Séance du jeudi 24 avril 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 5e session - 15e séance

PL 7600
36. Projet de loi de MM. Bernard Lescaze et David Hiler modifiant la loi sur les archives publiques (B 2 15). ( )PL7600

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi sur les archives publiques, du 2 décembre 1925, est modifiée comme suit :

Art. 5 (nouvelle teneur)

Fonds d'archives

1 Les fonds d'archives des institutions et administrations dépendant de l'Etat doivent être versés aux archives d'Etat, dès qu'ils n'ont plus d'intérêt pour l'expédition courante des affaires.

2 L'inventaire des documents versés est consultable dès le versement effectué.

Art. 8 A (nouveau)

Consultations

Documents déposés ou conservés

1 La consultation des documents déposés ou conservés aux archives d'Etat est libre et gratuite, sous réserve des dispositions légales relatives à la protection de la per-sonnalité.

2 Ne peuvent être consultés librement :

a) les documents datant de moins de 25 ans ;

b) les procédures judiciaires, les dossiers administratifs et fiscaux contenant des données personnelles datant de moins de 50 ans, à compter de la date du jugement ou de l'ouverture du dossier.

3 Demeurent réservées les conventions de dépôt ou de versement et les conditions des donations de fonds.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La loi genevoise sur les archives publiques, du 2 décembre 1925, n'a pratiquement pas été modifiée depuis lors. Le but de la présente modification est avant tout d'inscrire dans la loi le principe de consultation libre et gratuite des documents déposés par les administrations publiques aux archives d'Etat. Il peut paraître en effet étonnant que ce principe ne figure que dans le règlement d'application de la loi sur les archives publiques (B 2 15.01) et non dans la loi elle-même. Par ailleurs, il convient également de fixer dans la loi plutôt que dans le règlement les délais requis pour la consultation des documents. Enfin, le but de ce projet de loi est d'harmoniser les délais spéciaux pour la consultation des documents non librement consultables avec ceux prévus par les différentes législations européennes, de même qu'avec le projet de loi récemment soumis aux Chambres fédérales concernant les archives fédérales.

A la suite des enquêtes menées dans différents cantons suisses sur l'accueil ou le refoulement d'étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été constaté que des fonds versés par divers départements de l'administration cantonale aux archives d'Etat n'avaient été que fort succinctement décrits dans le rapport annuel des archives, ce qui empêchait les chercheurs de pouvoir y accéder, faute d'avoir connaissance de leur existence. La modification de l'article 5 de la loi sur les archives a pour but de rendre public l'inventaire des documents versés par l'administration sitôt le versement de ceux-ci effectué. Il ne s'agit pas d'un travail supplémentaire que devraient effectuer les archives d'Etat puisque cet inventaire existe : il s'agit de l'inventaire des documents transférés établi selon l'article 8 actuel du règlement d'application de la loi sur les archives publiques. Cette mesure permettrait d'assurer la notoriété de fonds qui devraient être librement consultables autrement que d'une manière elliptique par une simple mention générale dans un rapport d'activité. La lenteur avec laquelle a été mis à disposition des chercheurs (de manière toute relative d'ailleurs) le fichier de l'arrondissement territorial genevois pendant la Seconde Guerre mondiale offre l'illustration de la nécessité d'une telle mesure.

Le principe de libre communication de documents publics doit respecter le souci de préserver l'intimité de la vie privée des personnes. Pourtant, dans le monde occidental, le délai ordinaire de consultation a généralement été abaissé. Les Pays-Bas, comme le Canada, le fixent à 20 ans, les Etats-Unis à 10 ans. La France songe à l'abaisser à 25 ans, alors même qu'elle l'avait fixé à 30 ans en 1978. La Confédération envisage également de réduire ce délai dans le projet de loi fédéral sur les archives soumis récemment aux Chambres fédérales.

Les délais spéciaux opposables aux chercheurs en raison du contenu personnel de certains documents sont eux aussi partout réduits. C'est pourquoi le projet de loi qui vous est soumis envisage de les abaisser à50 ans, au lieu de 75 et 100 ans dans certains cas, afin de maintenir la protection de la personnalité, dans son article 8A nouveau. Le rapport du conseiller d'Etat français Guy Braibant, rédigé en 1996 à l'intention du Premier ministre français, contient à ce sujet une argumentation claire et rationnelle sur la nécessité d'abaisser les délais spéciaux. Il constate que souvent l'extension de ces délais repose sur le souci de protéger les méthodes de l'administration plutôt que la vie privée des administrés.

Il est parfois prétendu que des délais trop courts ne sont pas dans l'intérêt à long terme de la recherche historique, en raison du risque de destructions d'archives. Il est évident que les dispositions de la loi genevoise sur les archives empêchent toute destruction abusive de documents et ne permettent donc pas de considérer cette objection comme pertinente.

De même, les dérogations individuelles qui sont parfois accordées pour pallier la longueur de ces délais soulèvent un problème délicat. Comme l'expose le rapport Braibant : « Il y a un risque sérieux de subjectivité, puisque les dérogations sont accordées en fonction de la personnalité du chercheur, de sa notoriété ou de l'opinion que l'administration peut se faire de ses recherches (...). La pratique des dérogations individuelles est plus contestable s'agissant des intérêts publics, dans la mesure où elle introduit une inégalité entre les usagers pour l'accès à des documents protégés par des critères objectifs. Le chercheur fiable qui bénéficierait d'un régime plus favorable que ces pairs, ou que le simple citoyen, s'expose à être regardé comme un historien officiel.

L'exclusivité dont peuvent ainsi bénéficier certains chercheurs est d'autant plus regrettable qu'elle permet à leurs travaux d'échapper à toute critique scientifique, en faisant obstacle à ce que des personnes travaillant sur le même domaine de recherche se livrent à un contrôle des sources. » (Guy Braibant, Les archives en France, page 60.)

On ne saurait mieux dire. Les délais spéciaux proposés dans le présent projet de loi peuvent paraître encore trop longs. Ils visent cependant à respecter les dispositions légales et réglementaires fédérales et cantonales concernant le respect de la sphère privée, tout en les conciliant avec les exigences contemporaines de la recherche historique. Il faut se rendre compte que, dans une démocratie, la notion du secret d'Etat ne doit pas avoir cours, du moins passé un certain nombre d'années... Les buts du présent projet de loi sont donc clairs et précis. Les modifications proposées paraissent particulièrement opportunes dans les circonstances actuelles, tout en étant eurocompatibles.

Nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que ce projet de loi recevra le meilleur accueil de votre part.

Ce projet est renvoyé à la commission législative sans débat de préconsultation.