Séance du jeudi 18 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 9e session - 40e séance

P 962-A
16. Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier la pétition de M. Marc-Antoine Schaub, «pour une réforme du gouvernement». ( -)P962
Rapport de Mme Evelyne Strubin (AG), commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil

En date du 12 novembre 1992, le Grand Conseil transmettait à la commission des pétitions la pétition 962, dont le texte est le suivant :

(P 962)

PÉTITION

pour une réforne du gouvernement

Dans le «Journal de Genève et Gazette de Lausanne» du 7 août 1992, Mme Françoise Buffat, membre du parti libéral, posait la question: «Genève ne se porterait-elle pas mieux si son exécutif cantonal avait un vrai leader, élu comme tel pour assumer cette responsabilité pendant la durée d'une législature ?»

A son tour, dans la «Tribune de Genève» du 23 octobre 1992, Mme Micheline Calmy-Rey, vice-présidente socialiste du Grand Conseil, vient de proposer l'élection du président du Conseil d'Etat par le peuple pour 4 ans.

Ces deux propositions convergentes, présentées publiquement par des personnalités de droite et de gauche, méritent absolument d'être étudiées très sérieusement et sans retard.

Il faudrait même faire un pas de plus. Le président devrait être le «généraliste» du gouvernement, chargé de la coordination entre les départements. N'assumant pas la responsabilité d'un département particulier, il disposerait du temps et de la vue d'ensemble indispensables pour bien étudier les problèmes généraux et il pourrait plus facilement et avec davantage d'autorité (sans devenir un «dictateur» !) «trancher en cas de partage des voix ou de difficultés à prendre une décision», comme le propose d'ailleurs Mme Calmy-Rey.

Par la même occasion, il serait non seulement souhaitable, mais utile, de remplacer la désignation «Conseil d'Etat» par «Gouvernement», désignation simple et explicite. Dans beaucoup de cantons alémanique on trouve l'expression «Regierungsrat» qui révèle plus clairement que «Staatsrat» qu'il s'agit du gouvernement. Si nous voulons un gouvernement qui gouverne, il faut lui donner le titre auquel il a droit et les citoyens pourront alors exiger de ce gouvernement qu'il soit «digne de son nom» au lieu d'être - ce qu'on lui reproche parfois - une juxtaposition de chefs de département.

Depuis des années, beaucoup de journalistes ont pris l'habitude de donner aux membres de notre gouvernement le titre de «ministre». Ce titre remplacerait avantageusement le titre traditionnel, mais peu explicite, de «conseiller» d'Etat, incompréhensible pour les étrangers.

Pour les motifs très sommairement indiqués ci-dessus (et qui pourraient être largement développés), je demande au Grand Conseil par la présente pétition

- d'établir un projet de révision de la constitution prévoyant le remplacement du Conseil d'Etat par un gouvenement comprenant un président et six ministres, tous élus par le peuple, étant précisé qu'à l'avenir les services de l'administration cantonale seront répartis dans 6 départements dirigés chacun par un ministre.

Pour ne pas trop «charger le bateau», on pourrait éventuellement sérier les problèmes:

1. Commencer par prévoir seulement l'élection du président par le peuple pour 4 ans.

2. Par la suite, prévoir que le président ne sera pas chargé d'un département (ou que son département sera le «département de la présidence»).

3. Enfin, modifier la terminologie en remplaçant «Conseil d'Etat» par «Gouvernement» et «conseiller d'Etat» par ministre.

N.B. : 1 signature

M. M. M.-A. Schaub

Route de Choulex 1461244 Choulex

Introduction

La commission des pétitions décida de renvoyer l'étude de ce sujet à la commission des droits politiques.

Ladite commission traita de cette pétition en date du 29 mai 1996, sous la présidence de Mme Michèle Wavre.

Travaux de la commission

Le 29 mai 1996, la commission auditionna le pétitionnaire, M. Marc-Antoine Schaub.

