Séance du
jeudi 18 septembre 1997 à
17h
53e
législature -
4e
année -
9e
session -
39e
séance
R 331
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'importance d'assurer une prise en charge thérapeutique adéquate des délinquants sexuels;
- l'importance de protéger les enfants contre de tels agresseurs,
invite le Conseil d'Etat
- à intervenir auprès du Conseil fédéral pour modifier l'article 54 du code pénal afin de permettre au juge d'interdire aux personnes ayant été condamnées pour actes d'ordre sexuel avec les enfants l'exercice d'une profession ou d'une activité en relation avec des enfants;
- à étudier la possibilité de créer ou d'augmenter le nombre d'établissements pouvant prendre en charge des délinquants sexuels (notamment ceux faisant l'objet d'une mesure de sûreté au sens de l'art. 43 CPS), ainsi que d'améliorer les conditions et possibilités du suivi thérapeutique par des mesures adéquates;
- à étudier la mise sur pied, en accord avec les autres cantons romands, d'une commission intercantonale pluridisciplinaire compétente pour conseiller et donner des préavis aux autorités compétentes pour accorder des congés ou la libération conditionnelle des personnes condamnées pour des délits d'ordre sexuel; voire la création d'une unité d'évaluation pour délinquants sexuels dans notre canton;
- à associer tous les départements concernés à cette démarche.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ce sont notamment l'émotion suscitée par les événements dramatiques survenus en Belgique l'année dernière, ainsi que le cas - à Genève - d'une personne condamnée à quatre ans de réclusion pour contraintes et actes d'ordre sexuel avec des enfants ayant, après sa libération, repris une activité pouvant la mettre en contact avec des mineurs (voir «Tribune de Genève» du 19 septembre 1996), qui ont motivé le Grand Conseil à renvoyer au Conseil d'Etat, le 12 décembre 1996, la proposition de motion 1088 «concernant les mesures prises en matière de lutte contre la criminalité sexuelle s'agissant notamment des enfants».
Sans attendre le rapport du Conseil d'Etat et les propositions qu'il fera, il a paru nécessaire aux députés siégeant à la commission des visiteurs officiels de suggérer d'ores et déjà quelques pistes de solutions par voie de proposition de résolution, tant il est vrai que certaines questions relèvent de la compétence du législateur fédéral.
Première invite
Le code pénal permet actuellement au juge d'interdire l'exercice d'une activité professionnelle si certaines conditions déterminées sont réunies. En effet, l'article 54, alinéa 1, CPS dispose que :
«Lorsqu'un crime ou un délit a été commis dans l'exercice, subordonné à une autorisation officielle, d'une profession, d'une industrie ou d'un commerce, et lorsque le délinquant a été, à raison de cette infraction, condamné à une peine privative de liberté supérieure à trois mois, le juge, s'il y a lieu de craindre de nouveaux abus, pourra interdire au condamné l'exercice de sa profession, de son industrie ou de son commerce pour une durée de six mois à cinq ans.»
En pratique, il s'avère toutefois que cette disposition n'est que très rarement appliquée par les tribunaux. La commission d'experts chargée de la révision de la partie générale du code pénal a même proposé sa supression, ce qui est regrettable dans la mesure où cette norme - si elle était modifiée - pourrait avoir un rôle à jouer pour protéger davantage les mineurs.
Actuellement, le problème que pose l'application de cette disposition à des délinquants sexuels est triple. Premièrement, cette norme permet au juge d'interdire uniquement l'exercice d'une activité professionnelle et non de quelque activité que ce soit. Or, il est notoire que bon nombre de pédophiles agissent dans le cadre d'activités associatives ou récréatives. Deuxièmement, l'article 54, alinéa 1, CPS ne permet au juge d'interdire que l'exercice de professions soumises à autorisation, ce qui restreint considérablement le nombre des professions susceptibles d'être affectées par une telle décision judiciaire. Certes, l'avant-projet du code pénal relatif à l'article 54 CPS prévoyait de permettre au juge d'interdire l'exercice de n'importe quelle profession et non seulement de celles soumises à autorisation officielle(P. Logoz, Commentaire du code pénal suisse - partie générale, page 303). Cette solution n'a finalement pas été retenue par les Chambres fédérales. Enfin, un délai de cinq ans est manifestement trop court, compte tenu du risque important de récidive chez les délinquants sexuels.
Il conviendrait par conséquent d'élargir les pouvoirs du juge en introduisant, par exemple, un nouvel alinéa 1bis à l'article 54 CPS dont la teneur pourrait être la suivante :
1bis Lorsqu'un acte d'ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans a été commis (art. 187, al. 1, CPS), dans l'exercice d'une profession, d'une industrie, d'un commerce ou d'une activité quelconque, et lorsque le délinquant a été, à raison de cette infraction, condamné à une peine privative de liberté supérieure à trois mois, le juge, s'il y a lieu de craindre de nouveaux abus, pourra interdire au condamné l'exercice d'une profession, d'une industrie, d'un commerce ou de toute autre activité nécessitant de fréquentes relations avec des mineurs pour une durée de 1 à 15 ans.
