Séance du
jeudi 12 décembre 1996 à
17h
53e
législature -
4e
année -
1re
session -
52e
séance
PL 7438-A
Sous la présidence de notre collègue Bernard Lescaze et en présence de M. Bernard Duport, secrétaire adjoint du département de justice et police et des transports, la commission judiciaire a étudié le projet de loi 7438, déposé par un représentant de chaque groupe politique et visant à modifier la loi de procédure civile (droit de l'enfant à être entendu) lors de ses séances du 26 septembre, ainsi que le 3 et le 10 octobre 1996.
Tout au long de ses travaux, la commission a pu bénéficier de la présence, à titre d'expert, de Mme Fabienne Proz Jeanneret, juge au Tribunal tutélaire.
Préambule
Rarement un sujet a permis tant que celui-ci un débat serein, constructif et, oserai-je le dire, hors de tout clivage politique.
Tant lors des auditions auxquelles la commission a procédé que lors des débats, une volonté s'est dégagée pour faire aboutir rapidement ce projet et même l'améliorer.
Cette volonté n'est pas due au hasard, elle est sans doute liée à l'insatisfaction que procure à plusieurs d'entre nous la lenteur avec laquelle les Chambres fédérales traitent le dossier de la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant.
(Il n'est pas inutile de rappeler à cet égard que déjà 188 Etats sont liés par ce traité et que la Suisse reste l'un des rares pays, en compagnie des Etats-Unis, de la Somalie, des Emirats arabes et d'Oman à ne l'avoir pas encore ratifié.)
Et puis, et surtout, cet empressement à traiter et à voir aboutir ce projet de loi découle d'une évolution sensible des moeurs. Le droit de l'enfant à être entendu lors de procédures judiciaires n'aurait sans doute guère trouvé de défenseurs, en d'autres temps.
Ces dernières années, en effet, l'enfant a changé, ou plutôt le regard que porte l'adulte sur l'enfant s'est modifié. On le considère maintenant davantage comme une personne, on lui reconnaît des droits et des devoirs. On lui demande son avis et, dans la mesure du possible, on en tient compte. L'intérêt de l'enfant est enfin pris en considération. Cette évolution est salutaire, si on la garde dans de justes proportions. L'enfant est et doit rester un enfant. Il doit être protégé. Pensons un instant à ces enfants du tiers monde devenus grands trop vite, travaillant dans les usines ou dans les champs dès l'âge de 4 ans ou, pire encore, livrés à l'ignominie de l'adulte.
Dans notre civilisation, à vouloir trop protéger l'enfant, on en a oublié de l'écouter. Et bien des enfants souffrent de n'avoir ce droit à la parole.
Leur permettre d'être entendus dans une procédure de divorce où leur avenir va être débattu, décidé, est un pas très important allant dans le sens d'une réelle reconnaissance. Rencontrer le juge qui décidera, qui tranchera, pouvoir mettre un visage sur celle ou celui qui aura décidé de son avenir.
Les magistrats rencontrés lors de nos travaux sont unanimes sur le bien- fondé de cette démarche. Ils la souhaitent, l'appuient, avec eux les pédiatres, les assistants sociaux, les avocats. Tout le monde semble désormais persuadé que les enfants doivent avoir des droits et que ceux-ci doivent être inscrits. On peut alors se demander pourquoi notre pays reste lanterne rouge lorsqu'il s'agit de ratifier la Convention. Il m'a paru important de faire le point de la situation dans ce domaine, si étroitement lié au projet de loi traité.
Ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant. Où en est-on?
Les 5 et 6 juin 1996, le Conseil des Etats s'est enfin penché sur la ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (ci-après Convention), qui a finalement été acquise par 37 voix contre 1.
Celle-ci est, malheureusement, assortie de plusieurs réserves, au nombre de cinq qui concernent :
1. le droit à l'acquisition de la nationalité suisse;
2. la question du regroupement familial pour les enfants de travailleurs étrangers;
3. la séparation des mineurs et des adultes détenus;
4. la procédure pénale applicable aux mineurs (octroi de l'assistance juridique gratuite et des services gratuits d'un interprète);
5. la législation suisse concernant l'autorité parentale demeure réservée.
La dernière réserve a toutefois été rejetée largement par la commission des affaires juridiques du Conseil national, puis par le Conseil national lui-même.
