Séance du
vendredi 8 novembre 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
12e
session -
45e
séance
PL 7516
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur l'imposition des personnes morales, du 23 septembre 1994, est modifiée comme suit:
CHAPITRE II
Impôt sur le bénéfice
SECTION 2
Calcul de l'impôt
Art. 20 (nouvelle teneur)
1 Le taux de l'impôt sur le bénéfice net est fixé à 9,75%.
2 Toutefois ce taux est réduit à 4% pour une première tranche de bénéfice imposable, ne dépassant pas 10% du capital imposable et au maximum 300 000 F, pour la part de cette première tranche qui fait l'objet d'une distribution aux actionnaires.
Art. 25 (nouvelle teneur)
L'impôt dû par les associations, fondations, fonds de placement et autres personnes morales est calculé en divisant leur bénéfice imposable en tranches taxées selon le tableau suivant:
Bénéfice
Taux de
Impôt maximum
Impôt total
(tranches)
la tranche
de la tranche
F
F
%
F
1 à 40 000
5
2 000
2 000
40 001 à 70 000
5,5
1 650
3 650
70 001 à 100 000
6
1 800
5 450
100 001 à 200 000
7
7 000
12 450
200 001 à 300 000
8
8 000
20 450
300 001 à 400 000
9
9 000
29 450
400 001 et au-dessus
9,75
-
-
CHAPITRE III
Impôt sur le capital
SECTION 2
Calcul de l'impôt
Art. 33 (nouvelle teneur)
1 L'impôt sur le capital propre est de 0,3% pour la part du capital inférieure ou égale à 5 000 000 F.
2 Pour la partie supérieure du capital propre, l'impôt est de 2%.
Art. 36 (nouvelle teneur)
Le capital propre des associations, fondations, fonds de placement et autres personnes morales est divisé en tranchées taxées selon le tableau suivant:
Tranches
Taux de
Impôt maximum
Impôt total
F
la tranche
de la tranche
F
%
F
1 à 50 000
0,75
37.50
37.50
50 001 à 150 000
1,0
100.-
137.50
150 001 à 300 000
1,25
187.50
325.-
300 001 à 500 000
1,5
300.-
625.-
500 001 à 750 000
1,75
437.50
1 062.50
750 001 et au-dessus
2,0
-
-
EXPOSÉ DES MOTIFS
Préambule
Tous les analystes sont désormais d'accord: c'est grâce au développement de l'activité des PME qu'à Genève, comme dans le reste du monde occidental, nous pourrons faire face efficacement au défit de l'emploi. Or les PME en création ou existantes souffrent chez nous de graves handicaps qu'on peut classer en trois groupes:
- elles sont, d'une part, étranglées par une législation sociale excessivement coûteuses et par une multitude de règlements paralysants;
- elles sont, d'autre part, pénalisées par une fiscalité dissuasive;
- enfin, elles souffrent d'un accès insuffisants au marché des capitaux.
Ce projet de loi a pour ambition de lever au moins partiellement les obstacles des deux derniers groupes de problèmes auxquels se heurtent les PME, de favoriser ainsi le développement de ces dernières et conséquemment la création d'emplois. Il est fondé sur la conviction que la réduction des recettes fiscales ainsi engendrées par l'Etat se trouvera compensée avant longtemps par des rentrées nouvelles d'impôt sur le revenu, rentrées fournies aussi bien par les personnes morales dont l'activité se trouvera dynamisée que par les personnes physiques qui occuperont les emplois nouvellement créés grâce aux mesures proposées.
Ce projet de loi s'inscrit parfaitement, il convient de le noter, dans le cadre des mesures annoncées durant l'été par le Conseil fédéral en vue de renforcer l'activité des PME. Il devrait de surcroît jouer un rôle non négligeable dans la lutte que les autorités politiques doivent impérativement et urgemment engager contre la menace déflationniste qui pèse sur notre économie.
Taux unique d'imposition sur le bénéfice...
Chacun s'accorde aujourd'hui pour reconnaître la nécessité de substituer au système de taxation actuel du bénéfice des personnes morales, taxation fondée sur l'intensité du rendement, un système d'imposition à taux fixe. La seule question qui subsiste est celle du taux à appliquer.
