Séance du
jeudi 19 juin 1997 à
17h
53e
législature -
4e
année -
7e
session -
32e
séance
M 1121
EXPOSÉ DES MOTIFS
La législation genevoise (loi I 2 15, règlement d'application) définit les droits et les responsabilités des entreprises de sécurité et de leurs agents.
Cette réglementation permet d'intervenir en cas d'abus tels que port d'uniformes prêtant à confusion, des problèmes relatifs au port d'arme, etc. Edictée voici plus de dix ans, elle témoigne de la nécessité de bien cadrer une activité qui risque en permanence d'être confrontée au principe de proportionnalité, et au monopole d'intervention qui est celui de la force publique.
Aujourd'hui, dans un contexte de difficultés budgétaires des collectivités publiques qui perdurent, on doit constater que ce monopole peut être, dans les faits, érodé, avec des conséquences politiques graves, confrontant le citoyen avec des agents privés et non plus des représentants de la loi.
Comme indiqué plus haut, la surveillance sur le comportement des agents privés n'est qu'indirecte, et il ne saurait être toléré de privatisation de la police.
Or, certaines communes, par exemple Cologny, ont commencé à mandater des agences privées.
Il nous semble important de faire le point sur cette évolution, avant d'être mis devant des faits accomplis.
C'est pourquoi nous demandons au Conseil d'Etat de faire rapport sur l'évolution du secteur des agents de sécurité privés, notamment sur le plan quantitatif, mais aussi en termes d'évaluation générale des prestations et des comportements. Nous souhaitons également connaître sa position sur l'engagement d'agents privés par des collectivités publiques et, de manière plus générale, sur les risques que les prestations de sécurité ne soient plus également assurées sur le territoire.
Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Alexandra Gobet (S). La «radiographie» de la police - opérée dans le cadre de l'audit - met en lumière le fait que la gendarmerie passe une part importante du temps de travail à des activités non policières, à des activités de sécurité profitant à des tiers, en particulier, à des entités privées. Pour exemple, les grandes manifestations.
En plus de ce constat, on a vu sur la voie publique une floraison de nouveaux uniformes, bérets et mousquetons en tout genre, emblèmes d'autant de polices privées dont la culture d'entreprise pourrait différer quelque peu de celle de nos bons vieux gardes Securitas si l'on en juge par les modalités de présence de ces nouveaux venus. Le sommet du paradoxe est atteint, lorsque des communes ou d'autres entités publiques font appel à ces polices privées pour assurer une certaine sécurité à leurs communiers.
Les socialistes se sont toujours montrés exigeants quant aux conditions dans lesquelles la sécurité publique devait être assurée. Ils ont stigmatisé, lorsqu'il fallait le faire, les modalités d'intervention de la police. Aujourd'hui, nous nous préoccupons du cadre dans lequel se meuvent les agents de sécurité privés.
Que pouvons-nous apprendre de leur personnalité, de leur formation, de leur mode d'intervention, de leur aptitude au contact avec le public ? Bien peu de choses, en vérité, en lisant la loi et le règlement qui régissent cette activité. Rien sur les procédures d'usage des armes si ce n'est qu'elles devraient être portées discrètement, ce qui n'est pas toujours le cas. Rien non plus sur les dispositions psychologiques que l'on serait en droit d'attendre des agents, comme on en attend de la police. On n'y trouve pas un mot, enfin, sur la durée maximale du temps de travail ou les conditions de travail.
Les cahiers d'audit rappellent la part de risques que peut engendrer la surcharge dans l'activité de sécurité. Ce soir, nous pouvons adhérer à ce constat : risques pour la qualité du travail et négligences dans l'appréhension des particularités d'une certaine situation, pour n'évoquer que les principaux problèmes.