A noter que le fait de ne pas limiter l'interdiction aux professions soumises à autorisation permettra d'assurer une application uniforme de cette disposition en Suisse. En effet, comme le souligne P. Logoz (op. cit., page 304), le système actuel «peut créer de canton à canton des inégalités choquantes; les professions dont l'exercice est subordonné à une autorisation officielle ne sont pas les mêmes dans les divers cantons; une profession déterminée peut ainsi tomber sous le coup de l'article 54 dans certains cantons, alors qu'elle y échappe dans d'autres».
Certes, la disposition proposée porte indubitablement atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté personnelle des individus dans la mesure où elle s'étend à toute activité. Toutefois, cette atteinte est parfaitement justifiée par l'intérêt public visant à protéger les mineurs. Enfin, ce texte laisse au juge un important pouvoir d'appréciation, qu'il s'agisse de l'opportunité de prononcer la mesure ou de la durée de celle-ci.
Deuxième invite
Il est indéniable que les déviances sexuelles ont des causes profondes (80% des agresseurs sexuels ont eux-mêmes subi des violences de ce type dans leur enfance), qui ne disparaîtront pas par une simple incarcération. Une prise en charge thérapeutique de fond est indispensable pour aider la personne à comprendre les causes de ses pulsions déviantes et enrayer les risques de récidive lors de la libération en l'aidant à retrouver un équilibre de sa libido.
La deuxième invite aborde ainsi le problème d'un meilleur encadrement. Celui-ci doit avoir lieu au sein de structures adaptées. A cet égard, il est regrettable de constater (comme a déjà eu l'occasion de le faire remarquer la commission des visiteurs officiels dans son rapport 1996) qu'il n'existe pas à proprement parler en Suisse d'établissements fermés destinés à accueillir des délinquants caractériels et malades mentaux faisant l'objet d'une mesure au sens de l'article 43 CPS. De plus, il y a lieu d'améliorer le suivi des délinquants sexuels après leur libération dans la mesure où il est notoire qu'en raison des pulsions qui les habitent leur détermination à ne pas récidiver est souvent fragile et qu'ils constituent de ce fait un danger pour autrui. Nous pensons également que le nombre de thérapeutes spécialistes en cette matière doit être augmenté afin de pouvoir assurer des thérapies plus soutenues. Il est certain que s'armer de ces moyens qui attaquent le mal à la racine entraînera des coûts supplémentaires. Mais si la population estime que c'est une priorité, que d'ailleurs nous partageons, il est de notre devoir d'y répondre.
Troisième invite
La nature et la composition des autorités compétentes pour accorder les congés ou la libération conditionnelle varient énormément d'un canton à l'autre. A cet égard il est particulièrement inquiétant de constater que dans certains cantons ce type de décision peut être en main d'une seule personne. Il serait dès lors souhaitable que les cantons romands puissent, par exemple, recourir en cas de besoin à une commission indépendante qui serait chargée d'étudier les dossiers les plus complexes et de fournir un préavis aux autorités compétentes. Cette commission intercantonale devrait être pluridisciplinaire et regrouper des personnes d'horizons différents, tels des psychiatres, des travailleurs sociaux, des magistrats, des politiciens, voire des parents de victimes.
De plus, il pourrait être souhaitable de concevoir à Genève une unité d'évaluation des délinquants sexuels qui pourrait déjà intervenir lors de la détention préventive (expertise, mesures thérapeutiques) et qui suivrait le délinquant tout au long de son parcours pénitentiaire.
Quatrième invite
Il convient que la réflexion concernant la problématique de la délinquance sexuelle soit menée à tous les niveaux, à savoir la répression et l'exécution des peines et mesures (DJPT), les soins (DASS) et la prévention (DIP).
Tels sont en substance, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs qui nous conduisent à soumettre à votre bienveillante attention le présent projet de résolution que nous vous prions de renvoyer au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). La commission des visiteurs s'est penchée depuis plusieurs mois sur la problématique liée aux auteurs d'actes sexuels envers des mineurs et vous propose cette résolution dans un premier temps.
La première invite de cette résolution demande au Conseil d'Etat d'intervenir auprès du Conseil fédéral pour modifier l'article 54 du code pénal. En effet, diverses interventions ont été faites dans notre parlement au sujet d'une personne condamnée pour actes d'ordre sexuel envers des enfants. A sa libération, celle-ci a repris une activité sportive pouvant la mettre en contact avec des jeunes. La modification de l'article 54 vise à interdire l'exercice d'une profession ou d'une activité en relation avec des enfants aux personnes ayant été condamnées pour ces faits.
La deuxième invite a trait au projet d'un nouveau pénitencier à Orbe : EEP 2000. C'est avec d'immenses regrets que nous avons appris avant l'été que nos collègues vaudois avaient rejeté le crédit d'étude pour sa construction. Le projet comportait un volet intéressant pour la prise en charge thérapeutique des délinquants sexuels.
Nous sommes donc actuellement devant un manque terrible de structures pouvant répondre à ces besoins. Les solutions ne seront possibles qu'en étant associés aux cantons qui font partie du Concordat romand.