Pour les auteurs de ce projet de loi, ce taux doit être fixé à 9,75%. Un taux plus élevé ne permettrait guère en effet de concrétiser l'objectif poursuivi par tous les milieux conscients des enjeux économiques et sociaux de l'heure, à savoir relancer l'activité économique et la création d'emplois.
... réduit pour une partie du bénéfice distribué
A l'évidence un des obstacles majeurs auxquelles se heurtent les PME suisses dans l'accès aux capitaux dont elles ont besoin réside dans ce qu'il est convenu d'appeler «la double imposition de leurs bénéfices». Lorsque ceux-ci sont distribués ils sont en effet taxés une première fois en tant que bénéfice de l'entreprise puis en tant que revenu de l'actionnaire. Chacun peut comprendre que cette «spécialité helvétique unique» est extrêmement dissuasive pour les investisseurs qui préfèrent souvent placer leurs capitaux sur les marchés financiers qui font l'objet d'une fiscalisation plus intelligente.
On rappellera ici que la double imposition de la société et de l'actionnaire a été introduite en Suisse seulement entre les deux dernières guerres, les dividendes n'ayant jusque-là jamais été soumis à l'impôt au niveau de l'actionnaire.
Il n'est pas dans les compétences du Grand Conseil de modifier le droit fédéral à l'origine de ce handicap. Mais le Grand Conseil peut en atténuer significativement les effets en introduisant dans la LIPM la notion d'un taux réduit applicable à une partie du bénéfice distribué sous forme de dividendes. C'est ce que visent les auteurs du présent projet de loi en proposant de ramener à 4% le taux fixe applicable à une première tranche de bénéfice distribuée aux actionnaires, à la double condition pourtant que cette tranche de bénéfice distribuée ne dépasse pas 10% du capital imposable et au maximum 300 000 F.
Ce rendement de 10% n'est pas choisi arbitrairement. Il correspond en effet à une rémunération raisonnable des capitaux investis par un actionnaire dans une entreprise industrielle, un actionnaire qui se sentira donc davantage qu'aujourd'hui incité à s'engager financièrement dans une PME.
Cette réforme, si elle est adoptée par le Grand Conseil comme elle l'a d'ailleurs déjà été dans d'autres cantons (Berne, Saint-Gall, Schaffhouse, Soleure, Argovie, Thurgovie) et certains pays voisins, contribuera donc à améliorer efficacement l'accès des PME au marché des capitaux. De plus, en atténuant la double imposition économique, cette réforme devrait inciter plus que dans le passé les sociétés à distribuer une partie au moins de leurs bénéfices annuels, créant ainsi une assiette supplémentaire à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et favorisant la régularité des recettes de l'Etat.
Un taux d'impôt sur le capital des personnes morales diminué nettement
L'impôt sur le capital des sociétés constitue une aberration économique. Il est en effet dû même lorsque l'entreprise essuie des personnes d'exploitation. Jusqu'à il y a encore quelques années, les défenseurs de cet impôt pouvaient arguer du fait que peu d'entreprises se trouvaient confrontées à cette réalité. Désormais la sévère concurrence avec laquelle nous devons vivre dans un monde ouvert rend cet argument obsolète. L'impôt sur le capital des PME contribue de plus en plus souvent à détériorer la situation financière de sociétés déjà fragilisées par les circonstances économiques. Il conviendrait donc de l'abolir purement et simplement comme l'ont déjà fait tous les pays de l'Union européenne.
Malheureusement cette abolition n'est pas possible en raison des normes contraignantes de la LHID qui oblige les cantons à percevoir un impôt sur le capital et les autres fonds propres des personnes morales. Ces cantons sont cependant libres de fixer le taux de cet impôt. Il reste donc possible de réduire ce taux de manière à ne lui conserver qu'une importance symbolique.
C'est ce que préconisent les auteurs du présent projet de loi en ramenant le taux d'imposition du capital à 0,3%. Comme il s'agit pour eux de prendre des mesures d'incitation principalement en faveur des PME ils demandent que ce taux réduit ne s'applique que jusqu'à concurrence de 5 millions de francs de fonds propres.
