Séance du jeudi 27 février 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 3e session - 10e séance

M 1115
9. Proposition de motion de Mmes et MM. Claire Chalut, Evelyne Strubin, Yves Zehfus, Pierre Vanek, Luc Gilly, Jean Spielmann, René Ecuyer et Liliane Johner sur le nombre important de dérogations et de passe-droits consentis par le département des travaux publics et de l'énergie. ( )M1115

LE GRAND CONSEIL,

vu le nombre important de dérogations et de passe-droits consentis par le département des travaux publics et de l'énergie (DTPE),

invite le Conseil d'Etat

à lui présenter un rapport sur la politique dérogatoire du DTPE.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le Conseil d'Etat a été interpellé à plusieurs reprises au sujet des nombreuses et importantes dérogations accordées, souvent en violation de la loi, par le DTPE.

Rappelons pour mémoire la transformation d'immeubles d'habitation en bureaux au profit d'Elvia et du Crédit Suisse, en violation de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR). Encore récemment, la Feuille d'avis officielle du 15 novembre 1996 mentionne une autorisation préalable portant sur la démolition et le changement d'affectation de logements en bureaux au profit de La Placette.

Citons également les importantes dérogations consenties au profit du projet d'immeubles administratifs de Noga Invest SA à Sécheron, dans le but de lui accorder d'importantes surfaces de plancher supplémentaires par rapport à ce que cette société de M. Nessim Gaon a droit, dérogations qui ont été jugées contraires à la loi par l'autorité de recours.

Sans parler de la délivrance, depuis plusieurs mois, de nombreuses autorisations de transformation et de rénovation d'immeubles d'habitation, sans la moindre référence à la LDTR, alors que les travaux autorisés étaient manifestement soumis à la loi.

Sans parler non plus de la délivrance de nombreuses autorisations de construire en zone agricole (dont des villas) en violation flagrante de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, la plupart des autorisations contestées ayant été annulées par l'autorité de recours.

Citons encore l'autorisation de construire un immeuble sur une parcelle classée à Landecy, sans la moindre mention dans la Feuille d'avis officielle, à une dérogation à la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites, en violation de ladite loi, comme relevé par le Tribunal administratif.

Et la démolition illégale de la villa Blanc, avec l'appui du DTPE, ainsi que la tentative de démolition illégale de deux immeubles dans le village de Chêne-Bougeries.

Sans oublier les autorisations portant atteinte au patrimoine bâti, notamment dans la Vieille-Ville et à Saint-Gervais, la plupart de celles contestées ayant été annulées par l'autorité de recours.

Idem pour de nombreuses autorisations de rénovation ou de reconstruction des immeubles, soumis à la LDTR, avec des loyers trop élevés, la plupart de celles contestées ayant été annulées ou modifiées par l'autorité de recours.

Sans oublier enfin les nombreuses dérogations accordées en zone-villas pour construire des locaux commerciaux ou des bureaux, notamment à Grange-Canal au profit du promoteur Magnin, sur le coteau de Cologny au profit de World Economic Forum, et les dérogations envisagées pour la construction de six immeubles de logements dans une zone-villas à Vandoeuvres. Rappelons également qu'une grande compagnie d'assurances a emménagé dans des locaux industriels à La Praille et qu'une partie des locaux occupés par la régie Kramer était affectée, semble-t-il, à des activités artisanales avant que cette régie ne quitte l'immeuble qu'elle occupait au boulevard Georges-Favon, lequel a également bénéficié d'une dérogation de hauteur dans le cadre d'un projet de rénovation.

La liste des faveurs consenties par le chef du DTPE est longue et nous ne faisons que citer certaines d'entre elles. M. Joye, qui est issu des milieux immobiliers et qui est propriétaire d'un bureau d'architectes, lequel porte toujours son nom et a bénéficié d'importantes dérogations à Collonge-Bellerive, grâce notamment à une autorisation de défrichage que le Conseil d'Etat a finalement annulée, n'a jamais caché qu'il voulait «favoriser» l'aboutissement de projets immobiliers et que le respect de la législation sur les constructions ne le préoccupait guère.

Que le chef du DTPE s'attache à faire aboutir les projets de constructions, c'est normal. Que pour y parvenir, il accorde des faveurs illégales, c'est intolérable, surtout lorsque l'on s'aperçoit que ces faveurs et passe-droits sont souvent accordés aux plus puissants ou à certaines de ses connaissances.

Le citoyen ordinaire ne bénéficie pas de tels passe-droits et il y a une inégalité de traitement manifeste, étant précisé que cette inégalité n'est pas évoquée pour favoriser la politique dérogatoire du département.

Il importe que le Conseil d'Etat intervienne au sujet de cette politique qui a atteint un degré tout simplement intolérable et entretient de nombreuses rumeurs dans la population, ce d'autant plus que, de jurisprudence constante, les dérogations doivent être de portée limitée.

Le Conseil d'Etat est également invité à s'expliquer sur le statut du bureau d'architectes Philippe Joye, 36, rue du 31-Décembre, qui continue à porter le nom du chef du département, ce qui est inadmissible pour un bureau qui est appelé à solliciter des autorisations de construire auprès de ce dernier. Quels sont les liens entre le conseiller d'Etat Philippe Joye et le bureau d'architectes Philippe Joye?

Les règles constitutionnelles sur l'incompatibilité de fonctions des conseillers d'Etat sont-elles respectées en l'espèce?

Le bureau Philippe Joye ou des membres de ce bureau ou des personnes en relations d'affaires avec ce bureau ont-ils bénéficié de mandats de l'Etat durant la présente législature? Si oui, lesquels? Une réponse claire du Conseil d'Etat doit être donnée à ces questions.

M. Philippe Joye s'est-il désisté dans les divers dossiers traités par le DTPE et dont il était chargé professionnellement avant son élection au Conseil d'Etat, dont celui du périmètre du Bois de la Grille restitué à la zone de bois et forêts, et dont son expertise avait justifié une prétention en dommages-intérêts de 15 millions de francs de ses propriétaires, prétention qui a été totalement rejetée par le Tribunal fédéral.

De même, le Conseil d'Etat doit indiquer si M. Philippe Joye a démissionné dans les six mois de son élection des divers conseils d'administration où il siégeait et s'il a effectivement rompu tous les liens qu'il avait avec ses sociétés et si ces dernières ont bénéficié de mandats de l'Etat durant la présente législature.

Pourquoi le nom de M. Philippe Joye figure-t-il toujours au registre du commerce comme administrateur de la société Schuler SA, ayant son siège auprès de la régie Kramer SA à Fribourg, en violation des règles d'incompatibilité de fonctions?

Quelle est la nature des activités de cette société?

Touche-t-elle au domaine immobilier, comme le siège de cette société le laisse supposer? Quels sont ses liens avec la régie Kramer?

Nous attendons donc des réponses précises sur ces questions.

Débat

M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. D'entrée de cause, le Conseil d'Etat souhaite faire la déclaration suivante :

Cette proposition de motion ne porterait que sur la politique dérogatoire du département des travaux publics si l'on en croyait son titre et son invite. En réalité, elle traite de deux volets : la politique dérogatoire du département des travaux publics et le régime des incompatibilités.

Le Conseil d'Etat entend traiter ces deux volets dans sa déclaration.

Il vous informe de ce qui suit quant au régime dit des incompatibilités qui a particulièrement touché M. Joye, puisqu'il a remis son bureau alors qu'il avait déjà été élu au Conseil d'Etat.

Dès son élection, M. Joye s'est préoccupé des dispositions à prendre pour respecter le contenu des injonctions constitutionnelles et légales sur les incompatibilités de fonction. Des problèmes complexes devaient être résolus en raison de la nature de son bureau d'architectes en nom et d'une conjoncture économique difficile.

Pour permettre la solution de ces problèmes conformément au droit, M. Joye a demandé un avis de droit à Me Manfrini, en date du 20 décembre 1993. Le 12 janvier 1994, l'avocat de M. Joye a fourni un certain nombre de réponses claires et très utiles à notre appréciation de la situation.

Me Manfrini, à la lumière des textes et de l'analyse qu'il en a faite, est parvenu à la conclusion qu'un conseiller d'Etat élu n'avait pas à se défaire de la propriété de son entreprise. D'ailleurs, cela s'est vu auparavant, dans certaines circonstances. En revanche, Me Manfrini a spécifié qu'un conseiller d'Etat, s'il n'avait pas à se défaire de la propriété de son entreprise, ne pouvait pas y exercer d'activités au-delà du terme de six mois prescrit par les textes.

Par ailleurs, le jurisconsulte mis en oeuvre a dit clairement que les associés gérants ou les anciens collaborateurs de l'entreprise d'un conseiller d'Etat élu ne devaient pas entretenir avec l'Etat ou les institutions qui en dépendent des relations d'affaires sous forme de commandes ou de mandats pour ou contre l'Etat.

