Séance du
jeudi 19 septembre 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
10e
session -
37e
séance
P 1114-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
En date du 25 avril 1996 était transmise à notre commission la pétition suivante, munie de 924 signatures:
(P 1114)
PÉTITION
contre le projet de construction d'une maison «Botta» à Dardagny(demande d'autorisation de construire n° 934445)
Mesdames etMessieurs les députés,
Nous, soussignés, déclarons nous opposer à ce projet ne respectant pas le règlement du plan de site du village de Dardagny dont le but principal tend à protéger le caractère architectural du village et à favoriser son développement harmonieux.
Par là même, nous appuyons la mairie et le Conseil municipal qui, à l'unanimité, ont donné un préavis défavorable à ce projet.
N.B. : 924 signatures
B. Dugerdil, maire
Route du Mandement 520
1282 Dardagny
La commission, sous la présidence de Mme Janine Hagmann, s'est réunie le 20 mai 1996 pour examiner la pétition susmentionnée. Elle a auditionné ce jour-là M. B. Dugerdil, maire de Dardagny, et M. H. Davier, ajoint au maire.
Audition des pétitionnaires
Ceux-ci ont précisé que la commune de Dardagny n'était consultée, comme le prévoit la loi, que pour donner un préavis au projet de construction de la maison «Mario Botta» à Dardagny pour le compte d'un client privé.
Aux yeux des pétitionnaires, ce qui est en cause réside dans l'incompatibilité du projet Botta avec l'existence d'un plan de site à Dardagny qu'accompagne un règlement.
Celui-ci a été élaboré par la commune, soumis à la commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) et adopté par le Conseil d'Etat en 1981.
Ces dispositions, dotées d'un caractère impératif, visent à assurer la protection de l'aspect architectural villageois tout en favorisant un développement harmonieux.
Dardagny s'honore d'avoir reçu en 1978 le Prix Henri-Louis Wakker, une distinction attribuée par la Ligue suisse du patrimoine national (Heimatschutz) aux collectivités qui ont oeuvré avec succès en faveur de la protection de leur patrimoine. Ce village est, avec le bourg médiéval d'Hermance, le seul à être doté d'un plan de site et d'un règlement sur le plan cantonal.
Or, en 1995, la commune a reçu une demande d'autorisation de construire une maison contemporaine. Le Conseil municipal a donné un préavis négatif au projet; trois articles du règlement n'étant pas respectés: les matériaux devaient être en harmonie avec ceux des autres constructions du village, la toiture devait être recouverte de tuiles plates ou courbes, la pente des toitures devait être de 30/40°. La CMNS, dans un premier temps, a confirmé le préavis des autorités communales («le projet demande l'octroi de trop de dérogations eu égard au règlement du plan de site»).
Le requérant a déposé un nouveau projet abaissé de 40 cm et le 13 juin 1995, la CMNS a émis un préavis favorable donné à la majorité des membres présents. Deux entrevues ont eu lieu avec le requérant et l'architecte, la dernière le 20 mars 1996, ainsi qu'une assemblée publique avec la participation de M. Mario Botta et de M. Philippe Joye. Dès ce moment, les autorités de Dardagny ont eu la certitude que l'autorisation de construire serait délivrée et que M. Philippe Joye, chef du département des travaux publics et de l'énergie (DTPE) ne respecterait pas le règlement du plan de site.
Il y a eu, selon le maire, sur les 1 200 habitants du village, 237 opposants contre 27 solidaires de l'architecte. Ensuite, une pétition adressée au Grand Conseil a récolté 924 signatures. A la recherche d'un dialogue, la commune a fait établir une image virtuelle du projet (voir annexe). Les représentants du village pensent que le plan de site a fait ses preuves et sont sûrs que le projet y porte une grave atteinte. Selon la mairie, le requérant s'attribue, au surplus, la propriété de la parcelle, alors que l'on sait qu'elle appartient à une hoirie.
La manière de faire du DTPE laisse apparaître, dans cette affaire, le peu d'autonomie communale dans ce domaine.
Le projet Botta
Le projet de Mario Botta réside dans une maison d'un étage sur rez-de-chaussée surmonté d'un toit en dôme métallique évoquant un hangar. Disposée perpendiculairement à la rue, la construction montre deux façades quasi aveugles au nord et à l'ouest, les ouvertures principales avec terrasse et jardin s'ouvrent au sud. Le plan est intéressant et n'est pas en cause dans le présent débat.
Mario Botta s'est fait connaître dans la première partie de sa carrière pour la qualité d'habitabilité et la beauté intrinsèque de ses maisons individuelles construites au Tessin. L'un des motifs qui les a fait remarquer était, outre une invention formelle originale mais néanmoins attachée au mouvement moderne dont il était l'héritier, une recherche d'intégration réussie dans le territoire, une attention soutenue à l'environnement bâti et paysager.
Le succès a éloigné Mario Botta de cette tendance et l'a amené à affirmer des partis esthétiques plus brutaux, délibérément spectaculaires. On aurait aimé de sa part qu'il admette la restriction imposée par le plan de site et le règlement villageois et exerce son grand talent à l'intérieur de ce cadre contraignant.
Voyons ce que dit le règlement sur les conditions imposées aux nouvelles constructions dans le périmètre du plan de site de Dardagny:
Art. 3
e) Bâtiments nouveaux et agrandissements
L'image directrice d'implantation des bâtiments nouveaux figure au plan.
Art. 6 Teintes et matériaux
1) Les matériaux et teintes doivent être en harmonie avec ceux des constructions traditionnelles du village.
Art. 7 Toitures, lucarnes
1) Les toitures doivent être recouvertes de tuiles plates, les couvertures en tuiles courbes traditionnelles peuvent être maintenues.
2) Les toitures doivent être à 2 pans inclinés de 30° à 40°.
Art. 11 Intégration
1) Les constructions doivent être édifiées en harmonie avec les constructions traditionnelles du village.
Pourquoi la commune de Dardagny s'est-elle délibérément imposé ce dispositif de protection même si celui-ci constitue une limitation du droit de construire eu égard au respect assumé envers le patrimoine existant?
Histoire du village
Dardagny, est-il besoin de le rappeler, est une commune viticole, sise sur le versant ouest de l'Allondon, sur la rive droite du Rhône non loin du Jura et de Fort-l'Ecluse. Dans ce site naturel exceptionnel en soi, le village sur son plateau est commandé par son château et son temple ainsi que par un cheminement au long duquel se sont formés des mas de fermes entrecoupés de maisons d'allure plus bourgeoise, voire seigneuriale (prieuré, maison Leleu).
Les plans cadastraux du village de Dardagny au XVIIIe siècle montrent, pour l'essentiel, une agglomération qui a déjà sa configuration actuelle.
