Séance du
vendredi 21 juin 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
8e
session -
26e
séance
PL 7467
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit:
TITRE IX
Taxe sur les jeux d'adresse et de hasard
(nouvelle teneur)
Art. 443 (nouvelle teneur)
Principe
1 Il est institué une «taxe sur les jeux d'adresse et de hasard» dont le produit, sous déduction des frais de perception et de contrôle, est versé à raison de:
a)
70% à l'Hospice général;
b)
30% à l'Etat, pour être affectés à des activités et à des entreprises en faveur de la santé publique et du bien-être social.
2 Toute allocation prise sur la part attribuée à l'Etat doit faire l'objet d'une loi si elle atteint ou dépasse la somme de 10 000 F pour la même oeuvre et dans la même année.
Art. 444 (nouvelle teneur)
Perception
1 Cette taxe est due sur tous les jeux d'adresse et de hasard organisés par les casinos ainsi que les loteries, les paris et les tombolas de tous genres.
2 Elle est perçue par l'entreprise ou les organisateurs responsables pour le compte de l'Etat; elle est immédiatement exigible.
3 Le département de justice et police et des transports surveille et dirige la perception de la taxe. Il prend toutes mesures nécessaires pour le contrôle des recettes.
Art. 445 (nouvelle teneur)
Taux
La taxe s'élève à 13% de la recette brute versée par l'ensemble des joueurs sous réserve cependant des exceptions suivantes:
a)
elle est réduite à 10% pour les loteries et tombolas organisées par les sociétés locales pour autant que ces manifestations ne comportent pas, à un titre quelconque, l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale, même accessoire, soit au profit de la société elle-même, soit de ses membres, soit encore d'autres personnes;
b)
elle est de 5% pour les loteries, paris, tombolas et autres jeux d'adresse et de hasard dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance.
Art. 446 (abrogé)
Art. 447 (abrogé)
Art. 448 (nouvelle teneur)
Autorisation
1 Quiconque organise pour son compte ou pour le compte d'autrui un ou des jeux de hasard est tenu de se munir préalablement d'une autorisation du département de justice et police et des transports, de lui fournir les renseignements ou justifications nécessaires, notamment en ce qui concerne les recettes, de percevoir la taxe légalement due et d'en opérer le versement au département de justice et police et des transports dans le délai fixé.
2 Si les organisateurs n'ont pas accompli ces formalités dans le délai fixé, s'ils ne les ont accomplies qu'en partie ou s'ils ont refusé de fournir les renseignements et justifications demandés, ils peuvent être taxés d'office par le département de justice et police et des transports, d'après les indications dont il dispose, cela sans préjudice des mesures administratives ou pénales dont ils peuvent être l'objet.
3 S'il le juge nécessaire, le département de justice et police et des transports peut exiger le dépôt préalable de sûretés.
Art. 450 (nouvelle teneur)
Sanctions
1 Les contrevenants aux dispositions du présent titre ou de ses règlements d'exécution et ceux qui, de quelque manière que ce soit, entravent ou tentent d'entraver le contrôle de la taxe sur les jeux de hasard, notamment en refusant de fournir au département de justice et police et des transports ou à ses représentants les renseignements néces6saires, ou fournissent des renseignements incomplets ou inexacts, sont passibles de peines de police.
2 Ceux qui, sciemment, frustrent ou tentent de frustrer en totalité ou en partie la taxe sur les jeux d'adresse et de hasard sont passibles de l'emprisonnement jusqu'à un an et de l'amende jusqu'à 10 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice du paiement des droits éludés.
Art. 452 (nouvelle teneur)
Indépendamment des sanctions pénales ci-dessus, le département de justice et police et des transports peut ordonner la fermeture temporaire ou définitive de tout établissement qui refuse, soit de percevoir la taxe sur les jeux d'adresse et de hasard, soit de la verser dans sa totalité au département de justice et police et des transports dans le délai fixé, ou qui a contrevenu à réitérées reprises aux dispositions du présent titre ou de ses règlements d'exécution.