Le problème posé à M. Joye - dont il a demandé l'étude précise - était de déterminer ce qu'il fallait entendre par «relations d'affaires». Me Manfrini, à la lumière des textes et dans un avis de droit très approfondi, a expliqué que les relations d'affaires ne recouvraient évidemment pas les démarches qui sont indispensables auprès du département, par exemple pour tout ce qui a trait aux autorisations de construire, sinon l'on exigerait, en quelque sorte, la fermeture du bureau d'architectes.

Dès le printemps 1994, c'est-à-dire dans les premiers mois d'activité de notre collègue Joye, le Conseil d'Etat est intervenu à plusieurs reprises pour que la succession du bureau soit réglée dans les délais les plus brefs. Nous avons eu plusieurs discussions à ce sujet. C'est alors que nous avons constaté la complexité de la situation et que des difficultés devaient être résolues dans un contexte explicable et normal.

L'entreprise de M. Joye était une entreprise en nom et pas une société anonyme, et Me Manfrini exprimait l'avis tout à fait clair qu'un conseiller d'Etat pouvait rester propriétaire d'une entreprise en nom, mais qu'il ne devait pas y pratiquer des activités. C'est alors que M. Joye nous a annoncé qu'il avait trouvé un repreneur et que des discussions étaient en cours.

M. Joye aurait pu - et cela lui aurait facilité la tâche en quelque sorte - procéder à la liquidation de son bureau et licencier son personnel. Il s'y est refusé et ce n'est évidemment par le Conseil d'Etat qui lui en fera grief !

Dans ce contexte, les démarches ont été difficiles. Elles se sont soldées par un premier échec, le premier associé gérant, qui devait reprendre le bureau, s'étant retiré à la suite de circonstances sur lesquelles il est inutile d'épiloguer ici. M. Joye s'est mis en quête d'un nouveau repreneur. C'est ainsi qu'après beaucoup de temps consacré à cette recherche un nouveau repreneur a été inscrit, le 22 juillet 1996, au registre du commerce de Fribourg, avec une nouvelle raison sociale du bureau. Le 5 août 1996, la raison sociale du bureau d'architectes de M. Joye a été radiée du registre du commerce de Genève.

Au Conseil d'Etat, nous avons discuté très ouvertement de ce problème. Nous avons cherché à le régler dans une situation économique et conjoncturelle difficile, a fortiori dans ce type de métier, en évitant que des emplois ne soient sacrifiés et en veillant au respect de la règle constitutionnelle qui veut la cessation des activités avec le bureau dont on avait la responsabilité.

Dans ce contexte, nous avons avisé M. Joye qu'il avait commis une maladresse lors de la reprise de son bureau par l'associé qui en a la responsabilité aujourd'hui : M. Joye a cosigné une lettre de cet associé avisant la clientèle et les relations d'affaires de la reprise et souhaitant que la confiance témoignée par la clientèle au bureau soit reportée sur le successeur. Il est évident que cet écrit pouvait être mal interprété, dès lors que M. Joye était effectivement conseiller d'Etat. Nous le lui avons dit et il en a pris acte.

Toujours pour le régime des incompatibilités, le Conseil d'Etat a également appris que M. Joye était resté administrateur de la société Schuler SA à Fribourg. Cette situation était incontestablement contraire à la législation. Nous l'avons fait savoir à M. Joye. Cette affaire est maintenant réglée, M. Joye ayant quitté ce conseil.

J'en viens aux problèmes liés à la politique dérogatoire, le seul aspect de cette motion à être exposé ouvertement. Je dirai d'abord que les possibilités dérogatoires sont clairement fixées et trouvent une assise légale incontestable dans la loi sur les constructions et installations diverses. Il appartient donc de connaître l'usage qu'on en fait.

Dès le début de cette législature, le Conseil d'Etat a décidé d'assouplir la pratique menée jusque-là. Dans le contexte de crise économique que nous connaissons, qui touche particulièrement l'industrie du bâtiment, le Conseil d'Etat a estimé nécessaire de mettre en oeuvre une conception plus souple de la gestion des dossiers dérogatoires. Cela a été communiqué à votre Grand Conseil et donné lieu à des débats.

Il est clair que nous avons voulu, avec cet assouplissement, une modification de la politique que le gouvernement conduisait jusqu'alors, et le chef du département des travaux publics n'a fait, sur un plan global, qu'appliquer la politique décidée par le Conseil d'Etat.

Je tiens à dire que le Conseil d'Etat a tenu à être renseigné, d'une manière exhaustive et complète, sur la totalité des exemples cités par les auteurs de la motion. Nous avons dit à notre collègue Philippe Joye que nous ne voulions pas d'une note provenant du chef du département, parce que nous n'entendions pas que ses propres renseignements soient entachés du soupçon du plaidoyer pro domo.

C'est pourquoi nous avons chargé l'administration de nous faire une note sous sa responsabilité de l'analyse qu'elle faisait, elle, des différents dossiers traités, notamment les dossiers dérogatoires.

C'est ainsi que nous est parvenue une note complète, signée de M. Dufey, secrétaire général du département, qui en a rédigé le texte avec Mme Bietenhader, directrice de la police des constructions. Nous vous remettrons cette note pour que vous en preniez connaissance. Je ne veux pas la commenter maintenant, car chaque cas est décrit, à la lumière des dispositions légales, et assorti des décisions effectivement prises. Rien ne doit être caché, tout doit être transparent, ce d'autant que nous arrivons à la conclusion, une fois encore, que cette politique dérogatoire - qui peut être critiquée et certains ne s'en privent pas; qui peut être jugée, des tribunaux ayant été appelés à trancher - doit être clairement expliquée.

Nous sommes même allés plus loin - vous en trouverez la trace dans la note précitée - dans certains dossiers préalablement traités par le bureau de M. Joye. Nous avons décidé que ces dossiers devaient être, pour autant qu'ils relèvent d'une décision du chef du département, du ressort de son suppléant, afin d'éviter toute confusion. C'est ainsi que M. Haegi a été amené à traiter le dossier Latsis. En annexe du document qui vous sera remis, vous prendrez connaissance des précautions prises pour qu'il n'y ait point de soupçons.

Pourquoi ? Parce qu'un dossier traité par un suppléant remonte la voie hiérarchique de l'administration jusqu'au chef du département concerné, qui le transmet alors à son suppléant. Nous avons pris des mesures inhabituelles pour éviter que M. Joye ne soit soupçonné de diriger la manoeuvre, ce que nous ne voulions absolument pas.

Alors même que ce dossier était déjà engagé, nous avons annexé une note au procès-verbal du Conseil d'Etat qui stipule expressément que Mme Bietenhader, directrice de la police des constructions, devait communiquer exclusivement avec M. Haegi, suppléant de M. Joye, et que ce dernier n'avait pas à être concerné par la voie hiérarchique normalement suivie. Nous avons donc pris les précautions nécessaires pour que le traitement des dossiers soit ouvert, loyal et transparent.

Nous allons vous remettre cette note. Elle alimentera vos réflexions et nous sommes évidemment prêts à faire rapport sur l'ensemble des questions posées, parce que la politique pratiquée en matière dérogatoire est la politique voulue par le Conseil d'Etat.

Quelques décisions, au demeurant peu nombreuses, ont été cassées par les juridictions. C'est là le jeu normal d'une appréciation faite dans le cadre d'une politique dérogatoire.

Lors de la remise du bureau de M. Joye, nous avons veillé à ce que soient respectées, dans les délais les plus courts, les dispositions légales et constitutionnelles, tout en préservant la substance du bureau et les emplois qui lui étaient rattachés. D'autre part, nous avons fait en sorte que les activités de ce bureau n'interfèrent pas vis-à-vis de celles du chef du département. Cela n'a pas été le cas, vérification faite et sous réserve des maladresses auxquelles j'ai fait allusion.

La politique dérogatoire : je répète qu'elle a été voulue par le Conseil d'Etat et qu'elle a été appliquée par M. Joye. La note signée de M. Dufey contient des explications très complètes à cet égard.

Je termine avec une conclusion plus politique dans la mesure où nous constatons, avec regret, que la motion parle de passe-droits pour mettre en doute l'honnêteté de M. Joye. Les explications qui nous ont été fournies et la note de M. Dufey ne permettent pas de corroborer un tel soupçon. Merci d'en prendre bonne note. (Applaudissements.)

La présidente. La note du Conseil d'Etat vous est distribuée.

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M. Jean Spielmann (AdG). En guise de préambule, je ferai trois observations.

1. Tout d'abord, notre motion a été déposée au début du mois de février, soit bien avant les déclarations de M. Joye devant l'assemblée des délégués du PDC.

2. Ensuite, nous n'entendons pas entrer en matière sur les déclarations de M. Joye, même si - s'agissant de la nature des dettes - ces dernières semblent avoir eu des implications pénales.

3. Enfin - vous l'aurez compris en lisant notre motion - nous nous limitons, pour l'instant, à poser des questions; nous ne formulons pas d'accusations.