Conclusion
Les réformes proposées, il faut le dire clairement, ne visent pas à garantir simultanément la neutralité en terme de recettes fiscales annuelles de l'Etat. Si elles sont adoptées, ces mesures conduiront indubitablement, dans un premier temps, à une baisse de recettes de l'Etat.
Aux yeux des auteurs du projet de loi, elles se justifient néanmoins parce qu'elles sont fondées sur un constat évident depuis quelques années à Genève: le maintien des recettes fiscales de l'Etat à leur niveau antérieur à la crise constitue un objectif illusoire sans renforcement de la fiscalité sur les entreprises et les personnes physiques. Or, les nouvelles données de l'économie mondiale, la globalisation de celle-ci et la concurrence rigoureuse que subit notre pays, excluent sous peine de mort de notre tissu économique un tel renforcement de la pression fiscale.
Il faut cesser de ne voir dans la réduction de la ponction fiscale que l'inconvénient de la perte de recettes pour l'Etat. Il est au contraire nécessaire d'insister désormais sur les avantages d'une politique fiscale, volontariste et ciblée, destinée à stimuler l'attrait et l'activité de la place commerciale, industrielle et financière genevoise.
Empruntons donc avec détermination cette voie nouvelle, celle de la relance de l'activité économique et de l'emploi par la baisse de la fiscalité, même si cette voie, à court et moyen termes, doit s'accompagner de la réduction des charges de l'Etat et de certaines de ses prestations. L'assainissement de nos finances cantonales dans le cadre et le délai fixés par le plan de redressement voté par le peuple genevois ainsi que la nécessaire réduction de la dette publique nous y contraignent en effet. A charge au gouvernementde réaliser les économies requises et de procéder aux choix qui s'imposentde manière intelligente, c'est-à-dire sélectivement et non pas linéairement.
Merci d'avance, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à ce projet de loi.
Préconsultation
Des voix. Allez Vaudroz, allez !
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Si ce projet de loi nous obligeait, à court terme, à nous accommoder de pertes de recettes fiscales - comme certains le prétendent - les mesures qu'il contient constitueraient un investissement pour l'avenir. A long terme, elles contribueraient au maintien et à l'accroissement de nos recettes fiscales.
Ces mesures proposées doivent être considérées comme des objectifs prioritaires. En effet, l'ensemble des analyses effectuées par les milieux économiques confirment que des conditions fiscales attrayantes sont susceptibles de maintenir la compétitivité de nos entreprises. D'ailleurs, ce projet de loi vise trois points en particulier :
- Premièrement, contribuer à stimuler notre tissu économique directement par l'entrepreneur.
- Deuxièmement, atténuer notablement les effets d'une double imposition qui est pénalisante, imposition sur le capital et sur le bénéfice. Cet impôt sur le capital contribue à détériorer, dans des périodes difficiles comme celle que nous vivons, la situation financière des sociétés déjà fragilisées par les circonstances économiques.
- Troisièmement, tenter de favoriser l'arrivée de nouveaux capitaux, ce qui est important pour nos PME et PMI.
Même si le groupe DC ne partage pas la totalité des propos de l'exposé des motifs, le parti démocrate-chrétien est convaincu qu'il faut trouver des solutions dynamisantes pour nos entreprises; d'une part, pour maintenir l'emploi et, d'autre part, pour stimuler les investissements de nos entreprises. Cela leur permettra, d'ailleurs, d'être compétitives dans les marchés futurs et, à long terme bien évidemment, d'accroître les recettes fiscales.
Avec ce projet de loi, nous sommes bien loin de faire une révolution, puisque même le Conseil fédéral a fait six propositions de mesures pour une réforme de la fiscalité des entreprises qui vont dans le même sens que ce projet de loi...
La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Jean-Claude Vaudroz. Mesdames et Messieurs les députés...
La présidente. Monsieur Vaudroz, un peu de dynamisme, s'il vous plaît ! (Rires et Brouhaha.)
