Séance du
vendredi 30 mai 1997 à
17h
53e
législature -
4e
année -
6e
session -
23e
séance
M 1103
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le chômage est le mal socio-économique actuel majeur des pays occidentaux et européens en particulier. A Genève, il paraît probable que le chômage restera un problème de longue durée. Le chômage est aujourd'hui une dysfonction avant tout structurelle, plus que conjoncturelle, en raison, certes, de la globalisation des marchés économiques mondiaux qui entraîne des problèmes d'adaptation pour la Suisse mais aussi du fait que l'éducation et la formation professionnelle marquent le pas par rapport à l'évolution toujours plus rapide de l'économie et de la technologie. La solidarité et l'ouverture vis-à-vis d'une politique de l'emploi doivent donc inclure tous les partenaires impliqués: les entreprises, l'Etat et les citoyens. Chacun doit être prêt à contribuer à la mise en oeuvre de mesures aptes à créer des emplois, et si nous sommes convaincus que la meilleure façon de résoudre le problème du chômage à terme est d'investir tous les efforts possibles dans la relance économique et donc dans la création d'emplois, il n'en reste pas moins que la formation est elle aussi un atout déterminant dans la prise d'emploi.
La Suisse romande compte proportionnellement davantage d'étudiants et moins d'apprentis que la Suisse alémanique. C'est probablement l'une des causes d'un taux de chômage plus élevé chez les jeunes en Suisse romande. En effet, en Suisse romande, les moins de 25 ans sont presque quatre fois plus touchés par le chômage que leurs homologues alémaniques; à Genève, 12% (16% dans le canton de Vaud) des chômeurs ont moins de 25 ans. De manière générale, les pays où l'apprentissage professionnel est répandu ont un taux de chômage des jeunes inférieur: l'apprentissage semble représenter, de par les contacts directs qu'il permet avec le monde professionnel, un moyen efficace d'intégration dans le monde du travail. La même logique vaut pour les stages en entreprises: pour l'entrepreneur, cela fait une grande différence si le candidat n'a que des connaissances scolaires ou un peu d'expérience pratique. Il existe donc un lien entre le chômage des jeunes et les structures de formation.
L'objectif de l'enseignement et de la formation est de transmettre aux élèves l'héritage de notre culture, mais enseignement et formation doivent aussi permettre à nos jeunes d'acquérir un bagage de compétences et de connaissances qui leur donne les meilleures chances d'intégration dans la société et dans le monde du travail. La transmission de la culture ne doit pas empêcher - bien au contraire! - le système de formation de s'adapter continuellement à l'évolution de la société et du monde du travail. Dans l'équilibre entre connaissances et compétences, le poids devrait actuellement être davantage mis sur les secondes, et surtout sur la capacité d'utilisation des connaissances. En effet, l'acquisition de connaissances, si elle n'est pas immédiatement associée à leur application et à leur utilisation pratique, tend à rendre l'élève plus passif qu'autonome.
Pour être efficace en termes d'autonomie et d'«appétence d'entreprendre» il faut d'abord s'adresser aux plus jeunes. L'acquisition de l'autonomie, d'une appréciation sans préjugés du monde du travail au goût du risque et d'une «appétence d'entreprendre» doit donc faire partie des priorités de l'enseignement actuel, y compris primaire, si on veut diminuer la probabilité de chômage dès la sortie des écoles. La maturité professionnelle va dans ce sens; l'introduction de cours d'économie et de droit grâce à la révision de l'ordonnance fédérale sur la maturité également, ainsi que l'introduction progressive d'un enseignement véritablement bilingue et le développement des «junior entreprises».