Les questions légitimes que nous posons dans notre motion portent sur les thèmes suivants :

- Le respect des dispositions constitutionnelles concernant les incompatibilités de fonction des membres du Conseil d'Etat;

- la nature des multiples dérogations octroyées par le chef du département des travaux publics;

- enfin, en liaison avec les deux premiers points, le statut du bureau d'architectes de M. Joye.

Premier volet. Nous sommes bien placés pour savoir que les règles sont clairement établies pour ce qui est des incompatibilités concernant les députés. Ces règles sont même appliquées avec un certain acharnement, pour ne pas dire avec un «acharnement certain», à l'égard des élus de notre parti !

Je rappelle encore une fois le cas de notre ami Meyll exclu de ce parlement, parce qu'il donnait, en sa qualité de spécialiste et de commerçant en vélomoteurs, quelques heures de cours par semaine aux jeunes du CEPIA... Souvenez-vous aussi du cas de M. Farine, coupable d'avoir reçu une médaille des arts et de la culture du ministre français Léotard; il a été chassé de ce parlement pour cette raison ! Je pense encore aux exclusions plus récentes, pour cause d'incompatibilité, de nombreux membres de l'AdG.

Cet acharnement contraste singulièrement avec le laxisme et le manque de contrôle vis-à-vis des membres du Conseil d'Etat, en ce qui concerne ces incompatibilités ! Cette situation doit être corrigée, car ces incompatibilités prennent une importance particulière dans le domaine des travaux publics où la délivrance d'autorisations est liée à d'importants intérêts économiques; d'où un risque accru de confusion d'intérêts, dont la portée est, en tout cas, bien plus importante que dans d'autres domaines. Ces risques sont encore accentués par certaines pratiques en vigueur dans le milieu de la construction et posent avec force les exigences d'un strict respect de l'égalité de traitement et des principes de l'incompatibilité de fonction.

Le deuxième volet de notre intervention concerne la politique en matière de dérogations menée par M. Joye, chef du département.

Nous avons interpellé le Conseil d'Etat à plusieurs reprises, au sujet des nombreuses et importantes dérogations accordées, souvent en violation de la loi, par le département des travaux publics et de l'énergie.

Rappelons, pour mémoire, la transformation d'immeubles d'habitation en bureaux au profit d'Elvia et du Crédit Suisse, en violation de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations d'habitations. Encore récemment, la «Feuille d'avis officielle» mentionnait une autorisation préalable portant sur la démolition et le changement d'affectation de logements en bureaux au profit de La Placette.

Citons également les importantes dérogations consenties au profit du projet d'immeubles administratifs de Noga Invest SA à Sécheron, dans le but d'accorder d'importantes surfaces de plancher supplémentaires par rapport à ce à quoi cette société avait droit. Ces dérogations ont été jugées contraires à la loi par l'autorité de recours.

Parlons aussi de la délivrance, depuis plusieurs mois, de nombreuses autorisations de transformation et de rénovation d'immeubles d'habitation, sans la moindre référence à la LDTR, alors que les travaux autorisés étaient manifestement soumis à la loi.

Je ne parle pas de la délivrance de multiples autorisations de construire en zone agricole, en violation flagrante de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, la plupart des autorisations ayant été annulées par l'autorité de recours.

Il ne faut pas oublier la démolition illégale de la villa Blanc, ni la tentative de démolition de deux immeubles dans le village de Chêne-Bougeries. Idem pour de nombreuses autorisations annulées ou modifiées par l'autorité de recours.

Parlons encore des récentes dérogations accordées en zone villas pour construire des locaux commerciaux à Grange-Canal au profit du promoteur Magnin; sur le coteau de Cologny au profit du World Economic Forum. Je n'oublie pas non plus l'emménagement d'une compagnie d'assurances dans des locaux industriels à La Praille, ni la transformation des locaux occupés par la régie Kramer; ces locaux étaient, semble-t-il, affectés à des activités artisanales avant que cette régie ne quitte l'immeuble qu'elle occupait au boulevard Georges-Favon, lequel a ensuite fait l'objet d'une dérogation de hauteur dans le cadre d'un projet de surélévation.

La liste des faveurs accordées par le chef du département des travaux publics et de l'énergie est longue, et je ne fais qu'en citer un certain nombre...

M. Joye est issu des milieux immobiliers; il est propriétaire d'un bureau d'architectes, lequel porte toujours son nom - il le portait en tout cas récemment, d'après l'annuaire officiel 1995 et 1996. Il a bénéficié, à notre connaissance, d'importantes dérogations à Collonge-Bellerive, notamment grâce à une autorisation de défrichage que le Conseil d'Etat a finalement annulée. M. Joye n'a jamais caché qu'il voulait «favoriser» l'aboutissement de projets immobiliers, ce qui est une qualité pour le responsable du DTPE. Mais il a également déclaré, dans la foulée, que le respect de la législation sur les constructions ne le préoccupait guère... C'est d'autant plus inadmissible que les faveurs illégales et les passe-droits ont souvent été accordés aux plus puissants ou à certaines de ses connaissances !

Il est indispensable que le Conseil d'Etat intervienne au sujet de cette politique qui a atteint, à notre point de vue, un degré de gravité intolérable.

Nous invitons donc le Conseil d'Etat - il l'a déjà fait en partie - à s'expliquer sur ces problèmes, en apportant des réponses sans équivoque aux questions posées dans notre motion. En effet, non seulement ces dérogations ne se justifient le plus souvent pas, car favorisant certains au détriment des autres, mais, plus grave encore, elles sont accordées en violation de la loi.

C'est le chef du département des travaux publics - avec l'Etat qui devrait garantir le respect des lois et de l'égalité de traitement des citoyens - qui viole ces principes. Si les questions posées dans notre motion se confirmaient dans les faits, ces derniers seraient d'une gravité particulière. En effet, ce sont les objectifs poursuivis par ce parlement - donc par le peuple - qui seraient bafoués.

Nous voulons donc obtenir des réponses claires sur les motifs qui ont conduit le chef du département à accorder d'importantes faveurs à certains au détriment d'autres, parfois en violation des lois en vigueur.

Le troisième volet concerne le statut du bureau de M. Joye.

Nous savons, depuis la déclaration du Conseil d'Etat du 12 février et selon les informations que nous avons reçues tout à l'heure, que le Conseil d'Etat avait connaissance de la situation illégale du bureau d'architectes de M. Joye depuis un certain temps : plusieurs années - et non pas quelques mois, Monsieur Maitre, comme vous venez de nous le dire !

Alors même que les dispositions de l'article 106 de la constitution, alinéa 6, sont particulièrement claires, le chef du département, selon le président du Conseil d'Etat, n'aurait pris des dispositions pour régulariser sa situation que l'année dernière : en juillet et en août. Il semble toutefois que le bureau ne soit toujours pas en règle. En effet, M. Joye détiendrait 49% des actions de la nouvelle société anonyme créée à Fribourg - ce qui est curieux pour une entreprise qui devrait payer ses impôts à Genève - ce qui lui permet de maintenir une influence que l'on peut qualifier de «prépondérante», surtout qu'une part minoritaire des actions, 2%, serait détenue par une tierce personne à titre fiduciaire, semble-t-il.

La lettre publiée dans la «Tribune de Genève» et portant l'en-tête du bureau de M. Joye soulève également des questions graves, ce d'autant plus qu'elle a été adressée trois ans après l'élection de M. Joye. Ce journal parle également d'une autorisation de construire, délivrée au profit d'un autre bureau d'architectes - autorisation qui impliquerait la démolition d'un immeuble d'habitation, je le répète en violation de la loi - et du fait que ce bureau sous-traiterait une partie du projet autorisé au bureau d'architectes dont M. Joye est actionnaire...

C'est cette situation qui nous a conduits à déposer un projet de loi visant à demander à tout élu au Conseil d'Etat de préciser sa situation sur le plan professionnel, ses liens d'intérêts ainsi que les dispositions qu'il entend prendre pour se conformer au respect des incompatibilités de fonction inscrites dans la constitution, cela avant son entrée en fonctions et l'acceptation de son mandat. Ce que nous voulons c'est la clarté et la transparence.

Les problèmes soulevés dans notre intervention nous ont conduits à poser les questions qui figurent dans notre motion, ainsi qu'une série de questions complémentaires qui nous ont été inspirées par l'évolution de cette affaire depuis le dépôt de notre motion.

Ces questions sont les suivantes :

1. Quel est le statut actuel du bureau de M. Joye et depuis quand ce statut est-il en vigueur ? La réponse a été donnée : en juillet et août de l'année dernière.

2. Qui est le propriétaire économique des actions de la société anonyme qui semble avoir été créée, notamment le propriétaire des actions confiées à titre fiduciaire, semble-t-il, à une tierce personne ?

3. M. Joye a-t-il agi pour le compte de son bureau après le délai de six mois, suite à son élection, au terme duquel il ne devait plus s'occuper de son bureau ?

