Séance du
vendredi 11 octobre 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
11e
session -
41e
séance
P 1103-A et objet(s) lié(s)
11. a) Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier les objets suivants :
Sous l'adroite présidence de M. Andreas Saurer et les conseils éclairés de M. Albert Rodrik, directeur de cabinet, la commission de la santé a consacré 9 séances de travail pour traiter les sujets contenus dans ce rapport. La première s'est tenue le 8 mars et la dernière, le 20 septembre. Deux pétitions indépendantes ont été traitées simultanément, car elles associaient les mêmes acteurs et donc, les mêmes témoins. La première est adressée à notre Conseil le 26 janvier 1996 par M. Hintermann, père d'un patient hospitalisé depuis le 7 décembre 1989 à la clinique de Mon-Idée. Sa pétition concerne «le droit des patients et l'information à Bel-Air». La seconde a été annoncée dans la presse conjointement au début de nos travaux, mais déposée au secrétariat du Grand Conseil le 15 mars 1996. Elle émane de deux associations, l'une appelée A.P.R.E.S et la seconde les Sans Voix. Munie de 3289 signatures, elle s'intitule «Appel à la reconnaissance de la médecine non conventionnelle en psychiatrie». Nous avons alors convenu d'auditionner, outre les pétitionnaires, le professeur José Guimón, chef du département de psychiatrie, le professeur Andreoli, chef de service adjoint, le Dr Jame De Mourraserra, chef de la division de psychiatrie du développement mental, le Conseil de surveillance psychiatrique ainsi que les conseillers accompagnants en les personnes de Mme Dominique Quiroga et MM. Alain Riesen et François Germanier.
Audition de M. Alberto Hintermann, pétitionnaire (P 1103)
M. Hintermann a un fils de 32 ans hospitalisé à la Clinique psychiatrique de Belle-Idée depuis le 7 décembre 1989. Celui-ci souffre d'une affection psychiatrique chronique nécessitant un suivi adapté et constant. Les contacts initiaux avec l'équipe soignante n'ont certes pas été toujours sereins, mais jamais celle-ci ne l'aurait mis à l'écart du processus de soins. Il s'est même senti soutenu dans le processus thérapeutique lorsque l'équipe soignante a développé une nouvelle approche par l'intermédiaire d'ordinateurs. Selon M. Hintermann, ce processus permettait à son fils d'ouvrir des liens avec son entourage. Il aurait ainsi appris les chiffres, ce qui lui a permis de téléphoner ou de prendre le bus. Il voyait là un espoir d'amélioration de son état, une alternative meilleure pour lui que les psychotropes. Il estime que ces traitements psychotropes entraînent une somnolence diminuant chez lui ses possibilités de contacts avec l'entourage. Son espoir s'est concrétisé par une demande à son employeur de soutenir un projet pilote à partir d'ordonnateurs. Ainsi, cet employeur a mis à la disposition de la clinique douze PC.
Puis l'équipe a changé. Et la prise en charge aussi. Ce programme de stimulation assistée par ordinateur a pris fin au profit d'un traitement médicamenteux. M. Hintermann s'est alors tourné vers la hiérarchie de la clinique jusqu'à son sommet pour connaître les nouveaux buts thérapeutiques sans obtenir de réponses satisfaisantes. Après avoir épuisé toutes les voies possibles de recours ou de plaintes, il a fait appel en désespoir de cause à notre instance dans l'espoir d'être écouté. Il souhaite cependant que son fils reste à la clinique, estimant que les foyers d'accueils hors institutions ne lui sont pas adaptés : ils auraient le désavantage de ne proposer au présent aucun futur.
