Séance du vendredi 13 septembre 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 10e session - 34e séance

P 1027-B
10. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition du Groupement pour la protection de la famille et des individus (GPFI) demandant des mesures contre la scientologie. ( -) P1027
Mémorial 1994 : Annoncée, 579. Lettres, 2472, 4474, 5697. Rapport, 4646.

Préambule

Le 9 septembre 1994 était déposée, à titre de renseignements, sur le bureau du Grand Conseil la pétition 1035-A «Pour la création d'une commission consultative en faveur de la tolérance et du respect des libertés religieuses». Cette pétition, émanant des milieux de la scientologie, était ainsi classée.

Le 5 octobre 1994, était transmise au Conseil d'Etat la pétition 1027 du GPFI demandant des mesures contre la scientologie. Il faut d'emblée remarquer que cette pétition est ambiguë dans la mesure où elle est intitulée «Contre la scientologie», que sont but vise les personnes «victimes de sectes poursuivant le culte de l'argent» et que l'exposé des motifs ne traite que de la scientologie. Le rapport de la commission des pétitions invitait le Conseil d'Etat à prendre diverses mesures.

Le Conseil d'Etat, à l'instar de la commission des pétitions, admet que la pétition 1027 vise la scientologie et non l'ensemble des sectes comme pourraient le laisser croire nombre de déclarations à ce sujet intervenues par la suite, y compris celles émanant des auteurs de la pétition, ultérieurement au drame de Saint-Pierre-de-Chérennes (secte du Temple solaire) en décembre 1995.

Le Conseil d'Etat peut répondre de la manière suivante aux différentes invites telles que contenues dans le rapport de la commission des pétitions dans ses conclusions.

1. 1re invite: mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour éviter tout prosélytisme et toute utilisation de données administratives à des fins de propagande et de recrutement, notamment auprès des mineurs

1.1 Eviter tout prosélytisme

Cette invite bute fondamentalement sur le fait que notre constitution garantit la liberté de culte, d'opinion, de croyance, de conscience ou de religion. Cette liberté s'étend à la possibilité de faire connaître ces diverses notions à des tierces personnes par tout moyen d'information et de publicité existant.

En dehors de la notion de sécurité de l'Etat, il n'est pas du ressort de l'autorité cantonale d'intervenir en la matière, et cela en amont, faute de base légale. Il en va évidemment différemment en aval, en cas de plaintes et dans la mesure où des délits réprimés par le droit sont commis ou sont susceptibles d'avoir été commis ou encore de pouvoir être commis avec vraisemblance. Enfin, il est inconcevable d'instaurer une police des consciences et des âmes.

En conclusion, on ne peut pas - a priori et de manière générale - interdire toute forme d'information ou de publicité de la scientologie en la déclarant hors la loi. On peut tout au plus contrecarrer son prosélytisme sur plaintes relatives à d'autres éléments que le seul prosélytisme.

1.2 Eviter toute utilisation de données administratives à des fins de propagande et de recrutement

Les différents textes légaux et réglementaires en vigueur à l'Etat de Genève, particulièrement en matière informatique, donnent sur le plan du principe les garanties souhaitées par la commission des pétitions.

Il demeure que cette utilisation abusive pourrait être le fait de membres de la scientologie faisant partie des personnes habilitées à traiter ou utiliser ces données. Un abus en la matière serait alors sanctionné par la loi sur les informations traitées automatiquement par ordinateur, du 17 décembre 1981, pour autant qu'il puisse être décelé. Il faut cependant remarquer qu'un membre du personnel de l'Etat ne pourrait pas être sanctionné par le simple fait qu'il appartiendrait à la scientologie mais seulement du fait qu'il aurait utilisé abusivement des données qu'il détient, comportement qui n'est pas aisé à prouver.

2. 2e invite: favoriser une étroite collaboration entre les associations d'information et de soutien aux victimes des sectes et les départements de l'Etat de Genève

On pourrait se référer, par analogie du moins, à la loi sur l'aide aux victimes (LAVI). Cette dernière loi n'entre cependant pas en ligne de compte pour le motif qu'elle ne s'applique qu'en cas de commission d'une infraction réprimée par le code pénal.

De plus, cette référence ne permettrait pas d'éviter l'obstacle dirimant d'une intervention en aval faute de pouvoir s'exercer en amont.