M. Jean-Claude Vaudroz. C'est mon collègue !
La présidente. Allez, allez !
M. Jean-Claude Vaudroz. C'est mon collègue Genecand, Madame la présidente...
La présidente. Oui, Monsieur Vaudroz, allez-y, allez-y !
M. Jean-Claude Vaudroz. Il n'est pas encore sorti de son pétrin !
Des voix en choeur. Allez, Vaudroz, allez, Vaudroz, allez !
La présidente. Comme vous parlez de dynamisme, je vous encourage !
M. Jean-Claude Vaudroz. Ecoutez, Madame la présidente !
(La présidente fait tinter sa cloche.)
Des voix en choeur. Allez Vaudroz, allez ! (Rires.)
M. Jean-Claude Vaudroz. Madame la présidente, je crois que mon collègue Genecand n'est pas encore sorti du pétrin... (Rires.) ...mais, véritablement, il me perturbe ! (Rires.) Je dirai encore que le temps presse et qu'il faut agir vite, donc dès maintenant !
Des voix. Bravo !
M. Gilles Godinat (AdG). Plusieurs observations ont déjà été faites au sujet de ces différents projets de lois qui touchent à la substance fiscale.
La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Pierre Vanek, s'adressant à l'orateur. Tu attends que le silence soit rétabli et puis, lorsqu'ils se taisent, tu recommences ! (Exclamations.)
La présidente. Monsieur Vanek, en principe, il convient de demander la parole avant de s'exprimer !
M. Pierre Vanek. Excusez-moi, Madame la présidente !
La présidente. Poursuivez, Monsieur Godinat !
M. Gilles Godinat. Rassurez-vous, je vais à l'essentiel ! Je soulignerai quatre points déjà évoqués par Mme Calmy-Rey.
Premièrement, dans les comparaisons au plan international - et M. Villiger l'a reconnu dans la presse - l'industrie suisse est en position favorable et Genève également.
Deuxièmement, au plan fiscal, les études montrent que ce facteur est secondaire dans l'implantation des entreprises; ce fait est reconnu, y compris par le département de l'économie publique.
Troisièmement, plusieurs études ont montré que les abaissements fiscaux pour les entreprises n'avaient pas d'effets significatifs sur la création d'emplois.
Enfin, globalement, l'effort contributif des revenus du capital reste nettement plus faible que celui des revenus du travail.
Cela dit, les deux problèmes posés par ce projet de loi sont les suivants :
Premièrement, la modalité de passage du taux proportionnel au taux progressif, d'une part, et, d'autre part, la prétention à ne favoriser que les petites et moyennes entreprises.
Deuxièmement, le problème est celui du passage du taux progressif au taux proportionnel. Nous avons voulu, par notre initiative fiscale, corriger la distorsion en montant le palier à 8%. Vous reconnaissez, aujourd'hui, qu'une partie du secteur des entreprises, ainsi que celui des banques, des assurances et les sociétés immobilières en voie de dissolution ont bénéficié de ce privilège fiscal avec l'intensité de rendement. Ce fait est connu de tous. Or, dans votre proposition, vous faites un cadeau fiscal en portant la première tranche de bénéfices à 4% à l'ensemble des entreprises. Les PME en profiteront, bien sûr, et l'ensemble des entreprises bénéficiera de ce cadeau fiscal.
En commission fiscale, les experts nous ont recommandé, pour passer du taux progressif au taux proportionnel, d'avancer par paliers et, notamment, de passer par les deux étapes 7 à 12,5%; et ensuite 8 à 11,1%.
Votre proposition est brutale, notamment sur le deuxième point qui concerne le capital. Alors qu'il s'agit de l'impôt le moins volatile et le plus sûr du point de vue fiscal, vous proposez une réduction de l'ordre de 50% ! Ainsi vous provoquez une perte de substance dans les caisses de l'Etat de l'ordre de 100 millions pour les collectivités publiques. Nous vous reprochons de ne pas avoir estimé le montant réel de cette perte et d'avoir pris cette responsabilité sans garantie pour la création d'emplois.