En effet, c'est le 1er octobre que l'on a débattu des droits de l'enfant et la Chambre du Peuple a approuvé par 116 voix contre 46 la ratification de la Convention assortie des quatre réserves mentionnées plus haut. Les deux Chambres ayant refusé d'introduire la possibilité de référendum facultatif proposée par l'extrême droite du Parlement, la ratification de la Convention ne sera pas soumise au peuple. Elle sera à nouveau discutée, et l'on espère cette fois-ci ratifiée lors de la session de décembre des Chambres fédérales. Il est à noter que certaines réserves, incompatibles d'ailleurs avec le droit européen, notamment la question du regroupement familial, pourraient être résolues par l'abandon du statut de saisonnier.
Travaux de la commission
Afin d'avoir une vision globale sur le sujet, la commission a procédé à un nombre important d'auditions. Les compléments d'information ont été donnés par Mme Fabienne Proz Jeanneret.
1. Mme Marie-Françoise Lücker-Babel, juriste à l'association «Défense des Enfants International» est l'une des auteurs avec les députés du projet de loi
Mme Lücker-Babel est sûrement la personne la mieux placée pour parler de ce projet, de par son activité professionnelle qui couvre notamment la Convention dont il est largement fait référence dans ce rapport. Elle est également l'auteure d'un livre intitulé Ecoute et participation de l'enfant.
Elle présente ce projet de loi comme étant le résultat d'un long travail de mûrissement auquel ont participé des associations (Bureau central d'aide social, Défense des Enfants International), des magistrats et finalement des députés.
Elle rappelle que la Convention traite en particulier du droit de l'enfant à être entendu dans ses articles 9 (paragraphe 2) et 12. Elle met également en parallèle le nouveau droit du divorce.
Pour Mme Lücker-Babel, l'enfant doit se voir reconnaître le droit d'être entendu et de s'exprimer librement. Il faut donc créer «un espace» qui le lui permette. Elle remarque que le projet laisse le choix au juge d'entendre l'enfant ou non et qu'il est de ce fait en retrait par rapport à la Convention et au droit en vigueur en France et en Belgique notamment où l'enfant a la possibilité de demander à être entendu, mais du fait qu'il constitue déjà un gros effort par rapport à la législation actuelle, il se doit d'être soutenu.
Concernant les modalités de ce droit, Mme Lücker-Babel estime indispensable qu'il soit exercé hors de la présence des parents et juge préférable qu'il ne soit pas tenu de procès-verbal contenant les déclarations de l'enfant.
S'agissant de l'âge à partir duquel les enfants devraient être entendus, elle estime qu'il est indispensable de ne pas en fixer, compte tenu du fait que le projet prévoit expressément le concours d'un «spécialiste» (psychiatre, pédopsychiatre), lequel pourra donner des indications très importantes sur ce que ressent l'enfant, et aider à comprendre son langage. Le degré de maturité de l'enfant semble, en outre, plus approprié comme critère. La capacité des juges à écouter et à comprendre l'enfant sera déterminante et Mme Lücker-Babel serait favorable, comme les autres personnes auditionnées d'ailleurs, à ce que ceux-ci reçoivent une formation adéquate.
2. M. Daniel Halpérin, médecin adjoint responsable de l'unité des urgences médico-chirurgicales pédiatriques.
Le Dr Halpérin estime ce projet tout à fait opportun, le situant dans le droit fil de la réforme du droit du divorce, ainsi que dans l'évolution sociale actuelle. L'idée que l'enfant soit un sujet de droits et dispose du droit d'être entendu lui apparaît fondamentale. Il précise tout de même que, n'ayant aucun recul sur la disposition permettant à l'enfant d'être entendu lors de procédures judiciaires, il ne peut être formel au sujet du résultat. Il attire particulièrement l'attention des députés sur les mesures de protection qu'il conviendra d'adopter.
D'une part la formation des juges, mais aussi et surtout «l'importance d'être très attentif à la qualité de l'écoute et de veiller à ce que l'enfant ne puisse porter le poids de la responsabilité de ses déclarations», faute de quoi les dommages pourraient être bien supérieurs aux bienfaits. Il rappelle également que l'enfant doit avoir le droit de ne pas s'exprimer et que le recours à l'audition de l'enfant ne doit pas être systématique, mais que c'est plutôt au juge de se rendre compte si les intérêts d'un enfant ne sont pas bien défendus et à ce moment de procéder à son audition. Il est en outre favorable à l'accompagnement de l'enfant par une personne en qui il aurait confiance, son pédiatre, son enseignant. Il faut éviter à tout prix que l'enfant soit la victime ou l'otage du conflit de ses parents. L'expérience du Dr Halpérin dans les cas de maltraitance infantile l'incite à mettre l'accent sur les risques pour l'enfant d'être manipulé par l'un ou l'autre des parents ou les deux. Il estime tout de même que ce projet ne devrait pas être remis à plus tard; qu'il convient de voter cette loi et d'en faire son apprentissage en prenant les précautions énumérées. Il signale en conclusion la récente diffusion d'un travail de diplôme intitulé «L'intérêt supérieur de l'enfant et le divorce», ce travail offrant quelques pistes de travail intéressantes.