Dans ce sens également, la possibilité d'accueillir dans les écoles publiques, à titre d'enseignements intérimaires par exemple, des professionnels d'excellence dans leurs domaines respectifs, même s'ils n'ont pas de formation spécifiquement pédagogique, pourrait contribuer à l'ouverture de l'école sur le monde du travail, et conduire les élèves à se passionner très tôt pour l'un ou l'autre des domaines de prédilection de ces professionnels. Le fait de confier au monde économique une certaine responsabilité dans les systèmes d'éducation et de formation devrait contribuer grandement au développement de passerelles souples entre l'école publique et le monde du travail. Le monde de l'économie veut une génération de gens compétents. Il est donc dans son intérêt aussi de multiplier ces passerelles avec l'enseignement théorique et de contribuer à y transférer les savoir-faire.
Dans ce sens encore, des stages en entreprises pourraient être introduits ou développés, au cours desquels les élèves, en groupe de taille réduite, pourraient par exemple préparer un projet pour l'amélioration des performances de l'entreprise, projet devant être réaliste, original et intéressant, immédiatement applicable et économiquement viable. De tels stages pourraient avoir lieu pendant les deux années précédant l'année de maturité, voire pendant la scolarité obligatoire. Ils seraient notés par l'entreprise, la note du stage étant prise en compte dans le cadre de la note globale de maturité ou de l'année scolaire considérée. Le stage en entreprise souligne lui aussi la responsabilité et le rôle de partenaire formateur du monde économique, l'enseignement de base étant le fait de l'école publique, mais la spécialisation, essentiellement celui de l'entreprise. Ce type de stage pourrait représenter, d'une certaine manière, un début d'équivalent, pour l'enseignement post-obligatoire, de la formation duale en apprentissage, formation dont l'efficacité en termes d'emploi est actuellement établie. L'efficacité, en termes d'emploi subséquent, des stages pratiques ayant pour objectif de pallier le manque d'expérience professionnelle, est également importante: pour certains de ces stages (stages effectués en Suisse alémanique en l'occurrence), le succès est même exemplaire, puisque 55% des jeunes qui effectuent un tel stage sont ensuite engagés directement par l'entreprise concernée.
Il est temps de mettre fin au débat stérile qui oppose école et économie. «L'école n'a pas à se soumettre à l'économie, mais l'école n'a pas pour vocation de former des chômeurs...» Afin d'éviter que certains diplômes ne deviennent demain l'équivalent de «passeports pour le chômage», il est nécessaire pour les mondes de la formation et du travail de mieux se connaître, communiquer et collaborer. Chacun de ces mondes a ses spécificités et ses exigences; les jeunes doivent pouvoir passer de l'un à l'autre et des contacts plus étroits entre les deux ne peuvent que faciliter ce passage - qui devrait bien entendu pouvoir se faire dans les deux sens. De nombreuses initiatives ont d'ores et déjà été mises en place pour multiplier les contacts entre enseignement et économie, par exemple par l'université (nous citerons en exemple Interface, un forum qui rassemble à Genève quelque 50 entreprises et 200 étudiants). Un type similaire de collaboration entre école et monde du travail serait plus que bienvenu au niveau de l'enseignement obligatoire et post-obligatoire, et probablement d'autant plus efficace qu'il serait mis en place plus tôt dans le cursus scolaire, et qu'il s'intègre dans un ensemble de propositions et de mesures qui toutes visent à multiplier les chances, pour les jeunes de ce canton, de trouver demain l'emploi qui répond à leurs aspirations.
Pour tous les motifs exposés ci-dessus, les proposants de la présente motion vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à lui réserver le meilleur accueil.
Débat
Mme Nelly Guichard (PDC). Il est vrai que le titre : «Sur la formation pour l'emploi» est provocateur.
Mais l'intention, en ce qui me concerne, n'est pas d'assujettir l'école, quel qu'en soit le degré, aux besoins de l'économie. Si je suis soucieuse d'une culture générale large, de l'acquisition solide de connaissances de base, je suis préoccupée aussi par l'intégration de nos jeunes dans la société, dans le monde du travail. Non pas que le monde du travail représente une fin en soi : loin de là ! Mais pour exercer d'autres activités, il faut avoir des moyens donc un travail et, de préférence, un travail qui intéresse et qui plaise. Si ce n'est pas le seul facteur d'intégration dans la société, il reste un facteur important.