Le Conseil d'Etat cependant est sensible à la suggestion visant à une meilleure collaboration et à une meilleure information. Il entend intégrer dans sa réflexion la dimension régionale, voire internationale. Les départements concernés s'occupent de créer un outil dans ce domaine, tout en relevant l'extrême sensibilité du contexte et donc l'extrême difficulté de rédiger une documentation qui soit précise et correcte et qui ne soit, de surcroît, pas contestable sur le plan juridique.

3. 3e invite: étudier la nécessité de faire intervenir le médecin cantonal ou le pharmacien cantonal dans le contrôle de prestations médicales apportées par des sectes, notamment de la distribution de vitamines par l'Association pour une église de scientologie

Le médecin cantonal et le pharmacien cantonal surveillent l'exercice des professions de la santé. A ce titre, ils peuvent intervenir si des pratiques s'avèrent contraires à l'art médical ou pharmaceutique.

S'ils constatent des pratiques contraires à la déontologie professionnelle ou aux règles de l'art, ils saisissent la commission de surveillance des professions de la santé qui peut proposer des sanctions, voire recommander l'interdiction de l'exercice de la profession au délinquant.

Il demeure que les personnes exerçant une activité non définie dans la loi sanitaire échappent à cette commission. S'il s'agit d'une pratique illégale de la médecine, le département, sur proposition du médecin cantonal ou du pharmacien cantonal, dénonce les faits au procureur général.

En ce qui concerne la distribution de vitamines, il est rappelé que certaines préparations vitaminées doivent être enregistrées à l'office intercantonal de contrôle des médicaments avant d'être commercialisées. La vente de tels produits non enregistrés est donc illicite et est interdite. La législation sanitaire actuelle prévoit, pour toute infraction à la loi, des sanctions administratives ou pénales.

D'autres préparations vitaminées ne sont, en revanche, pas soumises à enregistrement, n'étant pas considérées comme médicaments mais comme aliments de complément. Elles doivent, quant à elles, être déclarées à la division exécution du droit sur les denrées alimentaires de l'office fédéral de la santé publique. Le chimiste cantonal veille à l'exécution de la loi sur les denrées alimentaires et peut aussi, pour sa part, interdire et sanctionner la vente de produits non déclarés.

Conclusion

De manière particulière, le Conseil d'Etat est sensible aux problèmes posés par la scientologie. C'est sur le plan de l'information du public, des mineurs en particulier, que doit s'exercer en première analyse son action.

Pour les autres, et graves, problèmes, l'action du Conseil d'Etat en ce qui concerne la scientologie est englobée dans celle qu'il entend conduire à l'égard des sectes en général.

De manière générale, les drames de Salvan et Cheiry en 1994 et deSaint-Pierre-de-Chérennes en 1995 ont mis en lumière, de manière tragique, les issues auxquelles conduit l'activité de certaines sectes.

Le Conseil d'Etat peut, à ce propos, apporter les informations suivantes:

Secte du Lotus d'or/Mandarom (Castellane/France)

Par décision du 14 juillet 1995, le département de justice et police et des transports (DJPT) a prononcé la caducité de l'autorisation d'exploiter l'agence de sécurité privée UNIT SÉCURITÉ SA en raison de la menace pour la sécurité et l'ordre publics résultant de la totale inféodation des dirigeants de l'agence au gourou de cette secte. Cette décision fait présentement l'objet d'un recours au Tribunal administratif.

Groupe d'étude

Par mandat du 12 janvier 1996, le DJPT a chargé un groupe d'étude, présidé par Me François Bellanger, avocat, en substance:

- de faire un état des lieux complet sur les bases légales dont nous disposons en matière de sectes;

- d'examiner dans quelle mesure on peut faire un usage plus approfondi, plus direct et élargi des bases légales existantes dans le sens d'une intervention non plus seulement en aval mais en amont des problèmes;

- d'examiner quelle modification législative pourrait être conduite, sur les plans fédéral et cantonal, toujours dans la volonté d'agir en amont, de manière plus directe et plus approfondie à l'égard des sectes.

Le rapport préalable de ce groupe d'étude est attendu pour l'été 1996 et le rapport final pour l'automne 1996, à la suite de quoi le Conseil d'Etat examinera quelles sont les dispositions qu'il entend prendre et dont il fera part au Parlement.

Débat

Mme Evelyne Strubin (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord permettez-moi de vous dire que, selon moi, la loi du silence me paraît en la matière être assimilable à un cautionnement, voire à une protection; c'est la raison pour laquelle je m'exprime ce soir.

