Séance du
vendredi 11 octobre 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
11e
session -
40e
séance
M 1091
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la décision du département de l'instruction publique (DIP) de déléguer à une entreprise privée une tâche assumée jusque-là par le secteur public, à savoir l'organisation des transports d'enfants de l'enseignement spécialisé, le transport lui-même étant sous-traité à différentes entreprises privées, dont la quasi-totalité faisait le même travail auparavant pour le compte de l'Etat, en l'occurrence du service médico-pédagogique;
- les conséquences de cette adjudication: rétribution du mandataire unique, baisse de l'enveloppe budgétaire couvrant les frais de transport proprement dits, modification des contrats de travail des chauffeurs et chauffeuses et baisse des salaires,
invite le Conseil d'Etat
- à faire une évaluation du système qui consiste à charger un intermédiaire privé de faire un travail auparavant effectué par des services de l'Etat, et ce, en termes de qualité des prestations, de coût et des conditions de travail;
- en particulier dans le cas du service médico-pédagogique/entreprise Beck et Tinguely, de vérifier si, avec l'entrée en vigueur de la nouvelle pratique d'organisation, le règlement sur l'assurance-invalidité et son article 11 (remboursement des frais) s'appliquent encore;
- à veiller à ce que, dans l'esprit de la loi L 6 1, une convention collective de travail couvre les rapports entre les transporteurs et leurs employé(e)s, pour les transports du service médico-pédagogique et, aussi plus généralement, partout où il y a délégation des tâches du secteur public au secteur privé;
- à mettre en place dans les cas mentionnés ci-dessus un système de contrôle de l'exécution des mandats par une institution publique, avec une fréquence suffisante et préalablement fixée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Après avoir confié pendant plusieurs années le transport d'enfants de l'enseignement spécialisé à différentes entreprises de la place, le DIP, respectivement le service médico-pédagogique a décidé, pour la rentrée scolaire de cette année d'adjuger ce même transport à une entreprise unique, à savoir l'entreprise Beck et Tinguely. Cette dernière a sous-traité ce mandat à d'autres entreprises, dont l'entreprise Herren qui auparavant effectuait le même travail pour le compte direct du service médico-pédagogique.
Il est bien évident que le système antérieurement en vigueur et qui consistait pour l'Etat à traiter avec différents intervenants et à des tarifs différenciés présentait des inconvénients. Il est par conséquent assez logique que l'Etat ait cherché à y mettre un peu d'ordre. Reste que le système adopté n'est pas sans poser quelques problèmes:
Premièrement, il délègue des tâches auparavant effectuées par un service de l'Etat, en l'occurrence l'organisation du transport d'enfants, à un mandataire privé. On peut légitimement se poser la question de savoir si le service médico-pédagogique est désormais en mesure d'effectuer les contrôles nécessaires concernant l'exécution du mandat et si la sécurité des enfants est correctement garantie.
Deuxièmement, la mise en place d'un intermédiaire organisateur entre le service de l'Etat et les transporteurs a été accompagnée d'une réduction de l'enveloppe globale destinée à couvrir ces prestations, enveloppe qui passe de 2 900 000 F à 2 400 000 F pour l'année scolaire 1996/1997. De plus, le financement des frais de transport proprement dits s'est encore trouvé diminué de la rémunération de l'organisateur (10% du budget total), de sorte qu'un des principaux transporteurs en tient prétexte aujourd'hui pour dénoncer les contrats de travail de ses chauffeurs et chauffeuses et justifier une baisse de leurs salaires de 30 à 35% en 2 ans.
Enfin, les deux tiers des dépenses de ce service sont remboursées par l'assurance-invalidité en proportion des montants engagés. Ces remboursements vont donc baisser avec la réduction de l'enveloppe couvrant les frais de transport proprement dits, mais aussi la question reste ouverte de savoir si l'assurance-invalidité va continuer à financer le système, l'article 11 de son règlement stipulant en effet que «sont remboursés les frais correspondant à ceux qu'entraîne l'utilisation des transports en commun selon l'itinéraire le plus direct ou ceux de transports collectifs que l'école spéciale organise». Or, manifestement, ni l'école ni le service médico-pédagogique n'organisent ces transports.
Mesdames et Messieurs les députés, la présente motion a pour objectif de permettre une évaluation de ce type de délégation de tâches et d'éviter en tout cas qu'elle ne puisse se traduire par une diminution de la qualité des prestations et une dégradation des conditions de travail des employé(e)s concerné(e)s, se révélant en définitive plus coûteuse pour l'Etat que le système précédemment en vigueur.
Au bénéfice de ces explications, nous vous remercions d'ores et déjà de bien vouloir lui réserver un bon accueil.
Débat
Mme Micheline Calmy-Rey (S). La proposition de motion qui vous est soumise ce soir concerne plus particulièrement le transport d'élèves de l'enseignement spécialisé et plus généralement la sous-traitance des tâches de l'Etat à des entreprises privées.