Si nous posons des questions, au sujet desquelles le Conseil d'Etat voudra bien faire un rapport, c'est que nous ne voulons pas d'une sécurité à deux vitesses dans ce canton. D'une part, celle des communes économiquement faibles qui s'en rapportent à la police et sont tributaires des effectifs de rotation et, d'autre part, celle - aux contours incertains - des communes plus à l'aise, lassées d'avoir à confier, la nuit par exemple, la sécurité de leurs habitants à une patrouille de deux gendarmes chargés de veiller sur dix-huit communes.
Ces dernières ont utilisé d'autres moyens, payants, que les premières ne peuvent s'accorder. Pendant ce temps, à l'autre bout du canton, des membres de la police veillent, sans frais ou presque, sur les invités ou sur les participants à des manifestations privées.
Ce n'est pas que nous en fassions grief à M. Ramseyer, car nous savons qu'il a vainement tenté d'obtenir du Conseil d'Etat les moyens supplémentaires pour répondre aux demandes des petites communes, mais il est indispensable qu'une réelle transparence existe à ce sujet. Nous devons nous donner les moyens de corriger certaines erreurs et de contrôler cette situation.
Il n'est pas acceptable que la sécurité accordée aux habitants de ce canton par les autorités cantonales ou communales ne soit pas identique pour tous et varie selon que les personnes habitent dans un quartier populaire ou dans une commune plus proche du lac. Nous ne souhaitons pas que le vigile devienne l'interlocuteur imprévisible du quidam sur la voie publique.
M. Pierre Meyll (AdG). Nous appuyons cette proposition de motion, car, de nouveau, seules les communes riches auront les moyens de s'offrir la sécurité. Elle sera donc «à deux vitesses». Il est clair que certaines communes, dont les postes de police ne sont pas ouverts durant la nuit et très peu pendant le jour, verront leurs difficultés augmenter.
Il faudrait peut-être que les gens des communes pauvres se rendent dans les communes riches pour y dormir. Peut-être que M. Vaucher pourrait prévoir quelques logements à Collonge-Bellerive !
La police semble être d'accord avec notre point de vue. Elle accepte très difficilement le fait de devoir céder son rôle de protectrice du citoyen - dévolu par la constitution - à des milices privées qui pourraient, parfois, intervenir dans des conditions pas toujours acceptables.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. A Genève, nonante-trois entreprises s'occupent, d'une manière ou d'une autre, de sécurité. Cela représente mille quatre cent cinquante-six agents, dont les 40% sont armés. C'est une réponse au besoin de sécurité ressenti par notre population si l'on en croit les sondages qui, à ce sujet, sont patents.
Cela dit, où êtes-vous allé chercher que j'aie vainement tenté d'obtenir quelque chose du Conseil d'Etat ? Dans notre ordre du jour figure un renvoi en commission judiciaire concernant le projet de loi 7661. Les agents de sécurité municipaux pourront exactement répondre à ce genre de préoccupation ! Ce projet de loi vient d'être renvoyé en commission, mais j'attire votre attention sur le fait qu'il a été plébiscité par les communes genevoises, précisément sur la base des différents éléments que vous avez avancés.
Madame la députée, la police ne se sent pas frustrée d'une part de marché, car, avec des effectifs trop justes, elle ne parvient pas à faire face à la totalité des besoins, de ses devoirs, de ses tâches. Par conséquent, si des privés peuvent suppléer à cette absence de moyens, elle en est ravie.
D'autre part, les critiques que vous émettez sont quelque peu sévères. Les agents de sécurité privés ne sont pas des gens livrés à eux-mêmes qui font ce qu'ils veulent. Il existe une loi qui s'applique. J'ai plaisir à lire que depuis trois ans je n'ai jamais eu de plaintes concernant l'activité des agents de sécurité.
Cela étant, je répondrai à cette motion de manière plus complète et avec plaisir à une prochaine séance.
M. Pierre Meyll (AdG). Le bulletin syndical de l'union du corps de police appuie cette motion. C'est donc bien la preuve que la police considère que sa mission ne peut pas être accomplie par des agents privés et que ce n'est pas normal par rapport au cadre de la constitution.