Tout en apparence ressemble ici à l'histoire des autres villages genevois si ce n'est que la commune viticole a pu, au cours des cinquante dernières années, conserver quasi intacte l'agglomération du haut, puisqu'en bas, au bord du Rhône, La Plaine, également partie de la commune, conservait les activités industrielles et le développement d'un habitat moderne plus intensif.
Ces conditions sont rares. Elles sont aussi le fruit d'une volonté: celle d'assurer l'activité économique des viticulteurs dardagnotes, dont la plupart sont des indépendants, ainsi qu'un environnement propre à donner la meilleure image de leur produit.
Il vaut la peine de rappeler qu'en 1916 le château d'origine médiévale et rénové au XVIIIe siècle a risqué la démolition complète dont l'a sauvé l'action conjointe des collectivités publiques. Il abrite aujourd'hui la mairie et l'école.
Pour marquer son intérêt, le DTPE a publié, en 1993, un splendide ouvrage du village intitulé «Dimensions cachées de Dardagny».
Discussion de la commission
La première constatation de la commission des pétitions, c'est que M. Philippe Joye ne tient aucun compte du préavis communal dans cette affaire et ne respecte aucunement le plan de site et son règlement que le Conseil d'Etat avait lui-même adopté.
Ensuite, elle s'est attardée sur les mérites et la renommée de l'excellent architecte Mario Botta. Ni les uns, ni l'autre ne sont en cause. Mais après les efforts consentis par la commune et les particuliers pour veiller à la sauvegarde d'un village classique de la campagne genevoise, quelle serait la valeur des contraintes imposées en vue de cette sauvegarde, si le jugement porté sur une personnalité particulièrement créative suffisait à les faire lever? Le plan de site et son règlement risqueraient d'être réduits à néant.
Au surplus, si le projet Botta ne se situait pas au coeur du village, au voisinage du château et du temple, les pétitionnaires pourraient l'accepter. Malheureusement, un échange de parcelles au profit du propriétaire-commanditaire de Botta n'apparaît pas possible vu la rareté des terrains à construire en pleine zone viticole et agricole.
La majorité de la commission des pétitions par 11 oui (3 AdG, 2 Soc., 1 Ve, 4 Lib., 1 DC) contre 2 non (Rad.) et 1 abstention (DC) a pourtant estimé que la violation du règlement adopté par le Conseil d'Etat n'était pas justifiée et que la pesée d'intérêts était favorable au respect du règlement protégeant un village exceptionnel de la campagne genevoise.
Elle vous invite donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat en lui demandant d'annuler la délivrance du permis de construire afin de respecter la volonté de la municipalité et de la majorité des habitants de Dardagny.
Annexes: montage virtuel.
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RAPPORT DE LA MINORITÉ
Après avoir examiné le dossier et entendu les autorités communales, la minorité de la commission des pétitions ne peut accepter de renvoyer la pétition susmentionnée au Conseil d'Etat. Ce serait en effet faire preuve de méconnaissance de la situation historique et architecturale du village de Dardagny. Le respect légitime dû à la sauvegarde du patrimoine construit de ce village du Mandement genevois ne saurait s'accompagner d'expressions qui relèvent davantage du fanatisme et de l'obscurantisme que d'une appréciation sereine du projet présenté et de son insertion dans le contexte villageois.
De quelques arguments curieux
La commune fait grand cas d'une pétition couverte de 924 signatures, ce qui est un chiffre appréciable, mais c'est oublier que les gens signent volontiers des textes présentés par des connaissances ou des parents sans mesure toujours leur portée. N'a-t-on pas, il y a quelques années, obtenu l'aboutissement, à Lucerne, d'un référendum contre l'autorisation de fabriquer des pinceaux en poils de grenouille?
Plus sérieusement, on peut s'inquiéter lorsque les autorités communales opposent aux 237 signatures des habitants du village hostiles à la construction projetée celles des 27 personnes favorables en traitant ces dernières d'intellectuels habitant tous la même rue ! Cette apparition d'un «ghetto intello» dans le haut village et dans la bouche des autorités politiques est pour le moins surprenante, même s'il s'agit d'un écart de langage.
De même, sentant la faiblesse de certains arguments juridiques sur lesquels nous reviendrons, la commune souligne que le requérant, qui a obtenu l'autorisation du département des travaux publics et de l'énergie (DTPE) de construire sur une parcelle déterminée, n'en est pas le seul propriétaire puisque celle-ci appartient à une hoirie. On peut s'étonner de l'immixtion des autorités communales dans la sphère privée d'un individu et même se demander s'il est loyal pour la commune de soulever un tel moyen.
Enfin, la commune ne manque pas de rappeler qu'elle fut lauréate du Prix Wakker en 1978, distinction attribuée à une collectivité ayant oeuvré en faveur de la protection de son patrimoine. Certes, le temps n'est plus où la commune demandait aux autorités cantonales l'autorisation de démolir le château, comme en 1916 et en 1926, mais force est de constater que les HLM communaux à l'esthétique douteuse, sis non loin de la construction projetée, ont été suivis, après la remise du Prix Wakker, par l'édification d'un centre communal dont l'harmonie avec le reste du village n'est guère évidente. Il est manifeste que la maison envisagée par l'architecte Mario Botta comporte des qualités architecturales dont ces bâtiments sont privés.
De quelques arguties communales
La commune de Dardagny se plaint du peu de respect pour l'autonomie communale que manifesterait à son endroit le DTPE. En réalité, le DTPE s'est montré à l'écoute des habitants puisque son président n'a pas hésité à confronter son point de vue, acompagné par Mario Botta, à celui des opposants.
Conformément à la loi, la commune a été appelée à donner son préavis et le Conseil municipal a rendu un vote défavorable à la construction projetée. Conformément à la loi, la commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) a été priée, elle aussi, de donner son avis, ce qu'elle a fait, le 15 juin 1995, par un préavis favorable. On ne saurait soupçonner la CMNS de vouloir porter atteinte au patrimoine architectural de Dardagny. Bien au contraire, à réitérées reprises, les propriétaires dardagnotes se sont plaints de la sévérité de la CMNS, notamment en matière d'aménagement de combles froids en combles habitables. Trop souvent, des toits magnifiques ont ainsi été crevés, parfois même en infraction. Est-ce là l'autonomie communale souhaitée?
Conformément à la loi, le DTPE a accordé l'autorisation de construire et la commune a immédiatement interjeté appel. Pourtant le DTPE n'a strictement fait qu'appliquer les compétences que lui accorde l'article 15 du règlement du plan de site de Dardagny, du 27 février 1980: «Si les circonstances le justifient et que cette mesure ne porte pas atteinte au but général visé, le département peut déroger après consultation de la commune et de la commission des monuments, de la nature et des sites, aux dispositions du présent règlement».
