Séance du vendredi 6 juin 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 6e session - 25e séance

PL 7610
19. Projet de loi du Conseil d'Etat ouvrant un crédit de 60  millions de francs pour l'indemnisation des propriétaires riverains de l'Aéroport international de Genève. ( )PL7610

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Crédit d'investis-sement

Un crédit pouvant atteindre 60 millions de francs est ouvert au Conseil d'Etat pour couvrir les indemnités dues aux propriétaires riverains de l'aéroport, ainsi que les frais d'expertises et de procédures éventuels.

Art. 2

Budget d'investis-sement

Ce crédit est réparti en tranches annuelles inscrites aux budgets d'investissement dès 1997, sous la rubrique 51.01.00.566.02.

Art. 3

Finance-ment et couverture des charges financières

Le financement de ce crédit est assuré par le recours à l'emprunt, dans les limites du plan directeur fixant à environ 250 000 000 F le maximum des investissements annuels dont les charges financières en intérêts et en amortissements sont à couvrir par l'impôt.

Art. 4

Amortis-sement

L'amortissement de l'investissement est calculé chaque année sur la valeur résiduelle et est porté au compte de fonctionnement.

Art. 5

Loi sur la gestion adminis-trative et financière de l'Etat

La présente loi est soumise aux dispositions de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève, du 7 octobre 1993.

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Préambule

Le 2 septembre 1987 était publié dans la Feuille d'avis officielle (FAO) le plan des zones de bruit de l'aéroport de Genève-Cointrin, au terme d'une longue procédure qui s'était achevée par un arrêté du Conseil fédéral du8 avril 1987.

Par sa publication dans la FAO, le plan des zones de bruit a acquis force obligatoire en vertu de l'article 43, alinéa 4, de la loi fédérale sur l'aviation, du 21 décembre 1948 (LA). Ce plan établit autour de l'aéroport trois zones, A, B et C, dont les utilisations admissibles sont, selon l'article 62, alinéa 1, de l'ordonnance fédérale sur la navigation aérienne, du 14 novembre 1973 (ONA), repris actuellement par l'article 42 de l'ordonnance fédérale sur l'infrastructure aéronautique, du 23 novembre 1994 (OSIA) :

· Zone A - Agriculture

  - Entrepôts

  - Constructions et installations militaires

  - Bâtiments aéroportuaires

· Zone B - Utilisations selon la zone A

  - Constructions industrielles et artisanales

  - Bâtiments commerciaux et bureaux insonorisés

  - Logements de concierge insonorisés

· Zone C - Utilisation selon les zones A et B

  - Bâtiments commerciaux et bureaux

  - Bâtiments d'habitation insonorisés

  - Bâtiments scolaires insonorisés

Une ordonnance du département fédéral des transports, des communications et de l'énergie, entrée en vigueur le 1er janvier 1974, dispose que les trois zones de bruit sont délimitées ainsi :

- zone A: 65 NNI et plus;

- zone B: de 55 NNI à la limite de la zone A;

- zone C: de 45 NNI à la limite de la zone B.

2. Les demandes d'indemnité

L'article 44 LA dispose que la restriction de la propriété foncière par le plan des zones de bruit donne droit à une indemnité si elle équivaut dans ses effets à une expropriation (expropriation matérielle).

A Genève, le problème essentiel entraîné par l'introduction des zones de bruit résulte du fait que des zones-villas se sont trouvées englobées en zone A et B. C'est ainsi que, avec l'entrée en vigueur des zones de bruit de l'aéroport de Genève-Cointrin (zones NNI A, B et C), le 2 septembre 1987, un certain nombre de terrains se sont trouvés soumis à des normes de construction contradictoires. Le cas le plus fréquent est celui d'une parcelle située en5e zone résidentielle, mais en zone NNI B qui proscrit la construction de logements, sauf dérogation de la part des autorités fédérales.

Les propriétaires concernés devaient faire valoir leurs droits dans les cinq ans suivant la publication des plans, soit jusqu'au 2 septembre 1992, auprès de l'exploitant de l'aéroport, alors l'Etat de Genève, soit, pour lui, le département des travaux publics.