Audition de Mmes Theresja Krummenacher et Adrienne Szokoloczy-Syllaba, pétitionnaires (P 1106)
Mme Krummenacher s'exprime en tant que responsable de l'association des « Sans Voix » et Mme Szokoloczy-Syllaba en tant que coresponsable de l'association «A.P.R.E.S.». Ces deux organismes regroupent des patients et des ex-patients des établissements psychiatriques. Leur collaboration mutuelle a débuté il y a environ quinze ans. Elles ont alors estimé nécessaire de modifier la politique genevoise de la santé mentale, à leur avis trop souvent coûteuse et inefficace. Elles souhaiteraient que soit privilégiée la recherche des causes des affections psychiatriques dans l'espoir de développer une meilleure prévention. Estimant n'être pas écoutées par les autorités soignantes de ces établissements malgré des requêtes réitérées, elles demandent que leur message leur parvienne par voie politique. Aussi adressent-elles une pétition à notre Conseil muni de 3 289 signatures récoltées en tout milieu. Leur pétition et leurs auditions réclament plus précisément l'abolition des «traitements en chambres» et que soient proposées aux malades mentaux des alternatives aux neuroleptiques, tout en rappelant que le droit au consentement éclairé d'un patient s'applique, y compris lorsqu'il s'agit d'un patient hospitalisé en non volontaire en milieu psychiatrique.
Les pétitionnaires estiment notamment sans fondement les traitements en chambres fermées qui leur paraissent plus comme une torture supplémentaire pour un être souffrant qu'un programme thérapeutique. Elles estiment leur point de vue partagé par de nombreux spécialistes qui, eux aussi, ne trouvent aucun résultat bénéfique lorsqu'on use de contraintes. Elles se révoltent surtout de constater que ces contraintes s'exercent contre des patients, en général pour imposer un traitement par neuroleptiques. Pour elles, les neuroleptiques ont remplacé la camisole de force par une camisole chimique tout aussi humiliante en réduisant le libre arbitre du patient.
Le consentement éclairé entend qu'on informe le patient sur les alternatives. Elles veulent que les patients psychiatriques aient le choix de leur traitement, à l'image du patient somatique. Elles souhaiteraient qu'un hôpital psychiatrique universitaire développe des programmes de traitements qui dépassent la seule sédation des patients par le développement de traitement alternatifs (programmes de stimulation, médecine non conventionnelle, homéopathie, médecine orthomoléculaire, phytothérapie...).
Audition de Mme Dominique Quiroga et de MM. Alain Riesenet François Germanier, conseillers accompagnants
Les conseillers accompagnants sont nommés par le Conseil d'Etat. Ils sont à la disposition du patient qui les sollicite.
M. Riesen a été contacté par M. Hintermann, père, pour l'aider à voir de quelle manière, selon les appréhensions du père, on pouvait aider le fils. C'est une situation très spéciale faisant appel aux compétences de M. Riesen dans ce domaine, plus qu'à un rôle de conseiller accompagnant. Les interventions ont été sollicitées par le pétitionnaire en mai et septembre 1995. Ne sachant comment s'informer davantage et aider son fils, M. Hintermann s'est adressé au Grand Conseil.
En ce qui concerne la pétition 1106, les conseillers accompagnants soulignent que le problème des chambres fermées pose les questions:
- de l'indication thérapeutique;
- du consentement éclairé du patient et
- du contenu du séjour en chambre fermée.
En effet, le séjour en chambre fermée peut résulter d'une indication précise de nature médicale, mais ne doit pas répondre à un besoin sécuritaire, de soulagement des équipes soignantes ou comme simple alternative aux neuroleptiques parce que le patient les refuse. Ensuite, comme tout autre traitement, le séjour en chambre fermée doit être précédé du consentement du patient et suivi d'une surveillance accrue du Conseil de surveillance psychiatrique, ainsi que cela avait été demandé par le conseiller d'Etat. Enfin le séjour en chambre fermée doit comporter un programme thérapeutique précis, dûment respecté et contrôlé par la hiérarchie. Par ailleurs, les conseils accompagnants soulignent l'importance d'aménagements matériels simples permettant aux patients de garder le contact avec l'extérieur et connaître leurs droits. Ainsi, l'augmentation de téléphones librement accessibles (problème de l'argent laissé au patient) est indispensable.
Audition du Conseil de surveillance de la psychiatrie (CSP):Dr Petite et Me Zwahlen
Le CSP est constitué de douze membres et d'un certain nombre de suppléants: six médecins dont quatre psychiatres, un juge et deux avocats, deux travailleurs sociaux et un infirmier en psychiatrie. Le procureur général et la présidente du Tribunal tutélaire siègent avec une voie consultative.
Il s'agit d'un organe de recours pour les patients et d'un organe de surveillance des établissements. Dès qu'une entrée, au sens de la loi K 1 12, a lieu, le CSP peut et doit intervenir. Son action est indépendante du site ou du service chargé de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes, y inclus le respect du consentement éclairé du patient.
