Séance du vendredi 19 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 9e session - 41e séance

M 833-A
Motion de Mmes Vesca Olsommer, Hélène Braun-Roth et Fabienne Bugnon concernant l'enfance maltraitée. ( -) M833
Mémorial 1992 : Annoncée, 6933. Développée, 7207. Adoptée, 7215.
M 914-A
Motion de M. Jean-Luc Ducret concernant l'enfance maltraitée. ( -) M914
Mémorial 1994 : Développée, 1771. Adoptée, 1777.
Q 3301
b) Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite de Mme Marie-Laure Beck-Henry : Un médiateur pour les enfants. ( ) Q3301
Mémorial 1989 : Annoncée, 6495.

19. a) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur les objets suivants :

Les motions dont il est fait rapport ici ont été déposées par Mmes Vesca Olsommer, Hélène Braun-Roth et Fabienne Bugnon d'une part, le 13 novembre 1992, et par M. Jean-Luc Ducret d'autre part, le 26 avril 1994. La question écrite a été déposée par Mme Marie-Laure Beck le 7 novembre 1989.

Les deux motions et la question écrite portent sur le même sujet: «l'enfance maltraitée à Genève».

La motion 833 invite le Conseil d'Etat:

- à indiquer combien de cas de maltraitance d'enfants sont répertoriés à Genève et quelle est leur nature;

- à inventorier les divers services, instances, associations, fondations dont les tâches sont de se préoccuper de ce problème, sous l'angle psychologique, social, judiciaire, médical et à évaluer quelle coordination existe;

- à présenter les différents types de formation dont disposent leurs collaborateurs;

- à dresser un bilan de la présentation aux élèves de notre canton de la pièce de théâtre «A bouches décousues»;

- à définir, si besoin est, une politique cohérente en ce domaine en matière de prévention et de formation.

La motion 914 invite le Conseil d'Etat:

- à prendre connaissance du rapport du groupe de travail consacré à l'enfance maltraitée en Suisse;

- à présenter à son tour un rapport indiquant l'état du phénomène à Genève, ainsi que les mesures, législatives au besoin, qui peuvent être prises sur le plan cantonal et en collaboration avec les communes pour prévenir et traiter les situations de mauvais traitements envers les enfants.

La question écrite 3301 est ainsi libellée:

«Souvent victimes des conflits de leurs aînés auxquels ils sont mêlés, parfois dès leur naissance, les enfants et les adolescents sont souvent démunis pour plaider leur cause quand ils arrivent devant les instances officielles chargées de les entendre et de les juger.

En raison de l'adoption prochaine par l'Assemblée des Nations Unies de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'invitation qui sera faite aux Etats de la ratifier, ne convient-il pas de désigner, dans notre canton, un «médiateur pour les enfants», chargé d'examiner et de prendre en main l'aspect spécifique de leur situation, auquel ils puissent s'adresser en toute indépendance?»

Le Conseil d'Etat souhaite répondre de façon exhaustive aux différentes questions posées et présenter à cette occasion la politique appliquée à Genève pour lutter contre la maltraitance à l'égard des enfants.

Plan du rapport

1. Analyse du rapport fédéral «Enfance maltraitée en Suisse» (1992)

2. Etat du phénomène à Genève

3. Inventaire des divers services traitant du problème et leur coordination

4. Un médiateur pour les enfants?

5. Les formations du personnel

6. La prévention

7. Les mesures concrètes prises à Genève

8. Conclusion

1. Analyse du rapport fédéral (1992) «Enfance maltraitée en Suisse»

Le rapport fédéral «Enfance maltraitée en Suisse» a été élaboré de 1988 à 1992 par un groupe de travail pluridisciplinaire mandaté par le département fédéral de l'intérieur.

Après avoir décrit dans une première partie la composition du groupe et sa mission, le rapport analyse dans une deuxième partie le phénomène, en donne des définitions, en montre l'ampleur et les conséquences sur le développement de l'enfant. Dans une troisième partie, le rapport tente une approche de la genèse de la maltraitance, de ses causes. Dans la quatrième partie, les modalités d'intervention existantes sont décrites comme déficitaires, insuffisantes, manquant de cohérence et de suivi. Enfin, au cinquième chapitre, le rapport propose les mesures à prendre, émet des recommandations.

Dans la conclusion du rapport, on trouve cet avertissement:

«Les mesures proposées impliquent de nouvelles adaptations des institutions sociales, pédagogiques, judiciaires, tutélaires, soignantes et éducatives, aux besoins des enfants et de leurs proches.

Soutenir mieux les familles en général, privilégier la prévention jusque-là négligée et découragée, ne seront cependant possibles que lorsque les autorités fédérales, cantonales et communales, reconnaissant l'étendue des phénomènes de maltraitance infantile et celle de leurs conséquences sur la santé de la population, décideront de manière concertée d' y faire face...

Faute de quoi, notre société évoluera vers une phase où les adultes en bonne santé ne pourront supporter la charge des personnes dépendantes, dont font partie beaucoup de sujets maltraités non aidés.»

Pour tenter de voir dans quelle mesure notre canton a su ou non répondre aux inquiétudes exprimées dans le rapport, nous analyserons ci-dessous les recommandations qui y sont contenues.

Ces «recommandations» constituent non seulement une liste de ce qui doit ou devrait se faire en matière de maltraitance, elles élaborent surtout une politique de protection de la jeunesse beaucoup plus vaste et globale. Leur analyse détaillée et la comparaison avec ce qui se fait ou ne se fait pas à Genève demanderaient un rapport complet sur la politique en faveur de la jeunesse dans notre canton. Cela n'est pas notre objet ici. Nous nous bornerons donc à citer quelques aspects principaux relevés dans le rapport fédéral touchant à la maltraitance.

Les recommandations sont de niveau et de nature bien différents puisqu'elles vont de la modification de la constitution à la fixation des heures de visite dans les hôpitaux. Ces recommandations interpellent les autorités politiques fédérales, cantonales et communales, les autorités exécutives et judiciaires.

1.1. Recommandations sur le plan juridique

Ces recommandations portent sur la ratification de la Convention des droits de l'enfant, l'adoption d'un article constitutionnel de protection de l'enfant, des modifications souhaitées de l'assurance-maladie, l'application de la LAVI (loi sur l'aide aux victimes d'infraction), la modification du code pénal (obligation d'aviser, délai de prescription, enlèvements d'enfants en matière internationale), la modidication du code civil (droit du divorce, droit de la tutelle, ordonnance réglant le placement d'enfants, création de médiateurs d'enfants).

Mesures appliquées à Genève

Dans notre canton, l'enfant est entendu dans les procédures pénales où il est partie, mais également lorsqu'il est concerné, en cas de divorce de ses parents, par exemple. Le service de protection de la jeunesse entend régulièrement les enfants et transmet ensuite un rapport au juge.

Par ailleurs, le Grand Conseil a récemment adopté une modification de la loi de procédure civile (Feuille d'avis officielle du 7 février 1997) qui permet à un enfant - dans certaines conditions - d'être entendu directement par le juge.

Des avocats se sont formés à l'initiative de SOS-Enfants pour être à même de défendre les intérêts des enfants en justice ou à l'égard des tiers.

Les mineurs disposent de multiples lieux où ils peuvent s'adresser, parler de leurs problèmes. Nous en verrons la liste ci-dessous. Rappelons l'ouverture en 1993 du centre LAVI (loi sur l'aide aux victimes d'infraction) qui constitue encore un lieu spécialisé où chacun peut parler lorsqu'il se sent victime de maltraitance.

En ce qui concerne l'exécution du droit de visite, deux Points de rencontre ont été ouverts qui permettent au parent détenteur du droit de visite de rencontrer son enfant de manière organisée et appropriée.

En matière de placement, un groupe du service de protection de la jeunesse est spécialisé dans la surveillance des placements d'enfants en institution ou en famille.