La minorité de la commission constate que le DTPE, ayant recueilli deux préavis opposés, a délivré l'autorisation demandée. Ne l'eut-il pas fait que le requérant eût pu considérer qu'il y avait là déni de justice. L'octroi rapide d'une autorisation de construire ouvre la voie aux oppositions et aux recours éventuels, accélérant ainsi les procédures, mais aussi les échéances, ce qui devrait être perçu d'une manière favorable par tous ceux qui se plaignaient naguère des lenteurs du DTPE.
De quelques considérations juridiques
Il faut donc savoir si les dérogations accordées l'ont été sans porter atteinte au but général visé, à savoir la protection du caractère architectural du village de Dardagny et le maintien de son développement harmonieux.
La commune reproche au bâtiment projeté son implantation, son gabarit et son volume. Il suffit de constater que le bâtiment est implanté en zone 4B, dans un terrain en pente, à équidistance du château et des HLM, que son gabarit a été abaissé de 40 cm à la demande de la CMNS, que son plan s'inscrit dans un parallélépipède, à l'instar des constructions voisines. Comme l'écrivait en 1993 dans la préface de l'ouvrage Dimensions cachées de Dardagny M. Bernard Dugerdil, maire de la commune: «Le haut du village en constitue le noyau principal. On remarque qu'il est composé de maisons implantées en ordre contigu, formant des mas importants le long de voies étroites.» A l'évidence, la maison projetée par Mario Botta s'insère parfaitement dans ce descriptif.
Certes, la construction projetée est le reflet d'un dessin architectural résolument contemporain avec un toit en cuivre étamé de forme cylindrique. Formellement, elle contrevient quelque peu à la lettre du règlement du plan de site, d'où les dérogations accordées par le DTPE avec l'accord de la CMNS, mais dans le fond, elle en respecte l'esprit. D'ailleurs, comme le souligne Pierre Baertschi, conservateur cantonal, dans son introduction à l'ouvrage précité:
«Les dispositions du plan de site de 1981 visent entre autres à encourager une insertion des maisons dans une structure d'ensemble et à écarter le principe du lotissement pavillonnaire qui répond à l'esprit d'une banlieue et non pas d'un village. La période moderne a aussi sa place à Dardagny. Des architectes comme Frédéric Mezger et Maurice Braillard ont en effet bâti ou transformé dans ce village. Plus près de nous, d'autres projets d'immeubles ou de maisons individuelles ont aussi contribué à façonner l'image du site.»
Parmi ces derniers, on doit citer la maison construite par l'architecte Jean-Jacques Tschumi au 22, chemin de la Côte dont la façade résolument contemporaine s'intègre parfaitement dans le noyau du village.
Le projet de Mario Botta s'inscrit dans la même perspective. Ses adversaires lui reprochent ses façades sans ouvertures sur deux côtés et son toit bombé plutôt qu'à deux pentes qui leur paraît rompre l'harmonie du village. Mais quand on leur demande comment une tour médiévale, ronde, sans ouvertures, sinon quelques meutrières, et couronnée de créneaux s'insérerait harmonieusement dans le plan de site, ils n'ont pour toute réponse que la tour serait là depuis longtemps ! A l'évidence, puisque l'harmonie semble une pure question de temps, il convient de donner du temps à la maison Botta. D'ailleurs, les façades aveugles seront recouvertes de pierres de taille et la courbure du toit donnera au bâtiment contre le ciel une originalité discrète, analogue au hangar construit à Morat par l'architecte Simonet et bien éloigné des granges en forme de trapèze édifiées dans de nombreux villages vaudois.
De quelques considérations esthétiques
. .
«Une distinction nette est opérée entre l'espace extérieur et l'espace intérieur. Le volume créé s'inscrit entre deux murs latéraux, évoquant le principe dominant dans les villages genevois de la contiguïté. Le choix formel est contemporain, en particulier l'expression de la toiture; mais si l'on excepte la volonté d'un rapport d'échelle approprié, la recherche d'insertion au contexte pourrait résulter pour une large part du choix des matériaux.»
Comme on le constate, un effort d'intégration réfléchi a lieu et le bâtiment projeté par Mario Botta, loin d'être un «coup de poing» dans le paysage s'efforce d'opérer une intégration réussie dans le territoire par une attention soutenue à l'environnement bâti et paysager comme le prouvent les lignes qui précèdent.
On peut donc considérer que les articles 3, 6 et 11 du règlement du plan de site sont respectés dans leur esprit. Seul l'article 7 concernant les toits pentus et les tuiles plates nécessite une vraie dérogation.
D'une manière constante, les tribunaux, et notamment le Tribunal administratif, ont admis que la protection de l'unité architecturale prévue notamment aux articles 89 et suivants de la loi sur les constructions et installations diverses (LCI) n'est pas une protection absolue. Il faut d'ailleurs replacer ces dispositions dans le cadre plus général de l'article 15 LCI réglant le problème de l'esthétique des constructions. Certes, une adjonction inesthétique peut être interdite, mais comme le souligne le Tribunal fédéral, chaque cas doit être examiné sur la base de critères objectifs et scientifiques, tenant compte de la valeur esthétique des constructions et du paysage concernés.
En ce sens, la minorité de la commission estime que la majorité, en voulant renvoyer la pétition au Conseil d'Etat, se rend auteur d'un préjugé.
Il faut reconnaître que la notion de clause esthétique, au sens de l'article 15 LCI, constitue «une notion juridique imprécise, laissant un certain pouvoir d'appréciation à l'administration, celle-ci n'étant limitée que par l'excès et l'abus du pouvoir».
Il est évident qu'en accordant l'autorisation de construire à la maison projetée par Mario Botta, le DTPE s'est strictement conformé à cette interprétation du Tribunal administratif, d'autant qu'il était conforté dans sa position par le préavis de la CMNS, indispensable en l'occurrence.
Le préavis communal n'a qu'une valeur purement consultative. Il faut, en l'occasion, souligner le courage d'un propriétaire qui a su recourir à un architecte prestigieux pour offrir à sa commune de domicile un projet architectural de grande qualité qui, s'il est réalisé, ce qu'espère vivement la minorité de la commission, accroîtra encore l'intérêt patrimonial de Dardagny.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, la maison projetée par Mario Botta est une chance pour Dardagny. Si respectables que soient les opinions émises par les pétitionnaires, il convient de déposer leur pétition sur le bureau du Grand Conseil car le DTPE n'a fait qu'appliquer la loi dans le respect des prérogatives qu'elle lui confère, d'une part, et le véritable intérêt public rencontre ici l'intérêt particulier, d'autre part.
La qualité architecturale de Dardagny mérite qu'un projet de grande qualité, lui aussi, puisse s'y insérer.
Pour les raisons qui précèdent, la minorité de la commission vous recommande le dépôt de cette pétition, à titre de renseignement, sur le bureau du Grand Conseil.