Si les communes doivent engager des agents municipaux - puisqu'on ne peut pas l'appeler police municipale - elles devront les payer, ce qui leur coûtera cher ! A la réunion de commission régionale, j'entendais l'autre jour M. Rossetti et Mme Burnand, représentants de la Ville de Genève, dire que - compte tenu de leur situation financière - ils demanderaient les fonds nécessaires à l'Etat s'il fallait encore assumer la sécurité à Genève. Le problème doit être réglé de manière globale, car ce n'est pas aux communes - avec les difficultés qu'elles rencontrent - de payer des agents municipaux.
Mme Alexandra Gobet (S). Monsieur Ramseyer, vous pourriez aussi additionner le nombre des techniciens de police, afin de nous montrer qu'il n'y a pas de baisse d'effectifs.
Nous évoquons les problèmes d'effectifs de la police consacrés à la sécurité générale et le fait que les agents municipaux n'ont pas, à ce jour, les compétences correspondant à celles des agents tournants dans les postes de police de quartier.
Je ne peux qu'inviter le président Ramseyer à prendre connaissance des bulletins du journal de la police d'avril et juin 1997, à les réétudier et les inclure dans le rapport qu'il nous fera sur la base de ces considérations.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. J'ai l'impression que l'on ne se comprend pas, Madame la députée ! En effet, j'ai dit que la police avait des effectifs insuffisants pour faire face à la totalité de ses tâches. Par conséquent, cette même police doit soit être renforcée - mais vous savez bien que la loi l'interdit - soit être aidée par d'autres moyens.
Il existe deux possibilités. D'une part, qu'une partie du travail soit confiée à des privés - cela se fait dans les banques, entre autres - et, d'autre part, que la police soit aidée par des agents de sécurité municipaux, projet évoqué par M. Meyll. Je vous renvoie, à mon tour, à mon projet d'agents de sécurité municipaux qui répond parfaitement à votre interrogation.
Quant à me demander de lire attentivement les bulletins du syndicat de police, sachez, Madame, qu'il s'agit, non seulement de ma lecture de chevet mais qu'elle a sa place sous mon oreiller, tous les soirs ! (Rires.)
Mme Claire Chalut (AdG). Je pense, Monsieur le président, que vous avez de très bonnes lectures sous l'oreiller. Toutefois, je me demande si la volonté de créer ces polices privées ne cache pas plutôt l'envie «d'économiser» du personnel !
Tout à l'heure, vous avez prétendu que cela ne poserait pas de problèmes. Au contraire, cela peut très bien en poser ! D'autant plus - je ne sais pas si vous les avez déjà vus - qu'ils ont une dégaine pas triste et se promènent avec des chiens énormes.
Alors, je vous le demande, Monsieur Ramseyer, que ferez-vous le jour où un accident se produira ? Si, par exemple, ils lâchent leurs chiens et que vous les avez aux trousses, que ferez-vous ? Vous aboierez ? Sur les chiens, donc !
La présidente. Sur ces aboiements, je mets la motion aux votes.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant les polices privées
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- le développement des polices privées;
- le recours par des communes à des services de police privée;
- la pression budgétaire exercée sur l'administration cantonale et également la police et le risque de détérioration des prestations publiques de sécurité qui en découle;
- qu'il ne serait pas admissible que se développent des situations d'inégalité devant ces prestations avec notamment pour conséquence le recours compensatoire, par les communes qui pourraient se le permettre, à des services privés,
invite le Conseil d'Etat
à lui présenter un rapport sur:
1. l'évolution des tâches et des effectifs de la police publique et des polices privées (vigiles, gardes, etc.) et le partage des attributions respectives;
2. les modalités garantissant la présence effective de la police publique sur l'ensemble du territoire;
3. sa position quant au recours par des communes à des polices privées;
4. le respect par les polices privées de la législation qui les régit, s'agissant notamment de leurs attributions et limites, et des modalités de leur intervention.
La séance est levée à 22 h 55.