Il ne s'agit pas d'un projet préélectoral, mais d'un projet s'inscrivant dans une phase de politique néolibérale offensive, raison pour laquelle notre groupe ne soutiendra pas ce projet.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). J'ai dit tout à l'heure, Monsieur de Tolédo, que le problème de la fiscalité à Genève et dans notre canton n'était pas un problème de niveau et que Genève était bien placé au plan international. Mais cela ne signifie pas que notre système ne souffre pas d'un certain nombre de défauts.
Le taux d'imposition du bénéfice des sociétés est lié au rendement du capital, soit au rapport entre le bénéfice net et la somme du capital social et des réserves. Pour un bénéfice donné, les entreprises fortement capitalisées paient moins d'impôts que les entreprises ayant plus de fonds étrangers. Les entreprises ainsi privilégiées sont les banques, les assurances, les sociétés financières et immobilières.
L'impôt sur le capital est là pour corriger le désavantage des sociétés fortement capitalisées. Il est donc lié au système d'imposition que nous connaissons aujourd'hui. Dans la même idée, existe le système de la double imposition économique, c'est-à-dire favorisant le financement des entreprises par les fonds propres, les bénéfices distribués étant imposés deux fois, une fois comme bénéfices et une autre fois dans le cadre de l'imposition des ménages.
Le projet de loi que vous déposez intervient sur tous ces points. Il instaure le taux proportionnel de l'imposition des bénéfices à 9,75%.
Le parti socialiste a déposé un projet d'imposition de taux proportionnel à 12%. Or la commission fiscale, qui travaille sur ce projet depuis plus d'un an, s'est adjoint les compétences des experts de l'université et est à même d'évaluer la proposition de l'Entente en termes de répartition de la charge fiscale.
L'adoption d'un taux proportionnel à 9,75% - les calculs ont été faits à la commission fiscale sur 10%, et on peut faire l'analogie sur la répartition de la charge fiscale, pour un taux de 9,75% - conduirait à alléger une part très substantielle des bénéfices du secteur secondaire, c'est-à-dire des entreprises de l'horlogerie, de la bijouterie, du bâtiment et du génie civil.
Par contre, dans le secteur tertiaire, une majorité des entreprises et des emplois serait plus fortement imposée que ce n'est le cas actuellement. Par conséquent, les banques, les sociétés immobilières, les assurances, les sociétés financières seraient pénalisées par le projet de loi que vous déposez, Mesdames et Messieurs de l'Entente.
M. Claude Blanc. C'est bien ce qu'on veut !
Mme Micheline Calmy-Rey. C'est ce que vous voulez, oui ! Donc, tout comme les socialistes, vous visez à une répartition différente de la charge fiscale. Bien sûr, vous corrigez votre audace presque immédiatement en introduisant un certain nombre de conditions ou de correctifs, tels qu'un taux réduit pour le bénéfice distribué à certaines conditions et une baisse très forte de l'impôt sur le capital pour la part du capital égale ou inférieure à 5 millions de francs.
Ces deux correctifs sont bien pensés, en termes électoralistes du moins, puisqu'ils touchent un grand nombre d'entreprises. Toutefois, je ressens une certaine incertitude et une forte réticence. L'incertitude vient du fait que, d'une part, votre priorité avouée est de diminuer le taux d'imposition des PME et, d'autre part, de ce que votre projet n'allégera pas forcément l'imposition des entreprises les plus fragiles. En effet, en termes d'économie d'impôt, il favorisera les entreprises dont les dividendes et le capital sont proches des maximums que vous fixez, donc les entreprises les plus importantes, sous réserve de ces maximums, précisément. Ensuite, je suis réticente par rapport au fait que vous abandonniez le principe de la neutralité fiscale, qui garantit les rentrées fiscales actuelles.
Or de l'abandon de ce principe résulte une diminution d'environ 70 millions de recettes pour l'Etat. Il est donc impensable que notre groupe accepte un projet qui engendrerait une telle perte fiscale. Cela étant, je me réjouis de travailler à ce projet en commission, en même temps qu'à celui du projet socialiste, et je ne désespère pas de vous convaincre de la nécessité de vous rallier au principe de la neutralité fiscale.