Art. 2
Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ce projet de loi vise à substituer à l'actuel «droit des pauvres» une taxe dont l'assiette sera constituée par les seuls jeux d'adresse et de hasard. Pour les auteurs du projet de loi, cette réforme s'impose aussi bien pour des motifs d'ordre social qu'économique.
Lorsque le législateur, en 1917, a voté la «loi concernant les taxes sur les spectacles, les concerts et les exhibitions» et lorsqu'en 1930 il a institué à la place de ces taxes le «droit des pauvres» il était confronté à une situation sociale que plus rien ne rappelle aujourd'hui. Dans la première partie de notre siècle, la culture était encore largement réservée à la classe la plus aisée de la population. A quelques exceptions près, seule celle-ci participait aux manifestations artistiques, littéraires ou musicales. Seule celle-ci disposait des moyens de fréquenter assidûment les expositions et les spectacles culturels.
Même si, dans la Genève de l'époque, les classes sociales les moins favorisées n'étaient pas misérables, il est évident qu'en des périodes aussi lourdes de privations que celles de la Guerre 1914-1918 et de la Grande crise, les difficultés de l'existence quotidienne, en l'absence du généreux filet social que nous connaissons aujourd'hui, devenaient rapidement insupportables. Il est donc explicable que nos prédécesseurs aient alors, au nom de la solidarité sociale, institué les taxes susmentionnées qui permettaient à l'Etat d'organiser et de financer ces activités en faveur de la santé publique et du bien-être social.
Le rôle de l'Etat et de l'Hospice général dans les domaines de la santé publique et du bien-être social, comme chacun le sait, n'a pas diminué. Il n'a, au contraire, cessé d'augmenter et l'explosion, au cours des dernières décennies, des recettes fiscales que la collectivité leur consacre en témoigne.
Par contre, la source de financement qu'est resté le «droit des pauvres» a non seulement perdu sa justification originelle mais est devenue, avec le développement et la popularisation des activités culturelles et sportives, des activités qui concernent désormais et très largement toutes les couches sociales, un impôt discriminatoire. Celui-ci, d'une part, pénalise gravement à Genève un secteur économique très intéressant en termes de croissance et d'emplois et, d'autre part, il nuit à l'attractivité de notre canton.
Les conséquences de cet impôt discriminatoire peuvent se mesurer de manière simple au nombre de manifestations sportives et culturelles qui, au lieu de voir le jour à Genève, «émigrent» à Malley, à Martigny, à Neuchâtel, à Zurich ou encore en France voisine. Qui peut imaginer par exemple que l'équivalent d'une Fondation Gianadda pourrait voir le jour à Genève dans le contexte actuel? Quant au multiplex cinématographique qui va s'installer à Archamps, qui peut croire que le droit des pauvres n'a pas contribué à cette naissance transfrontalière?
Elles se mesurent également aux difficultés, multipliées par l'introduction récente de la TVA, que rencontrent aussi bien les promoteurs genevois d'expositions et de grands événements sportifs ou culturels pour équilibrer leurs comptes que les propriétaires de salles de cinéma et de spectacles. Sans parler des problèmes financiers rencontrés par les organisateurs de grandes manifestations commerciales (salons) dont les retombées économiques sont considérables pour le canton. N'oublions pas non plus le cas absurde des musées et des théâtres qui restituent à l'Etat, sous forme du droit des pauvres, une bonne part des subventions reçues. Même l'avenir des Fêtes de Genève, manifestation populaire par excellence, bute sur ce problème.
C'est en vertu des constatations ci-dessus et parce qu'en fin de compte c'est l'image de notre canton et son attractivité générale, donc son avenir, qui pâtissent de cette situation que les auteurs du projet de loi proposent que la perception de l'actuel «droit des pauvres» soit désormais limitée au domaine des jeux de hasard.
Financièrement, les conséquences de la modification légale proposée peuvent se résumer ainsi:
· recettes actuelles du «droit des pauvres»: environ 19 millions de francs;
· part de ces recettes provenant déjà des jeux de hasard: environ 8 millions de francs;
· perte de recettes pour la collectivité: environ 11 millions de francs.