Pour commencer, j'apporterai une petite rectification qui a son importance et qui a été demandée par courrier par le Groupement pour la protection de la famille et de l'individu. Le titre du rapport dont j'étais l'auteur comportait une erreur dans son titre qui doit se lire comme suit : «Rapport de la commission des pétitions sur la pétition visant à prendre toutes mesures légales et autres pour protéger, porter assistance à toute famille ou individu victime de sectes, poursuivant le culte de l'argent par la pratique des manipulations mentales de ses adeptes».

Cette correction faite, je parlerai ici de la scientologie plus particulièrement, car il en a été beaucoup plus question devant la commission.

Permettez-moi donc un brin d'histoire :

Cette pétition a été reçue le 28 mars 1994 par la commission des pétitions qui travailla très sérieusement sur ce sujet et renvoya le 9 septembre 1994 un rapport unanime au Conseil d'Etat après avoir procédé à de nombreuses auditions. Depuis, silence... Au bout des six mois prescrits par le règlement, je me suis renseignée discrètement sur l'avancement de ce dossier, et il m'a été répondu que cela n'était pas une priorité du Conseil d'Etat. Il aura fallu les tristes événements que l'on sait, impliquant une autre secte, diverses interventions de députés à ce sujet et environ deux ans d'attente pour recevoir aujourd'hui le rapport du Conseil d'Etat, qui comporte quatre pages et demie, dont une ne représente que le simple rappel des faits. Néanmoins, ce rapport est-il intéressant, comporte-t-il des réponses et des solutions ?

Personnellement, je ne suis pas satisfaite :

A l'invite N°1 qui demandait au Conseil d'Etat de mettre tous les moyens nécessaires en oeuvre pour éviter tout prosélytisme et toute utilisation des données administratives à des fins de propagande et de recrutement, notamment auprès des mineurs, voilà ce que l'on nous répond en résumé :

La liberté de religion laisse à la scientologie la possibilité de faire connaître ses convictions par la publicité et l'information. Mise à part la sécurité de l'Etat, il n'est pas possible d'intervenir sauf s'il y a plainte. Il n'est pas concevable d'instaurer une police des consciences et des âmes. Les textes légaux, à l'Etat notamment, concernant l'informatique donnent toutes les garanties. Mais il demeure que des membres de la scientologie habilités à traiter et utiliser des données informatiques seraient sanctionnés, si tel était le cas, pour prosélytisme, pour autant qu'une telle utilisation puisse être prouvée. Merci, mais cela on le savait déjà ! De plus, rien n'est mentionné concernant la protection des mineurs et la fin de la réponse laisse entrevoir qu'en fait une utilisation des données de l'Etat par la scientologie demeure possible et qu'elle serait difficile à prouver.

A l'invite N°2 : favoriser une étroite collaboration entre les associations d'information et de soutien aux victimes des sectes et les départements de l'Etat de Genève, il nous est répondu ce qui suit :

Les départements créent un outil dans ce domaine tout en relevant la difficulté de rédiger une documentation précise et correcte qui ne soit pas contestable juridiquement. Très bien, mais si, comme cela est dit en début du rapport, le Conseil d'Etat se borne à parler de la scientologie, la nombreuse documentation versée au dossier et les conseils juridiques dont le Conseil d'Etat dispose devraient permettre d'établir cette documentation assez aisément. De plus qu'en est-il de la collaboration proposée ? Nous n'en savons pas plus !

Enfin, à la troisième invite demandant d'étudier la nécessité de faire intervenir le médecin cantonal ou le pharmacien cantonal dans le contrôle des prestations médicales apportées par des sectes, notamment la distribution de vitamines par l'Association pour une église de scientologie, il est répondu ce que nous savons déjà également : que le médecin et le pharmacien cantonal surveillent l'exercice de la médecine et que s'ils constatent des pratiques contraires à la déontologie ils saisissent la commission de surveillance des professions de la santé qui prend des sanctions et que les préparations vitaminées doivent être inscrites à l'OICM sous peine d'être interdites. Pas un mot sur Narconon, malgré les interventions de notre collègue Gossauer sur le sujet; aucune information sur les sanctions prises contre les ventes de vitamines amaigrissantes pratiquées par la société Trimlines, filière de la scientologie; rien ne nous est dit non plus sur les cures de purification à base de vitamines pratiquées durant les cours de la scientologie elle-même.