4. J'insiste sur cette quatrième question. A-t-il signé d'autres lettres - ou d'autres documents - de son bureau que celle publiée dans la «Tribune de Genève» ces dernières semaines ?

5. Le bureau de M. Joye a-t-il bénéficié, oui ou non, de travaux en sous-traitance d'autres bureaux d'architectes et, si oui, lesquels ?

Ces questions sont suffisamment importantes pour qu'elles soient examinées. J'ai entendu avec satisfaction la déclaration du Conseil d'Etat en préambule à ce thème de l'ordre du jour. Il me semblerait toutefois intelligent de renvoyer le tout en commission pour présenter un rapport qui permettrait de faire la lumière sur cette affaire et de répondre à certaines questions posées, qui restent - c'est le moins que l'on puisse dire - dans le vague !

Mme Geneviève Mottet-Durand (L). Cette proposition de motion est extrêmement intéressante. L'exposé des motifs évoque une quinzaine d'affaires concrètes et abstraites qui sont toutes, selon les motionnaires, des cas de dérogations constituant des faveurs illégales.

Dans le dernier tiers de l'exposé des motifs, il est question de l'ancien bureau d'architectes de M. Philippe Joye et de son respect des règles constitutionnelles et légales relatives à l'incompatibilité que la constitution et la loi imposent aux conseillers d'Etat.

Il va de soi que les questions récemment évoquées par la presse rendent légitime une interrogation sur ce dernier chapitre. Quant au premier, ce n'est pas une surprise pour notre Conseil. M. Joye, qui siège depuis trois ans au Conseil d'Etat et préside le département des travaux publics et de l'énergie, a fait l'objet d'attaques incessantes à titre personnel et dans l'exercice de ses fonctions. Il aurait été étrange que ces attaques cessent précisément en ce moment.

Au demeurant, questionner le Conseil d'Etat sur sa politique ou celle conduite par un département est également légitime et intéressant. Ce qui l'est moins, c'est la technique de l'amalgame, le caractère outrancier des propos ou le recours à des moyens dont les auteurs savent qu'ils sont abusifs.

Bien que le groupe libéral ait déjà abondamment répondu à l'occasion d'autres motions et interpellations à certaines des questions posées par les motionnaires, y compris au cours de ces derniers mois, il réserverait cependant bon accueil à une proposition tendant à examiner les conditions dans lesquelles le département des travaux publics applique les dispositions de la loi sur les constructions et installations diverses ou, éventuellement, sur la loi concernant les démolitions, transformations et rénovations d'immeubles.

Le groupe libéral se serait même penché avec intérêt sur la liste des opérations dont les motionnaires, visiblement très bien informés, prétendent qu'elles auraient été exorbitantes par rapport au droit commun. Mais le gouvernement a devancé cette curiosité. Le texte préparé par l'administration du département des travaux publics et... (Exclamations.) Pardon ? Mais, je me suis renseignée, Monsieur ! Comme vous, d'ailleurs ! Vous ne l'avez pas reçu ? (Brouhaha.) Ce texte donne une description détaillée et apparemment substantielle de chacune des opérations visées par les motionnaires.

La motion et la curiosité de ses auteurs sont donc agréées avant que le Grand Conseil ne se soit prononcé. (Exclamations.) De même, la déclaration de M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat, nous apporte les renseignements utiles concernant les incompatibilités et les modalités d'application pratique des normes, en particulier par le chef du département des travaux publics. (Exclamations.) La politesse va avec votre motion, c'est du même niveau.

Une voix. Eh, Christian Grobet, s'il y en a un qui a perdu l'occasion de se taire... (Brouhaha.) On y reviendra !

Mme Geneviève Mottet-Durand. La motion, ayant pour but d'inviter le Conseil d'Etat à présenter un rapport à ce Conseil, n'a donc plus d'objet, et ses auteurs la retireront sans doute. Nous souhaiterions cependant saisir cette occasion pour adresser quelques remarques de caractère général à ce parlement.

Si le Conseil d'Etat n'avait pas anticipé nos débats en apportant les réponses que nous étions en droit de réclamer, nous aurions été profondément perplexes sur la possibilité d'appuyer cette proposition de motion. Or il va de soi qu'en refusant cette motion, nous nous serions évidemment exposés à la critique injustifiée, facile, mais probablement inévitable dans le contexte actuel, de vouloir dissimuler quelque vérité honteuse.

D'où un débat de conscience : faut-il, pour montrer que les règles de la transparence ne nous effraient pas, accepter n'importe quel texte sous prétexte que la pression politique du moment l'exige ? Ne perd-on pas un peu de sa rigueur morale à s'accommoder de ce genre de pressions ? La question vaut d'être posée, car, à le lire attentivement, le texte de l'initiative ne peut être jugé acceptable.

Au regard de l'exposé des motifs, comment y souscrire sans donner l'impression de porter un jugement prématuré et d'autant plus honteux, parce que fondé sur cette simple phrase : «Vu le nombre important de dérogations et de passe-droits consentis par le département...» ? Voilà toute la motivation contenue dans le texte même de la motion, qui affirme qu'il existe un régime de faveurs illégales dans ce département.

Pour permettre à la motion d'aboutir à la présentation d'un rapport par le Conseil d'Etat, il faut donc qualifier par avance ce que pourrait être ce rapport avant même qu'il n'ait été établi. C'est une démarche d'une si profonde malhonnêteté que nous ne saurions la tolérer... (Exclamations.) Je l'ai obtenu, Madame ! Je vous le montrerai !

Quant à l'invite apparemment plus neutre, demandant simplement au Conseil d'Etat de présenter un rapport sur la politique dérogatoire du DTPE, elle ne manque pas non plus de perfidie. Comme le révèle l'exposé des motifs, la question posée est essentiellement liée aux révélations faites récemment au sujet du problème des incompatibilités. Sur ce sujet, aucune question n'est posée. (Exclamations.) Pas dans la motion, Monsieur, vous venez de les poser oralement !

Cela dit, c'est aussi le lieu pour notre groupe de rappeler... (Exclamations.)

Une voix. Tu lisais quoi, toi ? Ce n'est pas toi qui les as faits, c'est Grobet...

La présidente. Vous êtes priés de cesser ces dialogues entre députés, c'est une motion, et on s'exprime à l'assemblée ! Oui, Monsieur Annen !

Mme Geneviève Mottet-Durand. C'est aussi le lieu pour notre groupe de rappeler que le carcan législatif et réglementaire dans le domaine de la construction est excessif. Il contribue de façon non négligeable à la crise économique que nous traversons.

A défaut d'avoir voulu et su l'améliorer à temps, il faut se réjouir que la politique actuelle du département des travaux publics et de l'énergie soit un peu différente, légèrement plus imaginative et bienveillante envers les entreprises que celle qui fut conduite de 1981 à 1993. Ne vous en déplaise, Monsieur Spielmann ! Nous sommes donc reconnaissants au Conseil d'Etat d'avoir, par sa réponse, mis notre groupe à l'aise.

Nous ne nous opposerons pas au renvoi de la motion au Conseil d'Etat, mais nous proposons de l'amender comme suit :

«invite le Conseil d'Etat

à lui présenter un rapport sur la politique de délivrance des autorisations de construire du département des travaux publics et de l'énergie (DTPE).»

Mme Janine Hagmann (L). Je ne sais pas où les signataires de cette motion ont pris leurs renseignements, mais il aurait peut-être fallu vérifier leur exactitude !

En ce qui concerne des dérogations envisagées pour la construction de six immeubles de logements dans une zone de villas à Vandoeuvres, j'aimerais apporter quelques précisions, connaissant très bien cette question.

Au lieu-dit les Hauts-Crêts, au chemin de Planta, à côté des immeubles de Mi-Terra, existe un terrain d'environ 13 000 m2 à vendre depuis belle lurette. Il est resté très longtemps sans acheteur, car tous les projets et études de morcellement pour villas ont été refusés par le DTP. Et qui dirigeait le DTP ? M. Grobet !

Des voix. Grobet ! Grobet ! Grobet !

Mme Janine Hagmann. Pour des raisons - souvent entendues dans cette enceinte - de non-gaspillage du sol, ce dernier a fait savoir qu'il voulait que cet endroit soit densifié. Comme il a présenté à la commune un projet de petits immeubles très laids, genre casernes, d'une densification de 0,68... (Brouhaha.) ...ne correspondant ni à l'identité de la commune ni à son plan directeur, ce projet n'a jamais eu l'aval des autorités communales.

Lorsque M. Joye reprend le département, il engage des discussions avec la commune, et persuade l'Exécutif du bien-fondé d'une densification dépassant 0,25 à cet endroit. En novembre 1994, vous avez voté un projet de loi permettant de passer de 0,25 à 0,40 sous certaines conditions; M. Barro en était le rapporteur.

Après de longues réflexions, l'exécutif de Vandoeuvres se persuade que cette commune doit faire un effort et participer à la demande générale de mise sur pied de nouveaux logements. Il aura fallu deux essais, et surtout un projet d'implantation attractif correspondant au plan d'aménagement de la commune, pour persuader les conseillers municipaux d'accepter cette dérogation.

