Séance du jeudi 2 octobre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 11e session - 47e séance

M 1152
29. Proposition de motion de Mme et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Chaïm Nissim, Max Schneider et René Longet sur une étude complémentaire à l'étude du projet Cadiom. ( )M1152

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- le rapport sur le projet de loi 7606 de M. le député Hervé Burdet, sur l'étude d'un projet de récupération de la chaleur de l'usine des Cheneviers, dans le but de chauffer Onex (Cadiom);

- que l'étude envisagée se place sur le plan strictement énergétique, alors que la question de la politique à long terme des déchets (20 ans) n'est abordée que marginalement,

invite le Conseil d'Etat

à accompagner l'étude énergétique Cadiom d'un rapport complémentaire, portant sur la politique des déchets. Ce rapport devrait répondre, entre autres, aux questions suivantes:

1. Quelle réduction du tonnage de déchets à incinérer aux Cheneviers peut-on raisonnablement envisager dans les années à venir? Quelles seraient les possibilités respectives de recyclage, de la méthanisation et des productions alternatives?

2. La construction et l'exploitation de Cadiom ne risque-t-elle pas de prétériter une telle politique de réduction des incinérations?

3. Quels seraient les scenarii possibles sur 20 ans (croissance ou décroissance des incinérations aux Cheneviers, construction de CCF ou de chaufferies traditionnelles à Onex) et leurs incidences sur l'environnement?

4. Quelles productions de courant indigène pourraient, le cas échéant, compenser la baisse de production électrique due à Cadiom?

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le projet Cadiom ne peut être analysé sur le plan énergétique uniquement. Il est lié aussi, et étroitement, à la politique des déchets que l'on entend mener dans les années à venir.

En effet, la question qui se pose en politique énergétique stricto sensu est de savoir si Cadiom pourrait trouver suffisamment de preneurs de chaleur à un prix suffisamment bas pour être rentable. S'il l'est, il serait alors aberrant de continuer à perdre toute cette chaleur dans le Rhône, les poissons n'ayant pas besoin de chauffage.

Mais dès lors qu'on aborde le problème d'un point de vue plus global, qui englobe la politique des déchets sur les 20 prochaines années, les choses se compliquent singulièrement: le vote de 1987 du Grand Conseil de construire deux grands fours de 50 Gcal/h chacun a été, tous le reconnaissent aujourd'hui, une erreur. Seuls les écologistes avaient raison: les fours se sont avérés surdimensionnés, puisque, aujourd'hui, on ne brûle que 240 000 tonnes par an au lieu des 380 000 tonnes prévues par MM. Lancoud et Grobet. Nous avons ainsi perdu 50 millions de francs partis en fumée. Pourquoi? Parce que les possibilités de recyclage et de compostage avaient été sous-évaluées (délibérément, c'est l'une des raisons du licenciement de M. Lancoud suite au rapport Thélumée) et aussi parce que les entreprises se sont mises à produire différemment. Par exemple, des emballages plus fins, à l'exemple de la Migros qui, en passant aux nouveaux berlingots, a diminué la quantité de déchets incinérables par litre de lait vendu d'un facteur 10 ! Bien. Mais tout cela c'est du passé me direz-vous?

Non, parce que nous pourrions bien être en train de refaire la même erreur: Cadiom tel qu'il est projeté maintenant fait le pari que nous allons continuer à brûler des déchets en grande quantité: 130 000 t/an dans les fours 5 et 6, soit 58 MW thermiques (page 17 du rapport technique). Mais ces prévisions ne tiennent pas compte d'une éventuelle future réduction de la qualité de déchets incinérés. Depuis 10 ans, le tonnage des déchets à incinérer a fondu de 30% par rapport aux prévisions de M. Lancoud. Est-il envisageable de parier aujourd'hui sur une réduction d'encore 50% d'ici à 20 ans? Et dans ce cas que deviendra Cadiom, qui a besoin de déchets à brûler pour chauffer Onex? Nous ne savons pas sur quelles projections raisonnables nous appuyer. Nous ne pouvons savoir si Cadiom pourrait se justifier ou non, ni si ce projet risque de freiner les efforts de recyclage et de méthanisation. N'oublions pas que l'incinération est fondamentalement polluante, même en lavant et filtrant les fumées.

L'alternative, si Cadiom ne devait pas se justifier, pourrait être de construire 2 gros CCF (couplages chaleur-force) à Onex. Cette construction pourrait prendre moins de temps que Cadiom. Il serait dès lors utile d'avoir plus d'informations sur cette possibilité en termes d'économie d'énergie et de pollution.

C'est pour ces raisons que nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un bon accueil à notre motion, sachant que le rapport complémentaire demandé ne retarde en rien le projet, puisqu'il peut être élaboré conjointement à l'étude de Cadiom.

Débat

M. Chaïm Nissim (Ve). En 1987, ce Grand Conseil a fait ce que l'on peut considérer aujourd'hui comme étant une bêtise, il a voté plus de 200 millions pour l'agrandissement de l'usine des Cheneviers. Il s'agissait du projet Cheneviers 3. Or il s'avère aujourd'hui que ce projet était surdimensionné.

Les écologistes qui, à l'époque, étaient les seuls à s'y opposer, avaient raison. Nous étions huit contre nonante-deux en 1987. Aujourd'hui, si nous revotions sur ce projet, il ne passerait certainement pas.

Il y a dix ans, nous proposions de construire deux fours plus petits - 37,5 Gcal/h au lieu de 50. Si notre proposition avait été acceptée, l'usine des Cheneviers serait correctement dimensionnée et nous aurions économisé 50 millions.