Audition

M. Schaub expliqua d'emblée à la commission qu'après avoir entendu plusieurs députés dire qu'une réforme du gouvernement devait être entreprise, il déposa sa pétition, afin de donner un point de départ à la réflexion des parlementaires.

Il mentionna que si le Grand Conseil devait estimer que la forme actuelle du gouvernement ne pose pas de problèmes, il pourrait classer cette pétition. Par contre, si le parlement devait être favorable à une réforme, il souhaita que les députés cherchent une solution, même si celle-ci, au final, devait ne pas correspondre à ses propositions.

Son texte date de 1992, soit antérieurement à l'actuelle composition du Conseil d'Etat, mais M. Schaub l'estima toujours d'actualité, car traitant d'un problème de structure.

Après cette entrée en matière, le pétitionnaire explicita plus précisément le contenu de ses propositions.

Il déplora que le président du Conseil d'Etat ne soit, en fait, qu'un chef de département qui n'a pas le temps de gérer une réelle coordination. Il pourrait être libéré de la charge d'un domaine précis et s'occuper des questions générales.

La durée d'un an pour la présidence fut également jugée trop courte. «Le président fait de grandes déclarations qu'il n'a pas le temps de mettre en pratique.» M. Schaub estima que 4 ans seraient à même de lui donner plus de poids.

Il faudrait aussi qu'un «département de la présidence soit créé», qui pourrait éventuellement être confié à la personne qui est en charge des finances et s'occupe des budgets de tous les départements.

Le pétitionnaire évoqua ensuite la solution d'un gouverneur, mais jugea que, bien qu'elle mérite d'être étudiée, cette proposition est plus difficilement acceptable.

En tous les cas, il releva que la terminologie suisse est peu compréhensible à l'étranger. Nommer le Conseil d'Etat «gouvernement» et les conseillers d'Etat «ministres», serait plus aisément perceptible par nos voisins.

Aux questions des commissaires, M. Schaub répondit qu'il est bien conscient qu'on ne peut pas donner trop de pouvoirs au Conseil d'Etat, au risque d'affaiblir le Grand Conseil.

De plus, il estima qu'avant d'entreprendre de trop grandes réformes, il serait bon d'attendre le résultat de l'audit en cours et de la votation fédérale sur les secrétaires d'Etat.

A la suite de la demande précise d'un commissaire: «Pouvez-vous identifier quelques problèmes concrets dans le fonctionnement du Conseil d'Etat ?», le pétitionnaire expliqua que «n'étant pas intime des conseillers d'Etat, il n'a pas pu en recueillir les confidences et que l'idée de rédiger sa pétition lui est venue après avoir entendu diverses remarques de la part de personnalités politiques».

Discussion de la commission

A la suite de cette audition, certains députés remarquèrent que le texte proposé est révolutionnaire et, que sa réalisation demanderait des modifications de la constitution.

Cependant, la démarche de M. Schaub n'est pas symbolique, car elle démontre l'absence de crédibilité des autorités auprès de la population.

Bien qu'actuellement la majorité du parlement puisse difficilement faire un constat de dysfonctionnement politique du Conseil d'Etat, des commissaires de toutes tendances observèrent qu'effectivement il existe des problèmes de fonctionnement.

Le gouvernement a du mal à fixer des priorités et à faire des choix collégiaux.

La relation de séduction des conseillers d'Etat avec leur électorat, le souci qu'ils ont de leur réélection, perturbent leur action. Il y a concurence plus que complémentarité.

De plus, personne ne tranche en cas de désaccord et les discours de législature ne sont jamais appliqués.

Tout cela nuit à la mise sur pied de projets collectifs, alors que les gouvernements actuels doivent résoudre des problèmes qui nécessitent de la cohérence et du dialogue.

Les commissaires relevèrent également que, pour renforcer l'exécutif, il faut aussi former le législatif. Il est nécessaire de ne pas creuser de fossé entre ces deux pouvoirs. D'ailleurs, la commission, ayant remarqué certaines disparités, était déjà occupée à une réforme du Grand Conseil, destinée à rétablir une meilleure égalité.

