Séance du
jeudi 18 septembre 1997 à
17h
53e
législature -
4e
année -
9e
session -
39e
séance
M 1138
LE GRAND CONSEIL
invite le Conseil d'Etat
à lui faire rapport sur:
1. le nombre de ventes aux enchères immobilières mises sur pied chaque année, depuis 1992, par l'office des poursuites et faillites avec la valeur des adjudications et des pertes présumées;
2. le nombre de ventes immobilières effectuées chaque année, depuis 1992, par l'office des poursuites et faillites sans recourir à des ventes aux enchères, avec la valeur des adjudications et des pertes présumées;
3. le nombre de demandes de ventes immobilières dont l'office des poursuites et faillites est actuellement saisi et la valeur déclarée des immeubles en cause;
4. le nombre de ces affaires qui ont fait l'objet d'une dénonciation pénale et les suites données à ces dénonciations;
5. les pertes fiscales subies par l'Etat en raison des déconfitures immobilières.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis deux ou trois ans, la Feuille d'avis officielle publie de nombreux avis de ventes aux enchères d'immubles à la suite de faillites ou sur requêtes de créanciers (en général des créancier gagistes). Ces publications ne donnent qu'une vue partielle de l'importance des déconfitures immobilières qui ont frappé notre économie locale à la suite d'une spéculation immobilière sans précédent, car de nombreuses ventes d'immeubles ont été effectuées par des adjudications directes de l'office des poursuites et faillites à des créanciers gagistes sans procéder à des ventes aux enchères.
Par ailleurs, de nombreuses opérations immobilières n'ont pas fait l'objet de demandes de ventes forcées, les banques continuant à les porter à bout de bras (notamment les terrains de Sécheron) ou ayant trouvé un accord directement avec leurs débiteurs.
Il n'empêche qu'une statistique des opérations immobilières effectuées, ou dont l'office des poursuites et faillites est chargé, présente un intérêt public evident et le Conseil d'Etat est invité à rendre publics les chiffres y relatifs.
Par ailleurs, au moment où la presse a fait état de la récente condamnation du promoteur de l'opération immobilières d'Archamps à une peine de 5 ans de prison prononcée par le Tribunal de Thonon, consécutivement à la déconfiture de ce projet de prestige initié quasiment sans aucun fonds propre, il serait intéressant de savoir si des procédures pénales ont été ouvertes à Genève dans des cas similaires à l'égard de promoteurs peu scrupuleux qui ont provoqué fautivement des déconfitures assimilables à des banqueroutes au sens de la loi pénale.
La presse a fait état de centaines de millions de francs de pertes causées par certains promoteurs. Celui, condamné récemment en France, est responsable de plusieurs grosses déconfitures à Genève, dont celles de la pointe de Villereuse, des Contamines (dont le terrain fait présentement l'objet d'une votation référendaire) et du domaine de Fleur d'Eau à Versoix, pour ne citer aue les cas de ce promoteur abondamment évoqués par les médias.
Indépendamment des procédures que le pouvoir judiciaire a pu initier de son propre chef et dont le Conseil d'Etat devrait pouvoir obtenir des références, il serait intéressant de connaître les initiatives précises prises par l'office des poursuites et faillites, qui procède fréquemment à des dénonciations pénales pour des délits mineurs, tels que les détournements de gains ou d'objets saisis. S'est-il également préoccupé des agissements de ceux qui sont à l'origine des grosses déconfitures immobilières qui ont causé de très graves pertes à notre économie? Une réponse à ce sujet s'impose.
Nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que cette motion recevra bon accueil de votre part.
Débat
M. Christian Ferrazino (AdG). En matière de déconfitures immobilières, nos voisins, tout particulièrement nos voisins français, semblent plus énergiques que nous pour prendre des mesures à l'encontre de ceux qui ont causé un tort considérable à notre économie. Je fais allusion à cette récente condamnation d'un promoteur qui est à l'origine de l'opération immobilière d'Archamps et qui a donc été condamné - vous l'avez lu dans la presse - à une peine de cinq ans de prison, prononcée par le Tribunal de Thonon.
Quant à nous, nous subissons toujours les contrecoups de la spéculation effrénée qui a sévi dans notre canton. Il suffit de lire la «Feuille d'avis officielle» pour s'en convaincre, puisque cette dernière fourmille régulièrement d'avis de ventes aux enchères. Cela ne reflète d'ailleurs que partiellement la réalité, puisque certaines banques continuent à ne pas demander la vente aux enchères pour porter à bout de bras les spéculateurs qu'elles avaient précisément aidés dans de nombreuses opérations immobilières boiteuses, et ces avis ne reflètent également que partiellement la situation, puisque de nombreuses ventes, tout le monde le sait, sont effectuées non pas aux enchères mais par des adjudications directes effectuées de gré à gré à des créanciers gagistes.
