Les responsables de certains services et des chefs-infirmiers nous l'ont appris : le pool infirmier qui englobe l'ensemble du personnel soignant de l'hôpital cantonal et qui doit faire face aux absences du personnel - vacances, accidents, maladies, congés maternité - à l'heure actuelle ne peut répondre qu'à 40% de la demande.
Dans le département de chirurgie, composé de la clinique de chirurgie, de l'orthopédie et du bloc opératoire, il manque au moins trente infirmières. Ce département donne de trente mille à trente-cinq mille consultations par an !
Aux soins intensifs de chirurgie et de médecine, on note un manque sérieux d'instrumentistes formés.
A la policlinique de chirurgie, les deux tiers des consultations ne sont plus assumées par les infirmières. Dans ce même département, il y a eu dix mille consultations de plus sans que le personnel ait été augmenté. Quatre infirmières s'occupent chaque jour d'une trentaine de patients.
En pédiatrie, le problème se pose avec autant d'acuité. Le déficit journalier est de 37% selon le PRN - le bilan quotidien dressé dans chaque département de l'hôpital cantonal - taux établi sur la base des données suivantes : cinquante-huit mille consultations en 1996 et 5,3% de plus en 1997; une augmentation de 17,3% du nombre d'enfants de 0 à 4 ans et une augmentation de 20,4% des enfants de 5 à 9 ans, soit environ mille enfants de plus; et une augmentation de 5% des entrées en urgence. Certes, douze nouveaux postes ont été subventionnés en 1996, mais les autres postes supplémentaires ont été financés par ce service dont l'activité est en très forte croissance.
Par conséquent, la qualité des soins se perd. Le personnel est désabusé. La dégradation des soins se fait ressentir chez les patients qui se plaignent pour plusieurs motifs : non-disponibilité du personnel soignant, personnel stressé et fatigué; absence d'informations ou communication lacunaire; longueur des délais d'attente; absence de surveillance; manque de suivi, manque d'encadrement et de supervision; dossiers égarés, etc.
Un travail bâclé engendre des risques. Bien des infirmières se plaignent de devoir fournir un travail médiocre en dépit de leur dévouement sans conteste. Mais à l'impossible nul n'est tenu !
Il est donc impossible, actuellement, d'assurer des soins de qualité. Pourtant, cette qualité est indispensable, elle ne saurait être distribuée au rabais.
Par ailleurs, un des critères de sûreté est d'assurer celle-ci par la prévention. L'efficacité et la qualité du système résultent étroitement de la motivation du personnel. Cette motivation et la satisfaction du patient sont liées. Avoir la première, c'est forcément obtenir la seconde.
Il est temps de tirer la sonnette d'alarme et de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Certains départements de l'hôpital cantonal ont besoin de plus d'effectifs. C'est pourquoi nous demandons l'attribution immédiate de cent cinquante trois postes. C'est le but de cette motion que je vous invite à renvoyer au Conseil d'Etat.
M. Pierre-Alain Champod (S). Jusqu'à tout récemment, Genève était réputée pour la qualité de ses hôpitaux. Or, depuis quelque temps, nous entendons des critiques concernant la qualité des prestations offertes aux patients hospitalisés.
L'augmentation de ces critiques va de pair avec la diminution du personnel, notamment du personnel soignant. Il convient, en effet, de distinguer le personnel administratif du personnel soignant. Lors de précédents débats, nous avons déjà eu l'occasion de vous faire part de nos préoccupations concernant cette évolution.
Tout récemment encore, une personne m'a exposé les problèmes qu'elle avait rencontrés à la suite de l'hospitalisation de son fils en pédiatrie. Ses doléances rejoignaient celles exprimées dans l'émission TV sur la clinique de pédiatrie, émission à laquelle fait référence l'exposé des motifs de la motion.
Les dysfonctionnements constatés sont étroitement liés à la diminution du personnel.