Il y a une année encore, l'organisation du transport d'enfants de l'enseignement spécialisé était le fait du service médico-pédagogique qui déléguait le transport lui-même à différentes entreprises privées. Pour l'année scolaire 1996/1997, l'organisation et la coordination du transport de ces enfants ont été confiées à un mandataire qui délègue les tâches de transport proprement dites à différentes entreprises privées.
La mise en place d'un intermédiaire a été accompagnée d'une réduction de l'enveloppe globale des prestations et, de plus, la couverture des frais pour les transports a été diminuée de la rémunération accordée au mandataire chargé de l'organisation et de la coordination.
Aujourd'hui, un des transporteurs tire prétexte de ces réductions pour dénoncer les contrats de travail et diminuer les salaires de 30 à 35% sur deux ans.
Nous savons, Madame la présidente du département, que le système précédent avait aussi ses inconvénients, dans la mesure où il s'agissait d'une délégation à différentes entreprises pratiquant des tarifs différents. Nous comprenons donc que vous ayez voulu mettre de l'ordre dans ce système.
Reste que la nouvelle pratique doit être cadrée pour éviter qu'elle ne conduise à des dégradations des conditions de travail, à des diminutions de salaires, voire nuise à la qualité des prestations elles-mêmes - actuellement, on se demande si la sécurité des enfants est garantie - et pour éviter que les coûts de ce type de fonctionnement soient plus élevés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient précédemment.
C'est la raison pour laquelle nous déposons cette motion qui demande d'abord une évaluation de la pratique actuelle en termes de qualité des prestations, de coûts pour l'Etat et de conditions de travail; qui demande ensuite qu'une convention collective de travail lie désormais les entreprises et leurs employés lorsqu'elles effectuent des tâches pour le compte de l'Etat, cela dans l'esprit de la loi L 6 1, telle qu'elle est prévue pour les adjudications de travaux; qui demande, enfin, un contrôle public institutionnel de l'exécution des prestations, et ce à des fréquences raisonnables.
Je vous remercie de vouloir bien accepter cette proposition de motion.
Le président. J'ai oublié d'indiquer, Madame Calmy-Rey, que vous étiez l'auteur de cette proposition de motion. Veuillez m'en excuser !
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je souhaite que vous renvoyiez cette proposition de motion en commission, afin que vous puissiez y recevoir un certain nombre d'explications.
Ce n'est pas, Madame la députée, l'enveloppe qui a été réduite de prime abord. Nous avions chargé un fonctionnaire d'organiser, de gérer et de commander les différents transports à l'ensemble des entreprises privées. Les services responsables de la gestion, au niveau de l'office de la jeunesse, ont estimé que l'on pouvait travailler différemment, et ont cherché à savoir comment. Ils ont constaté différentes choses, notamment au niveau des tarifs appliqués. La réduction n'a donc pas porté sur l'enveloppe mais sur nos tarifs de rétribution. Nous les avons établis sur la base d'une enquête serrée et surtout sur celle d'un appel d'offres à différentes entreprises auxquelles l'office de la jeunesse souhaitait désormais confier les tâches de gestion et d'organisation.
D'où le montant de l'enveloppe fixé à ce moment-là et non sans peine, car je dois vous dire, Madame la députée, que je suis intervenue auprès des entreprises, afin de trouver un terrain d'entente. Pour ma part, j'y ai consacré quatre séances entières. J'ai même augmenté des tarifs jugés raisonnables par les spécialistes pour ce type de rétribution aux entreprises.
Il y a lieu de contrôler ce qui se passe au niveau des salaires mais nous n'avons pas le pouvoir d'exiger des conventions collectives qui sont du ressort des partenaires sociaux. Néanmoins, nous pouvons discuter des conditions de travail et les contrôler.
S'agissant de vos autres préoccupations, je me réfère à un document fourni et précis que nous vous remettrons. Il dénombre toutes les exigences imposées aux entreprises sur le plan de la qualité et de la sécurité. Il comporte un recensement par rapport à l'offre de base demandée. Il prévoit l'annulation du contrat si nos conditions ne sont pas respectées, ainsi qu'un modèle de gestion pour nous permettre de nous assurer du maintien des engagements pris.
Enfin, vous faites allusion à l'OFAS. Le service médico-pédagogique gardant le contrôle sur le système, à teneur du contrat, il n'y aura pas de problème concernant les subventions de l'OFAS. Ce point n'est pas litigieux.
M. Bernard Lescaze (R), conseillère d'Etat. Mme la conseillère d'Etat Brunschwig Graf vient de nous donner une explication extrêmement technique et fort intéressante. Elle fait que le groupe radical se ralliera à une lecture plus attentive de cette motion en commission.
Toutefois, nous ne pouvons, dans ce Grand Conseil, laisser passer certaines observations de Mme Micheline Calmy-Rey. Notre collègue développe des arguments qui ne peuvent, sur un certain point, que nous étonner.
