Séance du jeudi 12 décembre 1996 à 17h
53e législature - 4e année - 1re session - 52e séance

PL 7524
5. Projet de loi de Mme et MM. Laurent Moutinot, Dominique Hausser, Michèle Wavre, Bernard Lescaze, René Longet, Christian Grobet, Gilles Godinat, Jean Spielmann, Bénédict Fontanet et Olivier Lorenzini modifiant le code de procédure pénale (E 3 5). ( )PL7524

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

Le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit:

Art. 37, al. 2 (nouveau, les al. 2 et 3 anciens devenantles al. 3 et 4)

2 La date et l'heure de la signification doivent figurer sur le mandat. Si la personne visée refuse d'apposer sa signature pour en accuser réception, mention en est faite.

Art. 107, al. 3 (nouvelle teneur)

3 Elle entend et l'auteur présumé de l'infraction et les autres personnes, ces dernières à titre de renseignements.

Art. 107A (nouveau, l'art. 107A ancien devenantl'art. 107B)

1 Dans le cadre de ses auditions, la police indique à la personne entendue qu'elle doit se soumettre aux mesures nécessaires au contrôle de son identité. Elle doit porter à sa connaissance sans délai si elle est entendue à titre de renseignements ou d'auteur présumé de l'infraction.

2 Lorsqu'une personne est entendue à titre de renseignements, les articles 46 à 49 sont applicables par analogie.

3 Lorsqu'une personne est entendue comme auteur présumé d'une infraction elle est rendue attentive, sans délai, par la remise d'une copie du présent article dans une langue comprise par elle, à ce:

a) qu'elle doit, dans les 24 heures au plus, si elle n'est pas relaxée, être mise à la disposition du juge d'instruction et que celui-ci dispose de 24 heures au plus pour l'interroger et la relaxer ou décerner contre elle un mandat d'arrêt;

b) qu'elle peut demander à tout moment pendant la durée de son interrogatoire et au moment de quitter les locaux de police à faire l'objet d'un examen médical et qu'un tel examen a également lieu sur demande de la police;

c) qu'elle peut prendre connaissance des charges dirigées contre elle et des faits qui lui sont reprochés;

d) qu'elle ne peut être forcée de déposer contre elle-même ou de s'avouer coupable;

e) qu'elle peut informer de sa détention un proche, un familier ou son employeur, sauf risque de collusion ou de danger pour le cours de l'enquête, ainsi que faire prévenir son avocat;

f) qu'elle peut informer de sa détention son consulat, si elle est étrangère;

g) qu'elle a le droit d'obtenir la visite d'un avocat et de conférer librement avec lui, dès la fin de son interrogatoire par l'officier de police, mais au plus tard à la première heure ouvrable à l'issue des 24 heures suivant le début de son audition par la police, sauf risque de collusion ou de danger pour le cours de l'enquête;

h) qu'elle peut, si elle ne connaît pas d'avocat, s'en faire désigner un;

i) qu'elle peut, le cas échéant, faire appel à l'assistance juridique, aux conditions prévues par la loi.

4 Mention est faite de ces communications au rapport de police.

Art. 110A (nouveau)

1 Toute personne retenue par la police comme auteur présumé d'une infraction peut demander à tout moment pendant la durée de son interrogatoire et au moment de quitter les locaux de police à faire l'objet d'un examen médical; un tel examen a également lieu sur demande de la police.

2 Si la personne s'oppose à l'examen demandé par la police, mention en est faite dans le rapport de police.

3 Tout constat relatif à des allégations de mauvais traitements est joint au rapport de police.

4 Est réservé l'article 110.

Art. 111A (nouveau)

1 Sauf risque de collusion ou danger de compromettre le cours de l'enquête, toute personne retenue par la police comme auteur présumé d'une infraction est autorisée à prendre contact, par téléphone et sous contrôle d'un fonctionnaire de police, avec un proche, un familier ou son employeur, ou de faire informer l'un de ceux-ci. Une personne étrangère peut en outre demander que sa détention soit signalée à son consulat.

2 Les autorisations et les refus d'informer des tiers sont consignés dans les rapports de police. Les refus sont motivés de façon succincte.

