Séance du jeudi 4 décembre 1997 à 17h
54e législature - 1re année - 2e session - 54e séance

PL 7751
25. Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi fixant le nombre de certains magistrats du pouvoir judiciaire (E 2 10). ( )PL7751

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

La loi fixant le nombre de certains magistrats du pouvoir judiciaire, du 26 janvier 1996, est modifiée comme suit:

Article 1, lettre c (nouvelle teneur)

c) 19 juges au Tribunal de première instance et de police;

Art. 2

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1999.

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Conformément à l'article 2, alinéa 1, de la loi sur l'organisation judiciaire (LOJ), le Grand Conseil a voté, le 26 janvier 1996, une loi fixant le nombre de certains magistrats du pouvoir judiciaire en prévision du renouvellement du corps judiciaire qui a eu lieu le 1er juin 1996.

 Cette loi a apporté deux modifications par rapport à la loi précédente, du 26 janvier 1990, s'agissant du nombre de juges titulaires.

 Le nombre de juges à la Cour de justice a été porté de 15 à 16, et celui des substituts du Ministère public de 5 à 6.

 Ces deux modifications ont fait suite à une concertation entre le Conseil d'Etat et le pouvoir judiciaire.

 En réponse au procureur général qui, au nom de la commission de gestion du pouvoir judiciaire, dénonçait la surcharge chronique des juridictions et le manque d'effectifs pour y faire face, il avait alors paru impératif au Conseil d'Etat d'entrer en matière sur un accroissement, limité à deux magistrats pour des motifs d'ordre budgétaire, des effectifs du pouvoir judiciaire, à charge pour ce dernier de désigner les juridictions auxquelles ils seraient affectés (Mémorial 1996, pages 430et suivantes).

2. a) Le Tribunal de première instance est la plus grande juridiction du canton. Il a une compétence générale en matière civile (art. 22 et 27 de la loi sur l'organisation judiciaire, LOJ), ce qui en fait la juridiction la plus directement touchée par les changements juridiques, économiques et sociaux et l'évolution des moeurs.

 b) Le Tribunal de première instance compte actuellement 17 juges titulaires. Le projet vise à augmenter cet effectif de deux unités.

 Cette proposition n'implique aucune modification de la LOJ, puisqu'à teneur de l'article 14, alinéa 1, LOJ, le Tribunal de première instance se compose de 15 à 20 juges. Elle s'appuie sur l'article 2, alinéa 2, LOJ, qui donne la faculté au Grand Conseil, en dehors des élections judiciaires qui ont lieu tous les six ans, d'augmenter le nombre de juges jusqu'à concurrence du maximum légal si les circonstances l'exigent.

 c) Le projet répond à une demande formulée par le Tribunal de première instance, qui a, à plusieurs reprises, attiré l'attention sur l'inadaptation de ses effectifs, lesquels, s'agissant des magistrats, n'ont pas augmenté depuis 1985 malgré une charge de travail sans cesse croissante à laquelle cette juridiction estime ne plus pouvoir faire face dans des conditions acceptables.

3. a) La dernière augmentation du nombre de juges au Tribunal remonte au 3 octobre 1985, lorsque le Grand Conseil, sur proposition du Conseil d'Etat, avait décidé de porter ce nombre de 16 à 18 juges.

 Ce nombre a été réduit à 17 juges le 1er septembre 1994, ensuite du transfert simultané, du Tribunal à la Cour de justice, de la Chambre d'accusation et d'un magistrat.

 Le renforcement de l'effectif du Tribunal décidé le 3 octobre 1985 répondait - déjà - à la nécessité de faire face à la surcharge de travail que connaissait alors la juridiction.