Des travailleurs sociaux se sont formés à la médiation; cette technique de «remise en communication», qui vise à faire trouver une solution par les partenaires à leurs difficultés, est utilisée dans les divers services officiels. Une «maison de la médiation» vient d'ouvrir ses portes. Des offices de consultation conjugale existent et sont soutenus par l'Etat.

D'autres mesures existent encore qui permettent de dire que, même si des dispositions fédérales doivent être modifiées, beaucoup d'actions peuvent être menées sans en attendre l'entrée en vigueur.

1.2. Recommandations visant à une politique familiale et sociale

Nous l'avons dit plus haut, les recommandations de ce chapitre visent non seulement la maltraitance, mais plus globalement toute la politique sociale et familiale. Quelques exemples de recommandations peuvent ainsi être cités:

- soutien financier aux familles: assurance-maternité, assurance-maladie, allègements fiscaux, allocations familiales, recouvrement des pensions alimentaires;

- mesures de politique sociale : logement, conditions de travail favorisant la vie familiale, horaires scolaires adaptés, environnement (pollution, aménagement, circulation routière), médias (apprentissage de la «lecture» de ceux-ci, déontologie des médias), renforcement des gardes extra-familiales, organisation et renforcement de l'offre en matière de conseils aux familles, soutien aux familles en situation spéciale (familles nourricières, adoptives, dont un parent est malade ou détenu), travail auprès des enfants de requérants d'asile, de réfugiés, de saisonniers.

Qu'il nous soit permis de dire ici, sans entrer dans les détails, que la politique menée par notre canton tient compte largement des besoins de la famille et de l'enfant. Des améliorations sont évidemment toujours souhaitables et nous nous attachons à les apporter chaque fois que cela est nécessaire et possible. Un groupe de travail, mandaté par la présidente du département de l'instruction publique et le président du département de l'action sociale et de la santé, étudie actuellement les mesures concrètes existantes et souhaitables de notre canton en faveur de la famille suite au «livre blanc» édité après le colloque «Familles en mouvement» de 1994 . Le but de cette étude est d'améliorer encore les synergies entre les divers acteurs agissant auprès de la famille, de visualiser et d'intensifier une politique familiale globale.

Dans le domaine de l'accueil des enfants étrangers, le département de l'instruction publique fournit un effort particulier d'accueil, de soutien, d'intégration, sachant bien qu'il s'agit là de mesures préventives absolument nécessaires.

1.3. Recommandations en matière d'éducation

Ce chapitre est particulièrement développé dans le rapport fédéral. Il parle de

- la prévention primaire par l'instruction publique et la formation professionnelle (formation des enfants et des enseignants, méthodes éducatives, prise en charge de la violence, intégration).

Ce passage se termine ainsi:

«D'une manière générale, les formules pédagogiques nouvelles soutenant les processus d'autonomisation, la responsabilisation des mineurs quant à leur propre accomplissement et à leur contribution active à la vie communautaire doivent être développées. L'instruction civique et juridique, l'information sur les droits des mineurs et de l'humain font partie de tels programmes.»

La recommandation concernant le problème de la maltraitance est la suivante:

«Des enseignements sur la maltraitance et sur toutes les mesures utiles à sa prévention doivent être introduits dans les formations pré- et postgraduées de toutes les disciplines concernées.»

A Genève, le département de l'instruction publique est toujours plus souvent appelé, notamment par le biais de motions de votre Conseil, à apporter à l'élève non seulement des connaissances, mais aussi un savoir-être. Ainsi, le Conseil d'Etat devrait développer l'éducation à la santé, l'éducation civique, l'éducation au respect des valeurs, la prévention à la violence, l'éducation physique, ce sont là les thèmes de motions récentes.

L'article 4 de la loi sur l'instruction publique donne parfaitement le cadre à ces activités dans ses lettres

b) d'aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité, sa créativité ainsi que ses aptitudes intellectuelles, manuelles, physiques et artistiques;

et

d) de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l'entoure, en développant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération;

De multiples actions ont ainsi été développées ces dernières années dans les divers ordres d'enseignement, visant à la prévention ciblée: violence, toxicodépendances, SIDA, mais également à une prévention globale, promotion de la santé.

Les enseignants, soutenus notamment par le service de santé de la jeunesse, par les équipes psycho-sociales des collèges, s'attachent ainsi dans le courant de la vie scolaire à transmettre ces messages à l' élève, qu'il s'agisse de maltraitance, de violence, de santé, de prévention des toxicodépendances, et à lui donner peu à peu le moyen de devenir un adulte équilibré et responsable.

1.4. Recommandations concernant la prévention et les thérapies des contextes maltraitants

Le rapport fédéral insiste finalement sur toutes les aides à apporter au mineur en situation de risque ou déjà en difficulté. Il passe ainsi en revue la prévention (auprès des enfants, auprès des familles à risque) et des mesures à prendre dans le contexte de l'enfant maltraité. Nous reviendrons largement ci-dessous sur ces deux aspects de la maltraitance (ch. 3, 6 et 7), mais précisons d'emblée que les services officiels de la jeunesse de notre canton traitent pratiquement tous les aspects du développement de l'enfant (médical, psycho-pédagogique, social, loisirs, financier et juridique); ils sont réunis en un office, l'office de la jeunesse, sis dans le département de l'instruction publique qui a, lui, la charge de l'enseignement. Cette unité et cette proximité permettent d'élaborer une politique cohérente et de l'appliquer de façon cohérente également. Ces services sont ainsi là pour répondre aux besoins variés des mineurs en difficulté; des réseaux sont en place qui permettent à chaque professionnel de jouer son rôle dans une équipe, dans un quartier, pour aider un jeune, une famille en difficulté, à retrouver l'équilibre indispensable à son développement.

1.5. Conclusion à ce stade

Le Conseil fédéral a publié (Feuille fédérale du 3 octobre 1995, n° 39, volume IV) son «Avis» sur le rapport «Enfance maltraitée en Suisse» de juin 1992. Il y énumère une à une les recommandations émises par le groupe de travail et analyse ce qui est fait ou peut être fait tant au niveau de la Confédération qu'aux niveaux cantonal et communal de ses conclusions. Cet avis rejoint dans les grandes lignes les considérations du Conseil d'Etat genevois et le renforce dans l'idée que les remèdes au phénomène maltraitance sont à trouver dans la poursuite et l'application, au jour le jour, d'une politique familiale et de la jeunesse visant à donner à celle-ci toutes les chances de se développer de façon optimale.

2. Etat du phénomène enfance maltraitée à Genève

2.1. Statistiques

L'appréciation du nombre de situations de maltraitance n'est aisée ni à Genève ni ailleurs en Suisse; le rapport fédéral le montre aisément. Trois raisons à cet état de choses:

- la nature forcément critique du phénomène qui est entaché de honte et de stigmatisation;

- l'absence de consensus sur des définitions claires des diverses formes de maltraitance;

- l'inexistence d'un organisme centralisateur dont la mission serait précisément d'établir de telles statistiques en s'assurant de l'uniformité des définitions utilisées par les divers partenaires sociaux, médicaux et judiciaires, et en vérifiant que les signalements ne soient pas faits à double ou davantage.

On peut toutefois indiquer les chiffres répertoriés par les divers organismes qui travaillent en ce domaine:

SIGNALEMENTS 1995/1996

Aux services suivants:

sévices physiques

sévices sexuels

négligences graves

divers psychiques

total

Service de santé de la

jeunesse (année scolaire

1995/96)

62

17

45

29

153 *

Service de protection de la

jeunesse (année scolaire

1995/96)

40

26

7

12

85

Hôpital des enfants (1995)

- confirmés

- suspectés

31

12

8

15

3

0

42

27

- signalements enfants

SOS ENFANTS

- signalements parents

38

21

11

17

1

7

50

45

LAVI (loi sur l'aide aux vic-

times d'infractions) 1996

4

43

40*

87

Ministère public **

art.111/112=1

art.122 = 2

art 123 = 7

art.126 = 1

art. 187 = 83

art. 190 = 2

art. 197 = 1

art.183/230

= 11

108

SASCOM (service d'aide et de soins communautaires(année 1996)

15

1

13

6

35

Police (année 1996)

31

16

70

117

 * Rackets, agressions, bagarres, viols concernant des jeunes. Résultats en cours d'évaluation.