C'est pourquoi nous vous proposons une nouvelle invite :
«- à intervenir auprès du gouvernement vaudois pour regretter le refus de son Parlement d'entrer en matière sur le projet EEP 2000 et attirer son attention sur le fait que cet établissement concordataire résolvait pour partie les problèmes graves et urgents soulevés par cette résolution.»
La mise sur pied d'une commission intercantonale pluridisciplinaire répondrait à un besoin supplémentaire. Elle serait chargée d'étudier les dossiers les plus complexes et de fournir un préavis aux autorités compétentes.
Enfin, il convient que la réflexion concernant la délinquance sexuelle soit menée à tous les niveaux, à savoir la répression et l'exécution des peines et mesures par le DJPT, les soins par le DASS et la prévention par le DIP.
C'est pour toutes ces raisons que je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à bien vouloir accepter cette résolution.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Si quelqu'un agresse sexuellement c'est qu'il n'est ni heureux ni équilibré. Mais si ce principe est reconnu, il est certain que ce type d'agresseur est très dangereux pour les autres : les enfants en particulier. Avant de l'aider à s'en sortir, il faut protéger les innocents et l'incarcérer. Mais le seul fait de l'emprisonner ne va pas le guérir et, au moment de sa libération, les risques de récidive ne seront pas éliminés. Incarcérer des agresseurs sexuels sans thérapie adéquate est donc une action totalement insuffisante.
C'est la raison pour laquelle nous proposons d'augmenter le nombre d'établissements pouvant les prendre en charge et assurer un suivi thérapeutique. De même nous proposons de les empêcher de retrouver du travail auprès des jeunes, afin d'éviter les tentations. Dans ce sens, nous regrettons très fortement que les Vaudois aient refusé le crédit d'étude pour le nouveau pénitencier intercantonal. Il est certes vrai que ce projet était cher, mais il aurait mieux valu étudier d'autres solutions plutôt que de le rejeter simplement. C'est pourquoi nous soutiendrons l'amendement proposé par Mme Gossauer.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Nous accueillons favorablement les première et seconde invites.
Madame la députée Gossauer, nous avons beaucoup regretté la décision négative prise par le Grand Conseil vaudois. Tout en respectant sa souveraineté, nous avons fait part de nos remarques à ce sujet. Elles vont dans le sens de l'amendement que vous présentez.
La troisième invite suggère la création d'une commission intercantonale. J'ai le plaisir de vous dire que c'est déjà fait. La Conférence romande des chefs de département de justice et police et des transports a formé une commission ad hoc. Cette commission ad hoc a adopté, le 14 mars 1997, une directive qui est exactement la réponse à votre attente.
Nous saluons donc cette proposition de résolution. Nous interviendrons, bien sûr, dans le sens de l'invite que vous avez rajoutée. Nous vous remercions de l'attention portée à un sujet particulièrement délicat qui nous inquiète énormément.
La présidente. Je mets aux voix la demande d'amendement présentée par la commission des visiteurs officiels, telle que vous l'avez sur vos bureaux, qui consiste à ajouter une cinquième invite dont la teneur est la suivante :
«- à intervenir auprès du gouvernement vaudois pour regretter le refus de son Parlement d'entrer en matière sur le projet EEP 2000 et attirer son attention sur le fait que cet établissement concordataire résolvait pour partie les problèmes graves et urgents soulevés par cette résolution.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, cette résolution ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
concernant certaines mesures à prendre en vue de luttercontre la criminalité sexuelle
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'importance d'assurer une prise en charge thérapeutique adéquate des délinquants sexuels;
- l'importance de protéger les enfants contre de tels agresseurs,
invite le Conseil d'Etat
- à intervenir auprès du Conseil fédéral pour modifier l'article 54 du code pénal afin de permettre au juge d'interdire aux personnes ayant été condamnées pour actes d'ordre sexuel avec les enfants l'exercice d'une profession ou d'une activité en relation avec des enfants;
- à étudier la possibilité de créer ou d'augmenter le nombre d'établissements pouvant prendre en charge des délinquants sexuels (notamment ceux faisant l'objet d'une mesure de sûreté au sens de l'art. 43 CPS), ainsi que d'améliorer les conditions et possibilités du suivi thérapeutique par des mesures adéquates;
- à étudier la mise sur pied, en accord avec les autres cantons romands, d'une commission intercantonale pluridisciplinaire compétente pour conseiller et donner des préavis aux autorités compétentes pour accorder des congés ou la libération conditionnelle des personnes condamnées pour des délits d'ordre sexuel; voire la création d'une unité d'évaluation pour délinquants sexuels dans notre canton;
- à associer tous les départements concernés à cette démarche;
- à intervenir auprès du gouvernement vaudois pour regretter le refus de son Parlement d'entrer en matière sur le projet EEP 2000 et attirer son attention sur le fait que cet établissement concordataire résolvait pour partie les problèmes graves et urgents soulevés par cette résolution.
M. Claude Blanc. A la soupe !
La présidente. Non, pas à la soupe, Monsieur le député Blanc ! Nous allons tout de même traiter rapidement les pétitions !