Débat
Mme Liliane Johner (AdG), rapporteuse de majorité. Vous n'êtes pas sans savoir, Mesdames et Messieurs les députés, que depuis le dépôt de ces rapports un fait nouveau est intervenu. C'est donc avec un certain soulagement que les habitants de Dardagny et les défenseurs du patrimoine ont pris connaissance de la décision de M. Botta de ne pas construire à Dardagny.
La renommée et le professionnalisme de M. Botta ne sont aucunement remis en cause par la majorité de la commission. M. Botta est, au surplus, assez intelligent et conscient que l'on ne peut bafouer, comme le chef du département l'a fait en délivrant l'autorisation de construire, un plan de site et son règlement, ainsi que l'opposition de la majorité des habitants. La Ligue suisse du patrimoine avait décerné, en 1978, à la commune de Dardagny, le prix Walker pour avoir su préserver son héritage architectural.
Néanmoins, la question de l'autorisation n'est pas réglée. Monsieur Joye, il faut tirer les conséquences de ces nouveaux développements et retirer votre autorisation, ce qui rassurera pleinement les habitants de la commune de Dardagny !
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur de minorité. Il existe un certain nombre de principes que, quelle que soit l'évolution de la situation, on ne saurait écarter. Ceci pour des raisons d'opportunité.
D'abord, le respect du droit et des droits individuels de chacun. Ensuite, celui de l'égalité de traitement. Enfin, le respect de la part de responsables politiques, élus pour défendre notre canton, de l'art et la culture de ce canton et la défense de l'architecture contemporaine. Et il y a une certaine tartufferie à défendre aujourd'hui M. Mario Botta, architecte de renommée mondiale, après avoir essayé de détruire son oeuvre à Genève qui n'en compte pour l'instant qu'une. Ce respect des principes, l'Etat l'a fait, et l'Etat ne saurait, de l'avis de la minorité, le défaire.
Et puis, il existe des goûts et des couleurs au-delà des petites querelles politiciennes villageoises, même si elles ont un certain poids et un poids politique certain. L'avis de mille personnes compte. Ces goûts et ces couleurs se définissent en un mot : harmonie; soit que chacun et chacune, à Dardagny et ailleurs, recherche l'harmonie et favorise le développement harmonieux de sa commune, en l'occurrence, Dardagny. Malheureusement, sur la définition même de ce que l'on entend par harmonie, personne ne s'entend, ni au Grand Conseil ni dans le Mandement.
Pour ma part, je ne suis pas un saint-bernard, donc je ne secourrai personne au Conseil d'Etat qui, d'ailleurs, sait très bien se défendre sans moi. Je ne suis pas non plus un saint Sébastien, n'ayant pas le goût du martyre, même si j'accepte de recevoir quelques flèches. Toutefois, si toute signature est respectable, elle ne saurait toujours se compter. Parfois, les signatures au bas des pétitions ou des contre-pétitions devraient aussi se peser et s'évaluer. Mais, sur ce point, bien entendu, la rapporteuse de majorité ne saurait être d'accord avec moi.
Sur le simple respect factuel, il y aurait trop à dire sur le rapport de majorité et, à 21 h 40, nous entamons un débat qui risque d'être long. Mais pour les rares députés qui n'auraient jamais mis les pieds à Dardagny, que penser de ce qu'on peut lire à la page 5 du rapport de majorité, à savoir que la commune viticole a pu, au cours des cinquante dernières années, conserver quasi intacte l'agglomération du haut. Dans cette enceinte, en tout cas, une députée n'a jamais mis les pieds à Dardagny : c'est la rapporteuse de majorité ! (Rires.) En effet, si elle s'y était rendue, elle aurait vu à cinquante mètres de l'endroit où le propriétaire en question souhaite édifier une petite maison, selon les plans de Mario Botta, à cinquante mètres du château, mais de l'autre côté, un immeuble HLM communal qui n'est certainement pas à la gloire de l'architecture genevoise. Elle aurait vu, pas très loin en contrebas du village, un immense centre de voirie et de protection du feu, une espèce de forteresse du XXe siècle, qui n'est pas non plus à la gloire de l'architecture genevoise.
Deux paragraphes plus loin, mais je ne suis pas un maître d'école - Mme Johner serait mieux placée pour me donner des leçons - on lit qu'en 1916 et 1926 - on oublie de le dire - le château d'origine médiévale a risqué la démolition complète, dont l'aurait sauvé l'action conjointe des collectivités publiques. J'avoue que je ne sais pas de quelle action conjointe il s'agit, car, si l'Etat a joué son rôle, à cette époque, pour sauver le château de Dardagny, la commune, elle, son maire et son Conseil municipal de l'époque ne souhaitaient que sa démolition !
Ce petit exemple sert à montrer qu'en matière de goûts, de couleurs et d'harmonie les choses changent, les points de vue se modifient. Dès lors, on se demande si, pour la promotion d'une image moderne et dynamique de Genève, on n'aurait pas pu accepter, dans le village de Dardagny, ce que l'architecte lui-même, Mario Botta, qualifiait de maisonnette, de façon à avoir un témoignage de l'architecture contemporaine intégrée dans ce village.
Madame la présidente, nous aurons certainement l'occasion de revenir au cours du débat sur des arguments plus juridiques. L'Etat a appliqué le principe de l'égalité de traitement, a accordé une autorisation de construire qui est l'objet de recours, mais cela permet de faire avancer les choses, car mieux vaut que les recours se dévoilent que de faire lanterner un propriétaire. Il serait catastrophique que l'Etat retire son autorisation de construire, en tout cas pas avant l'épuisement des recours et la victoire du propriétaire, ce qui nous prendra du temps. A ce moment, l'Etat devrait faire face à des demandes de dommages et intérêts qui pourraient être assez élevés. Sur le plan juridique, la position de l'Etat se justifie, l'objet de ce débat concernant le plan politique. (Applaudissements.)
Une voix. Excellent !
Mme Janine Hagmann (L). Dans le cadre du feuilleton de l'été genevois qui a valu quelques titres évocateurs dans la presse, du genre : «Effroi dans un village», je désire donner les informations suivantes :
La commission des pétitions a traité avec diligence la pétition 1114, car elle pensait livrer les conclusions de ses réflexions avant l'octroi de l'autorisation. C'est pourquoi elle a convoqué très rapidement les autorités exécutives de Dardagny. Entre-temps, M. Joye a octroyé une autorisation qui a paru dans la «Feuille d'avis officielle», la semaine précédant l'audition du maire et de son adjoint. Les rapporteurs ont très vite déposé leur texte pour que ce sujet soit traité avant les vacances. La longueur de nos ordres du jour ne l'a, hélas, pas permis. Une demande d'audition du maître d'ouvrage est parvenue à la commission le 21 juin. Il était trop tard pour l'auditionner, ce qui lui a été annoncé par écrit, en joignant le rapport concernant cette pétition.