** Procédures ouvertes en 1996, selon le code pénal.

Les statistiques établies par la police font ressortir des cas de lésions corporelles simples, graves ou par négligence sur des mineurs sans que l'on puisse déterminer exactement s'il s'agit du résultat d'accidents, de bagarres, d'agressions, soit en général de violence. La Brigade des mineurs, elle, fait état de 2 à 4 cas par mois signalés à ses services; il s'agit de violence sur des enfants à l'intérieur de la famille, à l'école ou sur la voie publique, ou d'abus sexuels entre jeunes.

Les chiffres mentionnés ci-dessus doivent être traités avec prudence:

- d'une part, il ne faut pas les additionner purement et simplement; un même cas peut être signalé à plusieurs services successivement;

- d'autre part, on sait bien que les cas mis à jour ne représentent qu'une partie des cas réels. Les résultats de l'enquête effectuée sur la prévalence des abus sexuels auprès des élèves du cycle d'orientation le démontrent.

On constate toutefois que le nombre de signalements est en augmentation. L'augmentation visible, statistique, ne signifie toutefois pas simplement que le nombre des enfants maltraités augmente, mais plutôt que le phénomène est mieux connu et reconnu, mieux pris en compte: d'un côté, les enfants apprennent peu à peu qu'ils peuvent parler, se confier, d'un autre côté les professionnels qui les entourent, personnel de la petite enfance, enseignants, travailleurs sociaux, infirmières scolaires et médecins, ont été formés à détecter et comprendre les signes plus ou moins explicites de ceux qui subissent de tels sévices. Des organismes, enfin, ont été mis sur pied, tels SOS-Enfants (relayé par la Main tendue à certaines heures), Allô Parents, qui sont à la disposition de la population - enfantine, notamment - pour répondre de façon continue et compétente aux appels téléphoniques.

Les rapports détaillés des organismes mentionnés ci-dessus, notamment ceux du service de santé de la jeunesse et du CAN TEAM (Child Abuse and Neglect Team), équipe «enfance maltraitée» de l'Hôpital des enfants, fournissent une foule de renseignements utiles qu'il ne nous est pas possible de reproduire ici, par exemple sur l'âge et le profil des victimes et de la personne maltraitante, les origines possibles de la maltraitance. A noter que sur 97 évaluations en 1995, à l'Hôpital des enfants, la suspicion de maltraitance a été confirmée 42 fois, suspectée 27 fois sans confirmation, rejetée 16 fois; 12 cas ont été considérés «à risque».

2.2. Enquête sur les abus sexuels

Au cours de l'année scolaire 1994-95, une importante étude épidémiologique visant à établir la prévalence des abus sexuels chez l'enfant à Genève a été conduite par le département de pédiatrie en collaboration avec l'Institut de médecine sociale et préventive, la factulté de psychologie, le service de santé de la jeunesse et le service médico-pédagogique. Cette étude, autorisée par le département de l'instruction publique et soutenue par le département de l'action sociale et de la santé et le Fonds national pour la recherche scientifique, porte sur plus de 1 000 élèves de 9e du cycle d'orientation, représentatifs de la population genevoise. Ceux-ci ont été interrogés au moyen d'un questionnaire confidentiel et anonyme. Selon les chercheurs, l'analyse de ces données indique que les abus sexuels sur les enfants sont, dans notre canton (comme dans d'autres pays), plus fréquents qu'on ne l'imaginait naguère: des abus sexuels de tous ordres sont en effet rapportés par 33,5% des filles et 11,5% des garçons. Si l'on se limite à estimer les cas les plus graves, c'est-à-dire ceux dont les caractéristiques de contrainte ont été confirmées par d'autres questions, et qui impliquaient un contact corporel avec ou sans pénétration génitale (à l'exclusion, par exemple, de rencontres avec des exhibitionnistes ou du visionnement de documents pornographiques), on observe une prévalence de 10,4% chez les filles et de 1,3% chez les garçons. Environ 40% de ces enfants ont été abusés pour la première fois avant l'âge de 12 ans.

Les résultats de cette étude nous ont conduits à réfléchir de façon encore plus accrue aux mesures préventives et thérapeutiques adéquates (voir chapitre 6 et suivants du présent rapport).

3. Prise en charge de la maltraitance: inventaire des organismeset mode de collaboration

3.1. Organismes

Il n'y a pas très longtemps que l'on prend l'enfant en compte comme un individu à part entière, un sujet de droits. Il n'y a, ainsi, pas longtemps que l'on prend réellement au sérieux les dires de l'enfant lorsqu'il est maltraité, sa souffrance et les conséquences de celle-ci sur son développement. Ainsi, la maltraitance est un phénomène dont la fréquence et les conséquences graves n'ont été reconnues que récemment. Il convient d'y faire face avec tous les moyens possibles.

Nombreuses sont les institutions publiques et privées impliquées dans la problématique de la maltraitance à divers niveaux d'intervention: la prévention, le dépistage, le signalement, la prise en charge et le suivi sur les plans médicaux, sociaux, psychologiques et judiciaires.

Elles s'adressent, selon leurs activités spécifiques, leurs lieux et modes d'intervention, à toutes les personnes concernées, dont principalement les parents, les enfants, les adolescents et les professionnels de l'enfance: enseignants, éducateurs, personnel de la petite enfance et de la santé.

Sans être complets, nous énumérons ci-dessous les principaux organismes qui s'occupent d'enfance maltraitée:

En premier lieu, viennent les services officiels: l'office de la jeunesse avec les services de santé de la jeunesse, de protection de la jeunesse, médico-pédagogique, et du tuteur général, le service de psychiatrie infantile, l'Hôpital des enfants, le centre de consultation LAVI (loi sur l'aide aux victimes d'infractions), le CIFERN (centre d'information familiale et de régularisation des naissances) et la police de sûreté. Ces services assurent le dépistage et le traitement de la maltraitance.

Viennent ensuite les organismes privés, notamment: SOS Enfants, antenne spécialisée du BCAS (Bureau central d'aide sociale); d'autres organismes, non spécialisés dans l'enfance mais plutôt dans l'accueil des femmes et des couples, peuvent être confrontés au problème: Association des familles monoparentales, Bureau genevois de l'égalité des droits entre hommes et femmes, Solidarité femmes, Hospice général, Croix-Rouge genevoise, F Information, le Kiosque-Terre des femmes, le Mouvement de la condition paternelle, les services sociaux des communes, le Centre social protestant et Caritas, l'Institut d'études du couple et de la famille, l'Ecole des parents, le service social de la maternité, les institutions genevoises d'éducation spécialisée.

Le nombre et la variété des organismes cités ci-dessus sont impressionnants. Face à un tel problème, il ne faut pas oublier toutefois que les portes doivent être grandes ouvertes pour être à l'écoute des victimes et pour les orienter et les aider valablement. Chacun assume alors son rôle en fonction de sa spécificité.

3.2. Modes de prise en charge

La prise en charge d'une situation comporte plusieurs stades: le dépistage, le diagnostic et enfin le traitement lui-même. La prise en charge comporte souvent également un volet judiciaire pénal et/ou tutélaire.

Les professionnels qui entourent l'enfant sont de plus en plus sensibilisés au problème et formés à y répondre.

Educatrices, éducateurs de la petite enfance et enseignants ne sont pas appelés à traiter eux-mêmes les cas suspectés - ce n'est pas leur rôle - mais à les signaler soit au service de santé de la jeunesse, au service médico-pédagogique, à la protection de la jeunesse, à l'Hôpital des enfants, ou directement à la police de sûreté.

Interpellés, ces services interviennent de façon immédiate pour prendre les mesures d'urgence qui s'imposent: confirmation de diagnostic par des professionnels, mesures de protection en faveur de l'enfant, dénonciation à la justice.