Cette baisse des recettes ne doit pas, même en période d'austérité budgétaire, conduire le Grand Conseil à renoncer à engager d'urgence la réforme proposée, cela pour plusieurs raisons:
· d'abord parce que l'intérêt à long terme pour notre canton de «devenir une véritable capitale culturelle» comme le notait récemment un journaliste local et de disposer d'un secteur de promotions événementielles dynamique et compétitif est prioritaire;
· ensuite parce que les 11 millions de francs de recettes qui disparaîtront dans un premier temps ne représentent que 0,4% de l'ensemble des moyens que la collectivité consacre à la santé publique et à la prévoyance sociale;
· également parce que, pour l'Hospice général, sur ces 11 millions de francs, la part qui lui revient ne constitue que 7,8% des recettes;
· enfin parce que le secteur des jeux d'adresse et de hasard est en plein développement et que dans les années à venir l'Etat pourra, au profit de l'utilité publique, en retirer de nouvelles recettes substantielles. A lui d'activer l'ouverture des salles de jeux que la loi l'autorise à mettre en exploitation.
En vertu de ce qui précède, les auteurs du projet de loi vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à accueillir favorablement ce dernier.
Préconsultation
M. Jean-Philippe de Tolédo (R). «De nos jours, la concurrence entre villes est devenue aussi dure que celle entre entreprises, et la culture est un enjeu primordial de cette concurrence, parce que c'est une carte de visite et parce qu'elle a d'importantes retombées touristiques et économiques.» Mme Yvette Jaggi s'exprimait en ces termes dans les colonnes du «Journal de Genève» du 17 mai 1996.
D'ailleurs, cette analyse pourrait s'appliquer à l'ensemble du pays et, particulièrement, à la situation de Genève, ville internationale, carrefour des civilisations et des cultures. En plus, il ne faut pas oublier que la vie culturelle d'une ville est susceptible d'attirer les entreprises qui, elles, génèrent de l'emploi.
Qu'en est-il, pour Genève, des retombées sur l'économie et le tourisme ? Je vous cite quelques exemples chiffrés, dont la liste n'est pas exhaustive.
Les retombées économiques des manifestations organisées à Palexpo se montent à 405 millions par année. Séparément, le concours hippique représente 10 millions par année, le Supercross : 3 millions, la coupe Davis : 12 millions et le concert de Pavarotti : 2 millions.
Selon une récente étude, les retombées économiques dues aux différents salons - et je ne parle que de ceux qui ont lieu à Palexpo - s'élèvent à 270 F par visiteur, sans compter les emplois liés à l'organisation de l'ensemble de ces manifestations.
On peut également parler de retombées médiatiques. Il s'agit de la fameuse carte de visite dont parle Mme Jaggi. En effet, chaque manifestation offre à Genève l'occasion de faire sa publicité par voie de presse ou de télévision, publicité mettant en évidence la vie culturelle de Genève, son dynamisme et son aéroport. Le concours hippique a réuni quatre cent quatre-vingts journalistes agréés, et il a été retransmis par plus de quarante et une chaînes de télévision.
Ces quelques exemples chiffrés montrent la nécessité d'encourager toutes les manifestations sportives et culturelles si l'on veut que Genève garde sa place face à la concurrence des autres villes suisses, voire des villes étrangères, comme Lyon ou Annecy, faute de quoi, l'image et le renom de Genève, en tant que ville internationale, en souffriraient immanquablement.
En réalité, que fait-on pour encourager les manifestations de tout ordre ? On taxe ! Oui, Mesdames et Messieurs les députés, le canton prélève 13% au titre du droit des pauvres sur les spectacles, que ceux-ci soient bénéficiaires ou non ! Ce point est très important et mérite que l'on s'y arrête. En effet, les organisateurs sont taxés, non pas simplement sur le bénéfice réalisé mais sur les recettes. Si l'organisateur perd il est tout de même taxé.
A ces 13% s'ajoutent 6,5% de TVA; les taxes atteignent ainsi presque 20%, et c'est une charge quasiment insupportable pour les organisateurs dans le contexte de crise que nous connaissons, car les sponsors, les subsides et autres recettes publicitaires habituelles ont «fondu comme neige au soleil». Dans une telle situation, les organisateurs de spectacles et de manifestations baissent les bras et vont voir ailleurs !