Dans le cas de M. Hintermann, la question ne relevait pas strictement du respect de la loi K 1 12. Dans cette affaire étaient en cause la nature et l'étendue de l'information due aux proches n'ayant pas la responsabilité légale du patient et la nature des soins prodigués qui semblaient inclure une forme de recherche expérimentale (ordinateurs) sans protocole précis et sans désignation d'une personne responsable de l'évaluation.
Les représentants du CSP n'ont pas abordé les problèmes de la politique des soins telle qu'évoquée par la pétition 1106. Par contre, ils se sont exprimés longuement sur l'application de la loi lors des traitements en chambres. Ils remarquent tout d'abord une augmentation constante du nombre global des entrées à la clinique psychiatrique de Belle-Idée avec une inversion depuis 10 ans du nombre de patients entrés volontairement pour y recevoir des soins vis-à-vis de ceux qui y sont contraints (voir tableau 1). Ils relèvent pour cela différents facteurs: le changement des lois, la qualité des soins et l'accroissement des difficultés sociales. Les modifications des lois significatives pour ce problème ont concerné la loi sur le droit des patients (24 décembre 1987, K 1 30), le remaniement du CSP (septembre 1992, K 1 12) et le principe entrée libre/sortie libre du 1er avril 1993. Il faut encore relativiser ces aspects, car la loi ne devrait pas pouvoir modifier le nombre total de patients dans les établissements psychiatriques dans d'autres cantons, l'évolution des admissions est identique alors que le cadre légal est différent. Du point de vue de la qualité des soins, il faut relever qu'un patient adulte sur cinq est réhospitalisé dans les 30 jours qui suivent sa sortie. Ces éléments sont aussi dépendants de la qualité du réseau extra-hospitalier qui n'offre pas toutes les garanties nécessaires notamment dans la prise en charge rapide des patients. Enfin, ils estiment que la demande sociale est de plus en plus forte comme en témoigne par ailleurs l'augmentation constante des mesures de tutelles ou des rentes AI pour des raisons psychologiques.
Quant au problème des chambres fermées en lui-même, cela fait partie d'une thérapeutique qui a des indications et des contre-indications. Ce traitement est toujours modulable et progressif. La procédure infirmière est très stricte en la matière (voir Annexe I). Le personnel infirmier doit notamment visiter le patient toutes les demi-heures et signer une feuille de contrôle. Une étude (voir Annexe II) a été menée notamment à la demande du CSP et du département de l'action sociale et de la santé qui conclut que cette forme de prise en charge a concerné en un mois donné 28 patients, soit 11% de la population hospitalisée au moment de l'étude. Un seul patient en chambre fermée ne recevait pas de neuroleptiques. Dix patients refusaient de prendre spontanément ce type de médicaments. Le CSP relève que les cadres des équipes soignantes souhaiteraient parfois une surveillance plus rapprochée par le CSP. Mais celui-ci se refuse de déresponsabiliser les équipes soignantes.
Audition de MM. les professeurs José Guimón et Andreoliet du Dr Jame De Mourraserra
M. le Dr De Mourrasera précise qu'il suit dans son service le cas de M. Hintermann fils depuis 2 ans, mais qu'il connaît tant le père que le fils depuis 17 ans maintenant. Il a été en relation avec ce dernier lors de nombreuses consultations, puis lors de ses trois hospitalisations à Bel-Air, dont la dernière dure depuis 7 ans. Il affirme avoir toujours été de la plus grande attention et de la plus grande ouverture envers tous les conseils, remarques et critiques de M. Hintermann concernant les programmes thérapeutiques prodigués à son fils. Mais il avoue que dernièrement, s'il n'avait pas été psychiatre, il aurait été sensiblement blessé par les critiques de M. Hintermann et plus précisément les termes de la pétition 1103 s'adressant principalement à lui. Il considère que les allégations de M. Hintermann sont dues à l'état de détresse dans laquelle il se trouve vis-à-vis de son fil handicapé. Ce jeune homme de 32 ans va très bien. Il a un bon projet de réhabilitation en vue d'une éventuelle réinsertion sociale et a donc des possibilités de progresser. Il est envoyé au centre de Jour de Thônex (une nouvelle division des EPSE) notamment pour utiliser de nouveaux logiciels informatiques.