Les mesures d'appui (social, éducatif), de contrôle, de traitement, sont alors envisagées; elles visent d'abord et surtout l'enfant mais aussi son entourage familial dans sa globalité et le maltraitant lui-même qui doit, certes, être sanctionné mais aussi traité. La prise en charge médico-sociale est assurée par les divers services sociaux (protection de la jeunesse, tuteur général) ou médico-sociaux (service médico-pédagogique, Guidance infantile). Elle peut l'être aussi en privé. Ainsi, sur les cas recensés par l'Hôpital des enfants, 34 ont été transférés à la protection de la jeunesse, 47 à d'autres services sociaux, 12 en foyer, 2 en famille d'accueil ou crèche, 8 à la Guidance infantile, 2 au service médico-pédagogique, 8 au secteur privé.

Le pouvoir judiciaire est aussi appelé à intervenir tant sur le plan civil pour prendre les mesures tutélaires qu'impose la situation, notamment le retrait de garde, que sur le plan pénal pour poursuivre l'auteur de la maltraitance.

3.3. Collaboration et coordination entre les différents services

La multiplicité des services décrite et la complexité du problème appellent, bien entendu, une cohérence et une coordination entre les acteurs du terrain.

Ainsi, se sont créées plusieurs entités de travail et de coordination:

- Dans le cadre de l'office de la jeunesse, un groupe s'est constitué dès janvier 1990: GEM (groupe enfance maltraitée). Il réunit des représentants du service de santé de la jeunesse, de la protection de la jeunesse, du service médico-pédagogique, du service du tuteur général, auxquels s'est associé un représentant du service de psychiatrie infantile (Guidance infantile), également membre de l'équipe «enfance maltraitée» de l'Hôpital cantonal: CAN-TEAM («Child Abuse and Neglect Team»). Ce groupe interservice et pluridisciplinaire a étudié les différents modèles d'intervention, à tous les niveaux (de la prévention à la prise en charge), en tenant compte non seulement des spécificités des services et de leurs compétences, mais aussi de l'articulation de ces services entre eux, et avec ceux de l'extérieur (Hôpital des enfants, SOS-Enfants, police de sûreté, ministère public).

Après s'être attaché à définir des concepts communs d'intervention et des principes de collaboration, le groupe se penche maintenant sur les situations concrètes qui se présentent pour affiner encore et coordonner les modes de faire. On y insiste sur l'existence nécessaire d'un coordinateur lors de la prise en charge d'une situation de maltraitance par plusieurs structures.

Le groupe dirige aussi sa réflexion sur la «première audition» de l'enfant: qui doit la faire, comment y procéder, etc.

- Dans le cadre de l'Hôpital des enfants, s'est constitué en mars 1991 le groupe «CAN TEAM». Ses participants, de 4 en 1991, à 12 à fin 1994, sont des professionnels médecins (psychiatre, pédiatre, gynécologue), sage-femme, infirmière, assistante sociale de l'Hôpital cantonal (Hôpital des enfants, service de chirurgie pédiatrique, maternité, service de psychiatrie infantile). Le groupe, créé et coordoné pendant plusieurs années par le Dr D. Halperin, s'est donné pour tâche d'étudier et d'évaluer les cas de maltraitance signalés à l'Hopital des enfants, et d'offrir une structure permanente de réflexion et d'assistance aux équipes médicales et paramédicales de l'Hôpital des enfants. Le CAN TEAM publie un rapport annuel très complet; il contribue activement à l'information et à la formation des milieux concernés.

- Sur le plan cantonal enfin, un autre groupe dit de référence s'est constitué à l'initiative de la direction générale de l'office de la jeunesse et sous la coordination du docteur P. Hazeghi, directeur du service de santé de la jeunesse, en faisant appel aux responsables du service médico-pédagogique, du service de protection de la jeunesse, du service du tuteur général, du CAN TEAM de l'Hôpital des enfants, de la Brigade des mineurs, du Tribunal tutélaire et d'un représentant du Parquet; ce groupe, dont l'existence a été officialisée par la présidente du département de l'instruction publique, a pour mission d'examiner les différents moyens susceptibles de renforcer les programmes de prévention et de suivi des situations de maltraitance à l'échelle cantonale. Les décideurs qui le constituent sont compétents pour donner les influx nécessaires dans leurs structures suite aux décisions prises par le groupe. Il peut également préaviser aux autorités des mesures à prendre. Il est convenu que ce groupe «commission cantonale de référence sur la violence et la maltraitance à l'encontre des mineurs» fasse un rapport annuel à la cheffe du département de l'instruction publique et à ses confrères concernés.

4. Un médiateur pour les enfants?

Dans sa question écrite (voir annexe), Mme Marie-Laure Beck reprenait l'idée déjà émise antérieurement lors d'une motion de 1979 «pour un ombudsman pour les enfants» de la création d'un poste de médiateur, personnalité neutre, compétente et disponible pour écouter les enfants en détresse, les orienter vers les services concernés et s'assurer du suivi de leur cas.

Le système du médiateur pour enfants est connu en Norvège. Les pourparlers entamés à Genève dans les années 60 puis de nouveau à la fin des années 80 avaient toutefois amené à renoncer à créer cette nouvelle structure au vu de l'équipement cantonal particulièrement bien fourni dans le domaine médico-psycho-social et éducatif.

Le constat reste aujourd'hui le même: de multiples lieux existent - nous les avons énumérés plus haut - où les enfants peuvent s'adresser en toute confidentialité, neutralité et compétence. Ils y trouvent une écoute attentive par des personnes qui seront à même soit de les prendre en charge directement, soit de les orienter activement vers d'autres professionnels. Il suffit de citer l'existence de SOS-Enfants, des services d'accueil de l'office de la jeunesse, du personnel social et médico-social des écoles pour s'en convaincre.

Plutôt que de proposer la création d'une nouvelle structure, il est donc plus judicieux de s'attacher à mieux coordonner les interventions des différents services.

La commission cantonale de référence est d'ores et déjà chargée de cette mission. Elle peut déléguer à des sous-groupes l'étude et la mise en place des structures nécessaires à la prise en charge de la maltraitance dans notre canton. En outre, la direction générale de l'office de la jeunesse a, de par la loi sur l'office de la jeunesse, le rôle de coordination qu'elle utilise dans les cas de maltraitance aussi, lorsque c'est nécessaire.

5. Formation et sensibilisation des professionnels

Le personnel des services officiels et celui de la plupart des organismes privés sont constitués de professionnels de la santé, du domaine social, de la psychologie, de l'éducation, de la police et de la justice. Depuis quelques années, les lieux respectifs de formation professionnelle ont fait un effort particulier pour que ces professionnels soient formés dans le domaine spécifique de la maltraitance, qu'il s'agisse de sensibilisation en vue de dépistage (pour le personnel de la petite enfance et les enseignants par exemple) ou pour la prise en charge (par les travailleurs sociaux et éducateurs par exemple).

Les bénévoles travaillant dans des organismes privés reçoivent eux aussi, dans la plupart des cas, une formation propre à leur permettre de répondre de façon adéquate aux cas qu'ils rencontrent.

Le développement normal ou problématique de l'enfant est abordé tout au long des études que poursuivent les enseignants, notamment les enseignants du primaire. La maltraitance en fait par conséquent automatiquement partie.

Les enseignants de l'enseignement primaire ont reçu une brochure sur la prévention à l'école et la façon de réagir à des événements violents ou des soupçons de maltraitance. Ils savent comment collaborer avec le service de santé de la jeunesse présent dans chaque école par l'intermédiaire de l'infirmière scolaire.

Les travailleurs sociaux ou thérapeutes qui prennent en charge des situations de maltraitance bénéficient en outre de supervisions, outil indispensable au bon développement de leur action.

