Séance du
jeudi 22 janvier 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
4e
session -
1re
séance
PL 7760
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 188, est modifiée comme suit:
1re partie
Titre II B (nouveau)
Impôt sur les gains en capitaux
Art. 91 B (nouveau)
1 L'impôt sur les gains en capitaux a pour objet les bénéfices résultant de l'aliénation de titres d'une personne physique ou morale astreinte au paiement d'impôts directs dans le canton. Sont notamment considérés comme aliénation ou assimilés à celle-ci: le remboursement d'obligations, la vente, l'échange, l'apport à une société, le transfert de la fortune privée dans la fortune commerciale, la cession d'un droit d'emption et l'indemnité touchée à titre de dédit.
2 Sont assimilés aux titres, les obligations, les participations à des fonds de placement, les obligations à option et les instruments financiers dérivés.
Art. 91 C (nouveau)
1 L'impôt n'est pas dû lorsque l'aliénation résulte:
a) d'une donation, d'un décès, d'une déclaration d'absence, d'un contrat de mariage ou d'une liquidation de régime matrimonial; hormis l'aliénation résultant d'un décès, lors de l'aliénation suivante, l'aliénateur est censé avoir acquis les titres à la date et au prix où ils étaient entrés dans le patrimoine de celui dont il les a reçus;
b) de l'adjudication de titres ensuite de poursuite, de réalisation de gage ou de faillite, lorsque les créanciers saisissants, gagistes ou admis définitivement à l'état de collocation ne sont pas entièrement payés;
c) de la revente par le créancier qui a acheté des titres et obligations à son débiteur ensuite de faillite ou de réalisation de gage, pour se couvrir de sa créance si celle-ci n'est pas complètement éteinte par le prix de vente.
2 L'impôt n'est pas perçu:
a) sur les bénéfices réalisés dans l'exercice d'une activité professionnelle, lorsque ces revenus sont soumis à l'impôt sur le revenu ou le bénéfice net;
b) sur les bénéfices que réalise l'aliénateur sur des actions ou parts de sociétés, lorsque leur aliénation est soumise à l'impôt spécial sur certains bénéfices immobiliers.
Art. 91 D (nouveau)
La valeur d'aliénation des titres est égale au prix de vente, de cession ou de remboursement, mais au minimum à la valeur vénale.
Art. 91 E (nouveau)
La valeur d'acquisition des titres est égale au prix d'achat, mais au maximum à la valeur vénale au moment de leur acquisition.
Art. 91 F (nouveau)
1 Le bénéfice imposable est égal à la différence entre la valeur d'aliénation définie à l'article 91 D et la valeur d'acquisition fixée à l'article 91 E, sans les déductions prévues à l'article 21, mais augmentée des dépenses effectuées:
a) pour les commissions et les frais de courtage payés pour l'achat et la vente;
b) pour les frais d'enchères.
2 Les dépenses d'administration ne sont pas prises en considération.
Art. 91 G (nouveau)
1 Le montant du bénéfice est ajouté au revenu et imposé au taux ordinaire de l'impôt sur le revenu des personnes physiques lorsque les titres ont été détenus pendant moins de 1 an.
2 L'impôt est perçu sur le montant du bénéfice net, calculé conformément à l'article 91 F, aux taux suivants:
a) 25% lorsque les titres ont été détenus pendant plus de1 an et moins de 18 mois;
b) 17% lorsque les titres ont été détenus pendant 18 mois et plus ;
c) 7% lorsque les titres ont été détenus pendant 18 mois et plus et que le revenu imposable du contribuable est inférieur à 60 000 F pour la même année civile;
d) il n'est pas perçu de centimes additionnels.
Art. 91 H (nouveau)
1 Les pertes subies pendant la même année civile peuvent être déduites jusqu'à un montant de 10 000 F pendant la même année civile. Elles sont dans un premier temps déduites d'autres gains en capitaux éventuels et dans un deuxième temps, elles sont admises comme report sur les années suivantes.
2 L'imputation s'opère aux taux de l'article 91 G.
Art. 91 I (nouveau)
Toutes les opérations visées à l'article 91 B effectuées pendant la même année civile doivent être déclarées de manière détaillée au département en y joignant les pièces justificatives. La déclaration doit être jointe à celle relative à l'impôt sur le revenu et sur le capital.