Le professeur Guimón confirme les dires de son collègue et insiste sur le fait que lui-même a répondu à M. Hintermann, lui a écrit, l'a reçu et l'a entendu. Mais il a une vue plus pessimiste que son collègue sur les possibilités de progresser du jeune homme. Pour lui, M. Hintermann, père, a des revendications pleines d'incertitudes et ses accusations sont fausses. En tant qu'administrateur et directeur du département de psychiatrie des HUG, il considère qu'il faut maintenant poser une limite face à ces attaques mensongères contre son institution.
Il juge le système psychiatrique à Genève comme très important: le budget et le personnel sont très importants. Le système est efficient. Il note que le rapport coûts/bénéfice pourrait être amélioré. Le canton comporte aussi un réseau extra-hospitalier vaste et exceptionnel. Il assume 290 000 consultations et 3 000 hospitalisations annuelles. Cependant, l'hôpital psychiatrique en lui-même a un impact très négatif sur la population. Aussi souhaite-t-il que soit développé, pour des séjours de courtes durées, un service au sein de l'Hôpital général. Cela favoriserait une réinsertion plus rapide, notamment par une ambiance plus neutre. Le dispositif légal qui entoure le patient, notamment psychiatrique, lui semble bon. Mais l'ouverture des portes favorise aussi les fuites et par extension les suicides. Cet exemple, parmi d'autres, pour montrer que les principes thérapeutiques conformes à l'éthique médicale peuvent être compromis ou mis en échec au profit de la liberté individuelle.
Le traitement en chambre fermée a des indications strictes. Chaque fois qu'il est possible, le patient est pris en charge en thérapie de groupe, plus favorable à dissiper les angoisses et les états d'agitation que lorsque le malade est isolé. Cependant, il s'avère parfois nécessaire d'appliquer un traitement en chambre lorsque c'est le seul moyen de contenir l'agressivité du sujet tant pour lui-même que vis-à-vis des autres. Il ignore par ailleurs la proportion de patients hospitalisés qui sont sous traitement de neuroleptiques. Lorsque l'indication est correctement posée, ce traitement gage du meilleur pronostic connu selon les connaissances internationales. Les autres traitements n'ont pas un support scientifique suffisant pour pouvoir être éthiquement proposés.
M. le professeur Andreoli rappelle que la médecine non conventionnelle a été traité, entre autres, par une initiative de l'Union européenne. Plusieurs motions viennent des Etats-Unis. Il a lui-même participé à l'élaboration d'un rapport, lequel a été rédigé sur la base d'un très gros travail. En résumé, la seule forme de médecine non conventionnelle retenue a été la psychothérapie. Les auteurs de ce rapport n'ont pas été impressionnés par l'homéopathie ou d'autres médecines non conventionnelles. Ce type de traitement a des indications limitées, alors que la discussion a lieu dans un contexte législatif qui par principe s'adresse à tous. Mais on peut aussi affirmer que la psychiatrie non biologique est donc très utilisée dans la clinique.
Discussions de la commission
1. Les auditions ont permis d'individualiser deux problèmes essentiels.
1.1. La nécessité objective de recourir en dernière instance à l'autorité politique en cas de conflit entre les soignés et les soignants des institutions psychiatriques
- Ce premier constat a surpris la commission par son côté indéniable, même si ce processus semble exceptionnel. Pourtant les autorités politiques ont mis en place un arsenal législatif dont aucun intervenant n'a remis en cause la qualité. Si la loi est bien acceptée par tous, il apparaît qu'il pourrait exister des divergences lorsqu'on évoque l'esprit de la loi. Les efforts du département sont alors appuyés par la mise en place du Conseil de surveillance psychiatrique (CSP) et les conseillers accompagnants. Il existe également une voie prévue par le Tribunal tutélaire (art. 37 K 1 12).