Comment cela se passe-t-il ailleurs ? Certains cantons ne connaissent pas la taxe sur les spectacles, certains en ristournent une partie à l'organisateur, et, d'autres, comme Bâle, subventionnent lesdits spectacles. En France, les organisateurs bénéficient de la différence de change, et, pour s'en convaincre, il suffit de constater, entre autres, le succès du Macumba !
M. Bénédict Fontanet. La culture, le Macumba !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Il y en a d'autres que je vous citerai tout à l'heure ! J'ai parlé de spectacles et de manifestations ! Et le Macumba fait partie de la culture des jeunes, donc on peut le citer !
Pour éviter une débâcle, qui semble programmée, il faut impérativement alléger les charges des organisateurs de spectacles à Genève. En d'autres termes, supprimons le droit des pauvres !
Cette solution n'a rien de révolutionnaire : elle avait été proposée par voie de pétition - la 906-A - en octobre 1992, avant l'introduction de la TVA. A cette époque, le Grand Conseil l'avait renvoyée au Conseil d'Etat, afin qu'il trouve une solution. Quatre ans se sont écoulés, et nous en sommes toujours au même point. Nous vous proposons ce projet de loi pour que les enjeux soient clairs : si l'on n'abolit pas le droit des pauvres, nous prenons un certain nombre de risques, notamment celui de voir de nombreuses manifestations - le Salon des inventions, de l'automobile, la coupe Davis, le concours hippique - représentées dans des cantons plus accueillants, tels que Vaud ou Zurich.
Une voix. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Si l'on ajoute à cela les décisions de Swissair, je vous laisse imaginer la suite ! En dehors du risque de voir ces manifestations déplacées, certaines d'entre elles sont menacées de disparition. C'est le cas des cinémas, car l'installation de Gaumont, à Archamps, et de Pathé, à Ferney, offrira presque autant de places de cinéma que l'ensemble du canton, et à des prix défiant toute concurrence !
M. Dominique Hausser. Il faut annexer la France voisine ! (Rires.)
M. Jean-Philippe de Tolédo. Cinélac, lui, est déficitaire depuis trois ans. Et devrons-nous faire les fêtes de Genève de l'autre côté de la frontière ? A cela s'ajoute le risque de voir disparaître les retombées économiques et médiatiques, dont j'ai parlé tout à l'heure, ainsi que les emplois qui y sont liés.
Les manifestations exemptées de la taxe du droit des pauvres - et cela prouve son importance - permettent à leurs organisateurs de survivre, malgré les difficultés liées à une conjoncture difficile. C'est le cas d'Atletissima à Lausanne, du Paléo festival et du festival de jazz de Montreux. La suppression du droit des pauvres améliorerait la qualité de l'offre en matière de spectacles et de manifestations et abaisserait le prix des billets.
Ce dernier élément est important : les jeunes de 16 à 25 ans, aux revenus modestes, sont les principaux consommateurs de ce type de spectacles.
En conclusion, la suppression du droit des pauvres devrait être assortie de deux réserves. La première concerne le fait que le droit des pauvres qui s'applique aux spectacles rapporte 11 millions, lesquels sont donnés à l'Hospice général. Il faudra donc impérativement trouver une compensation pour ce montant, car on ne peut pas priver l'Hospice général d'un tel revenu.
Mme Claire Chalut. Pochette surprise !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Non, justement, il ne s'agit pas d'une pochette surprise ! La motion 1066 vous propose une compensation qui rapportera un revenu bien supérieur à ces 11 millions, et c'est pourquoi il est très intéressant d'entrer en matière sur ce sujet.
D'autre part, si le droit des pauvres disparaît, il faudra, en priorité, que les consommateurs en bénéficient sous forme d'amélioration des spectacles et de diminution du prix des places. Selon les organisateurs, la carte de fidélité de cinéma et la suppression du droit des pauvres rendraient le prix du billet compétitif par rapport à celui proposé en France.
Une voix. Jamais !
M. Jean-Philippe de Tolédo. Non, ne dites pas «jamais», c'est le calcul qu'ils ont fait ! Ceux qui disent «jamais» n'utilisent pas la carte de fidélité du cinéma ! Le prix d'une place revient à peu près à 7 F avec l'addition des points.
