Séance du vendredi 13 juin 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 7e session - 30e séance

M 1127
13. Proposition de motion de MM. Christian Ferrazino, Christian Grobet, Pierre Meyll et Gilles Godinat sur la politique d'utilisation des zones industrielles. ( )M1127

LE GRAND CONSEIL,

vu les très graves difficultés auxquelles le secteur secondaire genevois est actuellement confronté;

attendu que ce secteur est frappé plus durement par la crise en raison de l'importance que revêt le coût de la main-d'oeuvre comme facteur de production des biens produits dans notre pays, sans parler du niveau élevé du franc suisse qui rend la compétitivité des produits suisses très difficile pour nos entreprises;

qu'il est par conséquent primordial que celles-ci et les nouvelles entreprises du secteur secondaire puissent bénéficier de terrains et locaux industriels et artisanaux bon marché pour compenser partiellement les inégalités auxquelles elles sont confrontées par l'ouverture des marchés;

que les petites et moyennes entreprises, tout particulièrement les entreprises artisanales, qui constituent un élément important de notre économie, éprouvent beaucoup de difficultés à trouver des terrains et locaux bon marché leur permettant de déployer leurs activités;

qu'en raison de la pénurie de terrains et de locaux industriels bon marché, il convient de veiller à ce que les terrains et locaux affectés à des activités industrielles et artisanales ne soient pas bradés ni mis à disposition d'entreprises poursuivant d'autres activités offrant un meilleur rendement et leur permettant de payer les charges foncières ordinaires pour leurs besoins en terrains ou locaux;

que cela est particulièrement vrai pour les locaux libérés par des entreprises en cessation d'activités et qui ont été construits il y a un certain temps, qui sont souvent totalement amortis et qui peuvent être reloués très bon marché (par rapport aux locaux vides de construction récente) pour autant qu'ils ne soient pas accaparés par des entreprises à haut rendement qui font monter les prix de location;

que, dans ces conditions, les dérogations accordées dans les zones industrielles ou artisanales à des activités étrangères à ces zones ne sont pas compréhensibles;

que des terrains et locaux industriels et artisanaux sont, en effet, mis à disposition ou convoités pour des expositions de voitures qui sont le type d'utilisation de terrains à exclure en zone industrielle (voir APA 12629, zone industrielle du Bois-de-Bay, APA 12717 au chemin de la Marbrerie sur un terrain de la FIPA, requête 94697 pour une halle d'exposition de voitures sur le terrain industriel de Verntissa, à Vernier) ou pour des activités relevant de la vente de détail (requête 94727 portant sur l'affectation de deux étages d'un bâtiment industriel dans la ZODIM pour un centre commercial, requête 94728 pour un parking à la rue Boissonnas dans la zone de la FIPA, etc.),

invite le Conseil d'Etat

à lui présenter un rapport sur:

- les dérogations accordées dans les zones industrielles et artisanales au profit d'activités qui ne répondent manifestement pas aux normes de ces zones;

- les réserves de terrain et locaux dont disposent l'Etat et les collectivités publiques (notamment les communes et la FIPA) pour des activités industrielles et artisanales;

- la politique qu'il entend poursuivre pour mettre à disposition ou faire bénéficier les entreprises du secteur secondaire, tout particulièrement les petites entreprises et les artisans, de terrains et locaux bon marché.

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Nous continuons à être extrêmement préoccupés par l'affectation et l'utilisation des zones industrielles.

Le secteur secondaire genevois est certainement l'un des secteurs économiques les plus frappés dans notre canton. Par ailleurs, on sait que les petits artisans, les petites entreprises, ont énormément de difficulté à trouver des terrains et des locaux bon marché. Le seul espoir, pour ce type d'activités, est de trouver des terrains et des locaux à des prix abordables dans les zones industrielles.