Bref, il semblerait que ce sujet n'inspire pas le Conseil d'Etat, bien qu'il dise y être sensible. Ces deux ans d'attente n'auront pas servi à grand-chose. Alors, si je peux me permettre de tenter de vous remotiver, je vous citerai, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, un texte remis par la scientologie à ses membres sous le titre : «Ce que nous attendons de la scientologie». «Un scientologue entraîné est quelqu'un qui a une connaissance spéciale du maniement de la vie; c'est un être qui se tiendra un mètre derrière la tête de la société. Un scientologue professionnel est un être qui se sert de la scientologie de façon experte dans n'importe quel domaine de la société. Une épouse dont le niveau de compétence en scientologie n'est pas celui d'un professionnel ne pourrait s'attendre à s'occuper de sa famille avec succès. Le président d'une entreprise sans certificat de scientologie échouera un de ces jours. La personne à la tête d'un pays s'effondrerait si elle ne connaissait pas la scientologie. Certains d'entre nous doivent diriger des centres, des écoles simplement pour donner des services au reste d'entre nous quand c'est nécessaire. C'est pour cette raison que nous avons des organisations sur tous les continents. Nous sommes les solutions aux fauteurs de troubles du monde. Nous attendons de vous que vous touchiez les points clés par n'importe quel moyen pour créer une meilleure planète. Nous ferions bien d'envahir avec succès toutes les activités qui existent et de faire sentir notre influence sur les lignes de communication du monde. La scientologie est le seul jeu sur terre où tout le monde gagne. Lorsque vous quittez le pouvoir, donnez les pleins pouvoirs à vos amis et partez les poches pleines de munitions, de preuves compromettantes et d'adresses de tueurs à gages chevronnés.»

Cette longue citation pour vous démontrer que le seul but de la scientologie est d'isoler ses membres en les motivant à se préparer à une nouvelle perception du monde, pour finir par le changer. Ils s'immiscent dans les affaires de l'Etat - et j'en veux pour preuve l'événement que j'ai appris récemment : bon nombre d'assurances de la place ont reçu un volumineux dossier envoyé par la scientologie qui leur demandait de prendre des mesures contre ce qu'ils appellent les abus des psychiatres à l'hôpital de gériatrie. On voit bien qu'ils se mêlent de tout !

Le but de la scientologie est de créer un Etat dans l'Etat en grignotant peu à peu les postes clés. Pour créer cette structure, il faut de l'argent, argent qui échappe à la collectivité pour tomber dans les poches des dirigeants de la scientologie; argent dont personne jusqu'à présent au monde n'a réussi à savoir quelle était sa destination ou son utilisation.

Concernant ce point, voici quelques chiffres qui font dresser les cheveux sur la tête :

En 1992, la Suisse était en tête des pays européens, par rapport à sa population, avec cent cinquante et un patrons de la scientologie sur son territoire; patrons dont cent vingt et un ont payé plus de 40 000 $, quinze plus de 100 000 $ et quinze plus de 250 000 $, contre trente-sept patrons en France. Faites le calcul; cela représente 3 825 400 $ au bas mot, pour le seul cas des patrons, qui échappent à la société pour aller engraisser la scientologie. On voit bien ici que le bien-être et le développement de l'adepte n'ont jamais été que la carotte qui permet de s'enrichir en prétextant donner un enseignement secret, qui n'est en fait que l'appropriation d'un savoir universel utilisé à des fins personnelles et partisanes, avec comme moteur l'argent et le pouvoir. Agir contre une telle organisation relève bien, à mon sens, de la sécurité de l'Etat.

Je rappelle ici que selon les spécialistes trois conditions sont nécessaires pour qu'une secte soit qualifiée de «dangereuse» :

1) l'omniprésence d'un chef omnipotent : Ron Hubbard en l'occurence;

2) les pressions financières : no comment !

3) les pressions psychologiques : elles ont bien lieu. François Lavergnat, pétitionnaire en est témoin pour avoir été menacé par téléphone, diffamé et avoir vu les scientologues le dénigrer auprès de sa fille à la sortie de l'école, et M. Paul Ranc, entendu par la commission des pétitions et bien connu pour son action et ses divers livres contre les sectes, en est témoin également pour avoir été menacé de mort, et j'en passe.