Deux cent cinquante propriétaires environ ont effectué une telle démarche auprès du département, dans le courant de l'été 1992. Devant cet afflux de demandes, il fut proposé à ces personnes de suspendre l'examen de leur réclamation jusqu'à droit connu sur les 6 premières procédures alors pendantes devant le Tribunal fédéral. En effet, plusieurs propriétaires riverains de l'aéroport avaient déjà agi contre l'Etat de Genève et les procédures correspondantes étaient instruites par la Commission fédérale d'estimation, dont les décisions avaient été déférées au Tribunal fédéral.

Le plus souvent, ces propriétaires réclament, en plus d'une indemnité pour expropriation matérielle, une indemnité pour expropriation formelle des droits de voisinage, en raison des nuisances qu'ils subissent du fait de l'exploitation de l'aéroport, qu'ils ne peuvent faire cesser, et de la moins-value de leur propriété que ce voisinage entraîne.

En effet, dans un arrêt Jeanneret du 3 octobre 1984, le Tribunal fédéral avait admis la possibilité de cumuler les deux actions, en expropriation formelle des droits découlant des rapports de voisinage et en indemnisation pour expropriation matérielle fondée sur les restrictions de propriété imposées par le plan des zones de bruit, mais en excluant le cumul des indemnités pour un même préjudice économique.

Bien avant l'échéance du 2 septembre 1992, une quinzaine de propriétaires avaient déjà agi contre l'Etat de Genève.

A l'occasion du transfert de la concession fédérale d'exploitation à l'Aéroport international de Genève, établissement de droit public autonome, le département fédéral des transports, des communications et de l'énergie avait décidé que toutes les demandes d'indemnités intervenues avant le1er janvier 1994 restaient sous la responsabilité de l'Etat de Genève, jusqu'alors exploitant de l'aéroport.

3. L'arrêt du Tribunal fédéral du 12 juillet 1995

En date du 12 juillet 1995, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt important dont on peut tirer en substance les principes suivants:

Expropriation matérielle

Le Tribunal fédéral a fait recalculer les zones de bruit par l'EMPA et a constaté que les zones de bruit telles que fixées par le plan actuel ne correspondent pas à la réalité :

- la zone C, dont les limites se situent entre 45 et 55 NNI est fortement réduite et

- la zone B épouse pratiquement les contours des installations aéroportuaires.

Il en résulte, constate le Tribunal fédéral, que toutes les propriétés qui font l'objet des procédures devraient être comprises dans la zone NNI C et que l'on ne peut opposer aux propriétaires concernés les restrictions imposées par la législation fédérale relatives aux zones NNI B et NNI A.

Le Tribunal fédéral en a déduit qu'il n'y avait donc pas d'expropriation matérielle consécutive à l'inclusion de ces parcelles en zone de bruit, l'obligation d'insonoriser ne constituant pas une atteinte à la propriété grave, constitutive d'expropriation matérielle.

Expropriation formelle des droits de voisinage

En revanche, le Tribunal fédéral a considéré que ces propriétés, subissant des nuisances sonores de 45 à 55 NNI, sont exposées à des nuisances graves et spéciales, qu'il n'était pas possible d'appréhender complètement avant le 1er janvier 1961. Il a dès lors considéré que ceux qui avaient acquis et construit leur immeuble avant le 1er janvier 1961 étaient frappés d'une expropriation formelle des droits de voisinage et avaient droit en principe à une indemnité de ce fait, indemnité qu'il convenait de déterminer.

Dans une décision partielle du 10 octobre 1995, le Tribunal fédéral a décidé que pour apprécier la dévaluation des immeubles la valeur vénale en automne 1985 est déterminante et que les intérêts usuels sur les éventuelles indemnités courent dès le 1er janvier 1985.

Pour ce faire, le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'était pas possible de déterminer précisément le moment à partir duquel les immissions provoquées par l'exploitation de l'aéroport sont devenues excessives et, partant, de connaître la date de la «prise de possession» effective des droits faisant l'objet de l'expropriation.

4. Montant des indemnités

Par arrêt du 24 juin 1996, le Tribunal fédéral a fixé les indemnités dues par l'Etat de Genève aux 9 propriétaires riverains concernés.