A la lecture de la «Feuille d'avis officielle», nous constatons que des dérogations continuent à être accordées dans des zones industrielles, dérogations qui paraissent difficilement compréhensibles. Je regrette l'absence de M. Joye, ce soir, et je ne sais pas si M. Maitre connaît ces différents dossiers. Par exemple, le terrain industriel de Verntissa, à Vernier, a été transformé en parc d'exposition de voitures d'occasion, alors que le Conseil d'Etat a toujours déclaré, que ce soit au sujet des terrains occupés dans la zone de la ZIPLO à Plan-les-Ouates ou le projet de parking de Honda à Meyrin, que l'on cesserait d'utiliser des terrains industriels pour des aires de stationnement et d'exposition de voitures d'occasion. Voilà un cas tout à fait précis.

On peut également constater que dans la zone de la ZODIM, à Meyrin, on a délibérément créé deux périmètres distincts. L'un, précisément, pour des activités commerciales, l'autre pour des activités industrielles, ce qui a amené ce Grand Conseil à refuser le projet de déclassement au profit de Jumbo ou de la société Obirama. Entre-temps, Obirama a finalement solutionné...

M. Claude Blanc. Résolu !

M. Christian Grobet. Merci ! ...résolu son problème en reprenant, sauf erreur, la parcelle Martini-Rossi, ce qui démontre qu'il y avait une possibilité sur place, mais peut-être que cela coûtait un peu plus cher - je n'en sais rien... (L'orateur est interpellé par M. Maitre.) Non, Monsieur Maitre, je connais bien les terrains du périmètre commercial de la ZODIM. Obirama n'était effectivement pas propriétaire du secteur résiduel. Bref, puisque vous parlez de déclassement, la procédure qui devrait être suivie est la suivante : le Grand Conseil se prononce sur l'opportunité de déclasser un périmètre ou non, mais il ne procède pas à ces déclassements par voie dérogatoire.

On peut ainsi voir qu'une autorisation de construire a été délivrée pour un centre commercial au lieu d'un bâtiment industriel, ce qui ne correspond absolument pas aux normes de cette zone.

J'ai donné quelques exemples, et cette liste n'est certainement pas exhaustive. Vous-même aviez, lors d'une précédente intervention de l'Alliance de gauche, fait part de votre étonnement, lorsqu'une compagnie d'assurances s'était installée dans un bâtiment industriel aux Acacias. Effectivement, un certain nombre d'autorisations délivrées ne sont pas conformes aux normes de la zone, et nous aimerions que le Conseil d'Etat dise clairement ce qu'il en est. Car il ne semble pas, au vu des dérogations accordées, que la pratique corresponde aux déclarations qui ont été faites par le Conseil d'Etat...

Présidence de M. René Koechlin, premier vice-président

M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Après avoir écouté les propos tenus par M. Grobet, et après une lecture attentive de la motion, je prétends que vous méconnaissez les problèmes de nos industriels. Nous pouvons considérer que cette motion est certainement pavée de très bonnes intentions, mais elle nous semble par trop suspicieuse de la politique menée en matière de zones industrielles, tant par le Conseil d'Etat que par la Fondation des terrains industriels de Genève, la FTI, anciennement la FIPA.

S'agissant du troisième considérant, je relèverai que la FTI, dans le cadre de l'application de la loi générale sur les zones de développement industriel a, en fait, tout pouvoir pour contrôler les prix pratiqués en matière de vente de terrain de particulier à particulier. Le droit de préemption, aux termes de cette loi, est acquis à l'Etat. D'autre part, la rente des droits de superficie oscille toujours aux environs de 12 à 15 F le m2 par année, ce qui, même dans la conjoncture difficile que nous vivons, reste d'un niveau très favorable et apprécié par l'ensemble des superficiaires.

Je me permets de m'étonner du quatrième considérant, compte tenu des dizaines de milliers de m2 de plancher qui sont aujourd'hui à disposition des utilisateurs potentiels. C'est d'ailleurs devenu un lieu commun d'affirmer qu'à Genève et en zone industrielle il y a pléthore de locaux vides.

En ce qui concerne le cinquième considérant, le paradoxe veut que, précisément, bien des locaux, quand ils trouvent preneurs, soient pratiquement bradés comme vous le mentionnez, ce qui semble mettre les motionnaires dans la confusion. Je dis «confusion» car, jusqu'à preuve du contraire et toujours en zone industrielle, ces locaux bradés ne le sont qu'en faveur d'entreprises compatibles avec lesdites zones, à l'exclusion de sociétés de type tertiaire.