6. Actions préventives («A bouches décousues»....)

L'étendue du phénomène maltraitance étant maintenant largement connue, il convient de le prendre en charge dans sa globalité, c'est-à-dire s'attacher aussi à le prévenir auprès des victimes potentielles d'une part, les enfants, pour qu'ils se sentent protégés, sachent se défendre, refuser, mais aussi dénoncer les actes qu'ils subissent, auprès des personnes susceptibles de maltraiter d'autre part, parents, futurs parents, public à risque, population en général, pour qu'ils puissent avoir recours à des soins et appuis utiles lorsqu'ils rencontrent des situations à risque.

Il s'agit, en prévention secondaire, d'attirer l'attention de la population, mais plus particulièrement celle de l'entourage de l'enfant, parents, enseignants, personnel de la petite enfance, éducateurs, pour qu'ils soient attentifs aux signaux qu'émet un enfant malheureux, maltraité peut-être.

6.1. Prévention auprès des enfants

Il s'agit d'informer correctement les enfants, de leur montrer qu'il y a des limites à leur acceptation de certains gestes, qu'ils ont le droit de refuser certaines attitudes, de les dénoncer si malheureusement elles ont eu lieu.

A l'école primaire et au cycle d'orientation, les élèves bénéficient à trois reprises de l'intervention de l'équipe d'éducation à la santé du service de santé de la jeunesse avec son programme «Histoire de la Vie» et d'éducation sexuelle. Ces interventions abordent la question qui peut être approfondie plus tard par les enseignants en classe, assistés, s'ils le désirent, des infirmières scolaires ou d'autres spécialistes. Le sujet est également de plus en plus souvent abordé à l'école enfantine à la demande des enseignants. Une équipe de professionnels de SOS-Enfants intervient en coordination avec le service de santé de la jeunesse dans des classes qui le demandent.

Un important matériel existe que l'on peut remettre ou travailler avec les enfants: brochures, bandes dessinées, vidéos, diapositives. Les enfants sont aussi informés sur les lieux où ils peuvent s'adresser - même de manière anonyme - pour obtenir soutien et conseils. Une brochure éditée par SOS-Enfants leur est distribuée.

Suite aux événements survenus en automne 1996 à la sortie de deux écoles, les parents et les enseignants ont à nouveau été mis au courant des mesures prises, des précautions à appliquer. Le service de santé de la jeunesse et l'enseignement primaire ont mis sur pied un service d'urgence à disposition des parents et enseignants, prêt à répondre aux questions et surtout conseillant sur le message à faire passer aux enfants. Il faut toutefois noter que la prévention a effectivement porté ses fruits puisque dans ces deux cas médiatisés, comme dans d'autres moins connus du public, les enfants ont réagi positivement, refusé toute approche et signalé l'événement à leur entourage adulte. Suite à ces événements également, une trentaine de séances ont été organisées par le service de santé de la jeunesse et l'enseignement primaire à la demande des parents pour les informer des mesures possibles.

En avril 1991, 3 308 élèves de 2e, 3e et 4e primaire ont assisté à 15 représentations de la pièce «A bouches décousues» au théâtre Am-Stram-Gram, représentant 168 classes. Dans l'ensemble, et de l'avis des infirmières scolaires qui ont accompagné certaines classes à la demande des enseignants, l'écoute et la participation des élèves pendant le spectacle ont été bonnes. Les éducateurs pour la santé du service de santé de la jeunesse ont eu, durant les leçons «Histoire de la vie» en 4e année qui ont suivi le spectacle, des discussions animées de même que des commentaires très positifs de la part des élèves. L'essentiel du discours a été bien intégré:

- ne rien accepter de la part d'inconnus;

- identifier les bons des mauvais touchers;

- oser dire «non» et en parler à une personne de confiance lorsque certaines rencontres posent problème.

Selon l'évaluation des besoins et des offres, de telles manifestations seront à nouveau organisées. Un programme «Kidpower» est actuellement testé à Neuchâtel, il n'est pas exclu que notre canton le reprenne.

Les programmes de prévention auprès des enfants sont constamment renouvelés, analysés et évalués par l'équipe interdisciplinaire mise sur pied à la suite de l'enquête genevoise sur les abus sexuels Cette équipe, sous-groupe de la commission cantonale de référence, se propose de renouveler et d'évaluer les divers programmes proposés, éventuellement d'en créer de nouveaux.

6.2. Prévention auprès des maltraitants potentiels

Les problèmes économiques et sociaux semblent rendre leurs victimes plus vulnérables, plus fragiles, plus violentes. Agir en prévention signifierait donc, en principe, agir en amont du problème spécifique, sur le climat politico-économique, sur les conditions de vie en général, celles de la famille en particulier.

Par ailleurs, les statistiques auraient mis à jour certains facteurs de risque constitués, par exemple, par les mauvaises conditions au moment de la naissance (parents malades, toxicomanes), les mauvaises conditions matérielles de la famille, la mauvaise adaptation de la famille à son milieu de vie. Il faut lutter, de manière générale, contre ces conditions de vie défavorables, mais il est aussi possible de cibler des mesures préventives en matière de maltraitance sur les personnes visées en leur portant une attention particulière, par exemple lorsqu'elles traversent les périodes dites déclenchantes (voir la récente motion sur les femmes parturientes).

Une écoute particulière et spécifique devrait être apportée aux personnes qui sentent qu'elles ont tendance à mal agir, afin d'éviter qu'elles ne passent à l'acte.

6.3. Prévention de la récidive

L'affaire Dutroux, en Belgique, a mis en lumière le danger de récidive qui existe chez les auteurs d'abus sexuels. La punition imposée par le système judiciaire et exécutée, parfois pendant de longues années, ne suffit pas à prévenir la récidive. Il est nécessaire de mettre en place et de rendre accessibles de véritables programmes thérapeutiques visant à soigner l'abuseur. Ce faisant, on peut espérer faire de la prévention à l'égard de multiples enfants puisque les délinquants sexuels font, en général, plusieurs victimes. Un récent congrès européen organisé par la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation et l'institut de médecine légale s'est penché sur ce problème. Le canton de Genève cherche également à répondre à ce besoin; il serait impératif de créer un vrai travail en réseau, impliquant le département de justice et police et des transports (service d'exécution des peines), le pouvoir judiciaire, les hôpitaux de psychiatrie, la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, et l'institut de médecine légale (département de l'action sociale et de la santé). Cela permettrait de prendre en charge de manière globale les délinquants sexuels et tenter d'éviter des récidives. Un groupe comportant des représentants des organismes mentionnés ci-dessus s'est réuni une première fois en mars 1997 et les premiers échanges ont été fructueux.

Il s'agit de mettre en commun les préoccupations et trouver ensemble des solutions concrètes. Il s'agit, ce faisant, de participer à la réponse à apporter aux députés qui s'inquiètent avec raison du phénomène (voir motion 1088, résolution 331 et interpellation urgente 228 en matière de lutte contre la criminalité sexuelle).

6.4. Prévention secondaire

Lorsque les sévices ont malheureusement eu lieu, le mal est certes fait mais ses conséquences seront moins graves si la victime peut en parler, si des mesures de thérapie sont prises. Il faut donc absolument former les professionnels qui côtoient l'enfant à détecter les maux, à savoir l'orienter; il faut aussi former les professionnels du travail médico-social à soigner ces maux ainsi détectés.

Les cursus de formation des enseignants et des éducateurs et éducatrices de la petite enfance comportent maintenant des volets de sensibilisation à ces questions. Des formations continues existent aussi, au cours desquelles les enseignants peuvent partager leurs expériences et approfondir leurs connaissances.

7. Mesures concrètes prises à Genève et perspectives d'aveniren matière de prise en charge

Après avoir énuméré ci-dessus les recommandations du rapport fédéral, les structures et leur mode de prise en charge en matière de maltraitance, nous tenons à donner ici quelques exemples d'actions concrètes en cours ou nouvelles qui peuvent particulièrement attirer l'attention.

