Séance du
vendredi 8 novembre 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
12e
session -
45e
séance
M 1094
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que l'arrêté fédéral en faveur des zones économiques en redéploiement (arrêté «Bonny», RS 951.93, publié au RO 1996, pages 1918-1921) permet aux entreprises d'obtenir des avantages financiers et des allégements fiscaux de la Confédération;
- que cet arrêté s'applique à l'ensemble du canton de Neuchâtel et aux principaux districts du canton de Vaud, mais pas au canton de Genève;
- que les considérations fiscales remplissent une fonction importante pour les entreprises lors du choix du lieu de leur installation en Suisse;
- que l'exclusion du canton de Genève du champ d'application de l'arrêté fédéral en faveur des zones économiques en redéploiement crée une distorsion de concurrence qui nuit au développement de Genève;
- que le canton de Genève souffre depuis plusieurs années d'une grave crise structurelle et a perdu de nombreuses entreprises, notamment dans le secteur secondaire;
- que le niveau élevé de chômage ne pourra être réduit que par la création de nouveaux emplois;
- que les entreprises existantes tendent à réduire leur personnel et qu'il est donc nécessaire d'attirer de nouvelles entreprises à Genève;
- que tout ou partie du canton de Genève peut être considéré comme une zone économique en redéploiement,
invite le Conseil d'Etat
1. à examiner sans délai si tout ou partie du canton de Genève remplit les conditions légales prévues par l'article 2 de l'arrêté fédéral du 6 octobre 1995 en faveur des zones économiques en redéploiement;
2. à intervenir auprès du Conseil fédéral et du département fédéral de l'économie publique afin que l'ordonnance du 17 juin 1996 concernant la détermination des zones économiques en redéploiement soit modifiée au plus vite pour inclure tout ou partie du canton de Genève.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La nécessité de relancer l'activité économique dans le canton de Genève est reconnue par tous. Notre canton est frappé depuis plusieurs années par une crise économique sans précédent qui anéantit notamment une large partie de son secteur secondaire. La conséquence de cette situation est une forte aggravation du chômage et des problèmes sociaux.
Face à cette situation, il est impérieux de réagir. La politique des grands travaux menée par le Conseil d'Etat, et confirmée dans le budget 1997, ne suffit pas pour relancer l'activité économique. Il faut agir de manière plus large en rétablissant l'attractivité du canton de Genève.
Le projet de loi relatif à l'amélioration de l'attrait fiscal de Genève pour les personnes morales, la diminution de la dette de l'Etat et de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, déposé par le groupe radical au Grand Conseil, poursuit cet objectif en prévoyant des exonérations importantes pour les nouvelles personnes morales.
Toutefois, ces mesures cantonales ne suffisent pas toujours. La concurrence entre les cantons est vive et nos voisins accordent le plus souvent des conditions tout aussi favorables. Dans ce cas, l'élément déterminant pour le choix des entreprises est le montant des impôts fédéraux directs. Or, seul l'arrêté fédéral du 6 octobre 1995 en faveur des zones économiques en redéploiement prévoit la possibilité d'une exonération de l'impôt fédéral pendant dix ans au plus, dans les régions auxquelles il s'applique.
Dans le canton de Vaud, il suffit d'observer le nombre de nouvelles entreprises installées le long de l'autoroute Genève-Lausanne pour mesurer l'effet de cette mesure, couplée aux allégements fiscaux cantonaux. La situation est similaire dans le canton de Neuchâtel.
Ne bénéficiant pas des mesures prévues par l'arrêté fédéral du 6 octobre 1995 en faveur des zones économiques en redéploiement, le canton de Genève est gravement désavantagé par rapport aux cantons voisins. Face aux nouvelles entreprises, il ne peut pas toujours être concurrentiel sur le plan fiscal.
De même, les entreprises genevoises qui investissent, développent de nouveaux produits ou créent des emplois en ouvrant de nouvelles unités de production sont désavantagées par rapport aux entreprises situées dans les zones couvertes par l'arrêté Bonny. Elles ne peuvent profiter ni des cautionnements ni des contributions au service de l'intérêt des crédits d'investissement prévus par cet arrêté.
En conséquence, la motion qui vous est soumise vise à obtenir du département fédéral de l'économie publique que tout ou partie du canton de Genève soit au plus vite inscrit parmi les régions bénéficiant de l'arrêté fédéral.
Pour ce faire, il appartient au canton de démontrer, conformément à l'article 2 de l'arrêté, que certaines des communes genevoises, liées entre elles du point de vue géographique ou du marché du travail, souffrent d'un chômage actuel ou imminent dépassant la moyenne nationale ou bien ont subi ou risquent de subir une forte diminution du nombre des emplois.