Le total des indemnités payées par l'Etat de Genève à ces personnes, intérêts compris, s'est élevé à plus de 5 090 000 F, déjà payés en juillet 1996, la décision du Tribunal fédéral étant immédiatement exécutoire. Ce montant est inclus dans le crédit présentement demandé. Le budget d'investissement 1997 ne prévoyant qu'un million de francs, le plan de trésorerie devra être adapté en conséquence.

Reste cependant le cas de ceux (environ 250) qui ont présenté une demande d'indemnité dans le délai de 5 ans à compter de l'entrée en vigueur des plans des zones de bruit, soit avant le 2 septembre 1995. Un bon nombre de ces cas peuvent être rapidement réglés en application des principes de l'arrêt du 12 juillet 1995, à savoir ceux qui ont acquis leur immeuble ou qui ont construit après le 1er janvier 1961.

En fonction de cette condition d'imprévisibilité, dont la date limite a été fixée au 1er janvier 1961, il a été possible d'écarter d'ores et déjà 90 cas, le nombre des demandes étant ramené à 164. Les 164 propriétés concernées représentent une surface d'environ 280 000 m2.

Selon le Tribunal fédéral, en 1985, année déterminante, ces terrains valaient 275 F/m2, la dépréciation due aux nuisances de l'aéroport étant de25 à 30%,

Quant aux constructions, il est impossible de faire une estimation correcte sans une expertise, car leur valeur dépend de la date et de la nature de la construction et de leur état d'entretien.

Selon une estimation globale nécessairement aléatoire (déjà en raison du nombre des cas impliqués), il apparaît qu'un montant de 60 millions de francs est nécessaire pour indemniser les riverains en appliquant les principes fixés par le Tribunal fédéral.

Ce crédit sera utilisé par tranches annuelles sur 4 ans selon l'évolution des dossiers, afin de payer des indemnités dues aux propriétaires riverains de l'aéroport, ainsi que les frais d'expertises et de procédure éventuels.

A cet égard, le Conseil d'Etat entend régler à l'amiable, dans toute la mesure du possible et dans les meilleurs délais, les cas en suspens.

5. Participation de l'Aéroport international de Genève

Dans ses décisions du 24 juin 1996, le Tribunal fédéral a assorti les indemnités en argent compensant la moins-value des immeubles causée par l'exploitation de l'aéroport d'une indemnité en nature consistant en des travaux d'insonorisation à effectuer sur les constructions concernées.

D'entente avec l'Aéroport international de Genève, il a été convenu que cet établissement prendra en charge les frais relatifs aux mesures d'insonorisation par prélèvement sur le fonds de la surtaxe bruit qu'il a constitué et qui s'élève à près de 47 millions de francs.

A cet égard, il faut signaler que les mesures d'insonorisation qui incombent à l'aéroport concernant non seulement celles, estimées à6 millions de francs, qui découlent directement des arrêts du Tribunal fédéral, dont les bénéficiaires doivent répondre aux conditions fixées (constructions réalisées avant le 1er janvier 1961), mais également celles qui pourraient découler de l'OPB, respectivement d'un programme d'insonorisation proposé par l'aéroport, dans l'attente de l'annexe de l'OPB spécifique, dont le coût a été estimé à 34 millions de francs.

6. Crédit d'investissement

Le crédit qui vous est demandé est un crédit d'investissement et non pas de fonctionnement: ce mode a été choisi en raison du fait que les indemnités qu'il recouvre sont directement liées à l'exploitation de l'aéroport à une époque où l'Etat de Genève en était l'exploitant, à savoir jusqu'au 1er janvier 1994, date à laquelle est entrée en vigueur la loi sur l'Aéroport international de Genève, du 10 juin 1993 (H 3 25).

Par ailleurs, cette manière de procéder, analogue à celle utilisée pour les occupations temporaires pour chômeurs («part conjoncturelle»), permet - au regard des spécificités du bilan dans une collectivité publique - d'étaler la charge sur plusieurs exercices.

En contrepartie de cet investissement, l'aéroport a pu exercer son activité qui, il convient de le rappeler, est bénéficiaire et rapporte à l'Etat de Genève.

Tels sont en substance, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs qui nous conduisent à soumettre à votre bienveillante attention le présent projet de loi.

