Séance du vendredi 25 avril 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 5e session - 18e séance

M 1117
8. Proposition de motion de Mme Fabienne Bugnon concernant le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants étrangers au niveau communal. ( )M1117

EXPOSÉ DES MOTIFS

Quelques mois après la commune de Vernier, la commune de Meyrin adresse à son tour à notre Grand Conseil une proposition de résolution visant à donner le droit de vote et d'éligibilité aux ressortissants étrangers résidant sur son territoire, pour autant que ceux-ci soient domiciliés en Suisse depuis au moins dix ans.

Cette résolution, comme la précédente d'ailleurs, a été transmise au Conseil d'Etat pour information et le Grand Conseil, à qui elle était pourtant adressée, ne peut qu'en prendre acte. Notre règlement est ainsi fait qu'une commune ne peut saisir directement le Grand Conseil, si ce n'est par le biais de la pétition.

Mon propos n'est pas de remettre en question cette procédure, qui fait l'objet d'un tout autre débat, celui de la séparation des différents pouvoirs politiques.

Toutefois, il est insatisfaisant d'imaginer que des résolutions émanant de communes sur un point aussi sensible que le droit de vote et d'éligibilité des étrangers ne puissent être soumises au Grand Conseil.

Dans la situation actuelle, à défaut d'un projet de loi présenté par le Conseil d'Etat, ce qui est peu probable dans l'immédiat, il reste au Grand Conseil la possibilité de demander un rapport au Conseil d'Etat sur la suite qu'il entend donner à ces deux initiatives. Ce qui permettrait de saisir la commission des droits politiques, et les députés pourraient, par la suite, envisager de déposer un projet de loi constitutionnel, qui seul permettrait de concrétiser les résolutions communales.

Le Conseil d'Etat pourrait faire de même, mais force est de constater que cela ne fait pas partie de ses priorités. La résolution de la commune de Vernier date en effet de plus de sept mois et il faut reconnaître que l'on n'en entend pas beaucoup parler. Saisissons-nous donc de l'opportunité de la deuxième demande, émanant cette fois-ci de la commune de Meyrin, qui risque bien d'être à son tour suivie par la commune d'Onex, pour intervenir auprès du Conseil d'Etat.

De plus, et il est essentiel de le relever et de le souligner, l'initiative de ces deux résolutions émane des parlements des jeunes des deux communes concernées. Ce qui démontre que les jeunes souhaitent intégrer les étrangers à la vie civique tout en respectant la volonté populaire, puisqu'ils se bornent à demander le droit de vote et d'éligibilité au niveau communal. On se souvient que les précédentes initiatives, refusées par le peuple, «Toutes citoyennes, tous citoyens» et «Vivre ensemble, voter ensemble» demandaient, pour l'une, le droit de vote et d'éligibilité sur le plan cantonal et communal et, pour l'autre, le droit de vote uniquement, mais également sur le plan cantonal et communal.

Par ailleurs, le débat doit aussi porter sur un élargissement des compétences communales et sur une plus grande autonomie des communes auxquels beaucoup d'entre nous sont attachés. L'invite l'explique expressément: «Le conseil municipal demande au Grand Conseil du canton de Genève de faire les propositions de modifications de la législation et de la constitution cantonale de sorte que les communes puissent accorder le droit de vote et d'éligibilité au niveau communal à leurs résidents étrangers domiciliés en Suisse depuis plus de dix années.»

Pourquoi, en effet, ne pas accorder cette liberté aux communes qui, par cette demande, reconnaissent l'engagement parfois très important consenti par des étrangers dans le fonctionnement des associations locales par exemple.

Mesdames et Messieurs les députés, certains d'entre nous se sont plaints à plusieurs reprises du manque d'enthousiasme de nos autorités fédérales lorsqu'elles sont saisies de résolutions émanant de notre canton. Il s'agit de ne pas appliquer la même règle aux communes.

C'est dans cet esprit et vu l'importance du sujet que je vous remercie donc de bien vouloir réserver un bon accueil à cette motion en l'adressant, par évidence, directement au Conseil d'Etat.

ANNEXE

ANNEXE

Débat

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Ce matin, la presse m'a appris le bon écho fait à cette motion par les chefs de groupe. Je suis donc rassurée pour vous la présenter.

Les raisons de son dépôt sont simples. Un sujet aussi important que le droit de vote des étrangers ne pouvait échapper au Grand Conseil, et celui-ci ne peut être saisi que par voie de pétition par les communes ou le parlement des jeunes.