Art. 2
La présente loi entre en vigueur le ... (à préciser).
EXPOSÉ DES MOTIFS
1. Généralités
Depuis plusieurs années, nous assistons à une modification de la rémunération des différents facteurs de production. En effet, c'est désormais le capital qui est de mieux en mieux rémunéré.
Dans la situation difficile de nos finances publiques, nous devons trouver les ressources pour financer les tâches du service public et pour désendetter progressivement l'Etat. Or aujourd'hui, l'ensemble des forces politiques du canton affirment qu'il est inacceptable d'augmenter la fiscalité liée au revenu du travail. Il est donc prépondérant de chercher ces ressources là où elles se trouvent et là où une augmentation de la charge sera la moins douloureuse pour l'ensemble de la population. Celles et ceux qui disposent de capitaux, et sont par conséquent en mesure de profiter de gains en capitaux, ne peuvent être défini-e-s comme une catégorie dans le besoin.
Au cours des dernières années, la part du revenu des capitaux dans le PIB de l'ensemble des pays occidentaux a augmenté sensiblement par rapport à la part revenant aux autres facteurs de production. On estime par exemple que la bourse de Zurich a connu une progression de 330% en 5 ans, alors que les revenus du travail stagnent, voire baissent, et que les licenciements se multiplient.
Bien que les gains en capitaux en valeur représentent un bénéfice, ils sont néanmoins libérés de tout impôt. Ceci crée assurément une inéquité fiscale. Pourquoi taxer le revenu du travail, un héritage, ou une vente immobilière et parallèlement ne rien percevoir sur les gains en capitaux ? De ce fait, il serait bon d'instaurer un certain équilibre fiscal.
Notre proposition a aussi comme objectif de lutter contre les effets spéculatifs. Il y a 20 ans, la durée moyenne de détention d'une action était d'environ 7 ans. En 1995, cette durée de possession n'était plus que de7 mois. C'est pourquoi nous avons fixé des taux d'imposition dégressifs en fonction de cette durée de possession. L'impôt sera en conséquence perçu sur le montant du bénéfice net calculé aux taux suivants: 25% pour les titres ayant été détenus plus de 1 an et moins de 18 mois, puis 17% au-delà de18 mois. Ce dernier taux sera ramené à seulement 7% si le revenu imposable du contribuable est inférieur à 60 000 F pour la même année civile. Si la durée de détention des titres est inférieure à une année, le montant du bénéfice sera ajouté au revenu et imposé au taux ordinaire de l'impôt sur le revenu des personnes physiques y compris les centimes additionnels. En conséquence, il est clairement hors de question de taxer des placements à long terme (véritables actes de partenariat) identiquement à des actes spéculatifs à court terme.
Il est évident qu'il sera également possible de déduire jusqu'à un montant de 10 000 F les pertes subies (voir art. 91 H) sur les capitaux.
Notre projet n'a rien de provocateur, ni de révolutionnaire. Il est inspiré largement du modèle d'imposition des gains en capitaux en vigueur aux Etats-Unis. Actuellement, la plupart des puissances économiques de la planète imposent les gains en capitaux. Par exemple, le Danemark les taxent de 51% à 69%, la Finlande jusqu'à 58%, l'Espagne jusqu'à 56%, la Grande-Bretagne de 25% à 40%, le Luxembourg jusqu'à 50%, le Liechtenstein jusqu'à 18%. Avec la Grèce, la Suisse fait partie des rares pays industrialisés ne connaissant pas l'imposition des gains en capitaux pour les personnes physiques. De ce fait, il est certain que l'introduction d'un tel impôt n'amoindrirait pas notre capacité concurrentielle internationale et ne provoquerait pas d'exode de capitaux, les capitales financières connaissant des régimes fiscaux relativement similaires.
Désormais, un grand nombre de responsables politiques de toutes tendances envisagent de mettre en place un tel impôt. Il est en outre probable qu'un impôt sur les gains en capitaux verra le jour au niveau national dans les années à venir. L'introduire maintenant à Genève - avant la mise en application de la loi sur l'harmonisation fiscale - permettrait de renforcer l'image novatrice de Genève et encouragerait vraisemblablement les Autorités fédérales à envisager le partage de ce futur impôt entre les cantons et la Confédération.
De plus, ce projet de loi s'inscrit dans un vaste débat de réforme de la fiscalité, qui doit privilégier une plus juste répartition des charges entre les différents revenus.