Enfin, s'agissant des trois derniers considérants de cette motion, il est important de rappeler que l'Etat et la Ville ont récemment reçu d'un groupe de travail ad hoc un rapport concernant ce qu'il est convenu d'appeler «la mixité des zones industrielles». Le Conseil d'Etat, à ma connaissance, s'est publiquement expliqué sur sa politique qui reste évidemment très restrictive en matière de mixité, l'accent étant maintenu sur des entreprises du secteur secondaire.

A mon avis, cela ne doit d'ailleurs pas empêcher la FTI d'être attentive à la demande des industriels qui en appellent eux-mêmes et spontanément à une certaine mixité, estimant que les activités telles que guichets bancaires, postes, crèches, garages, pourquoi pas centres d'alimentation - liste exemplative non exhaustive - peuvent faire partie de ce qu'il est convenu d'appeler la cohérence du fonctionnement d'une zone industrielle. Je crois d'ailleurs savoir que la commission d'aménagement avait décidé, l'an dernier, de pousser sa réflexion sur la problématique de cette mixité dont elle est régulièrement saisie par des projets de lois concernant des modifications d'affectation des zones industrielles.

Il me semble - c'est le seul point d'intérêt - que cette motion doit être renvoyée à la commission d'aménagement pour y être discutée, démarche que notre groupe soutiendra.

M. Pierre Kunz (R). Même si les radicaux ne s'associent pas aux considérants de la motion 1127, ils vous recommandent de la renvoyer en commission, et, si possible, en commission de l'économie.

Ils trouvent utiles et intéressantes les trois invites formulées par les motionnaires. J'ai indiqué que les considérants ne nous satisfaisaient pas. En effet, nous ne pensons pas que les terrains et les locaux à vocation industrielle ne soient pas disponibles en quantité suffisante. Nous ne pensons pas non plus qu'ils soient à un prix excessif.

Chacun sait, par contre, que les radicaux contestent depuis de nombreuses années la politique générale menée en matière de zones industrielles, qui ne répond plus de manière suffisamment efficace aux nécessités économiques actuelles. Par ailleurs, nous constatons qu'au cours des dernières années les décisions de dérogation prises par le Conseil d'Etat ont amené des éléments d'incertitude et des formes qu'on peut qualifier de «distorsions de concurrence» qui commencent à peser sur le comportement de certains acteurs économiques.

Il est donc bon de faire le point sur ces questions, et, qui sait, peut-être parviendrons-nous en commission, avec l'aide du Conseil d'Etat, à faire de cette motion le point de départ de la nécessaire réforme de notre politique en matière de zones industrielles.

M. Hervé Dessimoz (R). Je ne vais pas compléter l'intervention de mon collègue Kunz.

Je veux simplement dire à M. Grobet que Jumbo a effectivement trouvé à Meyrin une solution provisoire. L'ancien Obirama se trouve sous une tente qui a failli s'effondrer cet hiver, et les acheteurs ont dû évacuer les lieux en catastrophe, lorsque la neige s'est mise à peser trop fortement sur cette construction provisoire. La commune de Meyrin a approuvé cette construction, à l'époque, sur la parcelle Fiat - vous étiez un de ceux qui évoquaient les aspects contestables de ce projet, notamment le prix du terrain. Le groupe Maus étudie actuellement une autre solution de reconstruction sur un site localisé vers l'ancienne construction qui a brûlé. Ce projet est à l'étude, il n'est pas encore achevé, et j'espère - je vous ai écouté avec attention - qu'en temps utile vous saurez défendre ce projet plus modeste, qui se trouve cette fois-ci dans le lieu que vous défendiez à l'époque. Je tenais simplement à apporter cette précision.

M. Christian Grobet. Merci !

Mme Alexandra Gobet (S). Pourquoi ce parlement si transparent, tel le nôtre, ne se pencherait-il pas de nouveau - je dirais presque «une fois de plus» sur cet objet, cette fois général et abstrait, à propos de l'affectation des zones industrielles ?