7.1. Protocole d'intervention en matière de maltraitance

En matière de prise en charge, le service de protection de la jeunesse a établi un «protocole d'intervention en matière de maltraitance», fruit de l'expérience et de la réflexion des professionnels de ce service. Ce document contient une introduction générale sur la maltraitance et ses sources, en référence au rapport fédéral de 1992, l'énumération de 19 postulats, ou principes sur les méthodes à appliquer dans le service dans les situations de maltraitance (voir annexe), un chapitre intitulé «cheminement opérationnel» qui indique les diverses étapes à franchir, et enfin une partie de rappel des textes légaux et bibliographiques.

Ce protocole - document interne de travail - a été présenté et discuté avec les divers ordres d'enseignement. Ceux-ci ont salué cette réflexion qui les oriente sur les principes qui sous-tendent les actions du service de protection de la jeunesse en ce domaine. Ils savent ainsi comment il est possible de collaborer avec ce service, le plus souvent impliqué lors des dénonciations et de la prise en charge des jeunes et de leur famille.

Les 19 postulats ou principes d'intervention servent maintenant de référence, de base de travail pour la prise en charge de la maltraitance dans notre canton. Ces postulats peuvent se résumer ainsi:

Prise en compte de la maltraitance

- Tout signalement de maltraitance doit être pris en considération, quelle que soit sa source ou sa forme.

- Tout dévoilement de la part d'un enfant doit être pris au sérieux. Il est important de ne pas mettre en doute ce que dit la victime présumée. Une victime imaginaire est aussi une victime et elle doit être soutenue.

Prise en charge coordonnée

- Une pratique commune est nécessaire à tous les partenaires.

- La collaboration pluridisciplinaire et interinstitutionnelle est nécessaire et indispensable.

- Etant donné la complexité des situations, l'intervention en équipe est vivement recommandée.

- Dans toute intervention, une coordination, et donc un coordinateur de la prise en charge, est indispensable.

- Chaque organisme, chaque service joue son rôle, a sa propre spécificité d'intervention, par exemple le service de protection de la jeunesse protège l'enfant, le Parquet mène l'enquête pénale, etc.

- La problématique de la maltraitance exige une formation continue et une supervision des situations prises en charge.

La maltraitance, l'enfant et la famille

- La maltraitance peut être le symptôme d'un dysfonctionnement familial.

- Dans la mesure du possible, l'intervention tend à rééquilibrer les liens familiaux.

- La loi suisse interdit les mauvais traitements tolérés parfois par d'autres cadres culturels.

- Même dans des circonstances qui pourraient faire penser le contraire, l'enfant n'est pas responsable des mauvais traitements qu'il subit.

- L'enfant doit être représenté et défendu dans le cadre d'une procédure juridique.

- La maltraitance exige une prise en charge compétente, cohérente, pour tenter de prévenir les conséquences négatives qu'elle a sur l'enfant.

Prise en charge par les autorités judiciaires

- Tout employé de l'Etat a l'obligation de dénoncer les actes de maltraitance dont il a connaissance.

- Le rôle des services sociaux est d'évaluer la situation, de la dénoncer si nécessaire, puis de mettre en place la prise en charge comprenant la protection de l'enfant.

- Le signalement aux autorités judiciaires (civiles ou pénales) est aussi à considérer comme pouvant avoir un effet thérapeutique sur le mineur.

- La condamnation pénale de l'auteur de la maltraitance est insuffisante pour prévenir une récidive.

Prévention

- La prévention se situe en aval: auprès de l'enfant, auprès des maltraitants potentiels.

- La prévention secondaire existe aussi: traitement adéquat des enfants maltraités; traitement adéquat des délinquants.

- Les services sociaux, tels le service de protection de la jeunesse et le service de santé de la jeunesse, participent activement à la prévention.

Ces postulats ainsi présentés sont appliqués de manière générale par les divers acteurs de la maltraitance à Genève, qu'il s'agisse du traitement des mineurs ou des délinquants, de la prévention ou de la prise en charge.

7.2. Structure de coordination

La présidente du département de l'instruction publique a récemment officialisé la «commission cantonale de référence sur la violence et la maltraitance à l'encontre des mineurs». Les travaux de cette commission se poursuivent ainsi avec une plus grande reconnaissance et une meilleure visibilité.

7.3. Prise en charge des délinquants sexuels

Il faut signaler l'initiative d'un professeur de la FAPSE (faculté de psychologie et des sciences de l'éducation) et d'un médecin de l'IUML (institut universitaire de médecine légale) qui ont réuni en une première rencontre les divers intéressés à la «prise en charge des délinquants sexuels». Le problème posé par ces délinquants malades est tel, et le risque de récidive si grand, qu'il est absolument nécessaire de mettre ensemble les diverses professions qui gravitent autour du phénomène pour tenter d'y trouver une solution. Cette inquiétude est d'ailleurs reflétée par la motion 1088 ainsi que par la résolution 331 concernant certaines mesures à prendre en vue de lutter contre la criminalité sexuelle. Ces textes sont à l'étude au Conseil d'Etat.

7.4. Audition des enfants

Le collège des juges d'instruction et le procureur général ont récemment adressé un questionnaire aux divers services intéressés au sujet de l'audition de l'enfant. Une large réflexion est entamée sur la manière de conduire cette audition et de la protocoler. Les services de l'office de la jeunesse proposent de mettre en place une équipe pluridisciplinaire dûment formée à l'audition de l'enfant dont l'un des membres serait constamment disponible pour procéder à ces écoutes. La police et le pouvoir judiciaire devraient faire partie de l'équipe.

7.5. Autres mesures de prévention

Le sous-groupe de la commission cantonale de référence, constitué à la suite de l'étude sur la prévalence des abus sexuels, poursuit sa réflexion. De multiples actions sont proposées auprès des enfants; il ne faut toutefois pas les appliquer sans réflexion et surtout sans évaluation.

7.6. Politique familiale

Ainsi que nous l'avons relevé dans ce rapport, une étude est actuellement en cours sous l'égide du département de l'instruction publique, du département de l'action sociale et de la santé et de la commission de la famille, pour recenser les lieux, les actions existant en faveur de la famille dans le but d'évaluer la politique familiale concrète qui se fait à Genève et les moyens de l'intensifier.

Conclusion

Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat estime indispensable de mener une lutte sans relâche contre la maltraitance dont peuvent être victimes les enfants. Les mesures mises en place, les structures en activité visent à la fois la prévention, le dépistage et la prise en charge des enfants maltraités. Nous nous sommes efforcés, dans ce rapport, d'en donner une image aussi précise que possible. Nous nous devons de rappeler, en guise de conclusion, combien il est important de ne pas laisser le silence, la gêne et la peur freiner ou entraver l'application des mesures de lutte contre la maltraitance. Pour empêcher cela, il importe que tous les professionnels appelés à intervenir dans ce cadre sachent apporter, en plus de leurs compétences, l'attention et l'écoute si cruciales pour la prévention et la détection. Mais la vigilance et l'écoute doivent aussi être l'affaire de l'ensemble des citoyens. Les enfants ont droit au respect de leur intégrité physique et morale, c'est la société tout entière qui doit en être la garante.

(M 833)

MOTION

concernant l'enfance maltraitée à Genève

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- que le problème de l'enfance revient à nouveau sous les feux de l'actualité à la suite de la publication d'un rapport dû à un groupe d'experts mandatés par le département fédéral de l'intérieur «Enfance maltraitée en Suisse» de juin 1992;

- que de plus en plus de cas de maltraitance d'enfants sont détectés à Genève,

invite le Conseil d'Etat

- à indiquer combien de cas de maltraitance d'enfants sont répertoriés à Genève et quelle est leur nature;

- à inventorier les divers services, instances, associations, fondations dont les tâches sont de se préoccuper de ce problème, sous l'angle psychologique, social, judiciaire, médical et à évaluer quelle coordination existe;

- à présenter les différents types de formation dont disposent leurs collaborateurs;

- à dresser un bilan de la présentation aux élèves de notre canton de la pièce de théâtre «A bouches décousues»;

- à définir, si besoin est, une politique cohérente en ce domaine en matière de prévention et de formation.