Mais lorsque la commune donne enfin un préavis favorable à un ensemble parfaitement légal de constructions en densification de 0,4, vous parlez de «passe-droits», c'est invraisemblable !

Demandez à M. Grobet, qui a très bonne mémoire, s'il était content de l'attitude ferme et toujours négative de la commune au sujet de ce terrain ! Je me souviens de discussions dans son bureau où chacun campait sur sa position. Alors qu'enfin une délibération du Conseil municipal de Vandoeuvres pour un préavis, accordé d'ailleurs du bout des lèvres, permet d'avancer, vous parlez de dérogations, et vous mettez les bâtons dans les roues. C'est le monde à l'envers ! Qui préconisait des dérogations ? (Applaudissements.)

M. Pierre-Alain Champod (S). Le groupe socialiste a pris connaissance avec intérêt du contenu de cette motion. Notre intérêt est d'autant plus grand que le hasard a voulu que cette motion coïncide avec ce que la presse appelle «l'affaire Joye».

Nous ne dirons rien pour ce qui concerne la vie privée du conseiller d'Etat. En revanche, au sujet du bureau d'architectes de M. Joye, nous avons, comme beaucoup dans cette enceinte, un certain nombre de questions et de remarques à formuler, liées au contenu de cette motion. Par ailleurs, le groupe socialiste va proposer un amendement à cette motion. Les quelques remarques que nous souhaitons faire sont les suivantes :

Nous estimons que chacun peut avoir des dettes, surtout à notre époque. Mais s'il n'est pas choquant qu'un conseiller d'Etat en ait, il doit cependant être à l'abri de toute pression. En conséquence, le Conseil d'Etat doit vérifier qu'il ne subit aucune pression de la part de ses créanciers dans l'exercice de son mandat.

La constitution décrit de manière précise les incompatibilités entre les intérêts privés et la fonction de conseiller d'Etat. Elle fixe également un délai de six mois aux conseillers d'Etat pour se décharger de leurs activités privées après leur élection. M. Joye aurait dû remettre son bureau au mois de juin 1994, mais il ne l'a fait que deux ans plus tard. Ce n'est pas normal, et cela suscite d'autant plus de questions que son activité professionnelle se déroule dans le même secteur que le département dont il a la responsabilité.

Cette affaire est grave, mais elle ne concerne pas seulement le conseiller d'Etat Philippe Joye. Le Conseil d'Etat, dans son ensemble, a une responsabilité dans cette affaire. Certes, M. Jean-Philippe Maitre nous a dit tout à l'heure que le Conseil d'Etat s'en était préoccupé. Nous estimons qu'il aurait dû être plus ferme dans ce dossier, et veiller à l'application stricte des règles constitutionnelles.

L'attitude du Conseil d'Etat est d'autant plus surprenante que l'ensemble des conseillers d'Etat appartiennent à l'Entente, avec, de plus, deux représentants du parti démocrate-chrétien. Cela aurait dû faciliter le suivi et le règlement de ce dossier. C'est donc l'ensemble du Conseil d'Etat qui a une responsabilité dans ce dossier.

Notre préoccupation est aussi liée au fait que cette situation contribue à dévaloriser l'image des politiques parmi la population. Elle renforce le sentiment qu'éprouvent de nombreux citoyens, à savoir que les hommes politiques sont plus préoccupés par leurs intérêts que par l'intérêt collectif. Si l'on veut lutter contre l'abstentionnisme et les dérives populistes, il faut que les responsables politiques respectent scrupuleusement les lois.

Nous avons entendu les explications du Conseil d'Etat et nous avons reçu son document. Mais comme nous lisons moins vite que Mme Mottet, nous n'avons pas encore pu nous faire une idée de son contenu. Pour cette raison, nous soutenons la proposition de renvoi en commission, afin que tous ces éléments puissent être étudiés tranquillement.

M. Daniel Ducommun (R). Nous avons entendu - et non pas lu - le message du président du Conseil d'Etat. Nous nous déclarons satisfaits des réponses apportées aux attaques répétées de l'extrême gauche, aussi mon message sera-t-il bref.

Nous approuvons globalement l'action du chef du département des travaux publics et de l'énergie, lequel suit, par ailleurs, la politique du Conseil d'Etat, notamment en ce qui concerne les dérogations.

Après des années de sclérose de développement, nous allons vers une politique d'ouverture et de progrès dans l'aménagement de notre territoire. Des projets importants sont à l'étude, et des réalisations comme l'établissement de Reuters ou la révision de la LDTR sont des références fondamentales pour les intérêts de notre République.

Nous trouvons particulièrement choquant, Monsieur Spielmann, d'une part, l'exposé des motifs, d'autre part, votre intervention sur la violation de la LDTR. Mesdames et Messieurs les députés, il y a d'autres violations beaucoup plus graves ! L'ancien chef du département des travaux publics et de l'énergie a volontairement violé la loi sur les travaux d'utilité publique à plus de cent reprises, entraînant un déficit budgétaire d'environ 200 millions découlant de dérapages successifs et de dépassements incontrôlés. (Exclamations.)

En définitive, tant que chaque parti dans cette enceinte n'aura pas balayé devant sa porte, le groupe radical n'appuiera pas forcément ce type de motions. Mais si le renvoi au Conseil d'Etat peut permettre une totale transparence, nous y adhérons. (Applaudissements.)

M. Christian Grobet (AdG). Monsieur Ducommun, je comprends que l'on tente d'esquiver le débat quand on est gêné par certaines affaires.

Des explications tout à fait claires ont été données à propos de ce que vous appelez des dépassements de crédit. Ces dépassements, qui existaient avant mon entrée au département des travaux publics, existent toujours sous la direction de M. Joye.

Cela dit, ne déviez pas le débat, parce que le problème n'est pas là ! Pour ma part, je tiens à dire que je n'ai jamais confondu mes intérêts privés avec la gestion des affaires publiques.

Madame Hagmann, vous avez fait allusion à un cas tout à fait particulier. Ayant toujours entretenu d'excellentes relations avec vous, je m'étonne de la façon dont vous avez relaté ce dossier. Nous avions approché votre commune, parce que nous jugions que la construction de villas sur la parcelle dont vous avez fait état n'était pas souhaitable. En agissant ainsi, le département des travaux publics répondait à une motion votée par le Grand Conseil, qui voulait la densification des zones à bâtir existantes. Nous vous l'avions expliqué, et vous le saviez.

On parle immanquablement de casernes à la présentation de chaque étude d'aménagement schématique illustrée par des rectangles et, en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'un projet architectural. Nous devions simplement juger de la capacité de densification de cette parcelle en vue d'un projet de modification de zone, le département des travaux publics ayant précisément refusé l'octroi d'une dérogation.

Vous avez honnêtement reconnu que votre commune ne souhaitait pas la densification de cette parcelle, et nous n'avons pas pu vous faire changer d'avis à l'époque. Je me félicite que votre commune voie les choses différemment aujourd'hui.

Par contre, l'acceptation de la densification de ce périmètre devrait passer, comme proposé à l'époque, par une modification de la zone et non par l'octroi d'une dérogation.

La motion n'a pas fait état, Madame, de l'octroi d'une dérogation, mais de la demande d'une dérogation importante sur cette parcelle.

J'en viens au point principal évoqué tout à l'heure, en rapport avec la motion, à savoir la portée à donner à des dérogations. C'est une question importante, parce que, selon la jurisprudence, une dérogation doit être modeste, indépendamment des motivations ayant conduit à son octroi.

M. Maitre a déclaré que le Conseil d'Etat estimait normal de pratiquer une politique plus souple ou plus ouverte - je ne me souviens pas du terme exact - en matière d'extension. Vous me permettrez de ne pas partager ce point de vue, les autorités de recours ayant clairement stipulé que les dérogations devaient rester modestes. Nous continuons à l'affirmer aujourd'hui, et ce ne sont pas les pseudo-statistiques de la note - que certains députés ont eu la chance de lire avant qu'elle ne soit distribuée aux autres - qui nous convaincront.

Il est probable que des recours, concernant notamment la zone villas, aient été rejetés. Ce n'est pas le nombre des recours, qu'ils aient été rejetés ou acceptés, qui est déterminant. En revanche, nous avons à connaître des situations où des dérogations importantes ont été accordées, puis annulées, cela indépendamment des «cas bagatelle», si je puis m'exprimer ainsi.

La vérité est que l'autorité de recours a annulé un certain nombre de dérogations importantes. Que les décisions du département aient été confirmées pour des dérogations modestes ne nous intéresse absolument pas. En revanche, le fait que des dérogations importantes aient été annulées devrait interpeller le Conseil d'Etat sur sa politique actuelle, qu'elle soit correcte ou non. Nous estimons qu'elle ne l'est pas, car susceptible de créer des situations au sujet desquelles les citoyens peuvent s'interroger : pourquoi telle ou telle grande société, comme La Placette par exemple, a-t-elle pu bénéficier d'une dérogation importante ?