3. Mme Brigitte Sambeth Glasner, juriste, vice-présidente de Juris Conseil Junior
Après avoir rappelé les activités de Juris Conseil Junior, association créée il y a un an dont le but est de rendre plus facile l'accès des enfants et des adolescents au droit, Mme Sambeth Glasner constate elle aussi que ce projet apparaît impératif. Faisant référence, notamment et comme d'autres avant elle, à un arrêt du Tribunal fédéral rendu en mars de cette année où celui-ci a jugé que l'audition d'un enfant en l'absence de ses parents et de leurs représentants ne portait pas atteinte au droit d'être entendu des autres parties, et était possible à défaut d'être prévu par le droit cantonal (arrêt du Tribunal fédéral du 20 mars 1996 en la cause M.X c/ T.X., disponible en allemand auprès de la chancellerie).
Elle estime toutefois ce projet un peu trop timide, il conviendrait d'aller plus loin que le texte actuel et de prévoir que le juge entende l'enfant lorsque l'intérêt de ce dernier l'exige. Mme Sambeth Glasner cite les paroles du président de la Cour d'appel de Lyon: «Il est important que l'enfant sache qui est le juge et qu'il ait un contact direct avec celui-ci. Le traumatisme pour l'enfant est de ne pas savoir qui est ce juge qui prend la décision; la maltraitance est de ne pas laisser l'enfant participer à la procédure et de ne pas l'informer de l'issue de la procédure.»
S'agissant de l'éventuelle tenue d'un procès-verbal, Mme Sambeth Glasner estime que, si le juge tient compte de la déclaration de l'enfant, il est impératif que les parties aient accès à un résumé. Toutefois, un procès-verbal «mot pour mot» ne lui paraît pas adéquat.
4. Mmes Jacqueline Horneffer et Colette Degrange, du service de protection de la jeunesse
Le service de protection de la jeunesse entend des enfants depuis plusieurs années dans le cadre des évaluations rendues aux tribunaux. Le service de protection de la jeunesse est systématiquement interpellé lorsqu'une demande de divorce impliquant un enfant est déposée au Tribunal de première instance. L'enfant n'est pas systématiquement convoqué, mais les parents le sont. Toutefois, si un enfant est entendu, une synthèse de ses déclarations est remise au juge.
Mme Horneffer, tout en semblant convaincue que le droit de l'enfant à être entendu fait partie d'une évolution inéluctable, paraît tout de même assez inquiète quant aux modalités de cette audition et au poids que celle-ci pourrait faire porter à l'enfant. Avec sa collègue, elle se pose la question du rôle de la protection de la jeunesse dans cette nouvelle disposition. L'enfant aura-t-il le droit de revoir le juge s'il le souhaite ou de revenir au service de protection de la jeunesse? Toutes ces interrogations restent pour l'instant sans réponse précise, seule l'application de la loi permettra d'y répondre.
5. Mme Renée Pfister-Liechti, juge à la Cour de justice
Mme Pfister-Liechti pense que la moitié du problème soulevé par ce projet de loi a été résolue par l'arrêt du Tribunal fédéral du printemps 1996 et que le moment est opportun d'adapter la loi cantonale genevoise à cette ouverture. Elle constate elle aussi que le projet est plus restrictif quel'article 12 de la Convention et qu'il conviendrait sans doute d'aller un peu plus loin.
Elle a, elle-même, été confrontée plus d'une fois à des demandes d'auditions de la part d'enfants et a été contrainte, à regret, de les refuser.
Sur le point délicat de la tenue d'un procès-verbal, Mme Pfister-Liechti voit mal qu'il soit renoncé à toute trace de l'audition. En matière civile, le procès-verbal est dicté en présence des parties, qui peuvent, le cas échéant, demander des rectifications. Il convient toutefois de ne pas assimiler le procès-verbal de l'audition d'un enfant à celui d'un adulte. Le juge peut estimer nécessaire de ne pas faire apparaître certaines confidences de l'enfant. De toute évidence, elle préfère un résumé à un procès-verbal «mot à mot».