Le temps de formation s'est allongé, et le nombre d'étudiants a considérablement augmenté, c'est très bien ainsi. Mais l'évolution n'a pas suivi dans la transition entre la formation et l'emploi. Aujourd'hui, il ne suffit plus d'avoir des capacités, il faut avoir la capacité d'utiliser ses connaissances, quelles qu'elles soient.
On parle souvent de la revalorisation de la formation professionnelle ou, plus précisément, de son image. Il serait fâcheux qu'un jour on parle de la revalorisation de la formation académique que j'entends dans un sens très large. Pour éviter, donc, cette dérive, il convient d'établir des passerelles souples entre l'école publique et le monde du travail par des stages en entreprise beaucoup plus largement répandus que ce n'est le cas actuellement, puisqu'ils sont essentiellement utilisés par ceux qui se destinent à un apprentissage ou à une formation technique. L'accueil des professionnels dans les écoles est aussi une piste intéressante qui nécessite une soigneuse préparation pour que ces échanges permettent réellement des collaborations utiles.
Le chômage guette particulièrement les jeunes, et toutes mesures préventives doivent être prises pour éviter absolument de commencer une vie active par une inactivité rarement choisie et, de toute manière, préjudiciable à l'individu et à la société.
J'espère donc vous avoir convaincus qu'il ne s'agit pas d'un débat partisan mais bien d'un problème de formation et de société. Chers collègues, je vous remercie donc de faire bon accueil à cette motion et, au nom de mon groupe, je vous propose son renvoi au Conseil d'Etat.
Mme Barbara Polla (L). A l'époque où nous avions déposé cette motion, nous avions examiné les statistiques concernant le chômage des jeunes à Genève - c'était donc début octobre. A ce moment-là, il y avait quatre cent vingt-quatre apprentis et sept cent neuf écoliers et étudiants au chômage - donc plus de mille.
Alors, bien entendu, le chômage ne concerne pas que les jeunes, ou les jeunes diplômés, mais, pour chacune des catégories, en fait - comme je le disais tout à l'heure - nous pensons que des solutions doivent être proposées. En proposant des solutions et une prise de contact avec le monde de l'économie déjà chez les très jeunes, on peut favoriser une prévention du chômage et favoriser l'emploi à la sortie des écoles.
Mme Guichard l'a dit et Mme Brunschwig Graf se plaît également à le dire, l'école n'a pas à se soumettre à l'économie, et nous sommes tout à fait d'accord avec ce principe. Par contre, la vocation de l'école n'est pas de former des chômeurs, et il nous paraît nécessaire que les mondes de la formation et du travail se connaissent mieux, communiquent mieux et collaborent mieux.
Nous proposons donc de compléter une série de mesures déjà prises par le département de l'instruction publique pour une formation qui tienne compte des nouvelles donnes du monde du travail actuel. En effet, il existe sans aucun doute un lien entre le chômage des jeunes et les structures de la formation. Et la formation peut constituer un formidable rempart contre le chômage. L'apprentissage, par exemple, de par les contacts directs qu'il permet avec le monde professionnel représente de façon évidente un moyen efficace d'intégration dans le monde du travail. La même logique vaut pour les stages en entreprise. L'entrepreneur fait une grande différence entre un candidat qui n'a que des connaissances scolaires et celui qui a un peu d'expérience pratique.
Nous proposons donc d'abord de multiplier les passerelles possibles entre le monde de l'école et celui de l'économie, comme Mme Guichard vient de vous l'expliquer, en acceptant, par exemple, dans les écoles publiques, de façon ponctuelle, des professionnels d'excellence dans leur domaine respectif et, d'une façon générale, en confiant au monde économique une certaine responsabilité dans les systèmes d'éducation et de formation.