Conclusion
Nous souhaitons contribuer par ce projet de loi à modifier le système fiscal pour rendre l'imposition des revenus des différents facteurs de production plus équitable.
Tels sont en substance, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs qui nous conduisent à soumettre à votre bienveillante attention le présent projet de loi.
Préconsultation
M. Alain-Dominique Mauris (L). Ce projet de loi appelle quelques commentaires. En effet, les effets médiatiques de ces derniers temps, sur la flambée des indices boursiers notamment, vous ont permis, Messieurs les auteurs de ce projet de loi, de vous engouffrer dans la perspective d'une manne fiscale aux odeurs d'un plat périmé et réchauffé...
En effet, cet impôt pratiqué par d'autres cantons a été abandonné par la suite. A Berne, il n'a rapporté que 700 000 F en 1986 et fut aboli en 1987. A Zurich, il l'a été en 1971.
Pourquoi ne vous êtes-vous pas inspirés de leurs expériences ? Comme un soufflé gonflé un peu trop vite, vous auriez constaté que cet impôt est retombé sans combler les appétits fiscaux de nos cantons voisins. Cet impôt n'a donc absolument rien de novateur.
Si les travaux de la commission Behnisch chargée de recenser les lacunes fiscales au plan fédéral s'intéressent à cet impôt, c'est uniquement dans la perspective de combler la diminution des recettes provenant du droit de timbre. Toutefois, cela reste contestable en raison de la faiblesse de son rendement.
Le projet de loi 7760 est inadapté à la réalité économique de notre canton. Au lieu de rencontrer les conditions-cadres pour favoriser la place financière genevoise dans le monde, comme un cheval de Troie, ce projet de loi sème la panique à l'intérieur de la cité. L'Agefi du 19 décembre 1997 écrit : «L'imposition possible des gains en capitaux fait peur. Valse de clôtures de comptes dans les banques genevoises.» Le premier effet pervers de l'impôt a donc déjà frappé avant même que le texte n'ait été discuté. Ce paradoxe est compréhensible dans la mesure où la crainte s'est installée dans les milieux financiers genevois qui considèrent cet éventuel impôt comme une catastrophe pour le canton.
Lorsqu'on dit que la Suisse est l'un des rares Etats à ne pas connaître d'imposition, il faut savoir que, contrairement à d'autres pays, elle connaît déjà la double imposition des bénéfices et des dividendes. Quand on entend que les Etats-Unis ont réussi à assainir leur budget grâce au boom des gains boursiers, sachons que, malgré l'imposition des gains en capital, la charge fiscale totale américaine est bien inférieure à la nôtre. De plus, le président de la Banque centrale américaine a pris position récemment contre cet impôt.
Enfin, les Etats-Unis ne connaissent pas l'impôt sur la fortune. Cet impôt ne servirait pas à renflouer les caisses de l'Etat. Le magazine suisse-allemand «Facts» relevait que Genève est déjà le canton qui taxe le plus les nouveaux venus. Voulez-vous vraiment renforcer une politique fiscale déjà pesante qui fera fuir encore davantage les gros contribuables ? Coppet n'est pas si loin !
Prétendre qu'on veut taxer les gains en capital pour des raisons d'équité fiscale est très incomplet. Il y manque la déduction intégrale des pertes réalisées et la prise en considération de l'inflation. En effet, l'article 91 H prévoit une déduction maximale de 10 000 F. Dès lors, que dire de celui qui réaliserait par chance un gain de capital de 100 000 F sur certains titres et une perte équivalente sur d'autres. En fonction de l'article 91 H, il devrait s'acquitter d'une taxe de 22 500 F, alors même que sa capacité contributive n'a pas augmenté.
Mesdames et Messieurs les députés, les millions des plus-values boursières enregistrées sont théoriques, aussi longtemps qu'elles ne sont pas réalisées, et aléatoires, car le marché boursier fluctue fortement. Souvenez-vous des récents krachs qui ont fait perdre des milliards en bourse.
A force de vouloir taxer sans nuance, vous amalgamez l'investisseur au spéculateur, vous pénalisez lourdement le capital-risque. Comment voulez-vous encourager les investisseurs à prendre des risques personnels, à investir dans le monde des entreprises en démarrage ou en reconstruction si vous les taxez sur leur courage sans les défiscaliser sur les pertes ? Ce projet de loi va à l'encontre des efforts des investisseurs.