S'agissant de l'accompagnement de l'enfant par un «spécialiste», Mme Pfister-Liechti semble pencher pour le face-à-face du juge avec l'enfant. Elle observe que l'enfant qui demande sa propre audition donne l'impression qu'il assumera sa démarche. De plus, le rapport d'évaluation du service de protection de la jeunesse offre également des indications précieuses sur la situation de l'enfant. Une seconde audition ou une audition en fin de procédure afin de communiquer à l'enfant la décision ne lui semble pas adéquate, mais plutôt de nature à trop responsabiliser l'enfant, voire à le déstabiliser.
Mme Pfister-Liechti à l'instar de ses préopinants se déclare favorable à une formation des juges, mais insiste toutefois sur le fait que la mise sur pied d'une telle formation devrait être indépendante de l'entrée en vigueur de ce projet de loi, afin de ne pas la retarder.
6. Compléments apportés par Mme Fabienne Proz Jeanneret, juge au Tribunal tutélaire
En complément aux différentes auditions, Mme Proz Jeanneret donne son soutien à l'adoption de ce projet de loi dans les meilleurs délais. Elle ajoute qu'il existe à l'heure actuelle, dans la loi genevoise, une discrimination entre les enfants nés hors mariage et ceux issus de couples mariés. Le Tribunal tutélaire a le droit d'entendre les enfants, contrairement au Tribunal de première instance, dans le cadre des procédures de divorce ou de séparation de corps (art. 307 et suivants CCS).
Il est essentiel, à son avis, de différencier le droit d'entendre l'enfant et le fait de suivre l'avis de l'enfant. L'audition d'un enfant doit rester un élément de la procédure, permettant au juge de se forger une conviction.
Concernant l'âge, Mme Proz Jeanneret pense également qu'il ne faut pas émettre de restrictions, mais que, dès l'âge de 12 ans environ, le témoignage d'un enfant peut être pris en considération. S'agissant du recours à un spécialiste, elle est favorable à ce que cette possibilité reste facultative.
La pratique actuelle du Tribunal tutélaire consiste à prendre un procès-verbal des déclarations de l'enfant, mais de ne pas le communiquer systématiquement. Le Tribunal demande à l'enfant s'il accepte que le procès-verbal soit communiqué aux parties. Il lui demande également, préalablement, s'il souhaite être assisté d'une tierce personne.
Discussion et vote
Après une entrée en matière votée à l'unanimité, la discussion s'est faite dans le prolongement des auditions et autour de deux axes principaux que l'on pourrait résumer comme ceci :
a) ce projet est hautement souhaitable, mais que faut-il introduire dans la loi pour que son application se fasse en ayant en permanence à l'esprit que l'enfant ne doit pas souffrir d'un conflit de loyauté et que toutes les mesures doivent être prises pour le garantir;
b) vaut-il mieux une loi mise en vigueur rapidement avec des magistrats non formés ou doit-on attendre que les magistrats aient pu avoir droit à une formation adéquate avant de voter cette loi ?
La réponse à ces deux questions est reprise de l'audition du Dr Daniel Halpérin: «Améliorons la loi tant que faire se peut, votons-la et faisons-en l'apprentissage.»
La discussion se poursuit donc autour de l'amélioration du projet et de sa mise en conformité avec la Convention. Différents amendements sont proposés de part et d'autre.
D'abord du département, s'agissant de rectifier le titre de l'article unique qui devient un «article 1 souligné»
De même, s'agissant d'éventuelles modifications à d'autres articles M. Duport estime qu'il conviendrait de faire figurer à l'article 225 LPC un alinéa 3 qui aurait la teneur suivante:
«L'application de l'article 389A est réservée.»
Les commissaires partageant cet avis, il en sera fait ainsi.
Différentes interprétations sont faites ensuite, au sujet de l'article 1 souligné. Plusieurs amendements sont proposés, les uns techniquement satisfaisants mais n'offrant pas assez d'ouverture, les autres permettant trop d'interprétations, ce qui comporte toujours un risque important de voir la loi appliquée dans un sens qui n'aurait plus rien à voir avec le sens initial.
L'enfant peut-il être entendu ou doit-il être entendu ? La responsabilité de la décision d'entendre un enfant doit-elle incomber au juge ou le seul fait qu'un enfant demande à être entendu doit-il lui offrir cette possibilité ?