Certains députés regrettèrent que M. Schaub n'ait pas mis l'accent sur des problèmes précis, ce qui aurait pu donner des pistes de travail. Néanmoins, ils estimèrent que des propositions intermédiaires peuvent être faites, qui sont moins révolutionnaires que celles du pétionnaire.

Il est envisageable de donner au président du Conseil d'Etat la maîtrise de l'ordre du jour et un pouvoir d'arbitrage.

Un règlement interne pourrait lui octroyer plus de temps pour accomplir les tâches inhérentes à sa fonction, même si celle-ci continue à n'être exercée que durant une année.

La chancellerie pourrait également se décharger de l'administration du service du Grand Conseil, pour se consacrer entièrement au Conseil d'Etat, afin de lui donner plus de moyens matériels.

Il faudrait, enfin, qu'un programme de législature soit établi et réellement respecté.

Cependant, la commission estima qu'il n'était pas d'actualité de rédiger un projet de loi constitutionnelle sur ce sujet.

D'ailleurs, il faut que le législatif laisse l'exécutif s'organiser selon ses besoins, même s'il se permet d'évoquer quelques pistes qui sont de nature à améliorer la situation.

Concernant la pétition proprement dite, il fut remarqué qu'il est possible d'y répondre par petites touches, sans révolutionner complètement le système. Les révolutions sont trop coûteuses et notre population n'y est pas préparée. L'expérience a démontré qu'il ne faut pas vouloir violenter le peuple helvétique avec des projets trop audacieux, sous peine de les voir voués à l'échec.

De plus, il semble qu'au moment où les réels problèmes sont la supracantonalité, l'Europe et les structures régionales, il ne soit pas temps d'entreprendre des modifications de structure du gouvernement.

Les solutions proposées, calquées sur nos voisins, présentent des avantages, mais il fut relevé que les régimes étrangers ne sont pas toujours enviables. Le système genevois a de mauvais côtés, mais il n'est pas entièrement négatif.

En ce qui concerne la proposition d'un président du Conseil d'Etat élu pour 4 ans, il n'est pas sûr que la population soit prête à ce type de délégation de pouvoirs. Les citoyens ne sont pas très enclins à favoriser le pouvoir personnel qui, parfois, mène à la dictature.

De plus, le parti d'un tel président recevrait un plus politique considérable et il serait nécessaire de réévaluer tout le mode d'élection. En effet, le choix du président devrait, dès lors, être effectué par le peuple, de manière démocratique.

Il faut, en outre, considérer comme un avantage le fait que la présidence tourne. La diversité ainsi apportée est bénéfique, tout conseiller d'Etat n'étant pas forcément un président de haut niveau.

En définitive, la commission estima qu'il est préférable de maintenir le statu quo actuel, qui offre le plus de démocratie, grâce à des mandats les plus courts possible.

Au sujet de la proposition qui consiste à décharger le président du Conseil d'Etat de la gestion d'un département, les commissaires remarquèrent qu'il serait difficile de demander à une seule personne de superviser tout le gouvernement.

Priver un département de son chef donnerait trop de travail aux autres, ce qui aboutirait certainement à augmenter le nombre des conseillers d'Etat. Ceux-ci, par ailleurs, ne seraient peut-être pas satisfaits de voir quelqu'un qui n'est en charge d'aucun département se mêler de la gestion des leurs.

Quant à ce qui relève des changements d'appellations proposées, il serait superflu de lancer une modification de la constitution pour ce seul objet.

Conclusion

Bien que la commision n'ait pas retenu les propositions de M. Schaub, elle tient unanimement à remercier celui-ci de sa pétition. En effet, à une époque où l'abstentionnisme va en grandissant, et l'intérêt civique en diminuant, il est réconfortant de constater qu'il subsiste des citoyens qui se préoccupent de politique et désirent être actifs.