Les communes ayant présenté des résolutions, le Grand Conseil a été réduit au simple rôle de spectateur.

Ces résolutions ont été transmises au Conseil d'Etat pour raison de compétence. Il les a donc reçues. Qu'en a-t-il fait ? Quelle suite leur donnera-t-il ? C'est la question posée par la motion des Verts.

Le Conseil d'Etat a plusieurs possibilités :

1. celle dite du classement vertical;

2. la présentation d'un projet de loi constitutionnel au Grand Conseil;

3. un rapport à l'attention des députés, muni de son préavis.

La motion préconise - vous l'aurez compris - la troisième option.

Cela permettra à la commission des droits politiques de s'en saisir et de porter de nouveau le débat des droits civiques des étrangers sur le plan politique institutionnel. «Encore une fois ! - s'écrieront les opposants - et dire que les précédents débats sur le sujet ont abouti à une fin de non-recevoir de la part du peuple !».

Voici nos réponses à cette critique :

1. La question n'est pas la même, puisque les droits de vote et d'éligibilité des étrangers, au niveau communal, n'ont jamais été soumis au peuple.

2. Les mentalités évoluent. Preuve en est la provenance des démarches. Il ne s'agit plus d'associations ou de comités de soutien, mais de législatifs communaux où toutes les tendances politiques sont représentées, ou mieux, de résolutions initiées par des parlements de jeunes. Cela pourrait s'appeler une préoccupation de proximité.

Par cette démarche, les élus communaux confèrent une reconnaissance à l'engagement de très nombreux étrangers dans les sociétés communales, qu'elles soient sportives, culturelles, religieuses et autres. Elle met fin à cette hypocrisie qui veut que des étrangers bénévoles, sans qui de nombreuses associations communales ne pourraient pas fonctionner, soient considérés comme de simples spectateurs quand des décisions politiques sont prises au sujet desdites associations.

Ce pas est modeste, mais nous devons le faire, aussi modeste soit-il. Notre Grand Conseil a les moyens de mener ce débat sur la place publique. Maintenant, la balle est dans le camp du Conseil d'Etat et M. Haegi a montré qu'il était ouvert, lors de ses différentes interventions.

Par conséquent, j'espère qu'il acceptera cette motion et même un peu plus ! Je lui demande de ne pas la laisser au fond d'un tiroir, afin que le Grand Conseil soit saisi d'un rapport avant la fin de cette année.

Mme Michèle Wavre (R). La majorité du groupe radical accueille favorablement cette proposition de motion.

Nous avons appris avec intérêt que les communes de Vernier, de Meyrin, ainsi que d'autres, plus récemment, recommandaient ce projet donnant le droit de vote aux étrangers.

Nous pensons que l'acceptation de cette proposition par les citoyens genevois devra se faire à trois conditions :

1. Dans un premier temps, le droit de vote sera donné, mais pas celui d'éligibilité.

2. La personne étrangère devra avoir résidé dix ans dans le canton et un an dans la commune.

3. Ce droit de vote devra être agréé d'emblée par toutes les communes genevoises, et pas successivement.

La majorité des députés de la Ville est favorable à l'octroi de ce droit de vote.

Nous pensons que c'est à ces conditions seulement que les électeurs genevois seront susceptibles d'accepter cette proposition que nous vous demandons de renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Jean-François Courvoisier (S). Si un homme en Suisse a aimé son pays, c'est bien le romancier C.-F. Ramuz ! Or il a écrit dans ses carnets de notes cette pensée de Stendhal : «Notre patrie est l'endroit où il y a le plus de gens qui nous ressemblent.» J'ignore dans quel ouvrage Ramuz a trouvé cette pensée, mais le fait qu'il l'ait notée montre l'importance qu'il lui accordait.

Aujourd'hui, les habitants de Meyrin, de Vernier et d'Onex nous donnent un bel exemple : ils ont compris que les étrangers qui vivent près d'eux depuis dix ans ou plus leur ressemblent et appartiennent à la même patrie.

Ils s'intéressent aux activités communales souvent plus que les citoyens de vieille souche. Ils fréquentent les mêmes établissements publics ou privés. Leurs enfants vont dans les mêmes écoles.

C'est pourquoi les citoyens de ces communautés ont décidé d'accorder le droit de vote, sur le plan communal, à ces soi-disant étrangers qui leur ressemblent.