Il nous paraît dès lors important de connaître la situation réelle, et nous demandons une certaine transparence en la matière, d'où cette motion. Nous demandons également - ce qui n'est pas inutile - de connaître quelles sont les démarches qui ont été entreprises et qui le sont encore par l'office des poursuites à l'encontre de ceux qui sont précisément à l'origine de ces grosses déconfitures immobilières qui continuent à causer de graves préjudices à notre économie. Sur ce point, vous l'aurez tous remarqué, l'office des poursuites est souvent très vigilant pour s'en prendre à des petits débiteurs, et nous souhaiterions savoir quelles démarches l'office effectue vis-à-vis de ceux qui agissent de cette manière, dans le cadre de ces déconfitures immobilières.
Voilà les deux questions qui sont posées par cette motion, que nous vous remercions de bien vouloir renvoyer au Conseil d'Etat.
Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). Pendant les euphoriques années 80, des promoteurs que nous qualifierons de «peu scrupuleux» ont provoqué par leurs malversations des ruines financières qui en droit pénal s'appellent «banqueroutes et faillites». Pour mémoire, je me référerai à l'article 163 du code pénal qui stipule que : «Le débiteur qui, de manière à causer un dommage à un créancier, aura diminué fictivement son actif, notamment en dissimulant des valeurs patrimoniales, en invoquant des dettes supposées, en reconnaissant des créances fictives ou en incitant un tiers à les produire, sera, s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui, puni de la réclusion pour cinq ans ou plus ou de l'emprisonnement. Le tiers qui, dans les mêmes conditions, se sera livré à des agissements de manière à causer un dommage aux créanciers sera également puni de l'emprisonnement.»
Cette citation du code pénal démontre l'importance du sujet. Sachant que l'Etat a plus d'une fois été le créancier de ces «golden boys», il est tout à fait intéressant de connaître l'ampleur des dégâts et de savoir si des procédures pénales ont été ouvertes à Genève.
Les socialistes se réjouissent de cette proposition de motion et attendent avec impatience le rapport du Conseil d'Etat demandé par les motionnaires.
M. Bernard Lescaze (R). Nous n'épiloguerons pas sur cette proposition de motion qui vient un peu comme grêle après vendange. Mais, effectivement, comme les motionnaires, nous pensons qu'un certain nombre de choses peuvent être étudiées. Mais avant de la renvoyer au Conseil d'Etat, nous pensons préférable de la renvoyer d'abord en commission judiciaire, afin de «polir» un peu vos demandes et de savoir exactement ce que vous voulez en faire.
C'est pourquoi je vous propose, Madame la présidente, le renvoi à la commission judiciaire.
M. David Hiler (Ve). Les demandes de renseignements figurant dans cette motion sont parfaitement légitimes, s'agissant d'un phénomène économique et politique d'une certaine ampleur. Nous ne voyons pas bien, compte tenu de la clarté des invites, pourquoi il faudrait passer en commission. Nous ne jugeons pas, comme le préopinant, que ces demandes sont impolies ou trop brutes, selon le sens que l'on veut donner à l'expression «polies en commission». Tout nous paraît extrêmement clair : il s'agit de renseignements que l'on peut légitimement demander dans un parlement, s'agissant d'affaires d'une telle importance.
Je vous propose donc de suivre l'avis des motionnaires et de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. En théorie, les statistiques que souhaitent obtenir les auteurs de cette proposition peuvent être fournies par l'office des poursuites et faillites, à l'exception des pertes fiscales subies par l'Etat, c'est l'affaire du département des finances.
Il faut, en outre, savoir plusieurs choses.
Premièrement, nous ne détenons pas les données chiffrées exigées, et nous devons donc les établir. Pour ce faire, nous devons sortir toutes nos archives depuis 1992, travail évidemment assez considérable.
Autre remarque, il y a un problème : jusqu'en 1994, précisément le 5 avril, nous avions un seul office; nous en avons maintenant trois.
Et puis, il y a dans les invites une imprécision qui demande à être éclaircie. On demande quelle est la notion de valeur déclarée des immeubles faisant actuellement l'objet d'une procédure d'exécution forcée. Or cette notion doit être précisée. Faut-il la comprendre comme l'ensemble des gages immobiliers garantis par ces immeubles ou comme la somme des montants retenus après expertise ? Dans ces acceptions, il est évident que l'information fournie serait lacunaire, l'évaluation des immeubles n'intervenant qu'au stade de la réquisition de vente.
Enfin, s'agissant du nombre de dénonciations pénales, il faut savoir qu'en pratique les offices n'en ont effectué aucune dans ce domaine, semblable procédure pénale n'étant requise qu'en cas de détournement de biens saisis.
C'est donc bien volontiers que nous discuterons de cette motion en commission. Je suggère néanmoins respectueusement à M. le député Hiler d'accepter le passage en commission uniquement pour que soit précisée cette notion de valeur déclarée des immeubles et que nous sachions ce que vous souhaitez exactement.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission judiciaire.