De même, comment seront taxés les employés au bénéfice de plans de participation préférentielle assimilés à la prévoyance ? Il est plus judicieux, je crois, de démocratiser l'accès au capital en motivant l'investissement plutôt qu'en limitant les marchés financiers à des privilégiés.
Ainsi rédigé, ce projet de loi est un autogoal reléguant Genève en place financière inférieure, et vous allez en faire la capitale du bon de caisse ! Quant aux complications administratives pour sa perception, je vous laisse imaginer le nombre de contrôles et de justificatifs qu'il faudra fournir. D'ailleurs c'est certainement à cause de cela que les cantons voisins l'ont abandonné...
Enfin, cet impôt nouveau, en dehors de toute harmonisation fiscale fédérale, aura des conséquences incontrôlables et intolérables pour Genève et sa place financière, allant par là même à l'encontre de l'équité que ce projet de loi prétend rétablir.
Les seuls mérites de ce projet sont de reconsidérer la politique fiscale dans son ensemble et d'ouvrir une discussion pour prendre conscience de la fragilité actuelle des conditions de compétition de notre place financière que nous devrions renforcer au lieu de laminer.
Nous ne manquerons pas de revenir en détail sur tous ces points en commission.
M. Daniel Ducommun (R). Même si nous partageons une grande partie des arguments développés par Alain-Dominique Mauris, le groupe radical ne rejettera pas ce projet de loi d'un revers de main, car il suscite sans aucun doute une profonde réflexion sur notre fiscalité et son équité devant l'ensemble des contribuables - c'est vrai. Si le fruit du travail est taxé, si les opérations à valeurs immobilières sont taxées, qu'en est-il, effectivement, des opérations à valeurs mobilières, plus précisément des gains en capital ?
Nous aimerions toutefois tempérer l'enthousiasme des auteurs de ce projet rédigé sous l'émotion, suscité notamment par les perversités d'un financier suisse-allemand au noeud papillon... (Rires.) Nous sommes catégoriques, il ne s'agit pas de la manne salvatrice. Tous les cantons suisses qui avaient adopté cette taxe l'ont abandonnée en raison de la disproportion entre le rendement et l'énorme infrastructure administrative qu'elle implique.
Faut-il alors s'en référer au statu quo ? Nous ne le pensons pas ! Mais il est en tout cas impératif de se référer aux travaux en cours au niveau fédéral, d'autant plus que les interventions parlementaires se multiplient, si l'on se réfère notamment à la demande du groupe radical au Conseil national de mettre ce sujet à l'ordre du jour d'une session extraordinaire. Elle est, du reste, en train de siéger ces jours à l'appui de propositions concrètes et réalistes, pour trouver des solutions, ce qui est l'essentiel. Alors, souhaitons bonne chance à notre collègue John Dupraz...
Je rappelle également - M. Mauris l'a fait - que la commission d'experts - la commission Behnisch - recense actuellement les lacunes du système fiscal fédéral. Elle examine entre autres les questions de l'imposition des gains en capital sur la fortune mobilière privée. Son rapport est prévu pour le printemps 1998. Dès lors, n'est-il pas judicieux d'en attendre les conclusions avant de s'engager, tête baissée à Genève, avec un projet de loi lourd de conséquences, que nous considérons comme un mauvais remède... à un mal certain !
Tout d'abord, Mesdames et Messieurs les députés, la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct et la loi sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et communes excluent expressément ce type d'imposition. Ce projet est donc contraire au droit fédéral. S'il est vrai que certains pays prélèvent ce type d'impôts sous des formes diverses, il faut relever qu'ils ne connaissent pas, comme la Suisse, d'impôt sur la fortune et la double imposition économique des bénéfices distribués par les entreprises. Attention aussi à une certaine logique : si l'on parle d'équité fiscale, les pertes, bien sûr, devraient aussi être intégralement déductibles et les effets de l'inflation compensés.
Le projet de loi qui nous est présenté pose donc de nombreux problèmes spécifiques. Si Genève devait seule légiférer en pionnier, cela fournirait sans aucun doute une raison supplémentaire aux gros contribuables de quitter le canton. Ce faisant non seulement l'impôt sur les gains en capital échapperait au fisc genevois, mais celui-ci perdrait aussi les recettes ordinaires de l'impôt sur les revenus et de l'impôt sur la fortune acquittés par ces mêmes contribuables.