L'audition doit-elle être directe, par un face-à-face entre l'enfant et le juge et le recours à un tiers facultatif, ou au contraire doit-on toujours s'assurer de la présence d'un tiers. Et dans ce cas, à quel genre de «spécialiste» doit-on recourir ? Enseignant ? Pédiatre ? Pédopsychiatre ? Educateur ?
Toutes ces questions ont nourri un débat riche en interventions et en propositions, en gardant toujours à l'esprit la sauvegarde des intérêts supérieurs de l'enfant. L'enfant devra, en toutes circonstances, avoir le droit de refuser de se rendre à une audition ou de s'y exprimer.
La formulation finalement retenue après différentes corrections est la suivante, adoptée à l'unanimité des commissaires :
Lorsque leur intérêt le rend nécessaire, le juge entend les enfants communs des époux, le cas échéant avec le concours d'un spécialiste, en relation avec les questions de l'attribution de l'autorité parentale et de la garde, ainsi que du droit de visite.
Par «le concours d'un spécialiste», les commissaires entendent les trois significations suivantes :
1. le juge peut déléguer l'audition de l'enfant à un spécialiste, sans mener lui-même une telle audition ;
2. l'enfant peut être accompagné d'un spécialiste pendant qu'il est auditionné par le juge ;
3. le juge lui-même peut se faire accompagner par un spécialiste.
L'alinéa 2 est maintenu, mais avec l'adjonction des mots «en principe», cela pour ne pas empêcher un enfant qui souhaiterait que ses déclarations soient entendues, par ses parents ou par leurs représentants, d'obtenir satisfaction.
La formulation, votée à l'unanimité est la suivante :
al.2
L'audition a lieu, en principe, hors de la présence des parties et de leurs avocats.
Restait ensuite le délicat problème du procès-verbal. Après différents amendements insatisfaisants déposés de part et d'autre, la formulation suivante a été retenue et votée à l'unanimité :
al.3
L'enfant est avisé de ce qu'il est entendu à titre d'information, qu'il peut refuser de comparaître ou de répondre et qu'il peut s'opposer à ce qu'un procès-verbal de ses dires soit dressé. Dans ce cas, le juge peut verser au dossier un résumé de l'entretien, dont il donne connaissance au mineur.
Cette version mûrement réfléchie a l'avantage de donner la garantie que les intérêts de l'enfant sont sauvegardés et que tout est mis en oeuvre pour qu'il ne se sente pas pris dans un conflit de loyauté à l'égard de l'un ou l'autre de ses parents ou des deux.
Un article 2 souligné est enfin adopté, il a la teneur suivante :
Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.
Le projet de loi ainsi remanié a été accepté à l'unanimité. Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de lui réserver un accueil favorable, afin que sa mise en vigueur puisse intervenir dans les meilleurs délais.
Premier débat
Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. Je n'ai pas grand-chose à dire sur le rapport. M'étant efforcée de le rendre aussi complet que possible, et partant du principe que vous l'avez lu, je n'ajouterai rien à son contenu.
Par contre, je vous dirai que nous sommes allés au-delà du projet initial, qui avait le mérite de poser le problème, mais était en retrait de la Convention des droits de l'enfant.
Le climat de travail a été particulièrement constructif, et des résultats positifs ont été obtenus. Néanmoins, l'article 389A (nouveau) introduit une restriction à l'audition de l'enfant en stipulant : «Lorsque leur intérêt le rend nécessaire, le juge entend, etc.», alors que la Convention donne le droit à l'enfant d'être entendu sur toute question l'intéressant.
Cet article constitue, en quelque sorte, une étape, mais il est essentiel d'aller plus loin, au moment de la mise en vigueur de la Convention. Il ne faudrait pas, en effet, qu'un magistrat hostile à l'audition d'un enfant puisse invoquer sa propre conception de l'intérêt de cet enfant.
L'article 389A, comme relevé dans le rapport, a été remanié à plusieurs reprises. Je souhaite, en toute humilité, que nous ayons trouvé la meilleure formule. Son application nous l'apprendra.
A mon avis, le plus important est la manière dont les juges appliqueront cette loi. L'audition des magistrats par la commission judiciaire a permis d'entrevoir une application favorable à l'enfant, mais a révélé différentes lacunes et un besoin de formation à cette nouvelle pratique.