Nous devons également rappeler que la réduction de la durée d'hospitalisation - une bonne chose en soi - a pour corollaire la nécessité de dispenser des soins plus importants. La diminution du nombre de patients ne va donc pas de pair avec l'allégement de la charge de travail.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
M. Armand Lombard (L). Cette proposition de motion est importante. Elle concerne des problèmes de fond qui ont retenu l'attention de notre groupe.
La santé est un fait de société qui nous intéresse tous et la qualité des soins, évoquée dans la motion, constitue un objectif consensuel.
Heureusement ou malheureusement, je ne sais trop, l'intervention intelligente de Mme Bolay a compensé la nullité de la motion. Ce texte est par trop indigent et affligeant ! Il ne parvient même pas à rendre ce problème intelligible à des députés chevronnés, même s'ils sont de milice.
On ignore tout des quinze millions en jeu. Je ne suis pas un spécialiste de la «chirurgie» informatique, mais choisir le caractère le plus petit pour compliquer encore les choses n'est pas admissible.
On devrait veiller, dans ce Grand Conseil, à ne pas présenter de tels textes. Ils sont négatifs et inutiles pour les personnes désireuses de s'informer. Notez la différence qui existe entre ce mauvais papier et le brillant exposé de Mme Bolay !
Je dois avouer ne pas me soucier des problèmes de l'hôpital autant que Mme Bolay. Dans les milieux que je fréquente, sans doute moins informés que les vôtres, Madame, je n'ai pas entendu parler d'une baisse dramatique de la qualité des soins, d'horreurs, de salles de plus en plus sinistres, de patients de plus en plus malades. Pour moi, l'hôpital cantonal reste un endroit où je me rendrai, si nécessaire, avec tout de même un fonds de confiance.
En revanche, Madame, la chute de votre intervention est épouvantable en matière de gestion étatique. Demander d'attribuer cent cinquante trois postes pour tout remettre en place, quinze millions, hardi les gars ! Pourquoi pas cent cinquante ou cent cinquante-cinq millions ? Mettez le paquet et rétablissez tout, Monsieur Segond, puisque vous avez des sous.
C'est tout simplement impossible, Mesdames et Monsieur les motionnaires ! Quand on est de la majorité, et qu'on pense la mériter, il est inimaginable de promouvoir de telles structures et de présenter de telles propositions !
La gestion des fonds pour ces lits est de la compétence du Conseil d'Etat. Je comprends fort bien qu'on lui propose ou qu'on lui demande quelque chose, mais je trouve inadmissible, petit et nul que M. Champod argue d'une émission de télévision pour prétendre que tout cela vaut bien 15 millions que le Conseil d'Etat n'a qu'à fourrer dans nos poches !
C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cette motion alors que sur le fond nous n'y sommes pas opposés. Nous la refuserons d'entrée et à tout jamais.
M. Pierre Froidevaux (R). Renchérissant sur les propos de M. Lombard, je rappelle que nous avons assisté, ces derniers temps, à une réduction linéaire de 2% des effectifs, réduction imposée par l'état de nos finances publiques. Cela ne veut pas dire que cette façon de réduire les déficits a toujours été judicieuse. Elle a favorisé l'émergence de services pléthoriques, alors que ceux qui se sont toujours comportés de manière raisonnable vis-à-vis du contribuable, comme le service du docteur Unger déjà cité, se trouvent aujourd'hui en sous-effectif.
Cent cinquante-trois postes supplémentaires ont été inscrits dans le budget 1998. Par conséquent, ils existent d'ores et déjà. Pour autant, il ne faut pas les vilipender pour les distribuer à ceux qui crient le plus, Monsieur Champod ! Montrons, au contraire, ce que nous avons appris : les postes ne seront pas simplement repourvus, ils feront partie d'un pool pour être analysés, puis attribués aux plus efficients. A cette condition, nous sommes disposés à soutenir cette motion et à la renvoyer directement au Conseil d'Etat.
En revanche, si l'Alternative entend nous transformer en chefs du personnel, nous ne participerons pas à cette mascarade. Nous ne pouvons pas outrepasser la définition des objectifs et l'attribution des moyens. Or les objectifs des motionnaires sont déjà étudiés par la commission de la santé et la commission des affaires sociales. Les moyens ont été votés.