Vous connaissez, Mesdames et Messieurs les députés, la règle des «vingt / quatre-vingts». Eh bien, oui, 20% des contribuables payent 80% des impôts totaux... Cela doit faire réfléchir ! Et, comme l'a dit M. Mauris, évitons donc, en conclusion, tout autogoal et trouvons ensemble et sereinement une solution allant vers une convergence des intérêts en jeu, ceci pour l'avenir et la pérennité de notre canton.
M. Bénédict Fontanet (PDC). Ce projet a au moins le mérite de poser la problématique de l'équité fiscale. Qu'est-ce qui est juste et qu'est-ce qui ne l'est pas en matière fiscale ? Je dirai que dans la mesure où il y a des gens qui gagnent beaucoup de sous et d'autres moins, ce n'est déjà pas très juste. Qu'on les taxe différemment n'est pas toujours juste non plus. Et puis, l'expérience montre que l'égalité absolue, notamment en politique, est un exercice difficile et il y a foison de cabinets d'expertises fiscales spécialisés pour trouver les parades aux iniquités auxquelles l'on tente de pallier par le biais de nouvelles législations fiscales.
Mon groupe politique, comme d'autres d'ailleurs, n'est pas forcément réjoui par les gains en capitaux considérables réalisés à l'occasion des récentes fusions, dont la presse s'est fait l'écho. Il est vrai qu'aujourd'hui il est très à la mode de parler d'impôt sur les gains en capitaux... C'est dans l'air du temps... Les journalistes en sont les relais, tout du moins dans la presse romande.
Mais je ne suis pas convaincu qu'on arrive à soigner ce double mal : la soi-disant spéculation, d'une part, et, d'autre part, les manques de ressources des finances publiques en instaurant une loi telle celle qui vous est proposée aujourd'hui.
Néanmoins, un certain nombre de problèmes subsistent :
Nos collectivités publiques ont des difficultés à financer leurs prestations. Elles sont toutes déficitaires dans le cadre de leur budget.
L'imposition du travail, notamment dans notre canton où l'impôt est extrêmement progressif, a vraisemblablement atteint une limite qu'il ne faut pas dépasser. En fin de compte pour financer les prestations de nos collectivités, il faut peut-être se demander si d'autres formes de fiscalité peuvent exister, qui ne pénalisent ni le travail ni les petites et moyennes entreprises créatrices d'emplois. Mais cela semble être en quelque sorte la quadrature du cercle...
D'aucuns disent que l'impôt sur les plus-values mobilières, sur les plus-values boursières, n'est pas une taxation du travail, mais une taxation sur l'augmentation de la fortune. Il n'empêche que c'est une sorte de troisième taxation par rapport à un revenu sur lequel on a payé des impôts, une fortune sur laquelle on paye également des impôts et un gain sur la fortune sur lequel il faudrait encore payer des impôts.
Moi, je suis convaincu que la manière dont il convient de résorber les finances publiques doit trouver une autre réponse passant par une augmentation de la véritable fiscalité indirecte, soit, en l'occurrence, par l'augmentation très substantielle de la taxe sur la valeur ajoutée, comme c'est le cas, d'ailleurs, dans la plupart des pays européens qui nous entourent. Nous sommes les seuls en Suisse, parmi les pays d'Europe, à avoir une répartition de la fiscalité de deux tiers en faveur des impôts directs et d'un tiers en faveur des impôts indirects.
Enfin, bref, cette imposition sur les plus-values boursières, même si elle peut paraître dans l'air du temps, ne satisfera pas aux besoins de financement à long terme de nos collectivités publiques, parce que c'est un impôt qui est terriblement conjoncturel. Aujourd'hui la bourse grimpe, mais les récents événements qui ont secoué les marchés asiatiques démontrent à satisfaction qu'il s'agit là de ressources très fragiles par rapport, notamment, à l'impôt sur la consommation.