Pour toutes ces raisons, je demande à ce Grand Conseil d'accueillir favorablement ce projet de loi, et, étant donné le sujet complexe et ses ramifications nombreuses, je souhaite qu'il soit renvoyé à une commission ad hoc.
M. René Ecuyer (AdG). Ce projet pose des problèmes à ceux qui s'intéressent aux difficultés d'une certaine partie de notre population. Je suis déçu que l'on ose proposer de supprimer l'aide aux pauvres. Les termes «droit des pauvres» font peur ! Mais il suffit d'ouvrir les journaux pour constater que la pauvreté refait surface dans ce pays et dans ce canton. D'ailleurs, je ne comprends pas le raisonnement tenu. Pensez-vous que, en supprimant le droit des pauvres, les organisateurs de spectacles diminueront le prix du billet de leur spectacle ? C'est un leurre ! Vous nous prenez pour des enfants de choeur ! Personne n'y croit ! Il s'agit d'un cadeau aux organisateurs de spectacles.
Les prix ne baisseront pas, il suffit de raisonner ! On nous dit que ce droit des pauvres remonte au début du siècle, lorsqu'il était question de culpabiliser les gens allant au spectacle. Mais il faut voir les choses différemment et se dire que ceux qui vont au spectacle font un acte de solidarité envers une partie de la population qui ne peut pas y aller.
On se demande si la population genevoise trouve indécent que 13% du prix du billet de spectacle aille aux plus défavorisés. Vous parlez de billet de loterie. Alors, pourquoi prélever sur le prix du billet de loterie et pas sur celui des spectacles ? Cela ne met pas en difficulté les organisateurs de spectacles. Les spectacles continueront à avoir lieu, et il ne manquera pas un spectateur, parce que le prix du billet est majoré de cinquante centimes ou d'un franc.
Il s'agit d'un faux débat, mais j'accepte que nous en discutions, car c'est une question de fond, et nous-mêmes supportons mal de voir nos projets balayés systématiquement. Alors allons en discuter en commission ! Mais j'annonce la couleur : nous nous opposerons à la suppression du droit des pauvres !
Vous avez parlé d'une compensation, mais je serais curieux de savoir qui sera d'accord de voter une compensation, car il est certain qu'elle ne rendra pas service à tout le monde. Le risque est d'enlever des moyens à l'Hospice général et à l'Etat de Genève. Les Genevois sont capables d'actes de solidarité envers les personnes défavorisées. En plus, ce droit des pauvres n'existe pas dans la plupart des cantons. Par conséquent, c'est tout à l'honneur des Genevois de se préoccuper peut-être plus que d'autres de ces problèmes. Dans ce canton, sommes-nous capables de garder un esprit de solidarité envers ceux qui sont en difficulté ? J'en suis persuadé, et je pense que nous trouverons un accord en commission.
Mme Claire Torracinta-Pache (S). On a déjà souligné à plusieurs reprises que, à part les partis de gauche et les Verts qui ont toujours essayé de trouver des solutions pour agir à la fois sur les dépenses et sur les recettes pour combler le déficit budgétaire, la droite a, en général, privilégié les dépenses, et c'est son droit ! (Rires.) Non, je dis que la droite a agi sur les dépenses dans le but de les réduire. (Exclamations.)
Une voix. C'est plus clair, ainsi !
Mme Claire Torracinta-Pache. Mais, il me semble que, aujourd'hui, elle fait un pas de plus en proposant de supprimer une recette évaluée à environ 19 millions de francs. Elle fait cette proposition au moment où nous apprenons que, par des dispositions fédérales assez surprenantes, on pourrait voir nos subventions fédérales diminuer de plusieurs dizaines de millions, au moment où les comptes 1995 font apparaître un décalage important dans les rentrées fiscales.
Pour des gens se vantant d'être des gestionnaires raisonnables, cela n'est pas très sérieux ! Vous nous proposez de supprimer le droit des pauvres et de le remplacer par une taxe sur les jeux d'adresse et de hasard et, dans votre exposé des motifs, vous nous expliquez que ce droit des pauvres a été institué en 1930 et que, dans la première partie de notre siècle, la culture était encore largement réservée à la classe la plus aisée de la population.