M. Bernard Annen. Cela se justifiait au nom de l'emploi.

M. Christian Grobet. On peut tout justifier au nom de l'emploi, Monsieur Annen, on l'a entendu tout à l'heure ! Au nom de l'emploi, chaque conseiller d'Etat pourrait garder son entreprise d'une façon pas forcément conforme aux règles constitutionnelles en matière d'incompatibilité de fonction.

Nous n'acceptons pas que l'on fasse n'importe quoi au nom de l'emploi. Cet argument n'est pas recevable, d'autant que des projets, offrant tout autant de postes de travail, pourraient être réalisés dans le respect de la loi. (L'orateur est interrompu par M. Bernard Annen.) La réalité, et vous le savez bien, c'est que l'on a trop construit pendant certaines années et aujourd'hui, Monsieur Annen, on paie très cher les locaux vides à Genève; les opérations spéculatives aboutissent aux ventes aux enchères annoncées dans la «Feuille d'avis officielle», et c'est cela qui fait mal à l'économie ! C'est votre politique de spéculation foncière qui a conduit les métiers du bâtiment dans la situation où ils se trouvent actuellement. Les spécialistes de la branche en sont parfaitement conscients et peu importe, dès lors, que vous rétorquiez n'importe quoi.

Monsieur Maitre, connaissant vos scrupules en tant que conseiller d'Etat, je m'étonne que vous ayez cru devoir demander une telle note aux collaborateurs du département des travaux publics. Sa rédaction aurait dû être confiée à des gens de l'extérieur. Mais demander cette note précisément aux collaborateurs du département... A votre place, je n'en serais pas fier !

M. Dominique Hausser (S). La déclaration de M. Joye dans le «Journal de Genève» du 8 février n'a pas particulièrement intéressé les socialistes. En revanche, ils ont été surpris d'apprendre, dans ce même journal, que M. Joye détenait les 49% de son ancien bureau d'architectes.

Ils ont été également surpris de l'absence de tout commentaire sur ce point, dans le communiqué de presse du Conseil d'Etat du 12 février, alors qu'aujourd'hui, réagissant probablement à l'article de la «Tribune de Genève», il nous explique, en long et en large, qu'il était au courant de cette opération depuis longtemps.

Depuis plusieurs mois, les socialistes avaient des doutes sur l'utilisation des deniers publics, notamment au travers de mandats confiés à des tiers. Lors de l'examen des comptes 1996, ils avaient décidé d'éplucher l'ensemble de ces mandats, afin d'infirmer ou de confirmer leurs doutes.

Au vu des divers éléments de ces dernières semaines - non-respect de la loi, manque de transparence du Conseil d'Etat sur plusieurs points - et afin de compléter l'excellente proposition de l'Alliance de gauche sur la politique dérogatoire du gouvernement, nous vous proposons d'ajouter l'invite suivante à la motion :

« - à présenter au Grand Conseil, lors de la prochaine séance au plus tard, la liste exhaustive de tous les mandats fournis à des tiers entre le 6 décembre 1993 et ce jour. Cette liste comprendra le but du mandat, la date du mandat, le nom de l'entreprise, les noms des signataires, la liste de tous les sous-traitants éventuels, le montant du mandat, la durée du mandat, un bref descriptif du résultat du mandat. L'ensemble des documents résultant des mandats sera mis à disposition du Grand Conseil. Devront être compris dans cette liste tous les mandats des rubriques budgétaires 318, honoraires et mandats à des tiers du compte de fonctionnement, ainsi que les études et mandats inscrits au compte d'investissement (par exemple : 51010050801, préétudes, 53010051871, réseau TPG, 54020050812 ?, 55100050808, barrage Rhône, 55100050897, traversée rade.)»

La mise à plat de ces mandats assurera une totale transparence. Elle permettra, comme je viens de le dire, d'infirmer ou de confirmer nos doutes.

Il est important de la faire aujourd'hui, sinon nous y procéderons en détail lors de l'examen des comptes.

Pour assurer la transparence que vous semblez souhaiter, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, il serait de bon ton d'accepter notre proposition d'amendement.

M. Claude Blanc (PDC). Il est évidemment facile, à défaut d'être courageux, de tirer sur une ambulance... (Rires.) ...et de profiter de la situation difficile dans laquelle se trouve M. le conseiller d'Etat Joye, pour d'autres raisons, pour essayer de lui mettre la tête sous l'eau.

Je ne vais pas me livrer à un plaidoyer en faveur de M. Joye, car vous me trouverez sûrement trop proche de lui pour le faire.

Je n'ai pas encore lu la note du Conseil d'Etat que je viens de recevoir comme vous tous, mais j'ai entendu, avec intérêt, les déclarations de son président.

Je suis en mesure de vous dire que nous accepterons cette motion pour que cette note et les informations verbales de M. Maitre soient intégrées au rapport que le Conseil d'Etat nous rendra. Ainsi, rien ne restera dans l'ombre, car nous avons intérêt, tout comme vous, à ce que les choses soient dites, et il n'y a pas de raison à ce que nous en cachions. Voilà pour la politique dérogatoire !

En ce qui concerne les dispositions constitutionnelles qui, nous l'admettons, n'ont pas été respectées à la lettre, j'ai eu l'occasion d'en parler avec M. Joye qui m'avait confié les difficultés qu'il avait à remettre son affaire et celles, plus grandes encore, qu'il avait à la liquider et, par conséquent, à mettre son personnel au chômage.

On peut penser ce qu'on veut de cette réaction, mais on n'y décèle aucune volonté de violer la loi. En revanche, elle peut révéler une certaine maladresse dans la façon de vouloir éviter un plus grand désastre. Nous devons donc accepter que toute la lumière soit faite.

J'en viens à l'amendement de M. Hausser qui demande la soumission, à partir du 6 décembre 1993, de tous les mandats accordés par le département des travaux publics. Je pense, pour ma part, qu'il faut faire toute la lumière sur la politique constante du département depuis un certain nombre d'années, afin de savoir qui a fait quoi, qui a fait plus que l'autre, qui a fait moins que l'autre.

C'est pourquoi je présente un contre-amendement qui consiste à remplacer «...le 6 décembre 1993 et ce jour.» par :

«...dès décembre 1981 à ce jour.»

Ainsi, nous saurons tout. Je ne porte aucun jugement sur personne. J'attends la vérité sur tout ce qui s'est passé et je n'en ai pas peur.

La présidente. Veuillez me faire parvenir votre amendement, Monsieur le député.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Dans certains milieux, il est de bon ton, lorsqu'on évoque la participation aux charges publiques d'une personnalité issue des milieux économiques de la cité, de la suspecter d'office de malhonnêteté, de prévarication ou de toute autre forme de trafic d'influences. Cette approche foule aux pieds la présomption d'innocence qui constitue la garantie... (Brouhaha.)

La présidente. Silence, s'il vous plaît ! (Remarques.) Non, pas de remarques... On écoute !

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. ...de toute procédure digne de ce nom. Elle fait injure aux principes de l'Etat démocratique dont se réclament les motionnaires. Il n'est pas correct de procéder de cette manière à l'égard des citoyens qui se trouvent dans des entreprises et sur l'engagement desquels on s'ingénie à répandre un parfum de scandale dès qu'ils passent à la gestion des affaires publiques, comme si l'exercice des responsabilités publiques devait être l'apanage d'une élite qui joue d'autres rôles dans la cité.

D'autres nations que la Suisse ont une grande expérience dans ce domaine. Elles ont compris l'intérêt de faire bénéficier les institutions publiques du savoir-faire et de l'expérience de personnes travaillant dans le secteur privé. Ces personnes deviennent ministres, conseillers de présidents au service de l'Etat, pour des périodes de quelques années. Cette mobilité Etat/privé est appréciée. Des P.D.G. de sociétés - Ford, ITT - sont engagés pour remplir des fonctions dans lesquelles ils font autorité : portefeuilles de l'industrie, du commerce, des finances, plutôt qu'à des postes pour lesquels ils ne seraient pas utilisés au maximum de leurs compétences.

Je ne commettrai pas l'erreur d'attaquer les représentants de certains milieux associatifs bien connus, qui se font les apôtres d'une sorte de pensée unique en matière de sauvegarde du patrimoine, de protection de l'habitat, de défense de l'environnement, et cela souvent, malheureusement, à des fins d'exploitation très politicienne...

Je vous donne trois chiffres concernant la zone agricole.

En 1996, le département a délivré cent vingt-sept autorisations de construire en zone agricole, sur un nombre global d'environ deux mille sept cent quarante-huit demandes.