Je laisserai aux personnes compétentes le soin de résoudre le problème juridique posé par ce droit de vote, mais il est indispensable que nous accordions, dans les plus brefs délais, aux habitants des communes concernées les moyens de réaliser la volonté qu'ils ont exprimée.

C'est pourquoi l'ensemble du groupe socialiste vous demande de soutenir la motion 1117 déposée par notre collègue Fabienne Bugnon.

M. Jean-Claude Genecand (PDC). Je pense que la députée Bugnon a raison d'appuyer la démarche des Conseils municipaux de Vernier et de Meyrin. Certes, nous n'échapperons pas au verdict populaire, puisqu'il y a modification de la constitution. Cette procédure risque d'être longue, mais elle aura l'avantage d'élargir l'autonomie communale et, dans le cas d'espèce, de faire progresser un esprit d'ouverture à l'égard des étrangers qui sont nombreux dans ces communes et font souvent preuve d'un engagement civique digne d'être reconnu.

C'est pourquoi notre groupe appuie cette motion et exhorte le Conseil d'Etat à lui donner une suite favorable dans les meilleurs délais.

M. Pierre Vanek (AdG). Il est clair que l'Alliance de gauche accueille favorablement cette motion.

Peu importe que les citoyens, dans leur majorité, soient d'accord ou non avec elle ! Nous avons toujours dit - et le répétons ici - que nous sommes pour les droits de vote et d'éligibilité des personnes établies dans ce canton.

C'est une question de principe, c'est une règle élémentaire de la démocratie qui sera bafouée tant que ne sera pas accordé le suffrage réellement universel à l'ensemble des membres formant cette communauté qu'est Genève.

Il est clair que des opportunités politiques doivent être saisies. Mais sur le fond, si nous accueillons cette motion positivement, c'est parce que nous avons toujours soutenu toutes les initiatives allant dans ce sens. Sur le principe, il en va réellement des droits de l'homme, et il n'y a pas à faire des calculs d'épicier en la matière. Nous saluerons tout pas rapide dans ce sens.

Je dirai que cette motion invitant le Conseil d'Etat à présenter un rapport sur la suite qu'il entend donner aux deux initiatives est un peu timide. Personnellement, j'aurais invité le Conseil d'Etat à présenter des propositions au Grand Conseil en vue de la concrétisation de ces demandes communales. J'aurais précisé cette invite plus positivement, mais, peu importe, c'est l'esprit de la motion qui compte !

En parlant de calculs d'épicier, je fais allusion aux trois conditions émises par le groupe radical, dont l'une est de n'octroyer qu'une demi-mesure aux personnes concernées, à savoir le droit de vote et non celui d'éligibilité. Je ne peux souscrire à un tel discours.

Il est clair que si seul le droit de vote est accordé, il nous faudra l'accepter et qu'une bataille sera à mener pour le droit d'éligibilité. Je trouve surprenant que l'on se prononce pour un saucissonnage de deux conditions qui, pour nous, ne peuvent qu'être associées.

Il est vrai que vous avez soutenu un non-droit d'éligibilité pour les fonctionnaires cantonaux, et j'en sais quelque chose !

En l'occurrence, nous sommes pour l'association des droits de vote et d'éligibilité. Ce n'est pas parce que l'on est de nationalité étrangère que l'on doit, par exemple, être privé du droit de siéger dans cette assemblée et, a fortiori, dans un conseil communal.

C'est une réflexion que je vous propose par rapport aux droits de vote et d'éligibilité des femmes, conquis tardivement dans ce pays, et ce grâce à des combats réitérés. Imaginez que l'on soit venu avec une proposition disant qu'il faut accorder le droit de vote à ces braves dames, mais que ce serait vraiment trop que de leur octroyer celui de se faire élire dans les parlements ou les conseils ! Un certain nombre de personnes se seraient insurgées, y compris le porte-parole du parti radical.

Je parle en connaissance de cause, puisque j'ai passé la majorité de mon existence dans cette République en tant qu'étranger.

M. Michel Balestra (L). Je présidais la commission des droits politiques lors du dépôt, par les syndicats de la République et canton de Genève, des deux initiatives concernant le droit de vote et d'éligibilité des étrangers.

A l'époque, je me suis battu avec cette commission pour que ces initiatives soient soumises à la population le plus rapidement possible, c'est-à-dire avant les dernières élections cantonales. L'ensemble des groupes politiques de l'Entente avaient donné un préavis négatif.