M. Michel Balestra (L). Les entreprises de notre canton sont victimes de la crise. Les faillites, les cessations d'activités, les diminutions de personnel et le chômage sont le résultat de cette conjoncture morose.
Si les statistiques de septembre faisaient de Genève le seul canton dans lequel le chômage diminuait, malheureusement celles d'octobre, publiées aujourd'hui, font état d'une légère augmentation du nombre de chômeurs, et donc d'une petite rechute. Genève est un canton convalescent dans une Suisse malade. Afin qu'il guérisse, nous devons lui administrer des vitamines.
Chacun propose ses vitamines et n'est pas d'accord avec celles prescrites par les autres. Ce projet de loi vise à alléger la fiscalité des entreprises, mais surtout à diminuer l'imposition du capital et d'une partie du bénéfice redistribué. Ces mesures devraient faciliter la recherche de capitaux pour des PME qui créent 90% des postes de travail dans notre pays.
Donner la priorité à l'emploi, c'est évidemment renforcer ce secteur des PME qui en est le principal créateur. En effet, si les PME sont plus flexibles et s'adaptent mieux que les grandes entreprises à des marchés de niches, elles sont aussi beaucoup plus fragiles que leurs grandes soeurs, essentiellement, à mon sens, parce que trop peu capitalisées et très sensibles aux conditions offertes par leur environnement économico-social. Si les grandes entreprises peuvent délocaliser leur production, dès qu'il n'est plus possible de la réaliser dans leur pays d'origine, les petites et moyennes entreprises, qui sont plus fragiles, meurent. Dès lors, de quelle manière, Monsieur Godinat ou Madame Calmy-Rey, favoriser l'investissement en capital dans des PME sans donner un signe clair par une incitation fiscale évidente ?
Heureusement, si certaines entreprises meurent, d'autres naissent et les statistiques font état, aujourd'hui, d'un nombre record de créations d'entreprises en Suisse. C'est à ces occasions, douloureuses pour la mort, et heureuses pour la naissance, qu'un grand nombre d'emplois disparaissent ou sont créés.
Ceux qui pensent que ce seul projet de loi ne résoudra pas ce problème, identifié depuis longtemps mais jamais résolu, ont bien raison. Mais j'ai parlé d'une cure de vitamines et non pas d'un sirop Typhon, universelle panacée, comme le dit si bien la chanson. Pourtant, ce projet est un signe clair de notre volonté de favoriser les investissements générateurs d'emplois dans des entreprises établies dans notre canton. A mon sens, c'est déjà beaucoup !
Trop souvent, nous avons tendance à imaginer qu'il faut favoriser la venue de nouvelles entreprises sans penser qu'il est nécessaire, en priorité, de renforcer celles que nous avons déjà. L'ensemble de ce débat sur la fiscalité, conduit par des forces politiques pleines de bon sens, fait évoluer la marche dans la bonne direction. Puisse notre Conseil, en général, et la commission fiscale, en particulier, en extraire la substantifique moelle, afin de permettre le retour de Genève sur la route du succès !
M. Pierre Kunz (R). Il est réjouissant que ce soir, enfin, ce Grand Conseil se penche sur des projets fiscaux iconoclastes et nouveaux. Il est bon que nous nous engagions sur des voies nouvelles et que nous puissions traiter en même temps de quatre ou cinq projets de cette nature.
A ce stade, il me paraît nécessaire de rappeler aux conservateurs que sont devenus les mouvements de gauche... (Rires.) ...à tous les inquiets de la neutralité des recettes, à tous les sceptiques et les découragés de tous bords, ce que disait et répétait le président Roosevelt... (Rires sur les bancs de la gauche.) ...un de vos amis, dans les années 30... (Brouhaha.) - Eh oui ! - ...pour convaincre la classe politique justement, l'intelligentsia, et les médias américains d'adhérer au New Deal : «Ce dont le pays a besoin, ce qu'il demande - disait-il - est un ensemble de réformes audacieuses. Choisissons des solutions et essayons-les !».