Les 50 millions que nous avons gaspillés à cette époque, ajoutés à tous ceux que nous avons gaspillés à propos du Bachet-de-Pesay, de l'Hôtel-de-police, de la zone sud de l'hôpital, etc., font que nous payons, aujourd'hui encore, les intérêts de ces dettes. Nous les traînons comme une espèce de gros boulet attaché à notre pied et, à cause de tout cet argent dépensé en pure perte, nous nous trouvons aujourd'hui dans de grandes difficultés financières.

Comme plusieurs de ces bâtiments surdimensionnés sont occupés, nous payons, en plus, les charges d'exploitation, sous forme de salaires pour les gens qui travaillent dans ces bâtiments. C'est le cas à la zone sud, par exemple.

Il s'avère aujourd'hui que les prévisions effectuées en 1987 étaient fausses. Aujourd'hui, nous brûlons 240 000 tonnes de déchets par an, alors que, à l'époque, nous prévoyions d'en brûler 380 000 tonnes. En fait, 30% de déchets ont pu être économisés en dix ans, grâce à toute une série de mesures de recyclage et de compostage. Les grands magasins se sont aussi donné beaucoup de peine pour fabriquer des emballages moins volumineux et moins calorifiques. A cause de tous ces efforts, nous avons pu faire une grosse économie de déchets.

Notre question est la suivante : si, dans les dix ou vingt ans à venir, nous faisons encore un effort et que nous arrivons à réduire l'importance de ces 240 000 tonnes actuellement brûlées - disons à 180 000 tonnes - quid de Cadiom ?

Comme vous le savez, Cadiom est dimensionné pour 30 MW, dans sa version minimale - page 17 du rapport technique - cela signifie que nous devrions brûler, dans les vingt prochaines années, 260 000 tonnes, c'est-à-dire 20 000 tonnes de plus que ce que nous brûlons aujourd'hui. Cela signifie que tous les efforts que nous pourrions faire pour recycler, composter, séparer le papier, le verre, etc., seraient compromis.

C'est la raison pour laquelle nous voulions déposer cette motion en même temps que le projet de loi. Cela n'a pas pu se faire. Je propose que nous acceptions cette motion et qu'elle accompagne l'étude qui sera effectuée à propos de Cadiom, sans retarder cette dernière. Il faut que les mandataires répondent aussi à la question politique consistant à se demander si l'on veut plus ou moins de déchets dans vingt ans et si nous sommes capables de trouver les moyens de réaliser nos objectifs.

Certains députés pourraient nous reprocher le fait que cette étude complémentaire coûte de l'argent. En effet, M. Philippe Joye nous a appris, voilà une quinzaine de jours, que l'étude prévue coûterait, de toute façon, 600 000 F au lieu d'un million prévu dans le projet de loi. Nous avons donc une petite marge et pouvons nous payer le luxe d'étudier les deux simultanément, soit la question des déchets et celle de l'énergie. Je vous remercie de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Cette motion m'a étonné et tout particulièrement son origine. Aujourd'hui, nous savons que nous pouvons faire un meilleur usage de cette ressource «naturelle» - l'eau chaude - que produit l'usine des Cheneviers. En ce sens - vous l'avez tous compris, et heureusement - le projet Cadiom est un excellent projet. Malheureusement, vous faites une telle fixation sur l'incinération des déchets que vous êtes prêts à compromettre cet excellent - environnementalement parlant - projet Cadiom.

Pour le surplus, nous avons dit dans ce Grand Conseil notre désir de voir la Dénox se réaliser dans les meilleurs délais. Un projet de loi a récemment été déposé, que, sans doute, vous pourrez approuver dans un délai raisonnable. Il nous permettra de disposer d'une installation absolument conforme aux exigences sévères, mais nécessaires, en vigueur sur le plan fédéral.

Dès lors que les Genevois ont investi des centaines de millions dans cette usine, il est totalement inutile de continuer à répéter qu'elle est surdimensionnée. Il s'agit d'anticiper et de faire le meilleur usage du matériel dont on dispose et ne pas gaspiller une installation qui, aujourd'hui, devient excellente.

De toute façon, des fours comme ceux des Cheneviers n'ont pas une durée de vie de cent ans. Leur existence est limitée. En ce qui concerne le four 3, par exemple, nous avons envisagé son échéance autour de 2010-2012, au maximum. On pourrait donc imaginer certains fléchissements dans la production. Mais pourquoi faire une fixation sur le fléchissement de notre production aux Cheneviers, dès le moment où l'installation est «tip top» sur le plan de l'environnement. Cela me paraît être un mauvais choix.

J'ai eu l'occasion de donner un certain nombre d'explications au sujet de l'incinération, de la méthanisation, du compostage et des différentes revalorisations que nous pouvons effectuer. J'ai informé sur la politique du département au sujet de la diminution des déchets. Toutes ces actions ont été poursuivies avec un certain nombre de succès, mais il ne serait pas raisonnable de soutenir cette motion.

Si vous voulez éviter un trop long débat - notre ordre du jour étant assez chargé - je puis me rendre à la commission de l'environnement. Mais ne renvoyez pas cette motion, ainsi rédigée, au Conseil d'Etat, car, en réalité, si vous l'acceptez sous sa forme actuelle, vous remettez en question votre vote au sujet du projet Cadiom. Or il n'est sûrement pas dans vos intentions de changer d'opinion à une semaine d'intervalle.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'environnement et de l'agriculture.