Une deuxième missive du maître de l'ouvrage m'est parvenue le 5 juillet. L'annonce du retrait de M. Botta a donc mis un terme à cette pétition qui n'a cependant pas été retirée, raison pour laquelle, nous en parlons ce soir.
La majorité de la commission a mis en exergue l'autonomie communale en matière d'aménagement du territoire. Elle s'est prononcée pour l'écoute des préavis communaux. Il ne s'agit pas d'indépendance à l'endroit du département, mais de prise de position de gens de terrain, à proximité de la population. Vous savez très bien, Monsieur le conseiller d'Etat, que les communes aiment être écoutées.
En l'occurrence, les gens de Dardagny, qui pourtant ont trois tours jaunes sur fond bleu sur leurs armoiries, ont préféré Mozart à Schönberg. Ces armoiries rappellent l'Allondon et les trois châteaux de la commune : Dardagny, Malval et Bruel. Savez-vous que le Metropolitan Museum of Art de New York abrite, parmi ses trésors, un tableau de Corot intitulé : «Ruelle d'un village» ? Ce dernier l'a peint à Dardagny. Corot avait été séduit par l'attrait de ce village genevois couronnant une haute colline de verdure. Lors de la remise du prix Walker en 1978, les Genevois ont pu admirer cette toile.
Tout a été dit dans les deux rapports que vous avez pu lire sur les raisons de l'opposition massive des communiers à ce projet. Pour ma part, j'admire les constructions de Mario Botta. Cet été, je suis allée au fond du val Maggia, dans le val Lavizzara, juste avant Fusio, exactement à Mogno, voir la réalisation de l'église Botta, inaugurée avant l'été. C'est assez extraordinaire d'apercevoir de loin, dans une vallée des plus sauvages, une sorte de silo; un silo à prières se dit-on, qui, de près, dégage une atmosphère merveilleuse, féerique. Grâce aux matériaux utilisés et à l'apport de la lumière, cet endroit est privilégié pour le recueillement. Si le maître d'ouvrage du projet de Dardagny est enclin à chercher un autre lieu pour y construire une maison, qu'il sache que je connais une commune qui l'accueillerait à bras ouverts. Elle n'a ni plan de site ni prix Walker. (Rires.)
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). A propos de cette pétition, le groupe socialiste s'attache uniquement au respect d'un règlement communal adopté par un arrêté du Conseil d'Etat. Il n'est pas question pour nous de faire le procès de l'architecture moderne et d'avancer des arguments sur l'esthétisme du bâtiment en question.
Tout simplement, il ne nous paraît pas admissible que le chef du département des travaux publics ne tienne pas compte de l'avis d'une municipalité et de sa population, avis qui, de plus, se fonde sur un plan de site accompagné d'un règlement.
Le rapporteur de minorité a l'audace d'écrire que le DTPE s'est montré à l'écoute des habitants, puisque son président n'a pas hésité à confronter son point de vue, accompagné par Mario Botta, à celui des opposants.
Monsieur le rapporteur de minorité, quand on sait que, lors de cette soirée, M. Joye a répondu à une conseillère municipale de Dardagny, à propos du plan de site, qu'elle pouvait «se le mettre où il pensait», on se demande, premièrement, à quel endroit M. Joye pensait, et, deuxièmement, s'il s'agit bien là du respect de l'autonomie communale !
M. Lescaze a des arguments pour le moins curieux. Depuis quand relève-t-on que les gens signent volontiers des pétitions sans mesurer toujours leur portée ? Je constate qu'il est un bon élève de M. Joye dans le respect des droits démocratiques de nos concitoyens, ayant même le courage de parler de fanatisme et d'obscurantisme.
Trêve de polémique, quand bien même M. Botta a retiré son projet, le groupe socialiste persiste à suivre l'avis de la majorité de la commission, puisque le commanditaire est toujours en possession d'une autorisation de construire une villa individuelle, selon les plans de M. Botta, et vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. John Dupraz (R). Je crois pouvoir dire ce soir... (Rires.) ...que j'ai été l'instigateur de la contestation de la construction de M. Botta dans cette enceinte.
Des voix. Mais non, arrête !
M. John Dupraz. En février, j'ai interpellé M. Joye pour lui demander de ne pas donner l'autorisation de construire, car c'était une façon de déclarer la guerre. Eh bien, maintenant vous l'avez la guerre ! A l'époque, Monsieur Joye, tous vos proches collaborateurs vous avaient déconseillé de donner cette autorisation de construire.
Une voix. Qu'est-ce que t'en sais ?
M. John Dupraz. Qu'est-ce que j'en sais ? Mais qui ose poser une question pareille ? (Rires.) Mais, s'il vous plaît, il y a bien trop longtemps que je suis dans la maison pour savoir comment cela se passe ! Et, si ce projet avait été présenté à un quelconque architecte de ce canton, il n'aurait pas passé le début du premier examen au département des travaux publics. Il aurait été «retoqué».
Une voix. Ce n'est pas vrai. Menteur !
M. John Dupraz. Dans cette affaire, vu sous l'angle de la commune, il faut considérer l'égalité de traitement des citoyens et des communiers. Le maire de la commune ne peut pas, sous prétexte qu'il s'agit de M. Botta, déroger au règlement du plan de site de Dardagny pour l'appliquer ensuite très rigoureusement aux communiers. Ce n'est pas possible, et M. Blanc ne me contredira pas, lui qui a été maire de commune pendant douze ans et était très jaloux des prérogatives communales.
D'autre part, vous avez cru bon de vous précipiter, Monsieur Joye, pour donner l'autorisation de construire, alors qu'une pétition était pendante devant notre parlement et traitée par la commission des pétitions. Il aurait été plus prudent d'attendre les résultats des travaux de cette dernière. Vous avez même donné l'autorisation de construire, ce que vous a reproché le Conseil d'Etat, avant de m'avoir répondu.
Cependant, durant l'été, au vu des recours déposés devant la commission de recours LCI sur cette autorisation de construire par Helvetia Nostra, la commune, la ligue suisse du patrimoine bâti, des communiers, vous avez écrit à M. Botta - copie en a été donnée à la commune - en lui disant que, suite à l'intervention de M. Dupraz, des problèmes avaient émergés et qu'une pétition existait. Vous l'avez prévenu des ennuis qui pourraient survenir et lui avez conseillé de baisser le gabarit de sa construction de 2,50 m.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Non !
M. John Dupraz. Je vous montrerai la lettre ! Ensuite, alors que l'autorisation était délivrée et que la commission de recours se réunissait, vous avez convaincu M. Botta de retirer son projet.