Des voix. Aahh ? Oohh !
M. Pierre Kunz. Mais c'est votre ami Roosevelt qui s'exprimait ainsi ! (Brouhaha.) Si elles ne conviennent pas, admettons-le franchement et essayons alors autre chose. Mais, par-dessus tout, Mesdames et Messieurs les députés, le président Roosevelt poursuivait...
Des voix. Encore !
M. Pierre Kunz. Attendez, je n'ai pas fini !
La présidente. Mais alors, dites tout ce qu'il disait... Allez-y!
M. Pierre Kunz. Et il poursuivait : «Les dogmes du passé tranquille sont inaptes au présent tempétueux.» (Brouhaha.)
La présidente. Un peu de silence s'il vous plaît !
M. Pierre Kunz. Il y a bien longtemps que je me demandais à qui me faisait penser M. Blanc ! (Brouhaha.)
Des voix. A Roosevelt !
La présidente. Parlez-vous bien de la motion, Monsieur Kunz ?
M. Pierre Kunz. Madame la présidente, vous me permettrez de répondre, étant donné que j'ai été interrompu !
La présidente. C'était juste pour savoir de quoi on parlait !
M. Pierre Kunz. Alors, attendez, je vais d'abord répondre à M. Blanc !
M. Claude Blanc. J'ai rien dit du tout ! (Eclats de rire.)
M. Pierre Kunz. Bon, alors je renonce à lui répondre, pour gagner du temps !
La présidente. Je sais bien qu'il y a eu le repas, mais tout de même ! (Exclamations.) Mais enfin, Monsieur Kunz, poursuivez ! Ne vous laissez pas impressionner ! Allez !
M. Pierre Kunz. J'attends, Madame la présidente, que vous rétablissiez l'ordre !
La présidente. Oh, mais il ne se rétablira pas; il faut continuer à parler !
M. Pierre Kunz. J'ai tout le temps, Madame la présidente !
La présidente. Non, justement, votre temps est limité ! Allons-y !
M. Pierre Kunz. Mesdames et Messieurs les r... députés... (Eclats de rire.) ...nous sommes...
Une voix. Ça suffit !
La présidente. Cela fait plus de cinq minutes... (Rires et applaudissements.) Je vous en accorde encore une, mais dans le silence ! Dans le silence, Monsieur Dupraz ! Voulez-vous vraiment que je suspende la séance ? Continuez, Monsieur Kunz, il vous reste une minute pour conclure !
M. Pierre Kunz. Mesdames et Messieurs les députés, nous, les radicaux, sommes convaincus que la relance économique est possible. Elle passe, notamment, par l'amélioration - et cela a déjà été dit - des conditions fiscales des PME qui forment le tissu économique. Il faut préciser d'emblée que cette action sur la fiscalité des PME ne suffira pas. Elle doit s'accompagner d'un élargissement de l'assiette fiscale, pour les personnes physiques comme pour les personnes morales.
S'agissant des personnes morales, pour les entreprises en général, certains ont prétendu que si on faisait un cadeau fiscal à ces entreprises, elles n'auraient aucune raison de répercuter ces avantages en créant des emplois.
Eh bien, c'est mal connaître les conditions de concurrence sévères qui règnent sur les marchés et le fonctionnement de l'entreprise, par la même occasion ! Il est pourtant aisé de comprendre que si la rentabilité d'une entreprise augmente, elle deviendra plus compétitive...
Des voix. Aaahhh ? Bravo !
M. Pierre Kunz. ...et elle vendra donc mieux ! Et si elle vend mieux, elle entreprendra de fabriquer davantage, et elle finira bien, vous en êtes certainement convaincus, par embaucher, puisqu'elle disposera de débouchés supplémentaires, surtout si, de surcroît, elle peut accéder plus aisément au marché des capitaux. C'est exactement à cela que vise le projet de loi !
Des voix. Bravo !
M. David Hiler (Ve). J'estime que le député Kunz a fait le tour de la question, et je renonce à mon temps de parole. (Rires et applaudissements.)
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Madame la présidente, je renonce... pour d'autres raisons ! (Rires.)
Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.