Art. 114A, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Toute personne qui a fait l'objet d'une intervention de la police selon les articles 16 à 22 de la loi sur la police peut se plaindre, par écrit, d'une violation de ces dispositions auprès du procureur général.

Art. 114B, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Si une disposition des articles 16 à 22 de la loi sur la police a été violée, le procureur général le constate.

Art. 2

La loi 6957, du 26 avril 1996, modifiant le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est abrogée.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 26 avril 1996, notre Grand Conseil a voté une importante modification du code de procédure pénale dans le double but de prévenir d'éventuelles brutalités policières et d'offrir aux justiciables des garanties de procédures conformes aux exigences d'un état de droit moderne.

Dans les grandes lignes, cette loi apporte les progrès suivants:

1. Intégration dans la loi des droits de la personne entendue comme auteur présumé d'une infraction, avec remise à l'intéressée, dans une langue comprise par elle, de la liste de ses droits (art. 107A).

2. Clarification et extension des droits de la personne entendue en qualité d'auteur présumé, en prévoyant notamment qu'elle peut prendre connaissance des charges dirigées contre elle et des faits qui lui sont reprochés, qu'elle ne peut être forcée de déposer contre elle-même ou de s'avouer coupable, qu'elle peut informer de sa détention un proche, un familier ou son employeur, sauf risque de collusion, et faire prévenir son avocat, qu'elle peut informer de sa détention son consulat si elle est étrangère, qu'elle a le droit d'obtenir la visite d'un avocat dès la fin de la phase de police et de se faire désigner, le cas échéant, un défenseur si elle ne connaît pas d'avocat et bénéficier également le cas échéant de l'assistance juridique.

3. Institution d'une visite médicale obligatoire avant son interrogatoire.

De plus, dans la modification de la loi sur la police, votée également le 26 avril 1996, la procédure administrative en cas d'allégation de mauvais traitements a été précisée.

La modification du code de procédure pénale a été attaquée par un référendum lancé par «Halte aux déficits». De plus, les associations du personnel de police ont fortement critiqué la loi.

Les auteurs du présent projet de loi, constatant que les auteurs du référendum ne critiquaient nullement l'amélioration apportée aux droits de la personne entendue en qualité d'auteur présumé d'une infraction, et que les critiques se portaient exclusivement sur le caractère obligatoire de la visite médicale avant interrogatoire, ont craint, en cas de succès du référendum en votation populaire, qu'un progrès manifestement bienvenu ne soit mis à néant et se sont interrogés sur les moyens d'éviter de «jeter le bébé avec l'eau du bain».

Des contacts ont été pris avec le comité référendaire et les associations du personnel de police, qui se sont montrés d'accord que le Grand Conseil vote une nouvelle loi abrogeant la visite médicale obligatoire avant l'interrogatoire, mais conservant l'intégralité des autres progrès contenue dans la loi du 26 avril 1996.

Certains députés, mis au courant de ces discussions, ont critiqué le fait qu'un tel mode de procéder privait les auteurs du référendum de leur droit à soumettre au peuple la loi qu'ils avaient attaquée. Il y a lieu cependant de souligner que si ce processus a lieu en accord avec le comité référendaire, lequel se déclarant satisfait du résultat qu'il obtient, les droits populaires ne sont pas bafoués puisque précisément les auteurs du référendum obtiennent le résultat qu'ils souhaitent... sans qu'il en coûte à la République le prix de la votation populaire - argument d'économie auquel le comité «Halte aux déficits» est particulièrement sensible. Il y a également lieu de noter qu'un tel processus a déjà eu lieu dans le passé, notamment s'agissant du crédit de construction des sous-sols de l'arsenal et de la loi modifiant le régime des retraites des conseillers d'Etat.

C'est ainsi que les auteurs du projet de loi vous proposent aujourd'hui de voter une nouvelle loi modifiant le code de procédure pénale, identique à celle votée le 26 avril 1996, à l'exception des articles 107A, alinéa 3, lettre b, et 110A, en remplaçant la visite médicale obligatoire avant interrogatoire par une visite médicale que l'intéressé peut solliciter. Comme les personnes entendues à titre d'auteur présumé d'une infraction recevront, dans une langue comprise par elles, une notice contenant explicitement ce droit, le principe même d'une visite médicale n'est pas mis à néant, mais est ramené aux seuls cas où l'intéressé ou la police la sollicite. Certes le caractère non systématique de cette visite va-t-il moins loin que la loi du 26 avril 1996, mais il convient de rappeler que c'est l'ensemble du mécanisme qui doit avoir un effet de prévention sur les éventuelles brutalités policières, sans que l'on puisse attribuer au système des visites médicales obligatoires des vertus si grandes que l'on ne puisse s'en dispenser.