- Le CSP est l'autorité de recours et de surveillance définie par la «loi sur le régime des personnes atteintes d'affections mentales et sur la surveillance des établissements psychiatriques (K 1 12)». La dernière révision de la loi date du 1er avril 1993 et son règlement d'application est en cours depuis 1988. Le CSP exerce la surveillance générale des établissements hospitaliers psychiatriques, y compris les centres de thérapies brèves dans lesquels sont admises les personnes atteintes d'affection mentale. Il vérifie la légalité de toutes les admissions en milieu psychiatrique. Il est l'autorité de recours contre les admissions non volontaires et contre les oppositions médicales à toute demande de sortie d'un patient hospitalisé (privation de liberté). Il contrôle le respect du devoir d'information par l'établissement psychiatrique d'accueil et s'assure que le patient a donné son consentement éclairé aux soins qui lui sont dispensés. Il est l'autorité compétente pour donner son préavis au Conseil d'Etat sur les divers règlements des établissements psychiatriques dont il assure la surveillance. Il exerce une surveillance sur l'ensemble des malades atteints d'affections mentales ou sur les personnes qui lui sont signalées comme telles. Il décide de la possibilité de mandater des psychiatres, hors de son sein, pour évaluer si ces patients ont besoin de soins au sens de la loi K 1 12 (notion de danger et d'urgence). Il fonctionne également comme autorité compétente dans le sens de l'article 10 de la loi d'application du code pénal suisse (CPS) concernant les articles 43.4, 44.4 et 45.2 du CPS. Il est indépendant de l'administration. Ses membres sont liés par le secret de fonction et le secret professionnel. Enfin, l'organe de recours contre les décisions du CSP est la Cour de justice.
- En sus à cette autorité chargée de l'application du droit, se trouve une équipe d'interventions bénévole: les conseillers accompagnants. Ils sont nommés par le Conseil d'Etat. Leur rôle est de servir les patients lors des processus des soins. Chaque patient peut avoir recours au conseiller accompagnant. Normalement, il n'y aurait pas de possibilité connue qui les empêcherait d'intervenir. Leur médiation se situe au niveau des liens sociaux habituels admis librement par une société civile toujours évolutive.
- Enfin, dans des cas exceptionnels, graves et conflictuels entre le devoir d'assistance des soignants et la volonté exprimée d'un patient considéré comme ne disposant pas momentanément de son discernement, dans ces cas-ci, il existe une possibilité légale de recourir à la Chambre des tutelles pour désigner une «curatelle des soins». Il appartient donc au pouvoir judiciaire, plus particulièrement à l'autorité tutélaire, de statuer. Ce n'est pas la mission première de la Chambre des tutelles. Aussi, cela peut entraîner de nouvelles difficultés liées au libellé plus ou moins précis des décisions. L'imprécision peut concerner soit le rôle du curateur, soit la durée de son mandat. Les problèmes d'inadéquation entre les besoins réels des malades et les soins octroyés sont ainsi résolus par un diktat externe. Cela met en lumière les problèmes apparemment inconciliables, de devoir recourir à l'autorité judiciaire pour exiger l'adéquation des soins, ce qui n'est pas de leur stricte compétence.
En conclusion, la notion du recours à le justice pour bénéficier ou ne pas profiter de soins montre qu'il existe des situations sans vraie solution pour les deux parties en cause, malgré un arsenal considéré des plus complets. Il revient donc à l'autorité politique de se prononcer dans des cas très particuliers afin de rappeler la volonté publique qu'exprime le Grand Conseil. Et c'est le cas pour ces deux pétitions.
1.2. La demande publique que les autorités politiques interviennent dans le processus des soins notamment en psychiatrie
Une commission parlementaire, quelle qu'en soit la composition, n'a pas la compétence de déterminer les processus de soins. Et il serait bon de rajouter: pas davantage que la justice. Entrer dans ce débat pourrait rassurer les responsables des soins en déchargeant sur l'autorité politique les éventuels conflits liés à leur prise en charge médicale. Mais pourtant, jamais la loi ne pourra établir d'indications thérapeutiques.
Or, la psychiatrie est une branche des activités médicales des plus particulières. Contrairement aux autres branches de la médecine humaine, il n'y a que très peu de cas souffrant d'une maladie mentale pour laquelle une psychopathologie soit clairement expliqué du point de vue scientifique. Pour beaucoup d'experts, et le professeur Guimón l'a dit en commission, les affections psychiatriques sont souvent en relation avec une rupture de liens sociaux. En l'état de nos connaissances, il n'est pas encore établi si cette situation de rupture est la cause ou la conséquence des affections mentales (débat déjà ancien de l'inné et de l'acquis).