Or, nous sommes dans un Etat de droit et l'autorisation de construire appartient au propriétaire. La commission des pétitions ne peut pas exiger de retirer l'autorisation de construire, car cela signifie «dommages et intérêts». Puisque le Conseil d'Etat chargé du département n'a voulu écouter personne, la seule chose que peut faire ce parlement est de laisser faire la commission de recours qui, dans sa grande sagesse, lui donnera une bonne leçon certainement utile pour une prochaine fois !
Des voix. Ouh !
Mme Vesca Olsommer (Ve). Monsieur le rapporteur de minorité, vous avez une grande culture... (Brouhaha.)
Une voix. Tu préfères la mozzarella !
Mme Vesca Olsommer. ...pour laquelle j'ai une grande admiration. Mais, dans cette affaire, faute d'écouter la population concernée, vous apparaissez comme le produit d'une culture «hors sol»... (Rires.) ...qui a de la peine à s'imposer.
Les Verts se rallient au rapport de majorité de notre collègue Johner, car ils sont partisans de la démocratie de quartier, qui implique de prendre en considération ce que les habitants ont à dire, non seulement sur leur cadre de vie, mais sur les projets qui les concernent.
Une voix. Et à Bardonnex, c'est pas la même chose !
Mme Vesca Olsommer. A Bardonnex la pétition émane...
Des voix. Ouh !
Mme Vesca Olsommer. ...de riverains du périmètre concerné, cher Monsieur !
La majorité des habitants de Dardagny n'ont pas voulu vivre avec la vision de la maison Botta sous les yeux, car ce n'est pas la même chose que de présenter un monument de temps à autres à des touristes curieux. C'est là notre argument essentiel, car il est vrai que la dérogation, en elle-même, n'est pas illégale. Quant à la question de l'esthétique, elle nous a plutôt divisés, puisqu'une «Verte» trouve cette maison non seulement assez belle mais même bien intégrée.
Je n'ai pas trop apprécié les propos railleurs de M. Lescaze au sujet de la collecte de signatures pour la pétition. Dans ce cas, il s'agit d'une pétition de proximité concernant directement les habitants qui savent vraiment pourquoi ils ont signé.
M. Armand Lombard (L). Je ne sais pas, Madame la présidente, si vous entendez ce qui se passe dans ce Grand Conseil...
La présidente. Pas du tout !
M. Armand Lombard. Ce Grand Conseil est au sommet de son inefficacité et de sa vanité ! Je ne sais s'il faut parler de Kafka ou des surréalistes. Seuls des avocats ou des juristes pourraient être intéressés par le problème juridique posé par ce projet de maison Botta. Tous les autres se font plaisir et s'écoutent parler. (Rires.) Et ils nous donnent des leçons !
Je ne vous apprends pas que le projet a été retiré et que M. Botta n'est plus intéressé par cette villa.
Mme Vesca Olsommer. Mais oui !
M. Armand Lombard. Vos petits : «Mais non, mais oui...», gardez-les pour vous et essayez de comprendre ce que je vous dis !
Sur le plan juridique, vous pouvez «ratiociner» encore toute la soirée, cela malgré les seize mille chômeurs à Genève, les possibilités de projets d'emploi, etc. Continuez à «discutailler», comme vous l'avez fait si intelligemment sur les doigts dans les ascenseurs, ce n'est pas comme cela que nous sauverons l'économie de la République !
Il n'est plus temps de discuter, car M. Botta ne propose plus son projet. Seul le plaisir de la «discutaille» et du juridisme nous a menés là où nous sommes et nous fait perdre notre temps. Vous faites du donquichottisme de mauvais goût et de l'obscurantisme pour les défenseurs de la commune de Dardagny ! Ou alors peut-être cherchez-vous à provoquer M. Joye, ou à ridiculiser l'originalité, la créativité et le génie d'architecte de M. Botta ?
En tout cas, vous faites semblant de défendre un village, dont M. Lescaze vous a largement et beaucoup mieux dit que moi combien il est déjà - et c'est regrettable - défiguré par des immeubles totalement nuls, choisis par ces mêmes communiers, dont vous cherchez à dire qu'ils sont les représentants du bon goût. J'espère que ce débat va cesser sans délai, Madame la présidente !
M. Christian Ferrazino (AdG), rapporteur. Monsieur le rapporteur de minorité, vous avez la parole facile et maniez l'humour à l'égard de la rapporteuse de majorité, qui, soi-disant, n'aurait pas été découvrir les charmes du village de Dardagny, mais je vous dirai que Mme Johner connaît ce village aussi bien que vous. Peut-être même que les habitants le connaissent encore mieux que vous, même s'ils ne sont pas représentatifs de la culture hors sol dont vous semblez être ce soir le défenseur. Ils se sont donc tous déclarés contre ce projet de construction, ainsi que les associations de défense du patrimoine pour les raisons que vous connaissez.
Il n'est pas forcément objectif de mettre en relation deux exemples d'architecture, le HLM et la villa Botta, qui n'ont rien à voir ensemble et en valoriser un au profit de autre. Vous donnez justement un contre-exemple pour éviter d'avoir à justifier l'autorisation de construire que M. Joye a donnée un peu rapidement, et je remercie M. Dupraz de le rappeler. Je comprends que cela ne vous fasse pas plaisir, mais une fois n'est pas coutume. Ainsi, nous ne sommes pas les seuls à qui il faut rappeler que la loi doit être appliquée.
Monsieur Joye, il suffit que vous nous disiez, ce soir, votre intention de révoquer l'autorisation que vous avez délivrée, en violation du plan de site, pour régler définitivement cette question. En effet, il ne suffit pas de convaincre l'architecte de laisser tomber le projet; vous devez assumer vos responsabilités ! En effet, Monsieur Lombard, si l'architecte mandaté renonce à son mandat, cela ne veut pas dire que l'autorisation délivrée est caduque. Nous direz-vous, Monsieur Joye, si vous révoquez cette autorisation ou préférez-vous, comme M. Dupraz le pense, être désavoué une nouvelle fois par les tribunaux ?
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur de minorité. Je désire répondre à quelques-uns des arguments évoqués.
Chaque député ici présent habite une commune et souhaite, en tout cas pour sa commune, un certain respect des préavis communaux et des contraintes architecturales qui figurent dans le règlement annexé au plan de site de Dardagny.
Sur ce point, je répondrai, à la fois, à Mme Hagmann, maire de Vandoeuvres, au conseiller national Dupraz et au député Ferrazino.
Si l'on voulait véritablement conserver le patrimoine architectural de la commune de Dardagny, on devrait conserver ce que l'on appelle des «toitures froides», des combles froids, non occupés, car la véritable maison rurale genevoise se présente ainsi. A Dardagny, comme peut-être dans d'autres communes, on a crevé ces toits pour y mettre des lucarnes, des velux et des tabatières.