Nous devrons rapidement octroyer aux magistrats les moyens de cette formation. Les travaux entrepris actuellement par la commission législative, notamment au sujet des compétences du Conseil supérieur de la magistrature, pourraient offrir quelques pistes intéressantes.
Un mot encore sur le spécialiste introduit par l'alinéa 1 de l'article 389A. Le rapport en explique la raison, mais il n'a pas la prétention d'être exhaustif. Peu importe, à la limite, de savoir qui est ce spécialiste ! Est-ce un éducateur, un enseignant, un pédiatre, voire une personne en qui l'enfant a confiance ? L'important est de définir la tâche de ce spécialiste. Il doit être un soutien pour le juge ou pour l'enfant, mais ne doit pas se substituer à ce dernier.
Voilà les compléments que je souhaitais apporter à mon rapport. Certaines personnes trouvent que nous allons trop loin; d'autres, pas assez.
Personnellement, je pense que l'essentiel est de mettre rapidement en application cette loi en la forme, et d'assurer, parallèlement, la formation complémentaire souhaitée par les magistrats.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Ce n'est pas parce que c'est Noël que je m'associe, à nouveau, aux louanges décernées à cette commission ! Pour la deuxième fois ce soir, elle présente un rapport qui a fait l'unanimité en soulignant des débats d'une qualité remarquable.
A titre personnel, j'adresse une part de ces louanges à la justice genevoise, au service de la protection de la jeunesse, au service de pédiatrie et aux associations de défense des enfants, dont la collaboration a été exemplaire dans ce cas précis.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Ce projet de loi prend en compte un article du droit des enfants en matière de procédure juridique. En effet, l'article 12 de la Convention des droits de l'enfant, approuvée en 1989 par les Nations Unies, stipule : «L'enfant a droit, dans toute question ou procédure le concernant, d'exprimer son opinion et de voir cette opinion prise en considération.»
Jusqu'à présent, la loi genevoise ne permettait pas cette démarche légale. L'argument justifiant cette interdiction était le souci d'éviter à l'enfant les problèmes psychologiques que peut provoquer une comparution en justice et, surtout, le dilemme d'avoir à choisir, s'agissant de l'attribution de la garde, entre ses deux parents.
Ces préoccupations sont fondées et suscitent des questions importantes de conscience chez les adultes que nous sommes. Donner des droits à l'enfant n'est-ce pas le priver de ses droits à l'enfance ?
Heureusement, ce projet de loi sauvegarde parfaitement les intérêts des enfants. Le problème était complexe et délicat. Beaucoup d'entre nous réalisent combien leur propre enfance a été épargnée et douce, mais la libéralisation des comportements de la société, la perte des valeurs religieuses et la longévité des individus nous obligent à tenir compte d'une nouvelle réalité sociologique : les divorces. Il ne nous appartient pas aujourd'hui de déplorer cet état de fait, mais de constater que beaucoup d'enfants en souffrent.
Par conséquent, il est indispensable, alors que nous pouvons affirmer que l'enfant est une personne à part entière, de lui donner la parole. Il en va de son avenir d'adulte.
Merci aux commissaires, qui ont traité ce sujet délicat, d'avoir trouvé une réponse, peut-être pas parfaite, mais qui marque une étape importante dans la reconnaissance des droits des enfants.
Le groupe radical vous propose de soutenir ce projet de loi avec conviction.
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
(PL 7438)
LOI
modifiant la loi de procédure civile (droit de l'enfant à être entendu)
(E 2 3)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi de procédure civile, du 10 avril 1987, est modifiée comme suit:
Art. 225, al. 3 (nouveau)
3 L'application de l'article 389A est réservée.
Art. 364, al. 3 (nouveau,
les al. 3 et 4 anciens devenant 4 et 5)
3 L'article 389A est applicable.
Art. 389A (nouveau)
1 Lorsque leur intérêt le rend nécessaire, le juge entend les enfants communs des époux, le cas échéant avec le concours d'un spécialiste, en relation avec les questions de l'attribution de l'autorité parentale et de la garde, ainsi que du droit de visite.
2 L'audition a lieu en principe hors de la présence des parties et de leurs avocats
3 L'enfant est avisé de ce qu'il est entendu à titre d'information, qu'il peut refuser de comparaître ou de répondre et qu'il peut s'opposer à ce qu'un procès-verbal de ses dires soit dressé. Dans ce cas, le juge peut verser au dossier un résumé de l'entretien, dont il donne connaissance au mineur.
Art. 2
Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.