Mais une intervention politique dans le processus des soins s'est avérée parfois aussi indispensable. Par exemple, notre Conseil, en montrant encore récemment sa volonté de participer aux programmes fédéraux de distribution d'héroïne, a permis de venir en aide à une population particulière. Les études en cours de cette population mettent déjà en évidence leur lourd passé psychiatrique précédant la prise de drogues. Il faut donc parfois un signe clair de notre Conseil pour aider à l'évolution du processus des soins. C'est tout particulièrement le cas de la psychiatrie qui concerne une population souvent confrontée à de multiple problèmes simultanés, dont des difficultés sociales qui sont de notre compétence.
2. Rappels des demandes écrites et orales précisées lors des auditions
La liste des demandes et griefs adressée à notre Conseil à travers ces deux pétitions et l'audition de leurs auteurs est extrêmement longue (voir Annexe II). En espérant ne pas trahir la pensée des pétitionnaires, le rapporteur se permet de les résumer par cette phrase: le droit des patients s'applique quel que soit leur état; il est la base de l'alliance thérapeutique indispensable au processus des soins. Ces dernières années, notre Conseil a fait évoluer la loi en proposant que la psychiatrie s'exerce dans un milieu de plus en plus ouvert et en développant constamment le droit des patients. La loi K 1 30 «concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients» a été encore tout récemment révisée (18 mai 1996) par l'introduction des directives anticipées dans l'article 5 consacré au consentement du patient. L'interprétation de tout cet article se heurte constamment à la définition du consentement éclairé du patient capable de discernement. Celui qui définit cette situation est souvent le même que celui qui choisit le mode de prise en charge. Il s'agit d'une anomalie incontournable. Le CSP agit, certes rapidement, mais généralement dans les 24 heures qui suivent l'hospitalisation pour s'assurer du respect de la loi. Mais il ne peut agir par une contre-expertise médicale simultanée évaluant la capacité de discernement du patient. Le processus thérapeutique est alors engagé selon l'interprétation faite par nos autorités médicales de l'article 5. La commission s'est longuement interrogée de la validité d'un acte législatif complémentaire. Or, tous s'accordent pour affirmer que la loi est bien faite. Faudrait-il un dispositif d'aides supplémentaires au processus de décision des établissements psychiatriques ? Personne n'en a relevé la nécessité. Faudrait-il une commission d'éthique à laquelle pourraient se référer patients et personnel soignants ? Elle n'aurait qu'un rôle consultatif dont l'efficacité dépendra toujours des autorités médicales.
La commission a opté plutôt pour une motion qui invite le Conseil d'Etat à veiller que non seulement la loi, mais aussi l'esprit de la loi soit appliqué aussi dans les établissements de psychiatrie des HUG. Elle s'adresse tout particulièrement in fine aux autorités médicales de ces établissements, car eux seuls exercent le pouvoir de juger du consentement éclairé du patient capable de discernement lorsque celui-ci est en état de crise. Les professeurs ordinaires et singulièrement le directeur du département ont donc la responsabilité de faire respecter au jour le jour la loi et la volonté du législateur dans le processus des soins.
Les responsables médicaux ont depuis d'ailleurs déjà réagi en promulguant une directive adressée à tout le personnel qui stigmatise cette autorité (voir Annexe III).
La commission a aussi longuement abordé la question de la place des traitements alternatifs en psychiatrie. Comme nous l'a rappelé le professeur Andreoli, ce domaine comprend essentiellement la psychothérapie. La psychothérapie s'inscrit généralement dans la durée, voire dans une très longue durée. Elle est conduite selon les souffrances présentées et selon différentes écoles: la psychothérapie cognitive s'adresse plutôt à des patients phobiques, la systémique implique la famille ou l'entourage, la psychothérapie de groupe lors des expériences à partager (femmes ou hommes battus, alcoolisme, obésité...) et cette liste n'est pas exhaustive (voir Annexe IV).