M. Joye nous y a invités à plusieurs reprises de façon informelle, à la commission de l'aménagement, lorsque nous avons travaillé sur ce sujet. Le malheur a voulu que les projets de lois concrets qui sont venus ensuite - M. Kunz l'a rappelé tout à l'heure - ne suivent pas précisément les quelques critères d'attribution qui avaient été forgés péniblement à la commission de l'aménagement.

Dans la perspective de la législature à venir, le groupe socialiste réitère son attachement à voir les zones industrielles réservées aux destinataires qui en ont prioritairement besoin : les industries. Cela dit, Genève n'est pas une ville morte. Le parlement sera bientôt renouvelé, et nous sommes d'accord de réajuster la réflexion au niveau de l'ensemble des groupes politiques à la commission de l'aménagement.

M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Cet objet devrait de toute évidence être renvoyé en commission, probablement de l'aménagement, Monsieur Kunz. Il pourrait être traité dans le cadre de la commission de l'économie dans la mesure où le devenir de nos zones industrielles concerne la politique économique. Mais il me semble que cet objet doit être traité en commission de l'aménagement, compte tenu des discussions déjà engagées dans cette commission sur le projet de loi actuellement traité et de la nécessité de débattre de manière approfondie du rapport du groupe de travail auquel nous avons fait allusion et qui montre une assez bonne approche pluridisciplinaire sur ces questions. Nous aurons l'occasion, à ce moment-là, de fixer véritablement une doctrine sur la base d'un rapport.

Je souhaite que ce Grand Conseil puisse prendre connaissance de manière approfondie et dépassionnée du rapport du groupe de travail que le Conseil d'Etat a accepté et dont nous souhaitons débattre devant la commission de l'aménagement. En effet, ce rapport arrive à des conclusions qui me paraissent parfaitement saines. On distingue des situations très différentes :

1) selon que l'on a affaire à des zones industrielles résiduelles - appelons-les comme ça, par raccourci de langage - qui se trouvent à Genève et où les problèmes sont de nature totalement différente dès lors que l'on se trouve dans des quartiers structurés, ou en voie de l'être;

2) selon que l'on a affaire à des zones en périphérie de la Ville de Genève, par exemple la ZODIM, à laquelle on a fait allusion et qui, si on connaît bien la réalité de terrain, sont aujourd'hui déjà des zones mixtes, de fait. Il y a lieu, en effet, de ratifier en droit ce qui existe déjà dans les faits. On demande là un peu plus de souplesse.

3) enfin, il y a lieu de garder comme objectif que les grandes zones industrielles de développement - Meyrin/Plan-les-Ouates, Mouille/Galand, Meyrin/Satigny - soient des zones où l'affectation industrielle reste claire. A ce propos, et vous le savez bien, s'agissant de la zone industrielle de Plan-les-Ouates dans son extension, il y a un projet qui n'est évidemment pas industriel et qui, s'il devait être admis et traité, ferait l'objet d'une loi de déclassement soumis devant votre Conseil : je veux parler du projet d'un centre commercial Coop. A cet égard, les décisions définitives ne sont pas encore prises, mais de toute évidence la parole appartient au Grand Conseil, car ce projet ne pourrait se réaliser que par le biais d'un déclassement.

Monsieur Grobet, le projet Obirama devra aussi probablement être traité par le biais d'un déclassement. En effet, la parcelle sur laquelle Obirama pourrait s'installer - c'est à mon avis un emplacement tout à fait correct - derrière les anciennes usines Martini-Rossi, aujourd'hui Bacardi, est une parcelle pour laquelle il n'y a pas d'extension quant à l'affectation, à la différence de la parcelle d'à côté qui est située en zone industrielle de développement avec affectation commerciale possible. Sur cette parcelle, cette affectation commerciale possible n'existe pas. Dès lors, nous devrions agir soit par voie de dérogation soit par voie de déclassement. Il me paraît préférable - mais je n'engage pas le Conseil d'Etat qui n'en a encore pas délibéré - d'agir dans la transparence, par une loi de déclassement mettant à jour le régime des zones dans ce secteur. Nous obtiendrons ainsi un ensemble cohérent, dans ce secteur, pour permettre au projet Obirama d'aboutir.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission d'aménagement du canton.