Tous ces faits sont des délits réprimés par la loi, mais, bien qu'ils aient été portés à la connaissance du public, il n'y a eu aucune sanction. La scientologie a été condamnée à Genève pour escroquerie, contrainte et extorsion, à Milan pour association de malfaiteurs, extorsion et abus sur incapables; elle a été mise en redressement judiciaire à Paris où on lui a réclamé 60 millions dont 20 au titre de bénéfices et 30 millions pour taxes professionnelles impayées sur plus de dix ans et on l'a mise sous tutelle d'un administrateur juridique.

En France Mme Barzach, MM. Barre et Fabius eux-mêmes se sont fait piéger en signant une pétition visant les psychiatres et demandant une réglementation contre les abus de tranquillisants, pétition lancée par la «Commission des citoyens pour les droits de l'homme», nom trompeur qui cache une fois de plus la scientologie. C'est dire si l'action de cette secte peut être perfide et trompeuse et je ne parle même pas du pseudo enseignement religieux prodigué par la scientologie, qui n'est bien évidemment destiné qu'à appâter plus de personnes.

Quand on voit l'activité développée par la justice française : entre autres perquisitions, mises en examen, redressements judiciaires, redressements fiscaux et autres, on peut s'inquiéter de l'immobilisme de la Suisse et notamment de Genève en la matière et on est en droit d'attendre mieux que les trois pages et demie qui nous sont proposées.

Pourtant il y a des pistes :

- prévention tout public;

- subvention aux associations d'aide aux victimes de sectes;

- création d'une structure d'Etat de soutien aux personnes ayant quitté ou désirant se plaindre d'une secte;

- étude de la situation fiscale;

- information dans les écoles pour que les jeunes ne se laissent pas piéger par les tests de QI et autres appâts;

- intervention du médecin ou du pharmacien cantonal;

- création d'un observatoire cantonal des phénomènes religieux;

- modification de la législation et j'en passe...

Monsieur Ramseyer, vous avez annoncé il y a quelque temps que vous en aviez assez de ces histoires de sectes et que vous alliez prendre les choses en main. J'ai été très heureuse de cette déclaration, mais encore faut-il qu'elle se concrétise par une action réelle. Je compte donc sur vous pour entraîner vos collègues par la motivation que vous avez annoncée et j'attends impatiemment l'automne 1996 pour savoir enfin ce qui va sortir des réflexions du Conseil d'Etat et de son groupe d'étude sur le problème des sectes en général.

Je rappelle que je ne suis d'ailleurs pas la seule à attendre. Les personnes dont certains membres de la famille ont disparu, se sont suicidés, sont ruinés, désemparés ou persécutés par la scientologie, attendent aussi, et elles depuis encore bien plus longtemps, des réponses à leurs questions et des mesures contre la scientologie. Cette attente se transforme en angoisse. Ces gens ont besoin de vous. Ne les laissez pas tomber. Ils n'ont personne d'autre vers qui se tourner.

Pour finir, je propose que ce rapport soit renvoyé au Conseil d'Etat pour être complété et étoffé et qu'on en prenne acte, mais seulement comme rapport intermédiaire sur la pétition 1027.

M. Roger Beer (R). J'aimerais tout d'abord remercier le conseiller d'Etat pour son rapport. Rassurez-vous je serai beaucoup plus bref que Mme Strubin qui a fait un exposé très détaillé de la situation assez dramatique dans laquelle nous nous trouvons, notamment avec la scientologie. Ce rapport est daté du 26 avril 1996 et, normalement, on devait avoir le rapport du groupe de travail pour l'automne 1996. Cela me réjouit, car c'est pour bientôt.

Monsieur le conseiller d'Etat, la plupart des députés sont tout à fait conscients du problème posé par les sectes dans la mesure où en matière de religion il est extrêmement difficile d'intervenir. La création de ce groupe de travail a un peu duré à mon avis, et on aurait pu attendre du Conseil d'Etat une réaction plus rapide. Dans ce sens, je suis d'accord avec Mme Strubin.

J'espère que ce groupe aura profité de l'été pour avancer et proposer des solutions qui permettent d'éviter l'embrigadement d'adolescents, des adultes jeunes ou moins jeunes par des mouvements que l'on peut qualifier de «sectaires». Ce problème de sectes est le reflet de notre société qui laisse tomber tout l'enseignement de la religion. Je crois qu'une motion présentée par des députés figure à l'ordre du jour; elle propose, précisément, d'étudier la possibilité de revenir à l'enseignement de la religion dans le cadre de l'enseignement public. En comblant cette lacune, on tiendrait une des solutions à ce problème; les jeunes auraient ainsi une culture religieuse et ne succomberaient pas à n'importe quel discours leur faisant miroiter des paradis qui n'existent pas.