Seuls vingt-deux recours ont été interjetés auprès des autorités compétentes. Il faut d'ailleurs noter qu'un seul - un seul ! - de ces recours émanait des milieux agricoles, ce qui montre que ces derniers ne s'opposent pas à la politique menée par le département dans la zone qui constitue leur outil de travail. Sur les vingt-deux recours évoqués ci-dessus - pour l'année 1996, toujours - sept n'ont pas été tranchés par l'autorité de recours; cinq ont été retirés en cours de procédure; cinq ont été écartés par l'autorité de recours qui a donc confirmé l'autorisation délivrée; un a été admis partiellement et quatre entièrement : l'autorisation a donc été annulée.

Les retraits en cours de procédure se font le plus souvent dans des conditions très curieuses. Tout d'un coup, on entend dire que telle ou telle association retire son recours, alors qu'en fait elle a négocié directement avec le demandeur...

Autre renseignement intéressant s'agissant de la LDTR : nous avons délivré cent soixante-six autorisations de construire LDTR en 1996. Sur la base d'un relevé établi par mes services, sur une cinquantaine de recours interjetés en 1996 en matière de LDTR, quarante-trois l'ont été par l'Asloca, agissant pour son propre compte, c'est-à-dire sans aucun mandat des locataires concernés qui avaient accepté les plans financiers.

Une voix. Bravo ! (Rires et remarques.)

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je terminerai ces citations en disant que dans le même ordre d'idée, il est piquant de lire sous la plume du Tribunal administratif que : «...dans une affaire de construction intéressant une parcelle classée à Lancy, Action patrimoine vivant avait commis un abus de droit manifeste en feignant d'ignorer l'existence d'un arrêté du Conseil d'Etat.» Je cite toujours : «Action patrimoine vivant ne pouvait pas ne pas savoir que les travaux projetés concernaient un objet classé si tant est que parmi ses membres, et plus particulièrement les membres de son comité, il en est un, et non pas des moins bien versés aux arcanes de la procédure en matière de construction, qui a eu personnellement connaissance de ce dossier pour l'avoir suivi dans un premier temps dans l'exercice de ses fonctions de chef du DTPE, puis en qualité, pour le surplus, de conseiller juridique spécialisé de l'une des parties à la procédure contentieuse ayant suivi la délivrance de l'autorisation de construire.»

Une voix. C'est qui ?

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Eh bien, Mesdames et Messieurs, ces mêmes milieux me font un mauvais procès en m'accusant avec la plus parfaite mauvaise foi, la plus grande incorrection intellectuelle, d'avoir bradé l'intérêt général en accordant prétendument des faveurs illégales aux plus puissants ou à certaines de mes connaissances !

Je ne répondrai pas à de telles allégations qui ne peuvent que discréditer leurs auteurs. Pour ma part, je préfère vous renvoyer au rapport du Conseil d'Etat que nous tenons à votre disposition; il démontre le caractère calomnieux des griefs que vous croyez pouvoir m'adresser !

En conclusion, mes collaborateurs et collaboratrices ont été très choqués des accusations sous-jacentes contenues dans cette motion, qui met également en cause leur travail qu'ils ont toujours effectué au plus près de leur conscience. Les accusations concernant la notion de «dérogation» sont particulièrement malvenues, puisque, précisément, ce sont mes collaborateurs et mes juristes - tous nommés par M. Grobet - qui me font les propositions concernant la définition de la limite entre une dérogation correcte et une dérogation incorrecte !

Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Jean Spielmann (AdG). Plusieurs questions ont été posées et les réponses données étaient souvent à côté ou hors sujet desdites questions.

Prenons pour exemple le statut du bureau de M. Joye. A aucun moment, nous n'avons dit que ce bureau devait être vendu et que M. Joye devait s'en dessaisir. Nous savons pertinemment que des conseillers d'Etat, avant M. Joye, et des membres du parlement ont gardé soit leur entreprise, soit leur cabinet d'avocats, voire leur bureau d'architectes. Pourquoi pas ?

Aucune raison ne motivait la vente du bureau de M. Joye. Le problème n'est pas là. Vous répondez volontairement à côté des questions que nous posons. Notre question de fond n'est pas celle à laquelle vous avez répondu.

Nos interrogations précises portaient sur le mélange des intérêts et les problèmes soulevés par certains événements. Elles n'ont pas obtenu les réponses qu'elles méritaient, et nous espérons bien les recevoir en commission.

La question n'est donc pas que M. Joye ait ou pas son bureau. La question est qu'il continue à y travailler, que certains problèmes sont liés à la sous-traitance auprès d'autres architectes et aux dérogations qui reviennent, via d'autres bureaux, à celui de M. Joye.

Nous n'accusons personne et ne confirmons pas les faits avancés dans la presse. Nous posons des questions et vous auriez intérêt à y répondre clairement.

Je répète les questions que nous avons posées... (L'orateur est interrompu.) Vous n'êtes pas sourds, mais vous n'écoutez pas ! D'où notre intérêt à formuler à nouveau nos interrogations, de manière que tout soit clair et que l'on n'ait pas l'impression que vos applaudissements recouvrent votre désarroi, votre manque d'arguments, et fassent que l'on ne comprenne pas les motivations de nos questions, la première étant la plus importante.

1. Nous avons lu, dans la presse : «Est-ce que M. Joye continue à travailler pour son bureau ? A-t-il, oui ou non, signé d'autres lettres ou d'autres documents de son bureau que la lettre publiée dans la presse, ces dernières semaines ?». Voilà une question précise restée sans réponse !

2. Le bureau de M. Joye bénéficie-t-il ou a-t-il bénéficié, oui ou non, de travaux en sous-traitance de la part d'autres architectes ?

3. Si oui, lesquels ? Vous savez à quel dossier nous faisons allusion et quels problèmes il recouvre.

4. Qui est le propriétaire des actions ?

Encore une fois, il n'y a pas de problème si M. Joye ne travaille pas dans son bureau. Il peut le garder et le faire prospérer pour autant qu'il n'y ait pas intervention et mélange des différentes activités.

Ces questions sont liées aux cinq autres posées au cours de ma précédente intervention. Elles auraient dû intéresser ce Grand Conseil qui ne cesse de préconiser l'allégement des procédures administratives pour favoriser le développement. Nous avons ici - et nous sommes prêts à les fournir - une dizaine d'arrêtés d'organes de recours et de tribunaux qui ont déclaré illégales un certain nombre de décisions prises par le Conseil d'Etat et le département des travaux publics en matière de dérogations. Certaines d'entre elles, comme je l'ai déjà dit, permettaient à des entreprises non seulement de réaliser et de construire, mais d'augmenter les surfaces disponibles.

Vous avez deux possibilités : celle de dévier le débat et de répondre «à côté de la plaque», comme vous l'avez fait tout à l'heure, et celle de rendre les faits transparents.

Dans l'intérêt de tous et de chacun, il vaudrait mieux opter pour la transparence et tirer les conclusions des actions qui ont été conduites.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion en commission est rejetée.

M. Jean Spielmann (AdG). Pour que les choses soient claires, j'ai ajouté cinq questions à celles contenues dans la motion. Je les formule sous forme d'amendements qui sont rédigés et joints à la motion. J'ajoute à l'amendement très pertinent de M. Blanc sur l'ensemble de la recherche des dossiers - cela semble si facile de remonter dans le temps - la date de 1971, qui me semble être une bonne mesure.

La présidente. Le premier amendement consiste à modifier l'invite.

Mme Geneviève Mottet-Durand (L). Etant donné l'amendement proposé par M. Dominique Hausser, qui est une nouvelle invite amendée par M. Blanc, je vous propose de voter cette proposition d'amendement en premier lieu, auquel cas je retirerai mon amendement.

La présidente. Nous passons à l'amendement proposant une nouvelle invite. Cette nouvelle invite est sujette à deux amendements. Elle est sur vos tables. Les sous-amendements concernent des dates. Mais, en fait, Madame Mottet-Durand, cette manière de procéder n'est pas très logique. En effet, il convient de voter le texte pour savoir si l'on modifie la date ou non.

M. Claude Blanc (PDC). Oui, Madame la présidente, il convient de voter les amendements avant de voter le texte, car on ne peut pas voter le texte et l'amender ensuite.

Mon contre-amendement comprend la date de 1981, tandis que celui que M. Spielmann vient de signaler comprend celle de 1971; cela fait 26 ans ! Monsieur Spielmann, vous voulez le résultat de ce travail pour la prochaine séance du Grand Conseil. Soyez un peu raisonnable ! Si vous demandez des recherches sur 26 ans, ayez la décence de rallonger le délai ! Sans compter qu'en 26 ans il y a largement prescription, tandis qu'à partir de 1981, ce n'est pas sûr.

La présidente. Je mets aux voix le sous-amendement de M. Spielmann qui consiste à prendre le texte proposé par M. Hausser et modifier la date, en remplaçant «...entre le 6 décembre 1993 à ce jour.» par :

«...entre le 6 décembre 1971 et ce jour.»

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Pour faire ce genre de travail, il nous faudra des mois et du personnel. Je ferai une évaluation et vous demanderai de voter le crédit complémentaire à ce sujet.