Comme M. Schaub le souhaitait, son texte a servi de piste de réflexion, non seulement en ce qui concerne sa pétition proprement dite, mais également durant les nombreuses heures consacrées à l'étude du projet de loi sur la réforme du Grand Conseil.

Cependant, les solutions proposées par le pétitionnaire n'étant pas réalisables, la majorité de la commission souhaita déposer ce texte sur le bureau du Grand Conseil. La minorité, quant à elle, aurait aimé sensibiliser le Conseil d'Etat et l'entendre sur ce sujet, aussi, elle aurait préféré lui renvoyer cette pétition.

En définitive, la commission se prononça en faveur du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, par 6 voix (3 L, 2 AdG, 1 R) contre 4 (1 R, 1 DC, 1 S et 1 Vert).

Remarques du rapporteur

Après avoir terminé ses travaux sur cette pétition, la commission a repris l'étude du projet de loi 7176 qu'elle avait suspendue quelque temps.

La première partie de ce projet de loi est maintenant votée et il est apparu au rapporteur qu'il était judicieux d'attendre le résultat de ce vote avant de rédiger le rapport sur la pétition de M. Schaub, afin que celui-ci puisse constater que quelques solutions ont déjà été trouvées.

En effet, plusieurs des idées que les membres de la commission avaient évoquées durant l'examen de la pétition se retrouvent dans ledit projet de loi. Notamment :

- programme de législature avec bilan final d'action du Conseil d'Etat;

- chancellerie libérée de la gestion du service du Grand Conseil et donc plus disponible pour le Conseil d'Etat;

- Grand Conseil plus autonome et donc renforcé.

En ce qui concerne le rôle du président du Conseil d'Etat, la commission estime qu'il demeure des prérogatives de ce dernier de les juger bonnes ou mauvaises et de les mettre en pratique ou pas.

De plus, il faut noter que, depuis le 29 mai 1996, les résultats de l'audit et du vote sur les secrétaires d'Etat ont démontré que, dans une période où la crise met à mal la population, il ne serait pas judicieux de lui demander d'approuver de grands et coûteux changements des structures politiques.

Enfin, il est bon de relever que dans la deuxième partie du projet de loi sur la réforme du Grand Conseil encore en cours de traitement par la commission des droits politiques, il est proposé la création d'une commission de gestion qui serait également à même de renforcer la crédibilité du Grand Conseil et du Conseil d'Etat.

La pétition a donc nettement joué le rôle que le pétitionnaire souhaitait lui donner, à savoir permettre la discussion et la réflexion.

C'est pourquoi la majorité de la commission vous encourage vivement à suivre ses conclusions, qui sont le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Débat

M. Pierre Kunz (R). Comme nous tous, M.  Marc-Antoine Schaub, auteur de la pétition qui fait l'objet du rapport de Mme Strubin, peut constater, aujourd'hui, que ce gouvernement dans son fonctionnement a connu les mêmes problèmes et montré les mêmes faiblesses que les précédents.

Comme ses prédécesseurs, ce Conseil d'Etat a subi l'infirmité d'une institution qui, dans le contexte politique, économique et social nouveau, ne permet tout simplement plus au gouvernement de gouverner.

Malheureusement, le Conseil d'Etat ne paraît pas vraiment désireux de renforcer la cohérence et la vigueur de son action. La réforme... la «réformette», excusez-moi, qu'il a récemment proposée aux Genevois dans son rapport sur le suivi de l'audit en témoigne. Il s'agit donc, Mesdames et Messieurs les députés, pour ce Grand Conseil de montrer clairement qu'il n'est pas satisfait de la façon dont est structuré le Conseil d'Etat et de la manière dont il fonctionne. Il s'agit d'exiger de celui-ci qu'il réfléchisse et contribue plus sérieusement à la réforme et la modernisation de l'institution.

C'est avec cet objectif que le groupe radical vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat et non pas à la déposer sur le bureau du Grand Conseil.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat est rejetée.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.