Il est certain que beaucoup de stages en entreprise sont déjà prévus. Néanmoins, ils le sont essentiellement dans la filière professionnelle. Nous estimons, en fait, qu'une prise de contact avec le monde professionnel, à défaut de stages tels qu'on les entend pour les étudiants et les apprentis plus âgés, se fasse également dans la filière gymnasiale. Prise de contact qui peut être favorable, parce qu'elle donne un outil aux jeunes pour faire leur choix en connaissance de cause. En effet, la liberté de choix suppose la connaissance du monde de l'économie qui permettrait à certains de mieux s'orienter entre voie gymnasiale et voie professionnelle.
Pour toutes ces raisons, nous vous remercions de bien vouloir, avec nous, appuyer le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, afin que celui-ci puisse prendre toutes les mesures supplémentaires adéquates pouvant favoriser une meilleure adéquation de la formation des élèves aux exigences du monde du travail, tout en préservant, bien entendu, l'indispensable acquisition d'une culture générale.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Devant les difficultés socio-économiques qui sont les nôtres, il paraît indispensable que les jeunes de notre canton soient, par leur formation, en adéquation avec le monde réel du travail. En effet, les parents savent combien ils sont inquiets pour l'avenir professionnel de leurs enfants, tout en ne sachant pas comment aborder ce vaste problème. L'éducation ne doit plus faire de séparation entre l'enseignement pur et la vie active.
La formation constitue un capital extrêmement important pour la réussite de la vie professionnelle. Il suffit de faire rentrer dans l'école les gens du terrain et de suggérer aux enseignants de se confronter à l'extérieur. On peut même imaginer qu'aucun certificat de fin de scolarité ne soit accordé sans qu'un stage en entreprise - au sens large - et de courte durée n'ait été effectué.
Beaucoup d'idées concrètes de ce type doivent être soutenues à chaque niveau d'enseignement. Pour soutenir cette démarche, le parti radical renvoie cette motion au Conseil d'Etat.
M. Pierre Vanek (AdG). Mme Guichard au début de son intervention a été très défensive. Elle a dit très gentiment - et je la crois - que l'intention, en ce qui la concernait, n'était pas d'asservir l'école à l'économie. Par contre, je ne suis pas persuadé qu'il en soit de même pour des secteurs économiques intéressés et pour les députés qui ont «pondu» cette motion...
Le fond du problème n'est pas traité : c'est la création d'emplois, de places d'apprentissage. Il faut que les richesses sociales qui s'accumulent servent à donner du travail utile socialement, utile écologiquement et c'est là que réside le vrai problème. La solution, pour des passerelles normales entre l'école et le travail, c'est effectivement de créer des places de travail pour les jeunes qui ont une formation professionnelle ou qui sortent de l'école. Malheureusement, par la motion précédente ou celle-ci, on ne fait que poser un emplâtre sur une jambe de bois !
Nous ne pouvons pas accepter cette motion à divers titres. Mme Guichard indique que ce n'est pas une question de politique partisane mais un débat de société. C'est vrai, mais les positions des partis reflètent des choses plus ou moins honorables. On ne peut pas escamoter le débat politique de fond, en filigrane de cette motion.
Une invite de la motion dit qu'il s'agit de : «...favoriser une meilleure adéquation de la formation des élèves aux exigences d'insertion dans le monde du travail...». C'est une généralité, mais la réponse est : oui et non. Le monde du travail réel - pas forcément celui qu'on trouve dans les brochures en papier glacé de l'OFA ou ailleurs - c'est le stress, la précarité, les baisses de salaires, les licenciements, les heures supplémentaires exigées sous pression de la crainte du chômage. Il faut tenir compte de ces paramètres, et l'école ne doit en aucune manière s'y adapter ou laisser penser que c'est normal et qu'il faut les accepter.
Cette invite est donc trop générale et elle nie les problèmes réels. En voyant le nom des signataires - en tout cas certains d'entre eux - on a de la peine à entrer en matière sur des discours de ce type.