Nous étions pourtant, nous libéraux, des ardents défenseurs du traité sur l'Espace Economique Européen et de l'évolution de nos réflexions vis-à-vis de l'Europe. Pourtant, me direz-vous, ce traité prévoyait la libre circulation des personnes et un droit de vote aux citoyens de l'Union.

Notre position n'est pas contradictoire, car il y a deux différences fondamentales entre l'idée européenne et la proposition de cette motion :

La première c'est que les Etats de l'Union ont un lien juridique fort entre eux. La seconde c'est que la réciprocité est accordée par l'ensemble des membres de l'Union aux citoyens européens demeurant dans les pays membres.

La politique concerne les étrangers de nos communes, pour autant qu'ils le disent et fassent cette démarche simple de demander leur naturalisation.

Nous avons toujours prôné la procédure de naturalisation facilitée, affirmant que la naturalisation est le meilleur moyen d'intégrer les étrangers désireux de participer à la vie politique de nos communes, de notre canton et de notre pays.

Nous sommes pour l'ouverture comprenant la libre circulation des personnes et le droit de vote aux étrangers. En revanche, nous sommes opposés au bradage des droits politiques, sans exiger une complète réciprocité pour nos concitoyens.

Mesdames et Messieurs, votre méthode est facile ! Si vous voulez prendre une responsabilité politique en tant que législateurs, proposez un projet de loi constitutionnel allant dans ce sens. Mais votre méthode - par voie de motion - consistant à mettre la balle dans le camp du Conseil d'Etat n'équivaut, à notre sens, qu'à du bavardage ! C'est pourquoi je ne voterai pas votre proposition.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Que les plus convaincus de l'octroi des droits les plus larges aux étrangers s'interrogent sur la manière la plus efficace d'y parvenir !

Pensez-vous, Madame la députée, que la population genevoise accepterait, aujourd'hui, la modification de notre constitution ? En date du 6 juin 1993, cette population a très nettement refusé, à 71% des voix, les initiatives auxquelles on vient de faire allusion. Si les questions d'alors n'étaient pas les mêmes, elles émanaient néanmoins de la même inspiration et ont été ressenties ainsi.

Aujourd'hui, la réponse serait probablement la même. Je pressens un certain décalage entre les trois conseils municipaux, qui se sont exprimés, et la perception de la population. Lorsqu'on soumet à nouveau de tels objets en votation, non seulement on court le risque d'une réponse négative mais on prend celui de compromettre ce vers quoi l'on voulait tendre.

C'est la raison pour laquelle mon enthousiasme... (L'orateur est interpellé.) Madame, j'ai lu l'article en question, mais je n'ai pas rencontré son auteur. Comprenez-moi, je tente d'analyser les chances de votre action, et je dis qu'elles sont extrêmement limitées aujourd'hui. J'ajoute, Madame, que dans les trois communes que vous citez, le pourcentage des refus a été plus élevé que dans les autres. Dès lors, n'y a-t-il pas un décalage entre l'expression de ces conseils municipaux et celle des populations qu'ils administrent ?

J'ai entendu Mme Wavre dire qu'elle souhaitait, avec le parti radical, que l'octroi du droit de vote soit subordonné à dix ans de résidence. Madame Wavre, s'il faut une attente de dix ans, pourquoi ne pas demander la naturalisation ? J'aurais tendance, vous l'aurez peut-être constaté, à faciliter la démarche administrative pour que la naturalisation corresponde aux critères de nos lois en vigueur. Cette piste me paraît être la bonne. Il y a peu, il fallait quarante mois pour «naturaliser», si je puis m'exprimer ainsi. En modifiant la procédure, on doit pouvoir ramener ce délai à moins d'un an, notamment pour les jeunes qui devraient obtenir la nationalité suisse dès lors qu'ils sont nés à Genève ou arrivés dans notre canton avant l'âge de deux ans. Je suis persuadé que notre population l'acceptera et qu'aucune révolte n'éclatera, parce que nous faisons usage du cadre légal dont nous disposons pour prendre ces mesures.

Cela dit, je vous assure, Madame Bugnon, que je ne laisserai pas votre motion au fond d'un tiroir. Je vous livre mon appréciation du problème et les craintes que je ressens. Le Conseil d'Etat peut établir le rapport que vous demandez; le Grand Conseil en sera saisi, vous aurez ainsi la possibilité de l'étudier en commission, laquelle pourra rédiger un projet de loi allant dans votre sens.