Sa conduite en milieu psychiatrique hospitalier est peu appropriée alors qu'on tend à réduire la durée d'hospitalisation au profit de traitements ambulatoires plus propices à une alliance thérapeutique à long terme. Cependant, la commission craint que le recours systématique aux neuroleptiques puisse simplifier l'hospitalisation et regrette que la proportion de malades sous ce traitement ne soit pas connue. En effet, si le recours à ces traitements était véritablement systématique comme le font remarquer les pétitionnaires sans confirmation ou infirmation des autorités médicales, leur évaluation par rapport à «autre chose» devient impossible.
3. Conclusion
Au vu de ce qui précède, la commission, à l'unanimité, vous propose le renvoi des pétitions 1103 et 1106 sur le bureau du Grand Conseil et d'adresser la motion suivante au Conseil d'Etat. Si le rôle du Grand Conseil est de s'adresser au Conseil d'Etat, il ne méconnaît pas pour autant, en la circonstance, les hautes compétences du Conseil de surveillance psychiatrique et du pouvoir judiciaire qui, par ailleurs, n'ont jamais été mis en cause dans ce rapport.
ANNEXE
Secrétariat du Grand Conseil
Dépôt: 26 janvier 1996
P 1103
PÉTITION
concernant le droit des patients et l'information à Bel-Air
(Pétition au Grand Conseil de M. Luca Hintermann,du 30 novembre 1964, hospitalisé à Bel-Air depuis le 7 décembre 1989à la demande des parents et de la tutrice, reconnu autiste à fin 1990, présentée par son père M. Alberto Hintermann, né en 1926,de Beinwil am See, pour revendiquer que la prise en soins soit,à tous égards, conforme au droit et à la déontologie médicale)
Mes connaissances juridiques étant insuffisantes, mes arguments se bornent aux violations des règles divulguées dans la brochure «Accueil en psychiatrie hospitalière».
Page 1
«Notre but principal est, en matière de diagnostic, de traitement et de soins de prodiguer des soins de qualité. Cette notion repose fondamentalement sur des principes éthiques liés aux droits des patients, au respect de leur volonté, au droit à l'information et à la confidentialité.»
Page 9
«Chacun de nos intervenants recherche sans cesse votre collaboration et votre adhésion au programme de soins.
Si vous ou vos proches rencontrez un problème particulier n'hésitez pas à en parler avec votre médecin ou à contacter le chef de clinique.»
Page 13
«Au début de votre séjour, l'ensemble de vos besoins sont évalués et un plan de soins individualisé est établi avec votre collaboration.»
Or, ces principes moralement irréfutables ont été pratiqués à la lettre par le Dr Bovier, chef de division, et par le Dr Knabe, chef de clinique.
Fin 1993, ces responsabilités ont été assumées, respectivement, par leDr Moura-Serra et le Dr Charpiot et, successivement, par la doctoresse Galli-Carminati. Dès que ces changements ont été effectifs l'application de l'ensemble de ces normes est tombée en désuétude.
Ainsi, j'affirme que les thèses de la brochure ont trouvé des réalisations radicalement opposées. Brièvement, des exemples de cette affirmation:
Le consentement éclairé
Il est devenu irréel, au point que mes lettres demeurent sans réponses, comme le sont les initiatives de M. Riesen qui est investi d'un mandat du Conseil d'Etat. L'objectivité m'impose de souligner que, si le professeur Guimon n'a pas répondu à mes lettres, il m'a accordé un entretien le11 décembre 1994. Malheureusement, les engagements pris n'ont eu aucun suivi dans le quotidien de mon fils.
Le droit à l'information
Je n'ai pas eu besoin de le faire valoir avant 1994 tant la collaboration et la confiance étaient grandes. Depuis, il m'a été contesté (!) comme je le souligne dans ma lettre au Dr Petite du CSP (annexe 1).
Les soins de qualité
Je dois rappeler ici le résultat de l'étude pilote dont il est question dans ma lettre au Dr Petite. Je cite: «... le temps de concentration intellectuelle a pu être augmenté de 10 à 45 minutes. Sa production verbale spontanée, très limitée avant l'étude, s'est améliorée d'une manière significative. Les troubles des conduites (agressivité, etc.) ont disparu.»
Priver un patient d'un tel support est du domaine de l'irrationnel car cette méthode n'est plus expérimentale.