 Dans son rapport, la commission judiciaire du Grand Conseil avait alors estimé le renforcement de l'effectif du Tribunal nécessaire, malgré la tendance à la baisse des causes civiles, dans la mesure où les chiffres des statistiques rendaient mal compte de la complexité croissante de certaines affaires. «Or, souvent, pressés par le temps, les juges négligent les causes les plus difficiles et rendent leurs décisions sans avoir approfondi les dossiers, ni procédé aux recherches juridiques indispensables. En donnant suite au projet du Conseil d'Etat, la commission considère que c'est le juste prix à payer pour garantir la qualité des jugements rendus, et pour permettre à la justice d'être toujours davantage au service des justiciables» (Mémorial 1985,pages 1340 et suivantes; 5127 et suivantes).

 b) Les motifs qui fondent le présent projet ne sont guère éloignés de ceux qui ont inspiré la modification de 1985, mais ils s'expriment avec plus d'acuité encore.

 Ils sont principalement de trois ordres: augmentation du nombre de causes, nouvelles compétences et modifications de procédures.

4. a) Statistiques

 Le rapport de la commission judiciaire de votre Grand Conseil relatif au projet de loi de 1985 comprenait un tableau de l'évolution du nombre de causes portées devant le Tribunal de première instance entre 1977 et 1984 (voir Mémorial 1985, page 1344).

 Une comparaison des chiffres de 1984 avec ceux enregistrés en 1996, tels qu'ils ressortent du compte-rendu de l'activité des tribunaux dressé en avril 1997 par la commission de gestion du pouvoir judiciaire, révèle une hausse sensible du nombre des affaires dans presque tous les domaines.

 1984 1996 Différence

Procédures ordinaires et accélérées 2 869 3 265 +14%

Affaires de famille 1 213 1 256 +4%

Conciliations ordinaires 1 493 1 797 +20%

Conciliations de famille 1 394 1 578 +13%

Affaires sommaires 5 786 13 170 +128%

Mesures provisionnelles 257 393 +53%

Séquestres 674 680 -   

Tribunal de police 3 859 2 478 - 36%

Tribunal des baux et loyers 2 005 2 015 -   

Assistance juridique 1 857 3 143 +69%

 b) Nouvelles compétences et modifications de procédures

 Plusieurs modifications législatives - tant au niveau fédéral que cantonal - portant attribution de nouvelles compétences ou modifications de procédures, ont contribué à alourdir sensiblement la charge du Tribunal ces dernières années.

 Il est vrai que la juridiction a dans le même temps perdu deux compétences:

 La Chambre d'accusation a été transférée le 1er septembre 1994 à la Cour de justice. Mais cette opération est restée neutre pour le Tribunal, dans la mesure où elle s'est accompagnée du transfert d'un juge.

 Quant au transfert des procédures d'interdiction au Tribunal tutélaire intervenu le 23 mars 1996, il a certes soulagé la juridiction, mais dans une mesure modérée, vu le nombre de procédures concernées (une centaine par année), ce d'autant plus que le greffe a dû à cette occasion consentir au transfert d'un demi-poste de collaborateur.

Droit de la famille

- Suite à une modification récente de la loi de procédure civile (LPC), le juge saisi d'une procédure de divorce, de séparation de corps ou de mesures protectrices de l'union conjugale doit désormais procéder à l'audition des enfants «chaque fois que leur intérêt le rend nécessaire» (art. 389A LPC). Il s'agit d'un changement important dans la mesure où la loi prohibait jusque-là l'audition des descendants.

 Selon le professeur Perrin, qui a consacré à ce sujet un article paru dans la Semaine judiciaire, cette audition s'impose en principe chaque fois qu'il y a conflit entre les parents concernant l'attribution de l'autorisation parentale (SJ 1997, pages 217, 227).

 Or, de tels conflits ne sont pas rares et les premières auditions auxquelles le Tribunal a procédé depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle confirment qu'entendre des enfants, en particulier s'ils sont jeunes, requiert beaucoup de temps et de disponibilité.