(M 914)

MOTION

concernant l'enfance maltraitée

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- le rapport du groupe de travail consacré à l'enfance maltraitée en Suisse;

- les conséquences qui peuvent être tirées des conclusions de ce rapport sur l'état de ce phénomène dans le canton de Genève,

invite le Conseil d'Etat

- à prendre connaissance de ce rapport;

- à présenter à son tour un rapport indiquant l'état du phénomène à Genève, ainsi que les mesures, législatives au besoin, qui peuvent être prises sur le plan cantonal et en collaboration avec les communes pour prévenir et traiter les situations de mauvais traitements envers les enfants.

(Q 3301)

QUESTION ÉCRITE

de Mme Marie-Laure Beck-Henry

Dépôt: 7 novembre 1989

Un médiateur pour les enfants

Souvent victimes des conflits de leurs aînés auxquels ils sont mêlés, parfois dès leur naissance, les enfants et les adolescents sont souvent démunis pour plaider leur cause quand ils arrivent devant les instances officielles chargées de les entendre et de les juger.

En raison de l'adoption prochaine par l'Assemblée des Nations Unies de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'invitation qui sera faite aux Etats de la ratifier, ne convient-il pas de désigner, dans notre canton, un «médiateur pour les enfants», chargé d'examiner et de prendre en main l'aspect spécifique de leur situation, auquel ils puissent s'adresser en toute indépendance?

M.-L. Beck-Henry

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Débat

Mme Vesca Olsommer (Ve). Je trouve ce rapport fort bien fait. Il est clair et exhaustif. Il est intéressant sur le fond, car il nous permet de prendre connaissance des développements qui ont eu lieu depuis le dépôt de notre motion, en 1992.

Certes, beaucoup de temps s'est écoulé depuis, mais l'office de la jeunesse a traversé une tourmente épouvantable, et le tuteur général a dû partir alors que les cas de maltraitance augmentaient.

Le service a été réorganisé et placé sous la direction d'une nouvelle personne. Dont acte.

Ce rapport reconnaît l'étendue et la gravité du problème de la maltraitance des enfants. Mais il comporte tant de facettes que je ne saurai l'aborder globalement. Je m'en tiendrai donc à un ou deux points qui ont fait l'objet de notre motion en 1992.

A cette époque, nous nous étions aperçus que les approches de la maltraitance des enfants étaient disparates. Il n'y avait pas de concordance de vue systématique dans les démarches des organismes officiels et des organismes privés subventionnés, ce qui avait amené ceux-ci à reprocher à ceux-là de ne pas dénoncer les familiers maltraitants et de privilégier l'unité de la famille aux dépens des enfants maltraités.

Aujourd'hui encore, des juges nous disent qu'ils doivent convaincre les assistants sociaux de la nécessité de la rupture avec le milieu maltraitant et du dépôt d'une plainte pénale. Il est vrai que le service de santé de la jeunesse a édité un protocole qui traite de ces problèmes, encore faut-il qu'il entre dans le terrain, si je puis dire !

Le deuxième point soulevé par la motion avait trait au manque de coordination entre les divers services s'occupant de la prise en charge des enfants maltraités. Ayant donné plusieurs exemples en 1992, je n'y reviendrai pas.

La nécessité de collaborer en réseau avec des équipes pluridisciplinaires s'impose de toute évidence. Les différents partenaires doivent se faire confiance pour travailler efficacement ensemble.

Je tiens à remercier le docteur Daniel Halpérin qui a beaucoup fait pour que les autorités judiciaires et les services médicaux collaborent.

Madame la présidente, vous avez mis sur pied une structure officielle, à savoir une commission de référence. C'est sans doute votre réponse à notre motion. J'ai deux remarques à faire sur cette commission :

- Pourquoi n'accueille-t-elle pas un représentant des organismes subventionnés privés ? Cette commission va concentrer une masse d'informations, lesquelles devront être transmises également aux organismes privés qui doivent être tenus au courant. Pour ma part, je souhaiterais que cette commission accueille un membre représentant les usagers, pour qu'il y ait collaboration.

- Les travaux de cette commission sont très importants, et il faudrait que le Grand Conseil en prenne connaissance. J'ai appris qu'un rapport vous sera adressé, et je vous demande s'il peut aussi être renvoyé à la commission de l'enseignement.

J'aimerais encore intervenir rapidement à propos de cette zone grise dans laquelle évoluent les maltraitants pas encore dénoncés à la justice. Il semble que l'on doive attendre qu'ils récidivent pour les poursuivre. Il y a encore les abuseurs sexuels, condamnés avec sursis, et dont on ne sait que faire s'ils ne sont pas astreints à un traitement médical. Les familles en ont peur et les assistants sociaux sont mal à l'aise avec ces cas.

Je voudrais également intervenir à propos des auditions des enfants maltraités, notamment celles des enfants abusés sexuellement. Il semble que certains refusent l'usage de la caméra vidéo lors des premières auditions, alors que des spécialistes estiment que c'est le meilleur moyen pour qu'une interprétation interdisciplinaire se fasse. De plus, la vidéo empêche la déformation du témoignage.

Dans l'ensemble, vous menez une bonne politique, bien que difficile, la violence et la délinquance juvénile augmentant. D'autre part, les abus sexuels sont dix fois plus nombreux qu'on ne le supposait.

Personnellement, je ne peux qu'approuver les conclusions du rapport, à savoir que c'est la société tout entière qui doit être garante du respect de l'intégrité morale et physique des enfants.

Mme Barbara Polla (L). Au nom du groupe libéral, probablement au nom de vous tous et à celui des citoyens pour qui la protection de l'enfance est primordiale, je remercie la conseillère d'Etat Martine Brunschwig Graf et ses collaborateurs de l'excellence de leur rapport. Le département répond aux questions des motionnaires et démontre qu'il partage leurs soucis.

Ce rapport nous présente un rapport détaillé de la situation à Genève. Il nous permet de nous rendre compte de l'ampleur du problème, comme l'a souligné Mme Olsommer.

Mais il ne s'arrête pas là. Il dresse la liste des organismes impliqués dans la prise en charge de la maltraitance; il indique des pistes pour la collaboration la plus efficace possible entre les différents organismes. Il nous donne aussi une vision de la formation et de la prévention, les deux étant liées.

L'importance de la supervision des personnes impliquées dans la prise en charge et celle de l'évaluation des mesures préventives et de prise en charge sont fortement soulignées.

Ces mesures, bien élaborées, doivent être efficaces. Dans ce sens, comme le disait Mme Olsommer, le docteur Halpérin a joué un rôle déterminant avec la mise en place d'un système non seulement de détection mais aussi d'évaluation.

Finalement, les dix-neuf postulats servant de base à la prise en charge de la maltraitance dans notre canton semblent aussi réalistes qu'adéquats. Ils me paraissent pouvoir convaincre ceux qui pensent que la maltraitance est une fatalité contre laquelle on ne peut rien et les motiver à intervenir chaque fois que c'est souhaitable et à quelque niveau que ce soit.

Restent évidemment le problème non résolu de la prévention de la récidive des maltraitants et le volet de la prévention au sein des familles.

Nous nous réjouissons de connaître prochainement les résultats de l'étude en cours à ce sujet et d'ouvrir, à cette occasion, le débat sur la politique familiale, car si la famille, dans les cas de maltraitance, a malheureusement un rôle important, elle a aussi un rôle essentiel à jouer en matière de prévention.

Mme Liliane Charrière Urben (S). Tout comme mes préopinantes, je salue la qualité de ce rapport qui nous informe d'un sujet dont on sait combien il est délicat.

Malgré l'inertie et les dysfonctionnements relevés ici ou là, je m'étonne du temps qui s'est écoulé entre le dépôt de la motion et la remise du présent rapport. Les questions de Mmes Olsommer, Braun et Bugnon remontent, en effet, à la précédente législature.