Si j'ai bien saisi votre message, c'est ce que vous demandez. Si je ne vous avais pas comprise, je vous saurais gré de me donner encore quelques précisions.

Pour le reste, le Conseil d'Etat accepte cette motion. Il comprend l'esprit qui l'anime, mais il vous invite à un certain réalisme au vu des conditions dans lesquelles nous nous trouvons. En même temps, il est attentif à toute démarche susceptible d'améliorer une participation plus large de la population à la vie de notre canton.

M. Pierre Vanek (AdG). Quelque chose me gêne dans le discours de M. le conseiller d'Etat, et dans d'autres. C'est cette façon de dire que l'on est d'accord, mais que la population, elle, ne l'est pas encore, le rejet ayant été massif dans les communes concernées, lors de la dernière votation.

Certes, une majorité de la population s'est exprimée ainsi, mais pas sa totalité, puisque des personnes sont précisément privées de l'application du suffrage universel. M. Balestra, qui appartient au même groupe que M. Haegi, nous a bien expliqué que les trois partis de l'Entente, à l'époque de ce vote, avaient donné un mot d'ordre négatif. Certes, M. Balestra est plus affirmatif que d'autres, mais il n'empêche que si les partis avaient été unanimes, y compris ceux de l'Entente, une majorité aurait peut-être pu être dégagée.

Par conséquent, il faut endosser ses responsabilités politiques et ne pas se cacher derrière une population qui aurait fait ceci ou cela. Les mots d'ordre donnés ressortent des responsabilités politiques. M. Balestra a eu la franchise de rappeler que les trois partis de l'Entente étaient contre l'extension de ce suffrage à une partie de la population résidant, travaillant et payant des impôts à Genève, donc concernée par les décisions d'ordre cantonal - nonobstant mon respect pour l'autonomie communale - prises dans cette assemblée.

Par conséquent, il faut se positionner clairement en ne se cachant pas derrière la population, en déclarant qu'elle est pour ou contre l'extension du suffrage. C'est une chose de dire aux gens que l'on facilitera leur naturalisation - c'est bien, et je suis favorable aux mesures préconisées par M. Haegi - mais l'octroi d'un droit n'a rien à voir avec l'ouverture élargie de la naturalisation, qui nécessite des démarches pas toujours faciles.

J'en viens à la position adoptée par M. Balestra pour le groupe libéral concernant la réciprocité des Etats dont ressortent les personnes à qui nous concédons ce droit. Il se réfère à une politique internationale bien que l'on nous reproche souvent de faire de même, à l'occasion de motions ou de résolutions. Bref, passons !

Plus grave est cette manière de voir. Des personnes établies et résidant à Genève seraient pénalisées par les décisions que prendront ou ne prendront pas les Etats dont elles sont originaires, qui concéderont ou ne concéderont pas un droit de réciprocité. C'est tout simplement inadmissible ! En forçant le trait, on détiendrait des otages à qui l'on offrirait une faveur - pour autant que nous ayons la même en échange - en lieu et place d'un droit reconnu ayant fait l'objet de négociations.

Il est des personnes originaires de pays non démocratiques et où le suffrage, au sens où nous l'entendons, n'existe pas. Dès lors, vos calculs d'épicier n'ont rien à voir avec notre position. Il faut savoir si l'on est démocrate à 100% ou seulement un peu.

Nous sommes pour la participation de tous les résidents de ce canton aux divers processus électoraux de notre démocratie parlementaire et de notre démocratie directe.

Mme Claire Chalut (AdG). J'ajouterai une question à ce qui vient d'être dit : qu'est-ce qui vous effraie dans le fait que des étrangers puissent obtenir les droits de vote et d'éligibilité ? Il faut me l'expliquer ! Est-ce si dangereux ?

Vous avez dit que nous avions échoué devant le peuple. Il est vrai que le peuple a bon dos ! Quand on en a besoin, et c'est le cas ici, on le caresse dans le sens du poil ! Mais on le décrie et le critique quand il n'a pas voté comme il aurait fallu !