Si notre Grand Conseil devait, en plus, gérer le personnel, comme le propose Mme Bolay, alors bonjour les dégâts !
M. Gilles Godinat (AdG). Nous sommes évidemment conscients que nous ne vivons pas dans le tiers-monde ou dans les pays de l'Est. Il n'empêche que la situation devient inquiétante dans nos hôpitaux.
Nous avons fait le choix, et je comprends que certains le critiquent, d'un exposé des motifs succinct pour ne pas entrer dans le détail des chiffres que nous projetions d'exposer en plénière.
Permettez-moi quelques commentaires sur la psychiatrie. Par rapport aux cinquante-huit lits attribués au secteur est, on a dû augmenter le nombre de lits dans les unités. D'où un taux d'affectation de 112% et un taux d'occupation de 110% pour le secteur Est. Dans le secteur Ouest, le taux d'occupation des lits est de 119%. Les lits ont donc augmenté, mais pas les effectifs. Par conséquent, les conditions de travail se sont dégradées.
Je ne polémiquerai pas à propos des récents et assez graves incidents survenus à la clinique. Le rapport du conseil de surveillance psychiatrique nous éclairera sur les conditions dans lesquelles les soins sont dispensés dans les hôpitaux publics de psychiatrie de ce canton.
En psychogériatrie, le chiffre admis était de quinze patients par unité. Actuellement, la moyenne est de dix-neuf, alors que le nombre des soignants est resté le même, voire a diminué. Le mouvement des patients, en psychogériatrie, a doublé en quelques années. Cela signifie que les équipes doivent assumer le double de travail !
Certes, ce n'est pas encore dramatique, mais il y a de quoi être préoccupé !
Nous voulons que le pool de ces cent cinquante-trois postes ne soit pas qu'une indication sur un papier. Ces postes doivent être attribués. Nous ne voulons pas nous substituer au comité de gestion des différents départements, nous sommes conscients de notre fonction de parlementaire. Notre rôle, en revanche, est de donner un signe politique clair au Conseil d'Etat pour qu'il tienne compte de la dégradation actuelle et qu'il attribue les postes là où ils sont nécessaires de toute urgence.
Mme Louiza Mottaz (Ve). Je me bornerai à citer M. Segond qui, dans un courrier du mois de janvier, nous rappelle que le nombre de postes accordés en 1998 aux hôpitaux universitaires de Genève est identique à l'effectif 1997. Pour en fait, plus loin, préciser que l'effectif global se répartit en une dotation ordinaire de 7563 postes et une autre, extraordinaire, de 153 postes.
Cette dernière est placée sous la responsabilité exclusive de la direction générale du personnel qui l'affectera entre autres, je cite, «aux projets prioritaires définis par les projets de services acceptés, sur préavis du comité de pilotage, par le comité de direction».
Le texte ne précise pas s'il y a un pilote dans l'avion...
Mesdames et Messieurs, essayons plutôt d'éviter le crash en redonnant au personnel de terrain, qui a besoin de stabilité pour accomplir sa mission, les cent cinquante-trois postes qui lui sont nécessaires.
Gardons le qualificatif d'extraordinaire pour les soignants qui subissent, actuellement, une dotation ordinaire fort dangereuse pour la qualité des soins.
Nous vous remercions de soutenir cette motion.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Je rappelle quelques faits à ce Grand Conseil, notamment l'évolution des hôpitaux universitaires de Genève au cours de ces six dernières années.
Pendant cette période, le nombre de lits a diminué de 15% et le nombre de journées d'hospitalisation de 13%. Le nombre de postes de personnel, lui, n'a diminué que de 6%.
Contrairement à ce que j'entends dire ici et là, les réductions de personnel n'ont pas été opérées de façon linéaire : elles ont frappé les secteurs administratif et technique plus que les secteurs médical et de soins.