Ce rapport s'appuie sur celui du Conseil fédéral, de 1992 si je ne fais erreur, qui fait état d'études réalisées, au plan suisse, entre 1988 et 1992.

Dix ans se sont pratiquement écoulés depuis le début de ces travaux, et nous savons combien la situation s'est dégradée entre-temps.

Ce sujet ne saurait être traité en deux séances. Il est délicat, les enfants ayant beaucoup de peine à dénoncer un adulte, à démolir un modèle, parent ou enseignant. Il est douloureux, sachant ce que les enfants endurent et supportent : ils sont plus discrets que nous sur leurs douleurs physiques ou psychiques.

Les enfants qui ont fait l'objet, en quelque sorte, de notre motion déposée en 1992, ont grandi. J'espère vivement que l'on a fait quelque chose pour eux. J'ignore ce que l'on a fait pour d'autres.

Je relève à la page 12 l'énumération de plusieurs organismes - il en est peut-être d'autres - qui s'occupent de la maltraitance. Je souhaiterais que l'on différencie les gens s'occupant de maltraitance des enfants maltraités. J'ai pris connaissance d'un grand nombre de lieux où l'on discute, cherche et s'intéresse à la maltraitance des enfants. Par contre, il en existe peu, sans doute parce que difficilement atteignables, auxquels les enfants peuvent s'adresser. Je pense notamment à SOS Enfants, à la permanence juridique juniors, mais il est aisé d'imaginer à quel point il est difficile pour un enfant de s'adresser à ces instances.

J'aimerais connaître le statut de ces organismes. Sont-ils supervisés ? Ont-ils été formés ? Il est délicat d'aborder ces sujets avec des enfants qui téléphonent. Il faut faire en sorte de les garder en ligne pour les aider et peut-être les amener à se confier davantage. A quel type de supervision - je n'ai pas d'autre terme - ces organismes sont-ils soumis ?

Je souhaite que les résultats, enregistrés par cette commission, nous soient communiqués et qu'il en soit de même pour le groupe de référence.

J'en viens à la prévention des récidives et au traitement des maltraitants. Bien qu'on fasse allusion à la motion 1088 déposée durant cette législature, à propos de ce qu'il advient de ces personnes, je trouve que le rapport est quelque peu en retrait. Le conditionnel est souvent utilisé : «il faudrait... il serait judicieux... il semble que.. il serait impératif...». J'aurais préféré que l'on écrive «il faut faire... il faut agir... il est impératif...», sinon, compte tenu de la manière dont les adultes se conduisent parfois avec les enfants, les choses continueront à être ce qu'elles sont.

Les signalements font l'objet d'un tableau à la page 9 du rapport. Des maltraitances de toute nature sont signalées à différents services, le SSJ, la protection de la jeunesse, l'hôpital, etc. Est-il possible d'en savoir plus de ce que l'on suppose de la maltraitance sous-jacente, peu déclarée ? Je pose la question, car le rapport fait allusion à une enquête menée auprès de mille élèves des neuvièmes du cycle d'orientation. Mille élèves de quinze ans dont 10%, si j'ai bien lu, déclarent avoir subi des abus sexuels relativement graves. Que sont devenus ces cent élèves ? Comment peut-on les suivre ? Comment éviter ces abus ?

La présidente. Veuillez conclure, Madame la députée !

Mme Liliane Charrière Urben. Quarante élèves ont été abusés sexuellement avant l'âge de 12 ans. Il faut vraiment qu'une solide information enseigne, au plus vite, la prévention de ces abus épouvantables, afin qu'un prochain rapport fasse état de «0%» de victime.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). La maltraitance est un sujet si actuel et si brûlant que le Conseil d'Etat, dans son rapport, a eu quelques difficultés à décrire les multiples facettes de ce fait complexe de société.

En effet, à Genève, un gros effort a été fait par le département. Il est exemplaire. Malgré tout, certaines recommandations sont encore des voeux pieux. De plus, la population souhaite une plus grande visibilité des procédures et, surtout, un renforcement de la coordination entre les professionnels du travail médico-social.

Ce n'est qu'en tenant compte de ces attentes que la maltraitance sera une moins grande souffrance.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je réponds tout d'abord... (Brouhaha.) Vous finirez par nous décourager de vous donner des réponses complètes, puisque vous nous reprochez le temps nécessaire que nous prenons pour réunir toutes les informations utiles !

Si nos réponses sont parfois tardives, c'est parce que nous souhaitons avoir quelque chose à vous dire, si vous me passez l'expression. Nous étudions les objets de vos questions. Nous vérifions si ce que nous faisons va bien dans le sens de vos demandes. Dans la négative, nous vous en informons et nous nous en expliquons.

Vous admettrez que beaucoup de questions ont reçu leur réponse entre le dépôt de la motion et la remise du rapport.

Pour nous, il est plus important de mettre en oeuvre que de rédiger un rapport. Nous avons respecté vos voeux. Dès lors, pardonnez-moi de n'avoir pas respecté les délais !

S'agissant de la violence, notamment des abus sexuels et de leur recrudescence, je vous rends attentifs à ceci : il n'y a pas augmentation, mais prise de conscience et reconnaissance de ces délits.

Avant, on n'en parlait pas, on les taisait et on ne les étudiait pas.

Il est bon de dire que l'enquête menée au cycle d'orientation, comme d'autres précédemment, a eu le mérite de mettre en lumière certains problèmes, de les poser aux yeux de tous et de nous renvoyer à nos responsabilités.

Je ne répondrai pas aux nombreuses questions qui m'ont été posées, car il me faudrait une heure au minimum. Par contre, je compléterai les informations contenues dans le rapport par les éléments suivants :

Vous vous préoccupez de ce qu'il advient aux maltraitants. Au nom de mon collègue Gérard Ramseyer et au mien, je vous annonce l'élaboration d'un projet de loi qui devrait répondre à cette problématique et permettre de lutter contre la criminalité sexuelle qui a fait l'objet de votre motion 1088. Vous recevrez donc une réponse de type législatif.

Il n'est pas possible de tout réglementer dans ce domaine. Aux Etats-Unis, une loi récente va jusqu'à exiger la publication des nom et adresse du maltraitant. Ce type de législation crée de nouveaux problèmes d'éthique inextricables.

Le sujet sera à nouveau débattu par votre Grand Conseil, lors du dépôt du projet de loi que je viens de vous annoncer.

L'office de la jeunesse met sur pied une équipe d'audition compétente qui va au-devant des directives émises sur le plan fédéral, puisque l'écoute des enfants constitue un élément très important du dispositif. Pour atteindre son objectif, elle doit être conduite de manière professionnelle, avec des approches multidisciplinaires, pour ne pas ajouter au traumatisme de l'enfant.

Pour ce qui touche la commission cantonale de référence, je vous propose d'attendre le premier rapport, d'examiner son contenu et la méthode de travail utilisée. Nous verrons alors s'il y a lieu de compléter la commission cantonale. Pour l'heure, j'ignore le contenu de ce rapport. Le moment venu, nous verrons de quelle façon nous pourrons le traiter et de quelle façon nous pourrons diffuser l'information.

Comme vous avez dû le lire dans la presse, l'enseignement primaire a publié une brochure qui permet aux enseignants de faire le point sur cette problématique, sur les comportements et l'encadrement prévu, afin d'adopter les procédures adéquates.

J'admets, avec vous, qu'il est difficile d'appliquer sur le terrain les principes définis. Il est de notre devoir de prévenir et il est du devoir de la justice de trancher.

On a trop souvent peur de dénoncer, parce que l'on craint de causer des effets irréparables. Cela ne saurait être, puisque c'est à la justice d'estimer s'il y a lieu de condamner ou non. Chacun doit dénoncer les faits dont il a connaissance pour que la responsabilité sociale à l'égard des enfants, outre celle de la justice, puisse être réellement exercée. Dans ce domaine, nous devons toujours être attentifs.

M 833-A et M 914-A

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.

Q 3301

Cette question écrite est close.