Historiquement, ici ou d'ailleurs, il est fréquent que l'on échoue une fois, deux fois, trois fois... Combien de fois a-t-il fallu revenir et remettre l'ouvrage sur le métier ne serait-ce que pour obtenir le droit de vote des femmes dans ce pays ? Cela n'a pas été réglé en trois coups de cuiller à pot, il a fallu revenir trois fois, si je ne fais erreur.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). En lisant la «Tribune de Genève» de ce matin, je me disais que «Balestra/Haegi» ce n'était plus le même combat et que nous étions bien en pleine année électorale !

Après vous avoir entendus, je constate que le combat n'a pas changé. Excusez-moi d'avoir cru que l'on avait rapporté vos propos, Monsieur Haegi. Ils ont été relatés comme tels, puisque l'article précise : «Claude Haegi fait preuve d'ouverture - j'en étais, à la fois, ravie et convaincue - il se dit favorable à la motion écologiste - celle traitée ce soir».

Monsieur Haegi, si nous ne faisons rien, nous ne serons jamais contredits. Si nous ne présentons jamais rien au peuple, celui-ci ne nous contredira jamais. Vous me donnez une responsabilité qui me semble largement partagée. Je vous rappelle l'origine de la démarche : elle provient du Parlement des jeunes, de parlements communaux où vos partis sont plus largement représentés que le mien.

Vous savez que je suis pour l'égalité totale des droits et que je considère comme fort modeste ce dont nous discutons ce soir. Je ne pense donc pas être la seule responsable.

Ce pas, je le trouve à la fois petit et important. Il s'agit des droits de vote et d'éligibilité des étrangers sur le plan communal, droits qui m'apparaissent indissociables.

Du côté de M. Balestra, on s'est gaussé, hier soir, de l'autonomie communale. Aujourd'hui, j'ai nettement l'impression que vous ne la respectez guère et que vous faites peu de cas des démarches entreprises par différentes communes.

Je terminerai en rappelant ma demande à M. Haegi, puisqu'il semble ne l'avoir pas bien comprise. (Rires.) Ne me regardez pas ainsi, ça me déstabilise...

La présidente. Retrouvez vos moyens, Madame !

Mme Fabienne Bugnon. Les communes ont déposé des résolutions. Le Bureau du Grand Conseil a décidé de les renvoyer au Conseil d'Etat pour raison de compétence. Je demande au Conseil d'Etat de nous fournir un rapport sur ce qu'il entend faire et que ce rapport soit traité ensuite par la commission des droits politiques. Voilà ma demande, Monsieur Haegi !

M. Luc Gilly (AdG). Etant évidemment d'accord avec Mme Bugnon, M. Vanek et mes autres amis, je répondrai ce qui suit à MM. Haegi et Balestra :

A la veille de l'an 2000, il serait temps de se rappeler que les droits de vote et d'éligibilité sont des droits fondamentaux. S'ils doivent être évalués par rapport au résultat d'une votation que vous estimez d'ores et déjà négatif, on fait vraiment fausse route, Messieurs Haegi et Balestra ! Ces droits doivent être défendus. Ils doivent l'être par notre parlement et par le Conseil d'Etat, afin que la population comprenne que ces droits ne sont pas des cadeaux offerts à des gens venus chez nous pas toujours par choix et par plaisir.

Il faut démontrer que nous sommes capables - même si nos voisins ne consentent pas encore cet effort au niveau démocratique - de mener une politique claire, voulue, voire volontariste, pour accorder rapidement à chacun le droit de s'exprimer sur des choses qui concernent tout le monde.

Certaines communes de notre pays ont déjà établi ces droits, nous le savons. Aussi voudrais-je rassurer la droite quant au taux de participation. Il y aura hélas autant d'abstentionnistes que maintenant. Et ce n'est pas parce que les étrangers voteront que notre gouvernement basculera à gauche. Après avoir été si longtemps muselés, ces gens auront de la peine à se présenter devant des parlements communaux.

Ma conclusion : je souhaite que ces droits fondamentaux ne soient pas mis de côté par M. Haegi. En effet, j'ai quelques craintes à ce sujet après avoir entendu le porte-parole du parti libéral.

La présidente. Je donne la parole à M. Balestra... (Brouhaha, exclamations.)

Une voix. Vous avez des yeux ?

La présidente. J'en ai et j'ai aussi une collaboratrice ! Les élus veulent-ils bien se calmer ? Monsieur le député Balestra, vous avez la parole !

Des voix. Hou, hou, hou !

M. Michel Balestra (L). Avant de prendre la parole... (Brouhaha.)

La présidente. Taisez-vous, je prends mon sifflet ! (La présidente souffle dans son sifflet à plusieurs reprises.)