L'adaptation pose également un problème. Vous dites qu'il ne s'agit pas d'asservir l'un à l'autre, mais il est quand même écrit, en page 3 : «...le système de formation doit s'adapter continuellement à l'évolution de la société et du monde du travail.» Je dirai aussi qu'il doit dans une certaine mesure résister à cette évolution. Lorsque des secteurs ont un problème de fonctionnement, il faut continuer à former les jeunes et avoir une vision qui dépasse l'aspect «business», tel que le conçoivent un certain nombre de grandes sociétés que nous avons mentionnées tout à l'heure dans le débat précédent qui a beaucoup de points connexes avec celui-ci. Leur horizon est en effet le profit des actionnaires à six mois... L'évolution de l'école ne doit donc pas suivre les exigences immédiates du monde du travail tel que vous le concevez !
Et nous savons bien, Mesdames et Messieurs les députés, que, pour vous, le monde du travail est le monde des entreprises privées. Or le monde du travail est plus vaste : il comprend aussi des entreprises publiques qui font un travail non seulement utile mais créateur de richesses sociales. Tous ces éléments me conduisent à émettre des réserves assez considérables par rapport à cette motion.
Madame Polla, vous dites que l'école n'a pas pour vocation de former des chômeurs. Le problème réside dans le fait que notre école a aussi pour vocation, malheureusement, de former des jeunes qui seront confrontés longtemps à une société où règne le chômage en raison des dysfonctionnements, surtout structurels, évoqués dans l'exposé des motifs de la motion. Il faudra donc aussi leur apprendre non seulement à s'adapter pour rentrer dans le monde du travail mais aussi à se battre socialement, syndicalement et politiquement, pour qu'enfin la société se débarrasse, à terme, de ses dysfonctionnements structurels, dont les conséquences sont entre autres les deux cent mille chômeurs en Suisse.
Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Cette motion, vous l'avez compris, est complémentaire à la motion précédente sur les universitaires dans l'esprit de ses auteurs. Elle tente de mettre l'accent sur les compétences au détriment des connaissances, ceci au nom de «l'appétence à apprendre» - concept cher à l'une des motionnaires !
Par contre les motionnaires passent comme chat sur braise sur la question de l'intégration des jeunes dans les structures de formation : qui réussit ? Qui échoue ? Dans quelles proportions ? Pourquoi ? Quelle image de la formation professionnelle, par le biais de l'apprentissage notamment, est véhiculée dans les familles, dans l'enseignement primaire, dans les écoles techniques, à l'office d'orientation et de formation professionnelle ?
Cette difficile question devrait être abordée sous l'aspect quantitatif, c'est-à-dire l'accès à la formation, et sous celui de la qualité, c'est-à-dire le contenu de la formation professionnelle.
De manière générale, en Suisse, en ce qui concerne l'accessibilité à la formation professionnelle, on note un recul des places de 8% entre 1990 et 1995. Cette baisse est surtout marquée dans les branches des arts graphiques, des travaux de bureau, de dessin, de l'industrie des métaux. Une hausse, par contre, a été enregistrée dans les domaines de l'alimentation, de la construction, de l'hôtellerie et de la restauration.
Mais la baisse ne s'explique pas uniquement pour des motifs conjoncturels. Les entreprises, en particulier dans le domaine de l'OFIAMT, accordent moins de valeur à l'apprentissage qu'autrefois et offrent moins de places. Elles anticipent la rationalisation future au niveau des places d'apprentissage offertes, car elles pensent qu'elles en auront moins besoin demain.
Les secteurs en plein déploiement, eux, comme l'informatique, n'ont institutionnalisé l'apprentissage que de façon marginale. Effectivement, le chômage guette les jeunes ayant terminé leur formation professionnelle et, de manière encore plus dramatique, les jeunes étrangers et les jeunes étrangères. Là se repose la question de l'intégration dans les structures d'enseignement et de formation.