Mis aux voix, ce sous-amendement est rejeté.

La présidente. Je mets aux voix le premier sous-amendement de M. Blanc consistant à remplacer «...entre le 6 décembre 1993 et ce jour.» par :

«...dès décembre 1981 à ce jour.»

M. Jean Spielmann (AdG). Vous savez mon souci d'écouter les arguments des autres... (Rires.) ...et d'en tenir compte dans l'évaluation...

La présidente. Ne faites pas ce que vous reprochez à d'autres !

M. Jean Spielmann. Je désire demander à M. Joye s'il peut présenter cette étude sans crédit complémentaire et sans engager de personnel !

La présidente. Nous revenons au vote du sous-amendement de M. Blanc.

Mis aux voix, ce sous-amendement est adopté.

La présidente. En conséquence, Monsieur Hausser, votre texte avec la date proposée par M. Blanc dans son sous-amendement est accepté, soit :

« - à présenter au Grand Conseil, lors de la prochaine séance au plus tard, la liste exhaustive de tous les mandats fournis à des tiers dès décembre 1981 à ce jour. Cette liste comprendra le but du mandat, la date du mandat, le nom de l'entreprise, les noms des signataires, la liste de tous les sous-traitants éventuels, le montant du mandat, la durée du mandat, un bref descriptif du résultat du mandat. L'ensemble des documents résultant des mandats sera mis à disposition du Grand Conseil. Devront être compris dans cette liste tous les mandats des rubriques budgétaires 318, honoraires et mandats à des tiers du compte de fonctionnement, ainsi que les études et mandats inscrits au compte d'investissement (par exemple : 51010050801, préétudes, 53010051871, réseau TPG, 54020050812 ?, 55100050808, barrage Rhône, 55100050897, traversée rade.)»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mme Geneviève Mottet-Durand (L). Je retire mon amendement.

La présidente. Je mets aux voix la première invite complémentaire de M. Spielmann, dont la teneur est la suivante :

«- à faire rapport sur les questions suivantes :

1) quel est le statut actuel du bureau de M. Joye et depuis quand ce statut a-t-il été mis en place ?»

Mis aux voix, cet amendement est adopté. (Brouhaha.)

La présidente. La réponse a été donnée : en juillet et août de l'année dernière ! Je mets aux voix la seconde invite complémentaire de M. Spielmann, qui se lit ainsi :

«2) qui est le propriétaire économique des actions de la SA qui semble avoir été créée, notamment le propriétaire des actions confiées à titre fiduciaire semble-t-il à une tierce personne ?»

Mis aux voix, cet amendement est adopté. (Brouhaha et exclamations.)

La présidente. Mais oui, c'est accepté ! Je mets aux voix la troisième invite complémentaire de M. Spielmann. Je vous la lis :

«3) M. Joye a-t-il agi pour le compte de son bureau après le délai de six mois, suite à son élection, au terme duquel il ne devait plus s'occuper de son bureau ?»

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 40 non contre 39 oui. (Applaudissements sur les bancs de la droite.)

M. Jean Spielmann (AdG). Je désire poser une question. M. Ducret, assis ici et qui vient de voter est-il, oui ou non, le mandataire de M. Joye ?

Une voix. Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

M. Jean Spielmann. Certaines limites, quant aux intérêts personnels des députés, doivent être respectées au moment du vote !

Une voix. Répondez, Monsieur Ducret ! Etes-vous le mandataire de M. Joye ?

La présidente. Vous demandez l'application de l'article 24 ?

M. Jean Spielmann. Oui, Madame la présidente !

Une voix. On veut une réponse. Cela suffit, il y a des limites !

La présidente. Monsieur Annen, demandez la parole et cessez de crier !

M. Hervé Burdet (L). Madame la présidente, je vous demande respectueusement de faire voter une seconde fois le premier et le deuxième amendement.

La présidente. Monsieur le député, ces votes étaient clairs. J'ai entériné ! (Bruit et sifflements.)

M. John Dupraz (R). Nous sommes en démocratie, Madame la présidente. Vous devez faire voter une seconde fois !

La présidente. Donc vous n'avez pas confiance en votre présidente !

M. John Dupraz. Absolument pas !

Une voix. Vieille gerce !

La présidente. Je maintiens ma décision, car le vote était tout à fait clair et je refuse de revenir sur le résultat. Si vous n'êtes pas d'accord, vous ouvrirez des procédures. (Applaudissements.)

M. Jean Spielmann (AdG). Tout à l'heure, j'ai posé une question qui est restée sans réponse. Je me permets donc de la préciser, afin qu'elle soit bien comprise par tous. Madame la présidente, il existe un article 26, je crois...

La présidente. 24 !

M. Jean Spielmann. ...qui prévoit que les députés ont certaines obligations selon les cas. M. Ducret n'a pas répondu à ma question que je me permets de préciser : Monsieur Ducret, êtes-vous, oui ou non, le rédacteur des statuts de la société anonyme de M. Joye ? Je désire que ma question obtienne une réponse. Madame la présidente, en fonction de la réponse de M. Ducret, je vous demande d'appliquer le règlement du Grand Conseil.

La présidente. Il n'y a pas de question à poser aux députés. Je vais lire l'article 24 et les personnes se sentant concernées seront priées de s'abstenir à l'avenir :

«Dans les séances du Grand Conseil et des commissions, les députés qui, pour eux-mêmes, leurs ascendants, descendants, frères, soeurs, conjoint ou alliés au même degré, ont un intérêt personnel direct à l'objet soumis à la discussion, ne peuvent intervenir ni voter, à l'exception du budget et des comptes rendus pris dans leur ensemble.» Je rends attentifs tous les députés à ce règlement.

Je remets au vote par assis et levé la troisième invite complémentaire de M. Spielmann. Oui, Monsieur Blanc ?

M. Claude Blanc (PDC). L'amendement, dont il est question, est la demande précise de savoir si M. Joye a continué à exercer son activité d'architecte, après avoir été élu conseiller d'Etat. C'est bien cela ?

La présidente. Tout à fait !

M. Claude Blanc. Je ne vois pas le rapport avec la personne qui aurait pu rédiger les statuts de la société anonyme créée par après.

La présidente. C'est pourquoi j'ai rendu attentifs tous les députés. Le vote aurait peut-être pu être identique. Je ne suis pas juge, mais présidente. Le vote est donc acquis.

Je mets aux voix la quatrième invite complémentaire de M. Spielmann, dont la teneur est la suivante :

«4) a-t-il signé d'autre lettre ou document de son bureau que celles publiées dans la presse ces dernières semaines ?»

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est adopté par 40 oui contre 28 non.

La présidente. Je mets aux voix la cinquième invite complémentaire de M. Spielmann, que je vous lis :

«5) le bureau de M. Joye a-t-il bénéficié de travaux en sous-traitance d'autres bureaux d'architectes, si oui lesquels ?»

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est adopté par 40 oui contre 27 non.

La présidente. Je mets aux voix la proposition de motion ainsi amendée. Je prie les députés qui acceptent la motion dans son ensemble de bien vouloir se lever.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette motion ainsi amendée est adoptée par 68 voix.

Elle est ainsi conçue :

motion

sur le nombre important de dérogations et de passe-droits consentispar le département des travaux publics et de l'énergie

LE GRAND CONSEIL,

vu le nombre important de dérogations et de passe-droits consentis par le département des travaux publics et de l'énergie (DTPE),

invite le Conseil d'Etat

 à lui présenter un rapport sur la politique dérogatoire du DTPE;

 à présenter au Grand Conseil, lors de la prochaine séance au plus tard, la liste exhaustive de tous les mandats fournis à des tiers dès décembre 1981 à ce jour. Cette liste comprendra le but du mandat, la date du mandat, le nom de l'entreprise, les noms des signataires, la liste de tous les sous-traitants éventuels, le montant du mandat, la durée du mandat, un bref descriptif du résultat du mandat. L'ensemble des documents résultant des mandats sera mis à disposition du Grand Conseil. Devront être compris dans cette liste tous les mandats des rubriques budgétaires 318, honoraires et mandats à des tiers du compte de fonctionnement, ainsi que les études et mandats inscrits au compte d'investissement (par exemple : 51010050801, préétudes, 53010051871, réseau TPG, 54020050812 ?, 55100050808, barrage Rhône, 55100050897, traversée rade.)

 à faire rapport sur les questions suivantes :

 1) quel est le statut actuel du bureau de M. Joye et depuis quand ce statut a-t-il été mis en place ?

 2) qui est le propriétaire économique des actions de la SA qui semble avoir été créée, notamment le propriétaire des actions confiées à titre fiduciaire semble-t-il à une tierce personne ?

 3) a-t-il signé d'autre lettre ou document de son bureau que celles publiées dans la presse ces dernières semaines ?

 4) le bureau de M. Joye a-t-il bénéficié de travaux en sous-traitance d'autres bureaux d'architectes, si oui lesquels ?

 

La séance est levée à 23 h 15.