Le niveau et le potentiel de développement de Genève devraient confirmer l'analyse effectuée en matière d'emploi, dans la mesure où le canton subit une récession et une situation permanente de grave désavantage concurrentiel face aux entreprises de France voisine.
L'extension de l'arrêté fédéral à Genève ne coûtera rien au canton mais permettra au contraire d'attirer de nouvelles entreprises, de créer des emplois et donc de contribuer à redresser l'équilibre fiscal du canton puis de diminuer le niveau général des impôts.
Pour tous les motifs exposés ci-dessus, les proposants de la présente motion vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à lui réserver le meilleur accueil.
Débat
M. Jean-Philippe de Tolédo (R). Je constate que les questions liées à la fiscalité intéressent beaucoup le Grand Conseil... surtout après le dîner !
Cette motion complète idéalement le projet de loi 7537 du parti radical; ces deux éléments visent à former un projet global, bénéfique pour l'avenir de Genève. Le projet de loi 7537 parle de fiscalité cantonale, tandis que cette motion a trait à la fiscalité fédérale.
En vue d'obtenir les avantages de l'arrêté Bonny pour Genève, notre conseiller national Jean-Philippe Maitre a déjà fait un certain nombre de démarches auprès du Conseil national. Cette motion a pour but de soutenir ses démarches.
Le déficit chronique du canton de Genève pourrait être réduit si ce dernier pouvait bénéficier de l'arrêté fédéral. En effet, il serait rendu plus attractif pour de nouvelles entreprises, fiscalement parlant. Au lieu de choisir des lieux d'accueil, comme le canton de Vaud ou de Neuchâtel, qui eux en bénéficient déjà, elles pourraient s'installer dans notre canton. En choisissant Genève, les entreprises y créeraient des emplois et relanceraient la consommation en accélérant la reprise économique.
A l'heure de la mondialisation, de la globalisation, il est important de reconsidérer le phénomène de délocalisation. Généralement, on ne constate que le départ des entreprises quittant le canton, sans tenir compte du fait que d'autres entreprises sont susceptibles de s'y établir, moyennant certains avantages, naturellement. Ces deux propositions du parti radical ont pour but d'inverser le flux de délocalisation et de permettre à certaines entreprises de s'installer dans le canton de Genève avec une certaine sérénité.
Cette vision du phénomène de délocalisation est innovante. Il est temps d'être imaginatifs et audacieux : «Une fois n'est pas coutume !» pour reprendre l'expression des Verts au sujet de la discussion immédiate. Ce projet, cette motion et ses modalités d'application pourront être discutés en commission fiscale. On pourrait éventuellement les transformer en résolution, afin d'aider notre conseiller national dans ses démarches pour l'obtention d'avantages pour Genève.
Je désire répondre à Mme Calmy-Rey au sujet du premier projet sur la défiscalisation cantonale. Elle prétend que la charge fiscale suisse est faible et que cela ne constitue, en aucun cas, un avantage suffisant pour que les entreprises choisissent notre région.
La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Au contraire, il me semble que la défiscalisation cantonale et fédérale est un avantage certain pour les entreprises désirant s'installer dans notre région. Tout comme M. Clerc, je pense que cela favorisera la création d'emplois.
MM. Hiler et Vaudroz ont soulevé un point important. En effet, si l'exonération fiscale devient automatique, on risque d'aboutir à une défiscalisation totale pour toutes les entreprises. J'avoue que ce point doit être amélioré dans notre projet, afin d'éviter ce cas de figure. Le choix des entreprises devra être opéré judicieusement en fonction des différents secteurs économiques à développer.
M. Hiler s'étonne du fait que j'aie des idées concernant le développement durable. Je tiens à citer ici M. Chaïm Nissim, expert en développement durable, qui a parfaitement compris mon message. Il a reconnu que l'extinction de cette dette de 8 milliards, qui sera à charge des générations futures, concerne le développement durable. Je le remercie d'avoir compris, et j'espère que les autres députés feront de même.
Monsieur Hiler, vous prétendez qu'avec ce genre de propositions on marche sur les plates-bandes du Conseil d'Etat. Telle n'est pas notre idée. Au contraire, ce genre de projet est de nature à l'aider dans sa démarche qui comporte trois étapes en vue de réduire le déficit.
Il s'agit, en premier lieu, de la réduction des frais. (Eclats de rire; le député est interpellé.) Mais il sait que nous voulons l'aider ! Nous ne voulons que cela ! D'ailleurs, M. Vodoz, fait partie de la grande famille libérale qui représente nos cousins... (Rires.) ...germains... sur certains plans. On ne déballera pas le linge sale en...