En ce qui concerne les problèmes qualitatifs liés à la formation professionnelle, nous soulignerons quelques pistes qui nous semblent intéressantes et qui mériteraient d'être abordées. De nombreux métiers se caractérisent par un haut degré de spécialisation, et ceci est en lien direct avec la spécialisation des entreprises. Voilà la crainte que nous avons lors d'un rapprochement trop grand entre la formation et l'économie. Les conséquences sont un frein à la mobilité professionnelle, par ailleurs tant souhaitée par vous, les motionnaires.
Autre point. Certaines qualifications polyvalentes, comme savoir travailler en équipe, la capacité de faire admettre ses points de vue, les compétences sociales, ne sont pas suffisamment enseignées. Et ceci représente un frein à la formation continue et à la reconversion.
Autre point qui devrait être abordé, selon nous : le manque d'attractivité de l'apprentissage qui provoque une augmentation du nombre de candidats dans les filières gymnasiales, où une soi-disant meilleure position sociale est exagérément promise.
Autre point. Les conditions de travail durant l'apprentissage sont trop peu attractives. Je vous renvoie sur ce point à la pétition des apprentis qui demandaient plus de vacances.
Encore une piste. Des lacunes dans la formation de base, notamment au niveau des connaissances linguistiques, empêchent les jeunes de s'intégrer avec succès dans une formation post-obligatoire. Le groupe socialiste a d'ailleurs eu l'occasion de proposer, lors d'une motion, l'introduction plus rapide de cours de langues.
Encore un autre point : les filles... Eh bien les filles restent à la traîne dans les formations post-obligatoires - et ce n'est pas faute d'essayer ! Je pense qu'il est difficile pour un formateur - par exemple, en mécanique automobile - d'intégrer, voire d'accepter une nouvelle recrue féminine. Quelles mesures d'intégration pourrions-nous proposer ?
Enfin - cette question est abordée brièvement dans la motion - le principe de la formation continue. En Suisse, il faut l'admettre, il ne fonctionne pas. Qui fait appel à la formation continue ? Des personnes déjà formées qui s'inscrivent dans ce processus. Une grande lacune existe dans ce domaine.
Donc vous le voyez, Mesdames et Messieurs les motionnaires, nous nous intéressons et nous avons des propositions à faire en matière de formation et de formation professionnelle. Mais le problème de cette motion est que nous ne partons pas des mêmes constats, alors, forcément, nous ne mettons pas les mêmes moyens à disposition pour résoudre cette question.
Je le répète, nous soutiendrons le renvoi de cette motion en commission, par politesse...
Mme Claire Chalut (AdG). (L'oratrice est interpellée par M. Vaucher.) Calmez-vous, Monsieur Vaucher ! Nous sommes entre gens civilisés !
Je tiens à répondre à Mme de Tassigny que j'aime pourtant beaucoup, car je dois réagir à ses propos. Elle préconise, en effet, de ne pas remettre de certificat de fin de scolarité sans qu'un stage n'ait été effectué. Je trouve cela dangereux, car :
1) toutes les entreprises n'ont peut-être pas la possibilité et la disponibilité en personnel pour offrir et suivre un stagiaire pendant un jour ou deux;
2) tout le monde ne pourrait pas, par la force des choses, profiter de ces stages. J'attire donc l'attention sur le risque d'une telle proposition.
Je reviens sur la motion. L'école doit aussi servir à former des citoyens qui savent dire non au bon moment, au bon endroit et à la bonne occasion.
M. Andreas Saurer (Ve). Les invites et l'introduction de l'exposé de Mme Guichard ne me posent pas de problème. Dans un langage relativement vague, elle demande de considérer, de favoriser, de rapprocher, etc.
En revanche, je dois bien avouer qu'en lisant l'exposé des motifs j'ai eu un cri du coeur : c'est une horreur; c'est un pamphlet électoral du parti libéral ! (Manifestation.)
Parce que la Suisse romande compte davantage d'étudiants et moins d'apprentis que la Suisse alémanique, il y aurait davantage de chômage chez les jeunes en Suisse romande... Mesdames et Messieurs les députés, c'est d'un simplisme incroyable ! Des partis qui prétendent comprendre la complexité économique et réduisent le chômage à la seule question de formation ! Cela me consterne...