En fait, Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez vous-même déjà retiré ce rapport une première fois. Ensuite, la capacité d'avancement de notre Grand Conseil fait qu'il n'arrive qu'aujourd'hui. On aurait presque pu imaginer que le rapport du groupe de travail arrive quasiment en même temps. Il est vrai que ce rapport est une suite au rapport sur la pétition. J'ose simplement espérer que le délai demandé n'est pas fait pour «jouer la montre» - je parle en sportif - mais pour proposer des solutions, afin de résoudre le problème dramatique de la liberté de pensée qui est parfois exploitée à des fins criminelles.

Le groupe radical acceptera le rapport.

M. René Longet (S). Notre groupe prend ce sujet très au sérieux et il s'agit - nous le savons tous - d'un fait de société qui doit être discuté, comme l'a dit Mme Strubin. Il doit être discuté et non occulté. Nous sommes donc heureux que ce rapport soit commenté et que nous puissions indiquer au Conseil d'Etat quels sont les éléments sur lesquels nous souhaiterions que l'accent se poursuive.

Comme M. Beer, nous analysons la situation en termes de lutte contre les abus. Je rappelle que ce Grand Conseil a voté, voici deux ans environ, l'excellent rapport très documenté de notre collègue Strubin, suite à la pétition. J'insiste également sur le fait que cette pétition ainsi que ce rapport ne doivent aucunement se limiter à l'activité de la scientologie, mais être étendus à l'ensemble des phénomènes visés.

Notre groupe est relativement déçu - nous le disons d'emblée - du rapport du Conseil d'Etat rédigé sur trois pages «mincelettes» et relativement en retrait de ce que vous avez dit vous-même, Monsieur Ramseyer, à plusieurs reprises au début de l'année à la presse - et tout récemment encore. Ces articles allaient à notre avis nettement plus loin que les constats que vous faites dans le rapport qui nous est soumis.

La pétition disait trois choses :

- qu'il fallait éviter que les structures de l'Etat servent de véhicule au prosélytisme. Notre collègue Beer était intervenu, à plusieurs reprises je crois, pour signaler des cas de ce type aux abords des écoles, mais la pétition allait plus loin : les structures de l'Etat ne doivent pas être utilisées pour de telles activités.

- qu'il fallait apporter un soutien aux citoyennes et citoyens, aux associations qui se consacrent à l'information et à l'aide aux victimes et naturellement au groupement pétitionnaire.

- qu'il fallait contrôler les prestations dites médicales; je n'y reviendrai pas.

Evidemment, dans l'intervalle, le drame du Temple solaire est intervenu, voici deux ans, montrant à quelle extrémité, dans ces milieux, les adeptes et malheureusement aussi des enfants pouvaient aboutir, ce qui est particulièrement choquant. La justice française a inculpé un certain nombre de personnes au titre d'association de malfaiteurs, ce qui donne aussi des pistes juridiques permettant d'aller de l'avant dans ce genre de situation.

A ces trois demandes de la pétition, nous souhaitons ajouter deux points qui nous paraissent dignes d'intérêt.

Le premier point est tout à fait essentiel - nous pensons que l'on peut aller plus loin que l'investigation juridique à laquelle, Monsieur Ramseyer, vous avez donné l'initiative - car il s'agit de suivre la situation, de l'analyser de très près moins au titre d'une observation policière qu'au titre d'une observation sociologique. En France, par exemple, un inventaire a été effectué récemment des groupements qualifiés de «sectes». On en a trouvé cent septante-deux, et ce qui est intéressant est que le nombre a augmenté de 60% en treize ans. Il faut donc bel et bien suivre cette évolution.

Naturellement la définition de la «secte» est difficile à faire, car il n'y a pas de définition scientifique. Pourtant, nous ne pensons pas que ce soit aussi difficile à faire que ne le dit le Conseil d'Etat dans son rapport. Un certain nombre de signes distinctifs sont des indicateurs : lorsqu'il y a parodie de cultes ou de symboles traditionnels, lorsqu'il y a exigence de soumission et dépendance, lorsqu'une vision totalement manichéenne du monde se fait jour et lorsque les militants sont prêts à tout pour leur foi et, aussi, lorsque les attentes sont tout à fait disproportionnées. Tous ces signes indiquent un comportement sectaire qui peut entraîner les dérives dramatiques que nous connaissons.