- Depuis le 1er janvier 1995, le juge du divorce est désormais appelé à statuer sur le transfert d'une partie de la prestation de sortie acquise par un conjoint pendant la durée du mariage à l'institution de prévoyance de l'autre conjoint, conformément à l'article 22 de la nouvelle loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle.

 Cette disposition, dont l'application est fréquemment sollicitée par les plaideurs, contribue à alourdir les prodécures.

- Il est de plus en plus fréquent que le juge procède à la liquidation du régime matrimonial en même temps qu'il statue sur le divorce.

 Cela résulte tant d'une application plus stricte du principe de l'unité du jugement de divorce que de la situation conjoncturelle qui pousse les plaideurs à solliciter cette liquidation en même temps qu'ils divorcent.

 Il s'agit de procédures longues et compliquées, et qui étaient pratiquement toujours renvoyées ad separatum il y a quelque années.

- Si les procédures de divorce sont devenues plus longues, elles sont aussi désormais plus disputées, ce que confirme l'augmentation de 27% du nombre de procédures sur mesures provisoires de 1993 à 1996 (les chiffres ne sont pas disponibles pour les années antérieures). Les difficultés économiques rencontrées par les plaideurs en sont sans doute également responsables, ceux-ci n'hésitant désormais plus à solliciter du juge une modification de mesures provisoires arrêtées quelques mois auparavant.

Droit commercial

Le Tribunal doit être saisi par le préposé du registre du commerce de requêtes tendant à la dissolution des sociétés anonymes qui n'ont pas adapté dans le délai de cinq ans échéant le 1er juillet 1997 leurs statuts aux nouvelles dispositions du code des obligations sur le capital minimum et le montant minimum de libération, conformément à l'article 2 des dispositions finales de la loi fédérale sur la révision du droit des sociétés anonymes.

Selon les indications communiquées par le registre du commerce, près de 2 000 sociétés anonymes sont concernées.

Ce sont donc autant d'affaires que le Tribunal devra inscrire à son rôle, convoquer et juger.

Poursuite pour dettes et faillite

L'entrée en vigueur le 1er janvier 1997 des nouvelles dispositions de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) et de sa loi cantonale d'application (LALP) a provoqué un accroissement de travail important:

- Le débiteur et les tiers touchés par un séquestre ont désormais la faculté de former opposition auprès de l'autorité qui a ordonné le séquestre, soit le président du Tribunal (art. 278 LP et 22, al. 3, LALP), alors qu'ils devaient auparavant porter leurs contestations directement devant le Tribunal fédéral. La charge du président, qui a ordonné 680 séquestres en 1996, s'en trouve alourdie d'autant.

- La suppression de l'instruction en Chambre du conseil au profit de la procédure sommaire pour les affaires de la compétence de la Chambre commerciale du Tribunal (art. 20 et 21 LALP) signifie que cette chambre doit désormais procéder à l'inscription informatique à son rôle et à la convocation de 4 000 affaires nouvelles chaque année, soit environ 100 par semaine, alors qu'auparavant le juge statuait sur ces affaires sans audition des parties.

- La saisine d'office du Tribunal par l'office des pousuites des oppositions pour non-retour à meilleure fortune (art. 265a LP et 20, lettre g, LALP) implique que le juge doit désormais déterminer dans quelle mesure le débiteur est revenu à meilleure fortune.

Plus de 300 oppositions de ce type sont pendantes à ce jour devant le Tribunal.

Protection des données

Le Tribunal de première instance est compétent depuis le 7 novembre 1996 pour connaître des nouvelles actions en exécution du droit d'accès aux données personnelles en application de la loi sur la protection des données. Il s'agit d'une procédure sommaire (art. 4 D LACC).

Tribunal de police

- La charge de travail du Tribunal de police s'est accrue récemment, malgré la diminution du nombre de causes. La nature des affaires s'est en effet modifiée en complexité ensuite de l'extension des compétences attribuées à cette juridiction par la nouvelle entrée en vigueur le 8 juillet 1995.