Si nous sommes d'accord avec elle quant aux conclusions qui tendraient à permettre l'évaluation de ce type de délégation de tâches, nous ne pouvons que nous étonner du raisonnement qui fait que Mme Calmy-Rey s'indigne qu'une subvention, remboursée pour deux tiers par l'assurance-invalidité, grâce à la baisse des tarifs, baisserait également. Mais, enfin ! Nous cherchons tous à réduire les subventions et si cela peut, ne serait-ce que très modestement, soulager l'assurance-invalidité tout en maintenant cette part des deux tiers, eh bien c'est tant mieux ! Son raisonnement est absolument renversant !
D'autre part, Mme Calmy-Rey insinue que cette subvention ne serait plus versée parce que l'école n'organise pas elle-même les transports. Mais, Madame, c'est le texte de la loi. Il est évident que nulle part en Suisse une école est une organisation de transports et qu'elle délègue !
Une voix. Tu as bouffé du lion ?
M. Bernard Lescaze. Il y a suffisamment de gens sensés à Genève et à Berne, notamment à l'assurance-invalidité, pour poursuivre ces paiements même si une délégation est faite.
Dans ces conditions, et quel que soit son intérêt, il convient d'examiner attentivement cette motion de façon à ne pas laisser certaines billevesées se répandre plus loin !
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je ne sais pas ce qui arrive à M. Lescaze... (Rires.)
Une voix. Une montée d'adrénaline !
Mme Micheline Calmy-Rey. J'ai l'impression qu'il n'a pas d'argument à opposer et qu'il agit comme tous les gens dans ce cas : il traite les autres de n'importe quoi...
Une voix. Mais non, on t'aime bien !
Mme Micheline Calmy-Rey. Oui, oui, c'est ça ! Je tiens à répondre sur un point à M. Lescaze qui met en doute mon raisonnement sur la diminution de l'enveloppe. Je constate simplement que pour l'année scolaire 1996/1997 l'enveloppe globale, destinée aux transports enfants de l'enseignement spécialisé, a diminué de 500 000 F. Je constate également que cette diminution est survenue parallèlement à une délégation de tâches à un mandataire privé.
Je constate encore, Monsieur Lescaze, que le changement de système a conduit à attribuer une part de l'enveloppe, auparavant destinée aux transports, au mandataire chargé de les organiser.
Un des transporteurs tire prétexte de cette situation pour dénoncer les contrats de travail et réduire les salaires de 30 à 35%. Il ne me paraît pas légitime et quelque peu irresponsable que des économies budgétaires pour l'Etat puissent se traduire ainsi.
Mme Liliane Charrière Urben (S). J'ai l'impression que M. Lescaze nous fait une crise de bile ou d'urticaire, et qu'il se prend pour le censeur de ce parlement. On verra bien, à la sortie, de quelle couleur il sera !
Le président. On vous laissera la responsabilité du diagnostic ! (Rires.)
Mme Liliane Charrière Urben. Merci bien, je porte déjà des lunettes et ne tiens pas à perdre la vue ! (Rires.) La question posée au département de l'instruction publique peut constituer un point d'accrochage, comme elle pourrait l'être à d'autres niveaux, s'agissant de délégations et de dispositions.
Il s'agit, en l'occurrence, d'une délégation touchant au transport des enfants, mais on pourrait trouver d'autres exemples de délégations confiées à un mandataire.
Cela dit, il est vrai que le personnel actuellement engagé est surtout composé de femmes travaillant à temps partiel. Une situation précaire s'il en est, et l'on ne peut nous faire grief de nous inquiéter de savoir si l'on prend prétexte de cette nouvelle délégation pour imposer des diminutions de salaires.
On a cité une baisse de 30 à 35% : c'est peut-être exagéré. Même si elle n'était que de 10%, ce serait déjà trop, s'agissant de salaires modestes, d'emplois à temps partiel et de femmes dont la situation, sur le marché du travail, n'est pas brillante.
J'espère que la santé de M. Lescaze s'améliorera. Il recevra de ma part quelques bouteilles d'eau de Vichy ! (Rires.)
M. Bernard Lescaze (R). Je laisserai certaines remarques de côté. Je m'attaque simplement au fond de cette motion. J'ai dit que nous étions d'accord de l'étudier en commission.
En revanche, alors que l'on demande des économies sur tous les bancs, je constate que Mme Calmy-Rey reconnaît que 500 000 F sont épargnés. Elles les prétend mal utilisés, mais pour la caisse de l'Etat, c'est toujours ça.
Les 2 900 000 F attribués aux transports sont donc passés à 2 400 000 F, cela sans diminution de prestations.
Que le système de délégation entraîne des inconvénients pour certains chauffeurs et chauffeuses, cela se peut et mérite examen. Mais une rationalisation permettant une économie de 18%, tout en maintenant le niveau des prestations, c'est exactement ce que la majorité de ce Grand Conseil souhaite voir faire dans bien d'autres domaines.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.
La séance est levée à 19 h 5.