Un autre élément me paraît absolument essentiel, même si nous débattrons de ces aspects très techniques en commission : faire cavalier seul à Genève alors que la Confédération étudie l'introduction éventuelle d'un tel impôt; alors que les autres cantons qui nous entourent y ont tous renoncé et que seuls les contribuables genevois seraient taxés de la sorte me paraît tout à fait déraisonnable à ce stade, d'autant que Genève concentre un nombre très important d'emplois dans la gestion de fortune. Il ne me paraît donc pas très utile d'aller dans cette direction, au moment où notre canton se bat pour garder des emplois. Dans les domaines de la gestion de fortune et bancaire les salaires sont importants. Les profits le sont aussi, et il ne s'agit pas de provoquer la délocalisation de ces activités vers d'autres cantons. Ceux-ci seraient ravis, mais notre déficit, lui, en souffrirait.
En résumé, Mesdames et Messieurs les députés, il m'apparaît que l'introduction solitaire d'un tel impôt serait vraisemblablement une catastrophe indirecte pour nos finances publiques, respectivement une catastrophe directe pour notre économie en incitant un certain nombre de financiers à effectuer des délocalisations.
Toutefois une question se pose, qui mérite d'être étudiée. C'est pourquoi nous serons heureux de l'examiner en commission, tout en émettant de grandes réserves quant à l'efficacité de cet impôt en termes de finances publiques et quant à sa justification. En effet, si l'introduction d'une telle taxe provoque la fuite d'un certain nombre de contribuables de notre canton, ailleurs en Suisse ou à l'étranger, nous n'aurons pas gagné grand-chose dans cette opération.
M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, il est certain qu'un impôt de la sorte a davantage sa place au niveau national qu'au niveau cantonal. Il est certain que nous rencontrerons des problèmes techniques pour percevoir ces nouvelles recettes. Il est certain que la durée de vie de cet impôt cantonal sera fort limitée, puisque l'harmonisation fiscale confédérale marquera rapidement sa fin. Nous ne voulons ni nous voiler la face ni mentir aux citoyennes et citoyens de ce canton sur les difficultés liées à notre projet de loi.
Mais à l'heure où notre pays envisage enfin de créer un impôt sur les biens en capital, sous l'impulsion de personnes venant d'horizons très divers, il est indispensable que Genève fasse le forcing pour que la Confédération partage le revenu de ce futur impôt national avec les cantons et, surtout, avec les cantons qui subissent le plus violemment la crise.
Nous pensons que, dans ce contexte, ce projet de loi est un signal stratégiquement fort. Parallèlement, une grande majorité de la population est scandalisée, et ceci à juste titre, en voyant les revenus du capital exploser alors que les revenus du travail stagnent ou, bien souvent, baissent.
Comment expliquer, face à ce constat indécent, que les biens en capital restent à l'abri de l'impôt ? Pour quelles raisons objectives vouloir fermer les yeux sur ces gains en capital parfois tout à fait scandaleux ?
En cette période difficile de fracture sociale, en cette période difficile pour les finances publiques, il est absolument judicieux et urgent de se pencher sur cette question. Notre projet n'est ni révolutionnaire ni extrémiste. Il a largement été inspiré, d'ailleurs, de la loi américaine, pays que nous ne pouvons pas soupçonner d'overdose socialiste...
Je vous rappelle encore que la plupart des puissances économiques de la planète imposent les gains en capital. De ce fait, une telle loi, surtout si elle est reprise au niveau national, ne mettrait pas notre capacité concurrentielle internationale en danger.
Vous l'aurez compris, nous ne venons pas vous vendre un système clé en main. Nous vous proposons une nouvelle piste de réflexion de recettes potentielles et de nouvelle équité d'impôt. Nous vous invitons à en débattre et à l'enrichir en commission.
M. David Hiler (Ve). L'un des problèmes les plus importants actuellement est la volonté constante et insistante des actionnaires, d'ici et d'ailleurs, d'augmenter de manière permanente le rendement des capitaux qu'ils investissent...
Dans cette logique, il n'y a malheureusement pas de miracle ! Lorsque l'on veut obtenir une augmentation significative des taux - souvent usuriers - cela se fait inévitablement au détriment soit du nombre d'emplois soit des rémunérations des salariés.
Nous nous sentons tous quelque peu impuissants à combattre cette situation. L'issue la plus logique, selon les leçons tirées du passé, est qu'un jour nous atteindrons un stade tel que les choses tourneront mal sur le plan social; il y aura des troubles et ces pratiques seront freinées par des explosions qui auront lieu pays après pays. Nous en sentons bien les prémices.