La loi, dans la version qui vous est présentement soumise, rencontre l'agrément des associations du personnel de police, ce qui est assurément une garantie d'une bonne motivation des fonctionnaires de police et que cela est certainement de nature à assurer une bonne application de la loi.

Certains députés, le 26 avril 1996, avaient déjà souhaité que la visite médicale obligatoire soit remplacée par une visite facultative et ils n'auront certes aucune peine à se rallier au présent projet de loi; ceux qui avaient approuvé la visite médicale obligatoire ne devraient pas avoir trop de difficultés à changer d'avis, dès lors que ce ne sont pas les principes qui sont remis en cause, mais leurs modalités d'application.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accueillir favorablement le présent projet de loi.

Préconsultation

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Aucun auteur du projet ne demandant la parole, je la prends pour faire quelques remarques.

Au soir du 26 avril 1996, notre Grand Conseil pouvait se targuer d'avoir voté une loi qui permettait de faire un grand pas en matière de respect des droits de l'homme, quel qu'il soit et quelle que soit sa marginalité.

Malheureusement, cette loi progressiste - c'est le risque couru dans un pays aux droits démocratiques étendus - a été attaquée par voie référendaire, et le référendum a abouti.

Certes, nous avons vivement déploré l'aboutissement de ce référendum, allant même jusqu'à dénoncer la manipulation du comité «Halte aux déficits». L'objet de l'attaque référendaire était la dépense financière; cette dépense n'a jamais été clairement identifiée, et les pistes permettant de la calculer n'ont même pas été, à ma connaissance, étudiées par le Conseil d'Etat.

Une fois la déception passée, notre groupe, notre parti et d'autres - me semble-t-il - de nombreuses associations des droits de l'homme, l'Ordre des avocats, les Juristes progressistes, enfin toutes les personnes qui, de près ou de loin, s'étaient battues pour faire aboutir cette loi, ont constitué un comité pour préparer une campagne référendaire qui s'annonçait difficile et laissait présager de nombreux dérapages.

Cette campagne, notre groupe était prêt à la mener. Il était prêt à démontrer à la population genevoise le bien-fondé d'une amélioration du droit de la défense, de l'obligation d'une transparence totale à l'égard des détenus, au niveau de leurs droits, ou de l'accès systématique à un service médical. Cet accès garantit à la fois le respect de l'intégrité des personnes arrêtées et prévient d'éventuelles allégations mensongères faisant état de violences policières. Seule une visite médicale systématique pouvait le garantir.

Lorsque je relis le Mémorial de ce 26 avril, je m'aperçois que je n'étais pas la seule à le penser. M. Pierre-François Unger, rapporteur DC, avait déclaré : «En effet, les deux députés radicaux, et l'un d'entre eux particulièrement, après avoir pesé les intérêts, et les avoir fait pencher dans l'autre sens, avaient clairement indiqué que seule une procédure systématique protégerait la police d'allégations mensongères. Il est facile de comprendre que, en cas de visite facultative, des plaintes contre la police, détestables et non fondées, continueront à être déposées par des gens qui n'ont pas demandé cette visite.» Le groupe DC et le groupe radical cosignent pourtant le projet qui nous est soumis ce soir.

Ayant pris la parole après M. Unger, M. Ferrazino avait déclaré, au nom de l'AdG : «J'allais intervenir dans le sens du rapporteur, en disant à notre collègue Lescaze qu'il valait mieux s'abstenir si la visite médicale devait être facultative ! Soit la visite médicale est obligatoire avec possibilité de refus - c'est le compromis que nous avons adopté - soit nous abandonnons.»

Quelques pages plus loin, M. le conseiller d'Etat Ramseyer précisait, en citant Mme Bugnon : «Si les visites ne sont pas systématiques, elles n'ont aucun sens.»