Préconsultation

La présidente. Nous sommes en préconsultation; le temps de parole est limité à cinq minutes par groupe.

M. Christian Grobet (AdG). Je m'efforcerai de respecter le temps imparti.

Si je prends la parole au nom de mon groupe, c'est en raison des importantes incidences financières, pour les finances publiques, de ce projet de loi. (Interruption de M. Olivier Vaucher.) Vous pouvez rigoler, Monsieur Vaucher ! Les finances et les prix vous importent peu sans doute. Nous, nous sommes soucieux du montant de l'opération.

En raison de la prise de position des autorités fédérales, nous comprenons que, sur le plan juridique, cette demande de crédit soit faite au nom de l'Etat de Genève et pas au nom de l'exploitant, étant donné que cette demande porte sur des indemnisations antérieures au transfert de l'aéroport à l'exploitant actuel, une collectivité publique indépendante.

Il n'empêche que les charges financières de ce crédit doivent être assumées par l'exploitant, comme cela a toujours été stipulé à propos de l'aéroport, même si le crédit est demandé au nom de l'Etat pour des raisons juridiques.

Si je ne fais erreur, l'exposé des motifs, mais pas la loi, prévoit le report des charges financières sur l'aéroport. Cette clause devrait être expressément mentionnée dans le texte de loi.

Je sais, pour l'avoir lu, que la direction de l'aéroport a demandé un avis de droit à un juriste autorisé sur la question, extrêmement importante, de la prescription de certaines réclamations. Ce problème juridique devra être attentivement examiné par la commission à laquelle ce projet sera renvoyé, vu les incidences financières, et je me demande vraiment si l'on peut voter, d'entrée de cause, un crédit aussi volumineux et s'il ne vaudrait pas mieux voter des crédits successifs, en fonction du calcul des indemnités réelles à verser.

Il ressort de l'exposé des motifs qu'en l'absence de chiffres précis une simple estimation a été faite. Quoi qu'il en soit, cette question soulève des problèmes juridiques importants, d'autant plus que l'avis de droit, sollicité par la direction de l'aéroport, a été rendu après le renvoi de ce projet de loi au Grand Conseil.

Par conséquent, je voudrais savoir ce que le Conseil d'Etat pense de cet avis de droit. Je voudrais connaître aussi ce qui est ressorti de la concertation du Conseil d'Etat avec l'administration de l'aéroport, et de quelle façon seront traités ces problèmes juridiques par la commission qui aura à connaître de ce projet.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Madame la présidente, veuillez excuser mon absence de tout à l'heure : j'ignorais que ce Grand Conseil travaillait à la vitesse de l'éclair !

L'objet du projet 7610 date de plus de dix ans. Si le crédit demandé est très élevé, c'est parce que près de la moitié des montants dus le sont à titre d'intérêts alloués par le Tribunal fédéral aux différents requérants.

Le montant de 60 millions correspond à une enveloppe bien définie. Pour aboutir à ce chiffre, nous nous sommes basés sur les cinq ou sept recours traités expressément et complètement par le Tribunal fédéral, chacun d'eux représentant un type de construction et de situation bien précises. A partir de ces dernières, nous sommes parvenus à ce montant, en extrapolant sur l'ensemble des constructions.

Nous aurions pu solliciter des montants à échelonner dans le temps, mais il était important que ce Grand Conseil sache que l'enveloppe globale sera probablement celle du chiffre indiqué.

Comment les compétences de l'Etat et de l'aéroport ont-elles été réparties ? Deux sortes de réparations sont demandées. Les unes, de nature financière, sont intégrées dans le crédit demandé. Les autres sont des mesures de protection antibruit valables pour tous les immeubles concernés. Elles ressortent du fonds «bruit» de l'aéroport. Ce fonds est d'environ 40 millions.

Nous avons largement traité de la prescription. Je m'en expliquerai en détail en commission, en tenant compte de l'avis de droit, pour que vous soyez parfaitement au courant.

Sept objets ont d'abord été jugés, puis une dizaine d'autres plaintes sont intervenues. Par analogie, nous avons évalué les montants dus aux cent cinquante ou cent soixante autres objets concernés.

Ce projet est renvoyé à la commission des finances.

La séance est levée à 19 h 5.