A mon avis, la situation a quelque peu changé, mais pas complètement. Aujourd'hui encore, il faut disposer de certains moyens pour assister à des divertissements, qu'ils soient culturels ou sportifs, et, pour certaines familles à revenus modestes ayant plusieurs enfants, c'est parfois difficile.
Comme l'a dit mon collègue Ecuyer, je ne pense pas que la suppression du droit des pauvres permettrait d'abaisser suffisamment le prix des billets pour les rendre accessibles à tous. Pour cela, il existe d'autres mesures, comme les aides directes, les subventions, les soutiens divers à des créateurs, des artistes, des organisateurs, la mise à disposition d'abonnement à prix réduits, et j'en passe !
Comme René Ecuyer, je suis sensible à l'idée que, lorsque des personnes s'offrent un divertissement, une petite partie du coût du billet aille aux plus démunis. J'aime bien que cela soit dit et que cela se sache ! Cette dénomination de «droit des pauvres» n'est pas forcément de la meilleure veine.
Je répète très fermement ce que René a déjà dit : dans notre canton, il y a des pauvres que l'on appelle parfois «nouveaux pauvres», et ces derniers ont des droits !
Quant à remplacer le droit des pauvres par cette taxe sur les jeux d'adresse et de hasard, vous reconnaissez vous-mêmes que le rapport de cette taxe serait largement inférieur à la recette du droit des pauvres. D'autre part, notre groupe n'est pas très favorable à cette sorte de jeux, dont on sait qu'ils ont des effets pervers, et qu'ils ont parfois servi à blanchir de l'argent douteux.
Enfin, pour ceux qui n'auraient aucune réticence d'ordre moral par rapport à ces jeux, il me semble que la taxe qui leur serait appliquée devrait être considérée comme une taxe supplémentaire venant renflouer nos finances qui en ont bien besoin, et non pas comme une taxe de substitution.
L'Hospice général est le principal bénéficiaire du droit des pauvres, à raison de 70% de la recette. Or si on l'en privait, son déficit augmenterait d'autant, et, comme la constitution l'exige, l'Etat comblerait ce déficit. A son tour, l'Etat verrait son déficit augmenter d'autant. Voulez-vous vraiment de cette solution ? Cela étant dit, nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission.
M. Bénédict Fontanet (PDC). L'an dernier, nos amis radicaux nous avaient demandé de supprimer la loi HLM. Aujourd'hui, ils nous demandent de supprimer le droit des pauvres. Que nous réservent-ils pour l'an prochain ?
Je n'ai pas le sentiment que le droit des pauvres joue le rôle pénalisant que M. de Tolédo a décrit tout à l'heure, en imaginant le salon de l'automobile à Martigny, celui des inventions à Rolle et Télécom sur les hauts de Lausanne. Il suffit de lire l'une de nos gazettes favorites pour constater que, ce soir, 25 juin 1996...
Une voix. On n'est pas le 25 juin !
M. Bénédict Fontanet. Ah, j'anticipe ! Je confonds avec la prochaine réunion du Grand Conseil. Je me vois déjà, la semaine prochaine, prendre avec beaucoup de bonheur quelques vacances bien méritées.
Si je vous lis le programme du journal en matière de spectacles pour ce soir, vous avez le choix entre vingt-cinq de films, six pièces de théâtre, quatre spectacles divers, un concert classique et cinq concerts de jazz, de rock et autres. Alors, pour une offre culturelle qui s'appauvrit et qui est en péril, vous m'expliquerez de quoi il retourne ! Il me semble que cette offre culturelle ne dépend pas des quelques francs que nous payons pour le droit des pauvres sur les billets des spectacles, et, à mon avis, aucun cinéma ne fera faillite à Genève, même s'il y a des projets de construction de salles de cinéma à l'extérieur du canton.