Lorsque nous en avons fait la remarque au maire de Dardagny et à son adjoint, ceux-ci nous ont répondu que, très souvent, malheureusement, cela s'était fait en infraction et à l'insu des autorités communales. Je vous laisse imaginer comment, dans une commune rurale, la pose d'échafaudages, l'ouverture d'un toit, peuvent se faire à l'insu des autorités communales et de tous les communiers qui, tous les jours, passent à Dardagny.
Je cite cet exemple pour mettre en évidence l'atmosphère qui règne autour de cette question. Loin de moi l'idée que ces maisons conservent leurs combles froids. De temps en temps, on doit pouvoir les aménager, mais il faut aussi, à ce moment-là, faire preuve de souplesse. Et le député Ferrazino sait parfaitement que le règlement annexé au plan de site prévoit une clause dérogatoire qui permet l'octroi de l'autorisation de construire, telle qu'elle a été délivrée par le chef du DTPE. Comme je crois l'avoir démontré juridiquement dans mon rapport, jurisprudence du Tribunal administratif à l'appui.
A Mme Hagmann qui citait ce très joli tableau de Corot, je dirai que je me suis souvenu, en l'écoutant, de cette phrase disant que Corot avait peint trois mille tableaux, dont dix mille se trouvaient aux Etats-Unis. En effet, j'ai vu ce tableau qui s'intitule «Un chemin le soir à la campagne» non pas au Metropolitan Museum, mais à la National Gallery de Londres, parmi d'autres Corot. Je suis certain de l'avoir vu là-bas, mais il n'est pas impossible qu'il en existe une copie ou un double au Metropolitan Museum de New York. Cela prouve, en tout cas, qu'il avait fait don de quelques tableaux à certains communiers de Dardagny. Et je ne dirai pas que Corot - qui aimait ce paysage - a été trahi; mais ceux qui ont reçu ces tableaux n'ont pas su les garder, puisqu'ils se trouvent bien loin de Dardagny.
Le véritable débat - n'en déplaise à ce Grand Conseil - au-delà des contraintes architecturales, juridiques, esthétiques, a été posé par Mme Vesca Olsommer qui a parfaitement raison de dire que deux types de cultures s'affrontent. Non pas qu'il s'agisse d'une culture hors sol et d'une culture enracinée dans le sol, mais simplement d'une culture tournée, exclusivement, vers le passé et d'une autre, essentiellement, vers l'avenir. En ce sens, on pourrait dire que l'exemple même que vous voulez donner de cette culture serait les cimetières, car une fois les tombes bâties, elles ne changent pas !
La vie est mouvement et progrès, dans tous les sens du terme. Si jamais le tissu villageois ou urbain ne pouvait changer et s'il y avait eu des commissions des monuments et des sites, nous serions toujours dans la grotte de Lascaux et habiterions dans des cavernes. Il ne faut tout de même pas exagérer !
En conclusion, je demande que le rapport soit déposé à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil. Dans les discussions budgétaires qui nous attendent, une très sérieuse économie pourra être proposée, et peut-être même par les représentants de l'Alliance de gauche : il s'agit de la fermeture de l'école d'architecture. En effet, dans ce Grand Conseil, il y a cent architectes par génération spontanée et mille deux cents à Dardagny ! Chacun se croit apte à juger, et, en conséquence, il n'est plus nécessaire de garder cette école. (Applaudissements.)
M. René Koechlin (L). D'abord, je remercie mon préopinant, dont je partage entièrement le point de vue. Ensuite, je m'adresse à M. Joye et le remercie d'avoir accordé cette autorisation de construire. Cette action a, en tout cas, la vertu de rouvrir le débat entre les anciens et les modernes, qui, périodiquement, est ravivé, non seulement dans ce parlement mais aussi dans la population et parmi toutes les personnes qui s'intéressent à la culture, ainsi qu'à l'art et à toutes ses formes d'expression.
Certains députés se sont exprimés au nom de la démocratie de village ou de quartier. J'ajouterai : au nom d'un certain esprit de chapelle ! C'est en vertu de cette même démocratie que les habitants de Saint-Malo, il y a des lustres, ont déposé une pétition auprès de l'évêque contre l'édification de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, considérée aujourd'hui comme l'un des chefs-d'oeuvre de ce monde, car elle aurait porté préjudice à la pêche. Cette pétition qualifiait cette construction de «monstrueuse».
Dans un passé moins lointain, des pétitionnaires, extrêmement nombreux aussi, se sont élevés contre la construction de la tour Eiffel. Aujourd'hui, s'il était question de démolir cette tour, d'autres pétitionnaires s'y opposeraient. Pétition également contre la chapelle de Le Corbusier à Ronchamp, aujourd'hui considérée comme un des chefs-d'oeuvre de l'architecture contemporaine. On pourrait multiplier les exemples à l'infini.
En réalité, il s'agit, dans le cas particulier, d'apprécier l'oeuvre d'art d'un grand artiste et d'un grand architecte. (Rires.) Oh oui, il y a toujours des personnes pour penser que les oeuvres de grands artistes impliquent que l'on appelle au secours et que l'on s'en plaigne. Et ces oeuvres, la voix populeuse les descend en flammes ! C'est ce que j'ai entendu ce soir. Or, remarquable fait, l'artiste la retire, modestement. Eh oui, il s'agit d'un acte de modestie. Il la retire, écoeuré par les réactions qu'elle suscite.
Une fois de plus, comme le relevait M. Lescaze, deux cultures s'affrontent : celle des anciens et celle des modernes, celle des classiques et celle des baroques, et en entendant les réactions de M. Dupraz, j'ai envie de dire, celle des imbéciles... (Rires.) ...et celle de ceux qui sont quelque peu sensibles ! (Applaudissements.)
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Rassurez-vous, je ne prolongerai pas cette longue diatribe philosophique, dans laquelle on entend tout et son contraire, et où tous les éléments sont amenés avec la même assurance. Je ne referai pas non plus l'éloge de Botta, mais je désire vous raconter une anecdote.
J'habite la région et, depuis l'affaire de Dardagny, lorsque j'entre dans un bistrot dans ce village, des gens m'accueillent avec des hurlements. Ils me crient : «Les velux dans le toit, tu les auras dans le baba !». Cela résume toute la situation. Les habitants de Dardagny se sont imposé des règles et des contraintes depuis l'octroi du prix Walker et l'adoption du plan de site. Ces contraintes n'ont pas été faciles à imposer et la commune s'est portée garante de leur application. Sa plus grande peur était qu'en octroyant une dérogation, de plus à un excellent architecte, on allait anéantir l'effet du règlement communal. C'est aussi simple que cela !
Tous vos beaux discours sont donc hors contexte. Sous-jacent, bien entendu, couve le conflit des modernes et des anciens, l'incompréhension de l'oeuvre de Botta, le problème de l'intégration de l'architecture moderne dans un site ancien, etc. Mais tous ces niveaux d'incompréhension sont sous-jacents au vrai problème. Pour sauver ce règlement, il ne fallait pas déroger pour l'oeuvre, assez provocatrice, il faut le dire, de Botta.