Mais quelle est la marge de manoeuvre, car il ne s'agit pas d'analyser les consciences ou d'intervenir en quoi que ce soit sur les choix particuliers des personnes ? Monsieur Ramseyer, je vous rappelle que votre nouveau collègue conseiller d'Etat du canton de Vaud, M. Zysiadis, avait fait une proposition aux Chambres fédérales - que je trouvais très intéressante, mais qui n'a malheureusement pas abouti - demandant un observatoire des phénomènes religieux et des phénomènes de sectes. C'est ce qu'il nous faudrait : un lieu rassemblant les informations et à partir duquel elles pourraient être rediffusées; un lieu de débat et de discussions pour mieux comprendre le problème; un lieu où les personnes qui en ont besoin pourraient trouver de l'aide. Nous aimerions aller dans ce sens, Monsieur Ramseyer.

La deuxième demande pourra intéresser M. le conseiller d'Etat Vodoz. Certains organes de presse ont signalé récemment l'aspect financier du phénomène secte. Beaucoup de ces groupes sont une véritable pompe à moyens financiers, vidant les poches par autosuggestion de leurs membres au bénéfice de destinataires dont on ne sait pas vraiment qui ils sont, mais cela porte sur des sommes faramineuses. Cet aspect très important est pourtant absent du rapport du Conseil d'Etat. Si vous lisez un mensuel bien connu, ce problème est évoqué de manière tout à fait intéressante - je ne dirai pas prometteuse, ce serait trop dire. Monsieur Vodoz, vous ne devriez pas négliger l'aspect financier et fiscal de ces milieux.

En conclusion, restons très attentifs à ce qui se passe, dans un équilibre difficile à maintenir entre la liberté élémentaire de chacun de penser, de croire et même de se livrer aux rites qui nous paraissent les plus absurdes et les plus égocentriques, en vue de son salut, et la liberté de tous de ne pas être violés dans leur identité profonde, dépossédés de leur argent par des escrocs de la spiritualité. C'est un équilibre délicat au nom de la protection de la personnalité. Nous devons ainsi imaginer une extension de notre code pénal pour réprimer le délit d'atteinte à l'intégrité psychique.

Alors, Monsieur le conseiller d'Etat, nous soutenons ce qui a été fait et nous demandons que cette action se développe dans les directions que nous avons indiquées.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Les trois préopinants s'expriment avec quatre à cinq mois d'avance, ce qu'ils ne peuvent pas ignorer s'ils s'attachent au contenu de la page 4 du rapport du Conseil d'Etat.

Je vous rappelle tout d'abord que cette pétition comporte une ambiguïté. Le titre ne traite que de la scientologie alors que la problématique, comme Mme la députée Strubin l'a souligné, porte sur les sectes en général.

C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu faire un rapport uniquement consacré à la scientologie : il aurait effectivement eu quatre pages et notre travail serait terminé. Ce n'est pas ce que nous avons fait. Nous avons admis que la scientologie était une secte parmi d'autres tout aussi dangereuses et que, par conséquent, il convenait d'appréhender le problème globalement. Contrairement à votre allusion, Madame la députée, le canton de Genève est le seul canton à avoir entrepris le travail que vous appelez de vos voeux. Notre travail sera communiqué aux cantons romands qui se sont annoncés, cantons qui se sentent moins concernés, car ils n'ont pas eu de drame de cet ordre ni l'émotion que nous avons enregistrée.

J'en viens au fait. Ce rapport considère la scientologie comme étant une secte comme une autre. J'ai annoncé un rapport préalable sur l'ensemble des sectes en juin et un rapport final en automne, soit pour le 30 octobre. Le rapport préalable de juin a consisté en une entrevue que j'ai eue avec le responsable de ce groupe de travail, Me François Bellanger. En juin il avait déjà procédé, avec son groupe de travail, à vingt-deux auditions concernant aussi bien les victimes, les responsables de certains mouvements sectaires que les organisations qui s'occupent des victimes. Il a estimé que d'autres auditions étaient encore nécessaires. Je lui ai moi-même fourni certaines pistes de personnes qui se sont personnellement adressées à moi.