Qu'une formation de qualité soit indispensable, c'est certain. Malheureusement, au niveau des débouchés, c'est différent. La situation est d'une extrême complexité, et ce qui manque fondamentalement ce sont les places de travail.
Ma deuxième remarque par rapport à l'exposé des motifs - je le trouve assez incroyable, je le répète - est la suivante. Vous dites : «Le fait de confier au monde économique une certaine responsabilité dans les systèmes d'éducation et de formation...». Que cela signifie-t-il ? Bien sûr vous dites que vous ne voulez pas interférer dans la liberté académique et dans la liberté de formation. Mais fondamentalement vous voulez - et vous le dites régulièrement, surtout vous les députés libéraux - que l'éducation et la formation soient soumises aux critères économiques. Mais les responsables de l'économie ont-ils encore le sens des responsabilités ? Avec les délocalisations, la mondialisation, les dirigeants économiques ont effectivement changé d'attitude. Au début de ce siècle les dirigeants économiques se sentaient investis d'une responsabilité nationale par rapport à la collectivité. Aujourd'hui, je suis navré de le dire, Mesdames et Messieurs les députés libéraux, cette responsabilité a totalement disparu. Seul l'intérêt immédiat compte pour eux; ils déplacent leurs unités de production comme bon leur semble, et l'intérêt de la collectivité est inexistant.
Je donne un exemple concernant la formation. Il y a quelques années, il était impossible de trouver des places d'apprentissage en horlogerie, parce qu'il ne fallait plus former d'horlogers pour l'économie. Résultat : aujourd'hui il nous en manque ! On voit bien qu'en adaptant la formation à l'économie on arrive à de telles énormités, car les critères économiques ne sont valables que quelques années.
L'exposé des motifs de cette motion montre que vous voulez soumettre la formation à l'économie; ce serait une catastrophe.
Il nous est donc impossible de soutenir une telle motion !
M. Nicolas Brunschwig (L). Je regrette de prolonger ce débat qui n'a déjà que trop duré. Néanmoins, je tiens tout de même à intervenir par rapport aux propos déplacés et incohérents de M. Saurer.
Je constate que M. Saurer a l'air de regretter les entrepreneurs de l'époque; pourtant, je ne suis pas sûr qu'il les soutenait il y a quelques années. Son discours varie donc selon les circonstances. Il est toujours en opposition et il utilise des références historiques en fonction de ses besoins. Je ne l'ai jamais vu militer pour les entreprises et les entrepreneurs, à quelque époque que ce soit.
Contrairement à ce qu'avance M. Saurer, je pense qu'une grande majorité des entrepreneurs sont très attachés à la localisation de leur entreprise, en Suisse et à Genève en particulier.
Si tel n'était pas le cas, les phénomènes de délocalisation seraient sans aucun doute encore beaucoup plus importants qu'ils ne le sont actuellement. En effet, une analyse rationnelle des facteurs de production économique conduirait davantage d'entreprises à délocaliser une grande partie de leurs activités et de leur production. Justement, c'est l'attachement au pays et aux compétences qui les retient, compétences dues aux systèmes de formation, que ce soit par le biais de formation d'apprentissage ou de formation universitaire, plus académique.
Nous n'avons jamais demandé - et cette motion ne le demande pas - que la formation soit soumise aux réalités économiques. Ce que nous demandons, c'est que les critères importants, pour permettre un bon fonctionnement de l'économie, soient pris en considération pour avoir un maximum de chances de placer les futurs employés et ouvriers. Que ce soit dans l'enseignement des langues ou de la culture générale, ces critères ne sont pas suffisamment pris en considération. Cela ne signifie en aucun cas que nous voulons adapter totalement l'enseignement à l'économie.
D'ailleurs, si vous dites avoir lu une telle proposition dans ce texte, c'est que vous êtes d'une malhonnêteté intellectuelle étonnante ! Vos propos sont faux et très largement exagérés.