M. Michel Balestra. Avant de prendre la parole, je remercie le «gouverneur Lescaze» de m'avoir fait l'amitié de me laisser m'exprimer avant lui !

Vous avez dit que nous avions peur, que nous voulions prendre nos concitoyens en otages. Nous ne nous sommes vraiment pas compris !

Nous avons le courage de nos opinions. Je dis que nous sommes favorables à des liens juridiques sous la forme d'accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes, avec des droits étendus allant jusqu'au droit de vote, ou à un traité ayant des objectifs communs avec des Etats qui font partie de l'Union.

Ce soir, il s'agit de défendre des principes démocratiques et d'exiger un traitement équivalent pour nos concitoyens dans les pays dont ressortent les personnes à qui nous accorderions ce fameux droit de vote.

La procédure de naturalisation est une chance, ce n'est pas une aventure ! La meilleure preuve est que j'en suis le produit.

M. Bernard Lescaze (R). Si faire se peut, je tenterai de dépassionner le débat.

Le sujet dont nous parlons ce soir est effectivement très important. A l'évidence, deux philosophies s'opposent : l'une est internationaliste, généreuse au point d'oublier ce qu'est le droit de vote; l'autre aurait pour moteur «pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie».

Ce qui me paraît important, et je crois que le conseiller d'Etat en charge de ce dossier y a répondu, c'est que le Conseil d'Etat se prononce à son tour et propose des solutions possibles et acceptables aux communes d'Onex, de Vernier, de Meyrin et probablement à la Ville de Genève.

Mme Wavre a clairement présenté la position du groupe radical. Elle n'est peut-être pas enthousiasmante, mais elle fait, à tort ou à raison, une distinction entre le droit d'éligibilité et le simple droit de vote. Elle fait, à tort ou à raison, une distinction entre le niveau communal et le niveau cantonal.

Pourquoi le niveau communal ? Parce que sans attendre le nombre d'années nécessaires à la naturalisation - même si ce nombre est déjà restreint pour les adolescents, puisqu'en l'occurrence les années comptent double - on peut avoir envie, dans le lieu où l'on vit, travaille et acquitte des impôts, de se prononcer pas tant sur les activités politiques - ce terme, dans les motions présentées par les conseils communaux, va peut-être trop loin - que sur le quotidien, sur l'aménagement de sa ville et de son quartier. Vous savez bien que c'est là l'essentiel de l'activité de nos conseils communaux et l'objet de leurs initiatives ou référendums.

Comme d'autres radicaux, je pense qu'au terme de deux ou trois ans de résidence l'on peut désirer user de ce droit de proximité. Cela vaut pour le présent.

Il n'en demeure pas moins que l'histoire de Genève démontre que nous avons toujours été restrictifs vis-à-vis du droit de vote. Très souvent, les Genevois ont voulu se le réserver comme un bien précieux dont, par ailleurs, ils ne font guère usage. Si la légalité de nos décisions n'est absolument pas contestable, il est parfois regrettable que leur légitimité s'appuie sur un nombre infime de votants.

C'est pourquoi je crois que le Conseil d'Etat ferait bien de distinguer soigneusement la naturalisation et les procédures même accélérées qui s'y appliquent du droit de vote en matière communale. Ce n'est pas la même chose et cela ne doit pas, à mon avis, procéder de la même philosophie. Preuve en est que des cantons, qui ont des processus de naturalisation sans doute plus difficiles que les nôtres, connaissent le droit de vote pour les étrangers en matière communale. Je vous rappelle que dans le canton du Jura, et ce pendant plusieurs années, on a élu un étranger sans que personne n'ait remarqué quoi que ce soit. C'était une magnifique preuve d'assimilation.

La clause de réciprocité est valable dans toute l'Union européenne. Elle me paraît parfaitement normale. Chacun de nous sait, malgré tout, que le droit de vote dans notre pays, notre canton et nos communes correspond à quelque chose de concret et que lorsqu'une décision a été acceptée par le peuple elle est, en principe, respectée.

Il n'en va pas de même, vous le savez, dans d'autres pays où l'on vote épisodiquement. Il ne sert à rien ici de provoquer des incidents diplomatiques en les nommant, vous en avez des dizaines à l'esprit. Vis-à-vis de nos concitoyens, il faut savoir, là aussi, raison garder.