La présidente. Continuez, sinon je ne pourrais pas faire régner le calme dans cette assemblée !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Ce projet de motion concernant la défiscalisation est important. On sait que certaines entreprises renoncent à s'installer à Genève; elles choisissent bien évidemment les endroits où elles bénéficient de ces avantages. Nous devons aussi les leur offrir, inverser le flux de délocalisation et créer des emplois.
Des voix. Bravo !
M. René Longet (S). Dans un premier temps, l'idée d'élargir le rayon d'action de l'arrêté Bonny nous paraît intéressante. Dans un deuxième temps, étant donné la situation de crise en Suisse, il nous semble que le pays entier devrait être soumis à cet arrêté. A ce moment-là, les avantages comparatifs qu'il offre n'existeraient plus.
Toutefois, la solution que vous préconisez, tout en ne nous paraissant pas fausse, nous semble ne pas traiter le vrai problème. Nous souhaiterions examiner cet élément en commission, mais il nous plairait de relancer la recherche d'une réelle harmonisation fiscale en Suisse, tout en connaissant les difficultés d'une telle ambition.
En effet, il est aberrant de constater à quel point ce petit pays, qui connaît de graves problèmes économiques, comporte de disparités fiscales d'un canton à l'autre. La concurrence est grande et, finalement tout le monde y perd. C'est pourquoi cette motion, qui a pour but de soutenir les démarches au niveau national - comme vous l'avez dit, Monsieur de Tolédo - devrait aussi déboucher sur une incitation nouvelle à l'harmonisation fiscale au niveau fédéral.
M. David Hiler (Ve). Monsieur de Tolédo, je vous ai simplement reproché de ne pas «faire un pas suffisant» en direction du développement durable. D'ailleurs, je me propose d'amender votre projet à la lettre a, comme suit : «100% pour le remboursement de la dette de l'Etat de Genève.»
En ce qui concerne la motion, si Genève doit recevoir des avantages de la Confédération, je crains, quels que soient les critères pris en compte, que l'ensemble du pays ne doive être mis au bénéfice de l'arrêté Bonny.
Nous sommes prêts à étudier cette motion en commission, mais en nous souvenant que l'état des finances fédérales ne permet pas, me semble-t-il, d'accorder à tous une baisse de l'imposition fiscale.
Actuellement - et il conviendrait d'y être quelque peu sensibles - la Suisse alémanique a tendance à nous voir venir avec nos «grands pieds» lorsque nous lui réclamons une aide ! Ce qui s'est passé avec l'assurance-maladie et d'autres sujets, qui nous tiennent très à coeur, risque de se reproduire si nous n'admettons pas, malgré tout, que le niveau de vie à Genève est supérieur à celui d'une bonne partie de la Suisse et que le rôle de nouveau pauvre, que nous inventons, risque bien de ne pas convaincre nos Confédérés. Ces derniers risquent aussi de nous dire la vérité, soit que si nous organisions mieux la disposition de nos richesses nous viendrions à bout de cette crise. Or, il est indéniable que nous avons des richesses qui devraient nous le permettre.
M. Claude Blanc. Ah, si tu le dis !
M. Daniel Ducommun. Bravo Bug's Bonny !
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Le 15 novembre 1995, le Conseil d'Etat écrivait, entre autres, ce qui suit au Conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz : «...Nous devons malheureusement constater, jour après jour, que la décision du Conseil fédéral du 20 octobre 1994, concernant la "détermination de régions dont l'économie est menacée", a subitement créé de véritables inégalités de traitement entre les cantons, provoquant ainsi une réelle distorsion de concurrence, à la fois peu souhaitable et contraire aux objectifs visés par l'arrêté Bonny.
Tenant compte de ce qui précède, nous vous demandons formellement, sur la base du document complet qui vous a été remis, d'inclure dans la prochaine révision de la liste des régions dont l'économie est menacée, les communes de Carouge, Genève-Ville, Meyrin, Plan-les-Ouates, Satigny et Vernier, soit celles sur lesquelles sont situées de très importantes zones industrielles. Ne pas accéder à une telle demande équivaudrait pour la Confédération à empêcher notre canton de maintenir un secteur industriel indispensable pour l'équilibre de son économie. Ces régions genevoises méritent, à notre sens, tout autant de bénéficier des dispositions de l'arrêté Bonny que, pour ne prendre que quelques exemples, les suburbaines de la ville de Lausanne appartenant au district de Morges, le district de Rolle ou la ville de Neuchâtel.»
Nous attendons encore la réponse. Nous sommes donc très fermement intervenus, et, si ce projet de motion nous est renvoyé ou qu'on le renvoie en commission, il viendra compléter la demande formelle que nous avons faite au nom du canton, voilà une année.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission fiscale.