 Le Tribunal de police est ainsi désormais également compétent pour connaître:

- des homicides par négligence (art. 28, al. 1, lettre b, LOJ), auparavant de la compétence de la Cour correctionnelle;

- avec le consentement du prévenu, de toutes les infractions au code pénal pour lesquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine privative de liberté supérieure à 18 mois (art. 28, al. 2, LOJ), auparavant dévolues à la Cour correctionnelle lorsque la peine requise dépassait 6 mois;

- des cas de concours entre une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et une infraction à une autre loi (art. 28, al. 3, LOJ), auparavant de la compétence de la Cour correctionnelle ou de la Cour d'assises

- LAVI: depuis l'entrée en vigueur le 1er janvier 1993 de la loi fédérale sur l'aide aux victimes, le Tribunal de police est en outre appelé à se prononcer de manière de plus en plus fréquente sur les prétentions civiles des victimes.

- Enfin, pour l'avenir, il y a lieu de craindre que l'augmentation sensible du montant des amendes d'ordre intervenue le 1er septembre 1996 n'entraîne un surcroît de contestations devant cette juridiction dans le domaine de la LCR.

5. Conséquence de cet état de fait, le Tribunal de première instance ne peut plus faire face à sa tâche avec 17 juges titulaires.

- Depuis 6 ans déjà, la gestion des procédures sommaires, dont le nombre a explosé, est assurée par les seuls juges suppléants, ce qui n'est pas satisfaisant. Les délais de convocation (près de 2 mois) et de notification des jugements (plusieurs mois) sont en outre trop longs s'agissant d'une procédure que la loi a conçue comme devant être simple et rapide.

- L'augmentation de la charge du Tribunal de police a conduit le plénum du Tribunal de première instance, en septembre 1996, à recréer une chambre supplémentaire dans cette juridiction, confiée à des juges suppléants.

- La surcharge de la présidence, de la vice-présidence ainsi que de la Chambre commerciale a récemment amené le Tribunal à modifier son organisation s'agissant de la répartition des affaires civiles. Des dispenses supplémentaires ont été octroyées aux titulaires des trois fonctions concernées, qui ont augmenté d'autant la charge des autres chambres civiles, selon le principe des vases communicants.

6. Lors de la dernière péréquation entre les chambre civiles, intervenue au 31 décembre 1996, la moyenne des causes pendantes devant chaque chambre du Tribunal s'élevait à 200 affaires.

 Ce nombre était de 149 en 1985 (voir Mémorial 1985, page 5129), lorsqu'a été décidée l'augmentation de l'effectif du Tribunal de deux magistrats supplémentaires.

 Face à un tel rôle, il est vain d'espérer que les juges du Tribunal disposent encore du temps nécessaire pour consacrer aux dossiers complexes toute l'attention que ceux-ci exigent. L'obligation de rendement qui pèse sur les juges se concilie en outre mal avec la disponibilité que requiert, par exemple, l'audition d'enfants dans le cadre de procédures de divorce.

7. En conclusion, le Conseil d'Etat considère que la proposition d'élire deux magistrats supplémentaires au Tribunal de première instance s'impose comme une mesure indispensable, qui devra évidemment s'accompagner d'un renforcement simultané de l'effectif du greffe de la juridiction, à savoir, conformément au projet de budget 1998 adopté par la commission de gestion du pouvoir judiciaire lors de sa séance du 9 juin 1997, l'engagement de deux secrétaires-juristes 2, de deux greffiers 1 ainsi que d'un commis-greffier 1 à 50%.

 Sans doute ces modifications ne suffiront-elles pas pour répondre à l'ensemble des besoins exprimés. Prenant en compte les difficultés budgétaires et les disponibilités de locaux actuellement limitées au Palais de justice, elles devraient cependant permettre de mettre fin à une situation hautement insatisfaisante, avant qu'elle ne devienne critique.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à approuver le projet de loi qui vous est soumis.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire sans débat de préconsultation.