Et notre travail consiste à éviter d'en arriver à cette situation. Pour cela, avec les moyens qui sont les nôtres, sans accepter par défaitisme ou par complicité une situation qui ne nous paraît pas acceptable, nous pouvons essayer de corriger modestement le tir et agir sur la pression économique exercée par les actionnaires en la pénalisant fiscalement.
Si nous étions à la pointe des prélèvements fiscaux sur les gains en capital, il y aurait absurdité. Or il se trouve que la Suisse est, parmi les pays développés, le seul avec la Grèce à ne pas appliquer un tel système. Il nous paraît donc indispensable de parler de ce type d'impôts rapidement, même - et peut-être surtout, Monsieur Mauris - si cela commence à susciter quelques inquiétudes.
Nous savons que la Confédération envisage, pour remplacer un autre impôt, d'introduire ce système. La question de la répartition du produit de cet impôt entre la Confédération et le canton reste posée. Il nous paraît donc utile de donner un signal fort, à Genève, même si l'issue est effectivement la mise en place d'un impôt fédéral réparti correctement entre la Confédération et les cantons.
Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'il soit possible de dire à la population, nous députés du parlement, que le monde est effectivement chaque jour de plus en plus injuste; que nous ne pouvons rien y faire et qu'elle n'a qu'à se débrouiller : se soumettre, poser des bombes ou faire des grèves... En effet, à ce stade, le peuple serait en droit de nous demander pourquoi nous siégeons dans un parlement !
Mais, comme nous pensons avoir quelques raisons de le faire, nous chercherons des solutions, nous les étudierons en commission, et nous espérons de toute façon, modestement peut-être, freiner quelque peu la dérive d'une répartition de plus en plus injuste des revenus.
M. Bernard Clerc (AdG). Ce projet de loi, contrairement à ce qui a été dit par M. Ducommun n'a pas été déposé dans l'émotion de la fusion UBS-SBS ou de l'affaire Hebner, puisqu'il a été déposé le 7 novembre, bien avant ces événements.
Que constatons-nous depuis grosso modo une trentaine d'années ? L'introduction dans le langage familier d'un terme appelé ";produit financier". Ce terme «produit financier», qui englobe toutes formes de produits financiers, est révélateur. Cela signifie que la création de revenus - je dis bien création de revenus et non de richesses - ne passe plus seulement par l'échange de marchandises et de services, mais par l'échange de titres financiers divers.
Cette réalité se traduit par un certain nombre de chiffres. Je ne vous en donnerai que quelques-uns, mais ils sont tout à fait révélateurs. Seulement 3 à 5% des flux financiers mondiaux correspondent à des échanges de biens et de services. L'indice SPI de la bourse, depuis 1990, a progressé de 283% jusqu'à fin octobre 1997... En 1997, l'an dernier, alors que la masse salariale versée dans notre pays s'élevait grosso modo à 250 milliards de francs, la bourse suisse a progressé de 59%. Cela signifie une augmentation de la valeur des actions de 280 milliards, c'est-à-dire beaucoup plus que toute la masse salariale versée dans notre pays !
Alors, vous me direz, Monsieur Mauris, qu'il s'agit de l'augmentation de la valeur et pas forcément des gains réalisés. Effectivement, notre projet vise à taxer les gains réalisés et pas l'augmentation de la valeur. Mais je vais tout de même vous donner un dernier chiffre : il y a vingt ans, la durée moyenne de possession des actions était de sept ans. Aujourd'hui, elle est de sept mois. Pensez-vous vraiment qu'avec un tel chiffre les personnes se contentent d'attendre de voir monter le cours de leurs actions, sans acheter ni revendre ? C'est une plaisanterie, et vous le savez bien !
Nous assistons donc à une gigantesque redistribution de revenus au travers des produits financiers et, malheureusement, cette redistribution de revenus doit bien trouver son équivalent en termes de richesses produites par les entreprises.
Alors, j'en viens au dernier exemple en date de la fusion de l'UBS et de la SBS où dans «Le mois économique et financier» du mois de janvier ces messieurs ont l'affront - je dis bien «l'affront», et je pèse mes mots - de dire - je trouve cela extraordinaire, alors qu'ils vont supprimer treize mille postes de travail - que, pour l'année 2002, la nouvelle UBS table sur un bénéfice, consolidé après impôt, de 10 à 11 milliards de francs et sur un rendement des fonds propres de 15 à 20%, sans parler de l'augmentation des cours des actions ! Elle estime le coût de restructuration à quelque 7 milliards de francs. Ces charges seront imputées aux comptes de résultats 1997 respectifs de l'UBS et de la SBS. De la sorte, et malgré un exercice excellent sur le plan opérationnel, les deux partenaires feront vraisemblablement état d'une perte technique - comme le mot est charmant ! - pour 1997.