M. Pierre Vanek (AdG). Je rêve ou je ne comprends rien ! Ce qu'a dit M. Balestra, confirmé à l'instant même par notre ami Lescaze, c'est que, grosso modo, on pourrait entrer en matière, concernant l'octroi du droit de vote, avec des pays avec lesquels nous conclurions des accords bilatéraux, voire plus si entente, c'est-à-dire les Etats de l'Union européenne, et que les personnes résidant dans notre canton qui n'auraient pas le bonheur d'appartenir à ce premier cercle, c'est-à-dire les Africains, les Asiatiques et d'autres, ne seraient pas dignes d'accéder à l'insigne honneur de participer à nos processus démocratiques.

Démonstration est ainsi faite du caractère particulièrement pervers, douteux et antidémocratique de la position adoptée et défendue par le tandem Balestra/Lescaze.

Vous avez dit, Monsieur Lescaze, que la position radicale n'était pas enthousiasmante, mais qu'elle était réaliste. Vous avez repris les propos de votre confrère en distinguant le droit de vote du droit d'éligibilité. D'autres, de votre bord, ont fait un peu de realpolitik. Alors, permettez que j'en fasse aussi. Souvenez-vous quand même que deux initiatives ont été présentées à ce sujet, la première intitulée «tous citoyens, toutes citoyennes», la deuxième «vivre ensemble, voter ensemble». La première accordait les droits de vote et d'éligibilité. Ayant été balayée par des gens qui partageaient votre conception de la realpolitik, la deuxième n'octroyait que le droit de vote. Les deux initiatives ont fait un score quasiment identique, la deuxième étant à un demi-point de la première. Par conséquent, l'argument du parti radical n'est pas recevable en termes d'analyse de politique réaliste. Il reflète simplement le désir d'y aller «mollo, mollo» et d'étriquer au maximum les droits que l'on pourrait concéder aux gens concernés.

Vous avez dit, Monsieur Lescaze, qu'il s'agissait d'accorder un droit de vote communal aux étrangers qui ne devraient surtout pas faire de politique, mais s'occuper d'affaires de proximité, d'aménagement, etc.

Monsieur Lescaze, j'ai une plus haute opinion, que je vous invite à partager, des activités qui se déroulent dans nos conseils municipaux, lieux fondamentaux de la vie politique de cette République. Hier, quelqu'un a dit ici qu'ils étaient «la clé commune de la cellule de notre ordre politique». Il faut le reconnaître et ne pas se cacher derrière son petit doigt. Il faut dire les choses telles qu'elles sont, comme j'ai essayé de le faire ce soir.

M. Michel Ducret (R). Il y a bien un côté pervers dans cette affaire, mais il réside dans la confusion que l'Alliance de gauche semble vouloir créer à propos d'un droit fondamental.

Ce soir, nous ne parlons pas des droits de l'homme, mais des droits du citoyen. Ce n'est pas du tout la même chose !

Les droits fondamentaux du citoyen ont pour corollaire les devoirs fondamentaux du citoyen. En accordant le droit de vote et le droit d'éligibilité à certains sans leur en remettre les devoirs, on créerait ainsi une nouvelle sorte d'inégalité. Il ne saurait y avoir une citoyenneté à deux vitesses.

Cela étant, il n'en demeure pas moins un aspect sur lequel, personnellement, je serais prêt à entrer en matière : la gestion, par le vote, de la dépense des impôts communaux, voire la fixation de ces derniers par voie de référendum, par exemple, sous l'égide d'une partie importante de la population qui paie ses impôts communaux et dont le taux d'actifs est des plus importants dans notre canton.

Je serais prêt à entrer en discussion sur cet aspect-là, mais en tout cas pas sur la question de l'éligibilité.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. J'entends juste dire à Mme Bugnon que je l'avais bien comprise. Me voilà rassuré ! J'ai eu du plaisir à l'entendre une deuxième fois. Ce Grand Conseil sera encore réuni dans sa formation actuelle quand nous rendrons notre rapport.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

motion

concernant le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants étrangers au niveau communal

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- la résolution de la commune de Vernier, du 18 juin 1996, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux ressortissants étrangers, sur le plan communal;

- la résolution de la commune de Meyrin, du 14 janvier 1997, concernant le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants étrangers au niveau communal,

invite le Conseil d'Etat

à présenter au Grand Conseil un rapport quant à la suite qu'il entend donner à ces deux initiatives.