C'est donc mon droit de revendiquer:
1. que soient rétablis les principes d'une prise de soins
a) respectueuse des droits éthiques et de la déontologie médicale;
b) consciente que les troubles de comportement ne sont, souvent, que l'expression du désespoir du sujet qui n'a aucun autre moyen pour s'exprimer;
c) finalisée à l'amélioration de la santé et non au délabrement de l'esprit et des sens;
2. que les décisions soient prises de concert pour faciliter son autonomie;
3. que l'information des proches soit suivie, authentique et sincère;
4. que le consentement éclairé le soit;
5. que l'apprentissage «informatisé» soit favorisé au détriment des solutions hétéroclites envisagées. Les moyens sont nombeux et accessibles. Il suffit d'un peu de bonne volonté;
6. que les résultats obtenus ne soient pas un aboutissement mais un défi;
7. que le «petit comité» dont il est question à l'annexe 2 soit rétabli;
8. que l'apport des neuroleptiques ne soit, comme il a été dit, qu'une mesure d'appoint et non une solution de commodité et, qui plus est, agressive;
9. que la socialisation soit pragmatique et assortie d'une activité physique;
10. que les droits qui sont les nôtres le soient aussi pour les moins favorisés.
Alberto Hintermann
Cò de Lago
6825 Capolago
ANNEXE
Secrétariat du Grand Conseil
Dépôt: 15 mars 1996
P 1106
PÉTITION
Appel à la reconnaissance de la médecine non conventionnelleen psychiatrie
Nous nous référons à nos pétitions 903 et 904 (1991) demandant que, dans les établissements publics médicaux et particulièrement aux IUPG, des choix thérapeutiques soient proposés à tous les patients psychiques et, notamment, une alternative aux neuroleptiques.
Le Tribunal administratif a rappelé en mars 1995 que tous les patients, y compris les patients psychiques en hospitalisation non volontaire, jouissaient du droit au consentement éclairé. Ce droit implique pour le patient le droit de refuser un traitement et le droit de choisir entre divers traitements possibles.
Jusqu'à ce jour, la psychiatrie publique genevoise n'a fait aucun effort sérieux pour proposer des alternatives, en dépit des multiples risques et échecs des traitements classiques qu'elle pratique.
La motion 499, les pétitions 817-A et 820-A (1988) et le projet de loi 6646 (1990), qui demandaient une structure d'enseignement et de recherches en médecines dites naturelles, démontraient que le public, appuyé par un grand nombre de médecins, souhaitait des thérapies moins agressives et plus naturelles pour résoudre leurs problèmes de santé.
Nous, soussignés, invitons le département de l'action sociale et de la santé à faire diligence auprès des responsables de la psychiatrie genevoise, pour que:
1. le corps médical soit sensibilisé aux risques élevés induits par les traitements usuellement administrés;
2. la médecine non conventionnelle soit mise à la portée de tous les patients psychiques, des praticiens compétents étant engagés à cet effet;
3. la volonté du patient soit respectée pour ce qui est du choix d'un traitement, voire du refus d'un traitement déterminé.
N.B. : 3289 signatures
A.P.R.E.S.
et les Sans-Voix
Case postale 235
1211 Genève 17
ANNEXE I
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ANNEXE II
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ANNEXE III
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Débat
M. Dominique Hausser (S). Je souhaiterais que vous lisiez la lettre adressée par les deux associations.
Le président. Madame la secrétaire du Grand Conseil, veuillez procéder à cette lecture !
Annexe
lettre
M 1085
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant la prise en charge des patientsdans le département de psychiatrie des HUG
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- les pétitions 1103 «Droit des patients et informations à Bel-Air» et 1106 «Appel à la reconnaissance de la médecine non conventionnelle en psychiatrie»;
- les lois K 1 12 «sur le régime des personnes atteintes d'affections mentales et sur la surveillance des établissements psychiatriques» et K 1 30, notamment son article 5 «Consentement [du patient]»;
- les auditions auxquelles a procédé la commission de la santé,
invite le Conseil d'Etat
- à veiller à ce que l'ensemble des dispositions légales soient effectivement respectées;
- à s'assurer que les demandes des patients soient prises en considération et qu'il soit répondu à la demande d'information des proches.
P 1103-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission de la santé (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.
P 1106-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission de la santé (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.