Mesdames et Messieurs les députés, c'est de la «saloperie»... (Manifestations et remarques.)
Taxer les gains en capitaux ne va pas résoudre ce problème, nous en sommes conscients ! Taxer les gains en capitaux est une mesure modeste en regard des coûts que font peser sur les collectivités publiques les entreprises, comme l'UBS et la SBS, qui, en supprimant des postes de travail, font augmenter la valeur de leurs actions ! Notre canton et, nous l'espérons, notre pays ne feront pas exception en taxant les gains en capitaux, puisque la quasi-totalité des pays membres de l'OCDE, à l'exception de la Grèce, connaissent déjà ce type d'impôts.
Le président. Veuillez conclure, Monsieur le député !
M. Bernard Clerc. Oui, Monsieur le président ! Nous vous invitons donc à renvoyer ce projet de loi en commission, afin de déboucher sur une loi qui mette fin à une iniquité fiscale existante entre l'imposition des revenus du travail et la non-imposition des gains en capitaux. (Applaudissements.)
Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat. La Suisse ne prélève pas d'impôt sur les gains en capital réalisés dans le cadre de la fortune mobilière privée. Notre pays compte parmi les rares pays qui ne connaissent aucun impôt sur les gains en capital des particuliers. En effet, à l'exception de la Grèce pratiquement tous les pays de l'OCDE prélèvent une forme d'impôt sur les gains privés en capital des particuliers.
Et il faut bien admettre que la non-taxation des gains en capital sur la fortune privée constitue une inégalité fiscale, dans la mesure où il y a une différence de traitement fiscal entre l'imposition d'un gain provenant de valeurs mobilières et celle d'un même gain provenant d'autres sources de revenus. Par exemple, les gains immobiliers de même que les gains en capital, réalisés sur la fortune commerciale par un contribuable exerçant une activité indépendante ou accessoire, sont imposés.
Une commission d'experts, la commission Behnisch recense actuellement les lacunes du système fiscal fédéral et elle examine entre autres la question de l'imposition des gains en capital sur la fortune mobilière privée. Son rapport est prévu pour 1998. Une initiative populaire prévoyant un tel impôt est par ailleurs sur le point d'être lancée par l'Union syndicale suisse. Le présent projet de loi doit être situé dans ce contexte, c'est-à-dire dans un contexte fédéral.
La loi d'harmonisation fiscale nous laisse, il est vrai, la latitude de l'introduire pour quelques années au plan genevois, mais après 2001 les règles d'harmonisation interdiront au canton d'imposer les gains en capital. Je tiens donc à dire ici que l'introduction d'un tel impôt dans le seul canton de Genève n'est pas sans poser de problèmes en termes de concurrence fiscale.
Reste que son dépôt est symbolique de la difficulté du canton à financer ses prestations. Les recettes fiscales du canton s'érodent. Le projet de budget 1998 prévoit un rendement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques situé au même niveau que celui de 1996. Et les résultats de 1997 viennent confirmer cette stagnation. En outre, le rendement de l'impôt sur les sociétés ne corrige pas la donne, et cela par un double phénomène : d'une part, les petites et moyennes entreprises tournées vers le marché intérieur ont des problèmes et, d'autre part, la marche des sociétés dépend aujourd'hui plus de la valorisation financière et des marchés extérieurs que de la croissance interne.
Dans le même temps, la concurrence fiscale entre les cantons nous conduit à consentir d'importants allégements fiscaux.
En clair, Mesdames et Messieurs, au moment où un débat s'ouvre au niveau fédéral sur l'opportunité d'imposer les gains en capital et compte tenu de l'affaiblissement des finances cantonales, la question de la participation des cantons à de nouvelles substances fiscales et des modalités d'une telle participation doit être posée. De ce fait, le Conseil d'Etat ne s'opposera pas au renvoi en commission de ce projet.
Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.
Le président. Nous passons donc à l'élection prévue au point 45, élection 915.