Ces chiffres, qui révèlent une diminution significative du nombre de lits hospitaliers et du nombre de journées d'hospitalisation, ne rendent pas compte de tous les phénomènes. Pour l'essentiel, ils s'expliquent par le développement de l'aide et des soins à domicile, voulu par la population, et par l'évolution des soins, notamment le développement de l'ambulatoire.
Les hôpitaux universitaires genevois ne sont cependant pas au bout de leur peine. Selon le surveillant des prix et le Conseil fédéral - qui fixe sur recours les tarifs hospitaliers - les hôpitaux universitaires genevois sont toujours surdotés : le taux d'occupation des lits est supérieur à celui retenu par la VESKA. De plus, la durée moyenne des séjours par cas est encore, à Genève, trop longue.
Dans le cadre de la discussion sur le projet de budget 1998, il est exact que, sur proposition du nouveau Conseil d'Etat, le Grand Conseil a rétabli, pour 1998, un effectif identique à celui de 1997 dans l'administration cantonale et les établissements hospitaliers. Au mois de décembre, nous vous avons expliqué que nous procéderions de la même manière et pour l'administration cantonale, et pour les hôpitaux universitaires de Genève : les postes ne seraient pas restitués systématiquement aux services qui les avaient supprimés, mais ils seraient réaffectés en fonction des besoins prioritaires.
C'est d'ailleurs ce que le Grand Conseil a décidé en réaffectant une trentaine de postes à l'administration fiscale et non aux services qui les avaient supprimés.
Nous procédons de même dans les hôpitaux universitaires de Genève : nous ne réallouons pas ces postes systématiquement aux services qui les ont supprimés, mais nous saisissons l'occasion rare d'avoir une dotation de cent cinquante-trois postes pour procéder à leur réaffectation. Tous les quinze jours - il ne saurait y avoir de contrôle plus serré ! - les décisions seront communiquées au Bureau du conseil d'administration dans lequel sont représentés les partis de l'Entente et de l'Alternative avec, de surcroît, un représentant élu du personnel qui, vous l'imaginez, porte toute son attention à l'attribution de ces postes.
Il n'est nullement dans l'intention du Conseil d'Etat et du conseil d'administration de faire disparaître ces postes. En revanche, le conseil d'administration et la direction des hôpitaux universitaires ont la ferme intention de procéder à une réallocation des moyens, notamment dans le cadre des projets de services.
Madame Bolay, je vous ai écoutée avec attention. J'ai mon idée sur ce qui a été dit à la télévision à propos de l'hôpital des enfants, qui a reçu cinquante postes supplémentaires ces vingt-quatre derniers mois. Seuls quelques postes ont été affectés au service de soins pour des raisons qui m'échappent, mais que je suis en train d'investiguer pour savoir exactement ce qui a été fait de ces postes, qui a décidé de leur affectation et si certains ou certaines se sont servis en priorité.
En écoutant votre description de l'hôpital cantonal, j'avais aussi l'impression, Madame Bolay, d'être plus près de l'enfer que de la réalité genevoise. Permettez-moi de vous rappeler que la dépense annuelle des hôpitaux - subventions et caisses-maladie - s'élève à un milliard de francs.
A entendre la description de tout ce qui ne va pas dans tous les services, toutes les cliniques, tous les départements, je me demande où peut bien passer ce milliard !
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion (1185)visant à engager le personnel nécessaire afin de pallier aux dysfonctionnements dans certains services des hôpitaux universitaires de Genève
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- la surcharge de travail dans certains services de l'Hôpital cantonal notamment la Pédiatrie, la Maternité, la Policlinique de chirurgie et le service des urgences ;
- la décision du Grand Conseil lors du vote du budget 1998 de maintenir les effectifs au niveau de 1997 ;
- Les critères de qualité qui doivent être respectés dans un établissement hospitalier ;
invite le Conseil d'Etat
- à attribuer les 153 postes des HUG, rétablis pour 1998, dans les plus brefs délais afin de garantir la qualité de prise en charge et de soins.