Encore une fois, Mesdames et Messieurs les députés, notre parti était prêt à affronter ce débat sur la place publique, puisque telle était la volonté populaire. Si le Grand Conseil, comme je l'ai dit au début de mon intervention, avait accepté de faire un pas en direction de l'amélioration des droits de l'homme, la proposition soumise ce soir, si elle est votée, sera un sacré coup dur pour nos droits démocratiques. Le débat populaire sera évité avec l'abrogation de la loi 6957 et, de ce fait, le référendum deviendra caduc : cela ressort des courriers des référendaires qui nous sont parvenus.

Cette méthode nous révolte. Elle fait fi des droits démocratiques et de la volonté populaire, quel que soit le sujet. Nous ne pouvons y adhérer, et nous regrettons sincèrement que des représentants de partis si favorables aux droits populaires y souscrivent.

Contrairement à l'initiative populaire, le référendum ne comporte pas de clause de retrait. C'est ainsi. Cette mesure offre, sans doute, une garantie de l'application des droits démocratiques. La tactique qui a amené au dépôt de ce projet de loi met cette garantie en danger.

Nous ne souhaitons pas nous prononcer sur le contenu de ce nouveau projet de loi. Il vide encore un peu plus de sa substance l'idée générale défendue par le projet initial des Verts. Mais - il faut le reconnaître - il sauvegarde quelques éléments essentiels. Raison pour laquelle, s'il doit être voté ce soir ou dans un mois, notre groupe ne s'y opposera pas, s'agissant uniquement du contenu. Mais il ne pourra l'accepter s'agissant de la forme; dès lors, nous nous abstiendrons.

M. Luc Gilly (AdG). Je constate qu'avec la remise de l'ouvrage sur le métier les droits démocratiques fondamentaux sont bafoués.

Nous étudierons évidemment le nouveau projet de loi en commission, mais, ce soir, je partage l'amertume et l'analyse politique de Mme Fabienne Bugnon.

Ce sera tout pour mon groupe.

M. Bénédict Fontanet (PDC). Il est ni question de bafouer les droits démocratiques ni de revenir sur une liberté des droits fondamentaux. Notre code de procédure pénale genevois est exemplaire à cet égard.

Par conséquent, je ne pense pas que l'on puisse dire que ce projet constitue un retour en arrière considérable.

En politique, il faut savoir être pragmatique...

M. Claude Blanc. Jésuite !

M. Bénédict Fontanet. Je suis navré de me faire traiter de jésuite par Claude Blanc, mais tant pis ! (Rires.) En l'occurrence, nous devons être pragmatiques. Manifestement, la question de cette visite médicale systématique - même si j'y étais de prime abord favorable, Madame Bugnon - risque de faire échouer d'autres aspects intéressants et progressistes de cette révision.

Je ne suis pas certain, compte tenu de l'ambiance et de la fébrilité préélectorales régnant actuellement dans ce canton, que la révision du code de procédure pénale - qui comporte d'autres objectifs plus positifs que cette visite médicale systématique - trouve grâce devant le corps électoral.

Nous vous demandons de renvoyer ce projet de loi à la commission judiciaire pour qu'il y soit retravaillé. Encore une fois, il n'y a rien là de bien dramatique. Il faut simplement, de temps à autre, savoir faire preuve de pragmatisme politique si l'on veut arriver à ses fins.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. J'ai écouté attentivement Mme Bugnon. Elle cite mes déclarations en les tronquant au point que je n'ai pas l'impression que nous ayons entendu ou lu le même texte.

Madame, vous parlez des droits de l'homme, et vous avez raison. Relisez les plus récents rapports d'Amnesty et de la Commission européenne contre la torture ! Vous serez ravie de constater la disparition quasi totale de cas concernant Genève. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet.

En commission, vous garderez de cette loi ce qui est bon et n'est contesté par personne, et vous rejetterez ce qui est excessif et exceptionnellement coûteux.

Je renonce à expliquer à M. le député Gilly la différence existant entre des frais de fonctionnement et des frais d'investissement. J'attire cependant votre attention sur le fait que ce qui est fort coûteux doit être rejeté : les visites médicales, mais également les aménagements à la prison de Champ-Dollon. Ceux-ci déterminent aussi des postes budgétaires supplémentaires.

Je me réjouis de revoir ce dossier en commission.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.