De manière générale, il règne le sentiment que les dispositions actuelles sont suffisantes, mais insuffisamment utilisées. Ainsi se pose le problème de la séparation des pouvoirs et d'une justice qui doit être, selon nous, encore plus sévère. Un deuxième problème nous est apparu : savoir ce qui relève de la répression et de la détection, en particulier l'aspect fiscal soulevé par M. le député Longet, qui est extrêmement délicat. En effet, pour effectuer des enquêtes en matière de fisc, faut-il encore avoir des contribuables annoncés, ce qui n'est évidemment jamais le cas !

Vous avez fait allusion à un observatoire des sectes. J'ai moi-même pris la peine de rappeler à M. le conseiller fédéral Koller notre volonté que les sectes soient incorporées dans les observatoires actuellement en vigueur à Berne. Cette proposition n'a pas été admise pour une série de raisons qui tiennent à la législation fédérale.

S'agissant de la préparation du rapport promis pour le 30 octobre prochain, nous avons travaillé l'aspect du droit de la famille et particulièrement la protection de l'enfant. Cette partie de recherche juridique technique, concrète, a été confiée à M. le professeur Stettler. En matière fiscale, nous avons chargé Me Oberson de déterminer dans quelle mesure on pouvait mieux détecter et mieux réprimer les problèmes liés au fisc.

En matière pénale, nous nous sommes adressés à Me Harari et, en droit administratif, à Me François Bellanger lui-même, qui traite de trois éléments :

- la santé. Vous avez fait allusion, avec une documentation pour laquelle je vous félicite, à toute une série de médicaments. Ce problème de la santé est étudié pour lui-même.

- l'instruction publique et l'instruction privée. Que pouvons-nous faire au niveau de la prévention des enfants en particulier ?

- l'exercice des libertés publiques. Comment peut-on s'opposer au démarchage, au racolage en faveur des sectes ? Cette question est extraordinairement complexe et ne sera évidemment pas résumée en quatre pages.

Si les quatre pages que vous avez reçues vous paraissent insuffisantes, c'est simplement parce que je vous ai informés du travail très considérable qui était conduit et que c'est sur la base du rapport du groupe de travail en commission que le parlement pourra s'exprimer. Je suis d'ores et déjà reconnaissant aux députées et députés qui possèdent une bonne documentation à ce sujet de l'apport qui sera le leur en commission.

Deux remarques en conclusion. Les contacts avec la France voisine sont non seulement réguliers mais encore se sont-ils accrus. Vous citez des statistiques, mais permettez-moi de vous dire qu'elles ne veulent rien dire du tout. En effet, vous pouvez compter soixante sectes une semaine, quarante-deux la suivante, mais nous ne savons pas si ce sont les mêmes qui ont changé de nom ou si ce sont les adeptes qui ont changé de secte. La France voisine essaye de surveiller les choses avec vigilance, comme nous le faisons en Suisse.

Les rapports entre les polices se sont également accrus. Cette question a été abordée au sein du Comité régional franco-genevois et il a été demandé à nos polices française et suisse d'augmenter leur pression sur les sectes. C'est ainsi que, tout récemment encore, on nous signalait la naissance, en France voisine, d'une nouvelle secte du même type que le Temple solaire.

En résumé, ce rapport pourrait en fait être considéré comme un rapport intermédiaire. Je préfère dire que c'est un rapport sur une pétition abordant un petit aspect du problème évoqué, mais tout de même extrêmement grave. Vous recevrez le rapport sur les sectes dans les délais prévus, après que le Conseil d'Etat l'eut vu, eut admis son contenu et donné quelques pistes de travail. Vous aurez donc l'occasion de vous mettre sous la dent un travail extraordinairement difficile, complexe mais passionnant : à savoir si on peut, dans un Etat de droit comme le nôtre, lutter efficacement contre les sectes. Je le répète : ce travail est unique en Suisse.

Mme Evelyne Strubin (AdG). Je vous remercie beaucoup, Monsieur le conseiller d'Etat, de vos explications réconfortantes. Je ne comprends pas bien pourquoi vous n'avez pas décrit l'avancement de vos travaux et intégré toutes ces informations très intéressantes dans votre rapport; il nous aurait moins déçus, bien évidemment.

Je retire donc ma proposition de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. Je prends note que vous êtes d'accord avec moi que ce rapport peut être considéré comme un rapport intermédiaire et j'attends impatiemment le rapport de votre groupe de travail. Mais ne tardez pas, car plus on approche de l'an 2000 plus ces sectes font d'adeptes en utilisant le millénarisme ! Je vous remercie de vos explications.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.