Toutefois, il est vrai que le problème est un peu différent pour ceux qui organisent des manifestations sportives pour la jeunesse, à caractère social, des kermesses... Dans ces cas-là, l'impôt n'est peut-être pas adapté. Toutefois, il représente une recette de 19 millions par an, et le supprimer ou le remplacer par une compensation équivaut à une perte fiscale sèche de 11 millions par an. Compte tenu du débat que nous aurons la semaine prochaine, il ne me semble pas que l'Etat puisse se payer le luxe d'une perte de substance fiscale de 11 millions, même si on peut s'offrir le luxe d'une réflexion sur la nécessité de cet impôt.
En résumé, le groupe démocrate-chrétien accueille plutôt fraîchement ce projet auquel il est, en l'état, opposé. Toutefois, ce projet de loi peut être examiné avec intérêt en commission, et la question d'une éventuelle baisse des impôts dans un sens dynamique reste posée. Il ne faut pas parler du droit des pauvres, mais de l'impôt sur les sociétés, qui, parfois, peut être un frein à leur installation.
Monsieur Kunz, je vous trouve un peu «démago» de proposer la suppression du droit des pauvres ! En effet, vous voulez absolument sauver Genève - comme nous tous d'ailleurs - mais ce n'est pas la suppression de cet impôt qui créera des emplois nouveaux à Genève et qui contribuera au développement de l'économie. Il s'agit aussi d'un impôt de solidarité auquel nous sommes attachés. Nous examinerons votre projet en commission, mais, d'ores et déjà, nous sommes très réservés sur son contenu.
Une voix. Bravo !
M. David Hiler (Ve). Au préalable, je désire rectifier ce qui a été dit concernant le principe du droit des pauvres. D'abord, ce droit est beaucoup plus ancien que ce que d'aucuns prétendent. Il ne s'appliquait pas seulement aux spectacles de luxe. En effet, au XVIIIe siècle, les montreurs d'ours payaient une taxe lorsqu'ils venaient sur la plaine de Plainpalais. (L'orateur s'adresse à M. Dupraz qui l'a interpellé.) Si tu veux nous faire une démonstration, c'est ici que cela se passe ! (M. Dupraz mime l'ours qui danse.) (Rires.)
L'argumentation du groupe radical m'a surpris, car elle ne me paraît pas solide. D'ailleurs, M. Fontanet n'a pas eu de peine à mettre le doigt sur les faiblesses de cette argumentation. En réalité, le droit des pauvres est alimenté par des subventions d'origines diverses, et nous devons étudier cette question en commission.
Dans le domaine du théâtre, par exemple, la Ville de Genève paie les deux tiers du coût du billet réel et le spectateur le dernier tiers. Par contre, on prélève une taxe qui va à l'Etat. Cela pose quelques problèmes administratifs pour la vente des billets et un certain nombre de contraintes, surtout depuis l'introduction de Billettel.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Ecuyer, soit de conserver tous les impôts du monde qui s'appellent : droit des pauvres ! Mais je ne suis pas certain que l'assiette actuelle soit la meilleure possible et que l'on ait avantage à taxer systématiquement l'ensemble de la culture. Bien entendu, ce sont des spectacles, mais c'est aussi de la culture !
Notre groupe est d'accord d'examiner ce projet de loi à une stricte condition : ne peut pas perdre un centime des revenus touchés par l'Etat. Peut-être pourrons-nous être plus sélectifs que le parti radical si nous trouvons des solutions alternatives, mais si nous ne trouvons pas l'équivalent des recettes, cette proposition sera balayée par la majorité.
Voilà l'état d'esprit dans lequel nous étudierons ce projet en évitant une argumentation fondée sur une trop grande sensiblerie qui ne nous fait pas beaucoup avancer, mais en nous méfiant d'une argumentation sur l'avenir de Genève qui, cette fois, a atteint le comble du risible.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. La problématique globale du droit des pauvres, des casinos et des machines à sous est à la gestion des affaires publiques ce que le Bircher Muesli est au petit déjeuner de l'Helvète moyen ! (Rires.)
Soyons positifs, ce projet de loi vient comme la cerise sur le Bircher Muesli. Je désire porter à votre connaissance que, depuis 1928, le droit des pauvres a fait l'objet de trente et une propositions de révision, dont aucune n'a été admise par ce Grand Conseil. Deux autres éléments du «Bircher Muesli» sont la pétition 906 et le projet de loi 7122 sur lesquels nous travaillons et qui sont en suspens.