Nous vous recommandons donc de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Armand Lombard (L). Je veux juste dire un mot à M. Saurer qui est meilleur, me semble-t-il - bien que n'étant jamais très bon - lorsqu'il parle de la santé... Mais dans le domaine de l'économie, ça dépasse tout ce que l'on peut imaginer !
Après tout, Monsieur Saurer, vous êtes responsable de vos propos et vous avez parfaitement le droit de penser ainsi. Mais parler de «simplisme» à propos du texte de la motion, alors là je trouve cela fantastique, surtout que vous qualifiez les entreprises suisses de mégaentreprises globalisées, mondialisées, «planétarisées», sans morale, sans dynamique, sans responsabilité...
Je vous rappelle simplement, Monsieur Saurer, que sur les trois cent mille entreprises de Suisse, quatre cents comptent plus de cinq cents employés; et les deux cent nonante-neuf mille six cents autres entreprises, moins de cinq cents. En admettant que l'on puisse discuter sur les mobiles des toutes grandes entreprises, je vous enjoins de surveiller vos paroles s'agissant des deux cent nonante-neuf mille six cents autres. Quantité de patrons, de cadres et de salariés ont des responsabilités et cherchent à faire du bon travail ensemble.
M. Claude Blanc (PDC). Je ne peux pas résister au plaisir de saluer la déclaration de Mme Chalut, qui a au moins le mérite de la plus grande franchise.
Madame Chalut, vous me réjouissez à chaque fois... En effet, contrairement aux leaders de votre groupe qui savent envelopper leur «salade» dans la dialectique marxiste intellectuelle, vous, vous dites franchement ce que vous pensez ! Et vous venez de dire que l'école devait servir à apprendre aux enfants à dire non. C'est comme cela que nous allons construire la Suisse : en leur apprenant à dire non ! (Rires.) Voilà tout le programme de la gauche et voilà à quoi cela vous mène !
J'en ai assez dit. Merci. (Rires et applaudissements.)
M. Pierre Vanek (AdG). Je serai bref et je ne ferai pas de dialectique marxiste, rassurez-vous ! Je tiens simplement à répondre à M. Blanc au sujet de la distinction qu'il fait entre «certains» et Mme Chalut. Je souscris pleinement à ses propos, et je pense aussi qu'il est très important que l'école apprenne aux enfants à dire non. (Brouhaha.) Par les temps qui courent... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...c'est quelque chose de très utile ! (L'orateur crie ces derniers mots pour se faire entendre.)
La présidente. On se croirait au jardin d'enfants !
Cette fois la parole n'est plus demandée. Je mets aux voix le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation est rejetée.
La présidente. Celles et ceux qui acceptent cette motion sont priés de lever la main.
Le résultat est douteux. (Commentaires et brouhaha.)
Une voix. C'est évident !
La présidente. Il n'y a plus d'évidence : chat échaudé craint l'eau froide ! Allons-y !
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Mise aux voix, cette motion est adoptée par 50 oui.
Elle est ainsi conçue :
motion
sur la formation pour l'emploi
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que l'emploi reste une préoccupation primordiale des politiques actuelles;
- que les jeunes sont particulièrement touchés par ce problème;
- que des mesures préventives ont les meilleures chances d'être, à terme, efficaces,
invite le Conseil d'Etat
1. à considérer toutes les mesures pouvant favoriser une meilleure adéquation de la formation des élèves aux exigences d'insertion dans le monde du travail, tout en préservant l'indispensable acquisition d'une culture générale;
2. à rapprocher le monde de l'école de celui de l'économie, cela sans asservir l'un à l'autre, mais en favorisant la connaissance réciproque et les contacts,
et notamment,
- à évaluer les programmes scolaires dans ce sens;
- à considérer l'accueil de professionnels dans les écoles;
- à mettre un accent majeur sur les stages en entreprises.
La séance est levée à 19 h 10.