Trois communautés se sont imposé des règlements dans le canton de Genève : Carouge, Hermance et Dardagny. Que ces communautés aient estimé que leurs agglomérations en valaient la peine, qu'elles avaient subi assez d'attaques et qu'il fallait les préserver, c'est tout à leur honneur et certainement favorable à l'aspect futur de notre territoire, qui gardera au moins des points forts, relativement bien conservés, dans un univers de plus en plus urbanisé. Sachez donc que tous vos discours ne sont rien par rapport à ce principe fondamental qu'il fallait préserver les chances de ce règlement !
Mme Vesca Olsommer (Ve). Je désire poser une question à notre collègue Koechlin pour vérifier l'idée qui me vient à l'esprit. N'est-ce pas vous, Monsieur Koechlin, ou l'un des architectes mandatés, qui avez construit à Plan-les-Ouates un lotissement de maisons du style de la fin du siècle dernier ?
Une voix. Oh, la, la ! (Brouhaha.)
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Tout d'abord, je remercie le député et conseiller national Dupraz pour l'extrême délicatesse de ses propos et le caractère «concentré sur la matière et pas du tout sur des questions d'appréciation politique» qui ont dominé son raisonnement.
Ensuite, je remercie très sincèrement MM. Lescaze et Koechlin pour avoir su situer le problème, ainsi que Mme Hagmann qui parla de Mozart. J'aime beaucoup Mozart, Madame Hagmann, et je n'aimais pas Schönberg, jusqu'au jour où j'ai découvert sa musique.
Simultanément à l'exposition de Corot à la National Gallery ou au Metropolitan Museum of Art, se déroulait une prestigieuse exposition consacrée à Mario Botta au Musée d'art moderne de New York. La qualité des oeuvres M. Botta est avérée au plan mondial.
Lorsque la chapelle de Ronchamp a été projetée par Le Corbusier, les habitants des villages environnants s'y sont opposés de manière radicale. Aujourd'hui, cet édifice est considéré, par son intégration au site et par la pureté de ses formes, comme l'un des plus beaux du genre au monde.
En réponse au rapport de la commission des pétitions, le plan de site du village de Dardagny, contrairement à ce qui a été dit, prévoit la possibilité de construire une maison à cet emplacement. En ce qui concerne les modalités d'application du règlement du plan de site, je présente mes excuses à la conseillère municipale à laquelle j'ai fait une réflexion peu élégante, lors de la séance de réunion avec Mario Botta et les habitants de Dardagny.
Ensuite, l'article 15 prévoit que, si les circonstances le justifient et que cette mesure ne porte pas atteinte au but général visé, le département peut déroger, après avoir consulté la commune et la commission des monuments de la nature et des sites. D'un point de vue formel, le projet de l'architecte Botta était admissible, mais la commune était contre ce projet, tandis que la commission l'approuvait. Le département a dû trancher.
La situation s'est tendue lorsque les premières oppositions sont apparues : deux cent cinquante pour Botta et deux cents contre. Alors, je me suis rallié au mode de pensée qu'a exposé M. Lescaze en me disant qu'il fallait un arbitrage entre la position de la commission et celle de la commune. J'ai donc pris l'initiative de délivrer le permis de construire. Il me semble que la réalisation d'une architecture contemporaine intéressante et de qualité, à Dardagny, projetée par l'un des grands architectes de notre époque ne manquerait pas d'enrichir le patrimoine ancien de ce village. Je me suis même dit : «Gageons que le prochain prix Walker sera reçu par Dardagny avec sa maison Botta.»
Lorsque la deuxième pétition a émergé, j'ai averti M. Botta que le dialogue avec les habitants du village devenait de plus en plus difficile et qu'il courait le risque de s'opposer à leur refus. Je lui ai donc proposé de réduire, non pas son bâtiment de 2,50 m, mais de revenir au gabarit strict pour éviter cet écueil. M. Botta a refusé - ainsi que le maître d'oeuvre, M. Piletta-Zanin - déclarant avoir fait les sacrifices nécessaires en ayant modifié une première fois son projet.
Suite à cette pétition, j'ai exposé les faits nouveaux à M. Botta, lui demandant s'il tenait vraiment à construire cette villa à cet endroit, quitte à se mettre la population du village à dos. L'architecte doit être averti de cette situation avant le monde politique.
Le 5 septembre 1996, M. Botta m'a répondu - il était à Madrid en train de juger le projet du Prado - que M. Piletta-Zanin ne l'avait pas correctement informé des problèmes susceptibles d'émerger dans cette affaire et qu'il n'avait aucune envie de braver l'opinion d'un village, pour la construction d'une maison individuelle, dont le projet ne le satisfaisait pas pleinement étant donné les concessions qu'il avait dû faire. Il aurait accepté une bataille culturelle d'envergure pour un objet majeur, mais renonçait à se lancer dans une bagarre du genre de celle liée à la construction que Mme Hagmann a décrite au Tessin, au sujet de laquelle deux mille articles ont paru dans la presse mondiale pour qu'enfin il obtienne son permis de construire. Pour ces raisons et par gain de paix, M. Botta renonçait à son projet.
Par conséquent, le projet Botta, en tout cas, quelle que soit l'attitude du maître d'ouvrage, ne verra pas le jour. En effet, lorsqu'un architecte se désiste, le département écrit au maître d'ouvrage, afin qu'il désigne, dans les dix jours, le prochain mandataire. C'est ainsi que nous procéderons, mais pas avant d'avoir donné à maître Piletta-Zanin le temps de se retourner.
La décision de M. Botta est tombée le 5 septembre, jour de l'audition de la commission de recours. Le tribunal a donné un délai à toutes les parties pour se déterminer et, entre autres, régler la question très importante de savoir si M. Piletta-Zanin tenait mordicus à ce projet et s'il voulait le faire construire ailleurs; M. Botta étant parfaitement d'accord, si ce dernier trouvait un emplacement favorable, de recommencer l'exercice.
M. Piletta-Zanin pourra, en tout temps, déposer une demande d'autorisation de construire un nouveau projet. Mais je doute fort qu'il reprenne le projet de M. Botta, marqué du sceau d'une grande individualité, sans que celui-ci ne recoure pour violation de la propriété intellectuelle.
Mesdames et Messieurs les députés, chers amis de Dardagny, vous avez gagné sur un point. Au vu du renoncement de l'architecte, vous n'aurez pas de maison Botta. Mais l'avocat Piletta-Zanin garde le droit de construire une autre maison à cet endroit. Fera-t-il construire un bâtiment architectural extrêmement léger, de la qualité de ces constructions d'accompagnement qui se font souvent, sous prétexte de conserver le vieux, ou bien une réalisation intéressante ? L'avenir le dira !
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.