Dans son rapport sur la pétition 906, la commission a rappelé des voeux que je vous cite, en pagaille. Ils sont contraignants : exonération totale du droit des pauvres pour les manifestations d'utilité publique ou de bienfaisance, réduction du taux actuel pour les manifestations artistiques, littéraires, musicales ou sportives, suppression de la taxe, délégation commune, fusion en un seul organe cantonal des commissions de répartition, etc.
Pour compléter le tableau, au moment où nous nous apprêtions à rendre le rapport sur le problème du droit des pauvres, la problématique de la TVA est arrivée. Un avocat spécialisé, auquel nous avions demandé un avis de droit, a conclu au fait que la taxe du droit des pauvres était compatible avec celle de la TVA et qu'il serait peut-être opportun de réduire le droit des pauvres, étant donné que la conjonction du droit des pauvres et de la TVA nous portait vers des sommets inaccessibles.
En décembre 1994, nous avons nommé un groupe de travail interdépartemental réunissant des fonctionnaires de mon département, du DASS et du département des finances. Ce dernier a formulé différentes propositions, dont la première visait à baisser le taux ordinaire de la taxe du droit des pauvres et la seconde prévoyait un taux plus élevé pour les jeux de hasard.
Le Tribunal administratif a confirmé l'avis de droit de Me Oberson, selon lequel la TVA et la taxe du droit des pauvres étaient compatibles, et c'est le Tribunal fédéral qui a été saisi d'une série de recours. Pour compliquer encore la situation, le conseiller fédéral Arnold Koller a, par un communiqué de presse de mai 1996, démontré sa nouvelle conception globale concernant les «Kursaals».
La proposition qui émane du groupe radical n'est pas inintéressante, car dans ce «maelström» d'idées diverses, devant ces procédures, ces avis de droit qui se croisent, se superposent et s'entrecroisent, il serait souhaitable de faire la lumière. C'est pourquoi je remercie les auteurs du projet de loi de leur intention de revenir pour la trente-deuxième fois sur le droit des pauvres.
Il y a peu, j'ai demandé un mini audit visant à déterminer la portée réelle, sur le plan économique, des intentions des auteurs du projet. Il est clair que l'on ne pourra pas diminuer l'apport financier actuel par la multiplication des manifestations. A un moment donné, les Genevois ne peuvent pas assister à deux films en même temps !
Les objectifs du département sont les suivants : premièrement, diminuer le taux ordinaire de 13%, puisque, cumulé avec la TVA, il n'est pas supportable. Deuxièmement, modifier la répartition de cette taxe, dont les 70% vont actuellement à l'Hospice général, et, troisièmement, instaurer une taxe cantonale sur les machines à sous, ce qui est l'objet d'un deuxième texte déposé.
En conclusion, cette trente-deuxième tentative est intéressante en raison d'une situation conjoncturelle délicate, de la problématique générale des machines à sous, des casinos, et, enfin, de notre préoccupation de voir notre ville animée.
Cependant, j'ai un voeu à formuler : que cette motion, ainsi que les projets en attente d'une décision du Tribunal fédéral, soient remis à une commission ad hoc ou à la commission judiciaire, mais pas à la commission fiscale, afin de ne pas compliquer encore le débat interne qui risque d'être suffisamment complexe.
Le président. Je mets aux voix la proposition de constituer une commission ad hoc.
Cette proposition est adoptée.
Ce projet est renvoyé à une commission ad hoc.
Le président. Cette commission sera composée de Mmes et MM. : Nicolas Brunschwig, Claude Basset, Claude Lacour, Michel Balestra, Bernard Annen pour le parti libéral, Jacques Boesch, Christian Grobet, Claire Chalut pour l'Alliance de gauche, Claire Torracinta-Pache, Elisabeth Reusse-Decrey pour le parti socialiste, Pierre Kunz, Jean-Philippe de Tolédo pour le parti radical, Bénédict Fontanet, Jean-Claude Vaudroz pour le parti démocrate-chrétien et Gabrielle Maulini-Dreyfus pour le parti des Verts.