Séance du
vendredi 21 juin 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
8e
session -
25e
séance
M 1065
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- les résultats de contôles radiologiques effectués les 20 janvier et15 février 1996 à l'intérieur du CERN et à ses abords par des représentants de la CRII-RAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendante sur la radioactivité), organisme de réputation scientifique internationale ayant effectué de nombreuses missions pour des collectivités publics diverses au cours de ses 9 ans d'existence;
- les interrogations légitimes soulevées par les résultats de ces contrôles exploratoires dans le rapport de synthèse qui en découle, notamment à propos:
- des débits de dose anormalement élevés en plusieurs points du site et en dehors de zones contrôlées,
- de déchets radioactifs, dont certains objets très irradiants et présentant des niveaux d'activité élevés dans des poubelles banalisées destinées à être collectées par une société extérieure chargée de l'évacuation des ordures du CERN,
- de l'affectation par le biais de la sous-traitance de personnel non qualifié, travaillant avec un équipement insuffisant et sans évaluation correcte des doses reçues, à des travaux très pénalisants (démontage, découpage et compactage de matériel radioactif);
- qu'il est d'intérêt public évident qu'une réponse soit apportée aux interrogations soulevées quant à ces problèmes et quant à l'ensemble de la situation radiologique au CERN;
- que l'intérêt même du CERN demande une pleine transparence sur toutes ces questions et exige que la qualité des mesures de radioprotection et de gestion des déchets sur son site soit à la hauteur de sa réputation scientifique de pointe et qu'en outre les représentants du CERN ont d'ores et déjà publiquement déclaré qu'ils étaient disposés à «entreprendre des vérifications de fond» et «à mandater des experts indépendants en accord avec les autorités de surveillance» et le cas échéant à confier ces études à la CRII-RAD,
invite le Conseil d'Etat
- à intervenir pour que soit réalisée dans les plus brefs délais une étude, confiée à un organisme reconnu et indépendant, étude établissant un état des lieux complet sur les différents problèmes liés à la radioactivité au CERN et leurs incidences éventuelles;
- à soutenir politiquement la concrétisation de cette étude en collaboration étroite avec les parties concernées: scientifiques, élus des français et suisses, représentants des syndicats, des travailleurs concernés et associations de défense de l'environnement;
- à rendre publics les résultats de cette analyse.
En annexe: Résumé du Rapport de la CRII-RAD du 24 avril + Présentation de la CRII-RAD
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Débat
M. Pierre Vanek (AdG). Vous êtes certainement au courant de la situation radiologique du CERN, évoquée à maintes reprises par les médias. Elle fait l'objet de notre motion, signée par de nombreux députés, et des documents annexes. Ces derniers sont une synthèse du rapport sur les contrôles que la CRII-RAD a effectués au CERN, à fin janvier ou début février. Il s'agit de contrôles ponctuels et non d'une étude exhaustive de la situation. Néanmoins, la CRII-RAD, spécialisée dans le domaine nucléaire, a constaté les dysfonctionnements énumérés dans les considérants de la motion, notamment des débits de dose, anormalement élevée en plusieurs points du site et en dehors de zones contrôlées, de déchets radioactifs, dont certains présentant une forte radioactivité, placés dans des poubelles banales évacuées aux Cheneviers par l'intermédiaire d'une société extérieure au CERN. La CRII-RAD a constaté également l'affectation au secteur de traitement des matériaux radioactifs d'un personnel non qualifié, équipé de protections insuffisantes, et recruté par le biais de la sous-traitance. Ces manques nous ont poussés à déposer cette motion.
Nos interrogations sont d'autant plus fondées que la CRII-RAD n'est pas une association quelconque. C'est un organisme français internationalement reconnu et respecté, qui a été créé par des scientifiques, suite au comportement lamentable des services officiels de la surveillance de la radioactivité lors des retombées de Tchernobyl sur l'hexagone.
La CRII-RAD, qui fonctionne depuis près de neuf ans, a mis en lumière des problèmes analogues à ceux dont nous débattons ce soir. Elle a été mandatée par plusieurs collectivités publiques françaises, qu'il s'agisse de l'Etat ou de l'administration, ou encore de conseil régionaux et d'associations diverses, voire de la Communauté européenne. Les collaborateurs de la CRII-RAD ne sont donc pas des amateurs !
En ce qui concerne le CERN, ils ont estimé les résultats de leur enquête suffisamment inquiétants pour qu'il soit procédé à une étude complète et indépendante pour la confronter aux rapports officiels, ne serait-ce que pour avoir la garantie que l'activité du CERN n'est pas dangereuse pour ses travailleurs et la population environnante.
L'affaire a été déclenchée par un travailleur occupé, durant de nombreuses années, à la gestion des matériaux radioactifs, cela sans avoir reçu une formation adéquate. Je précise qu'il n'était pas l'employé du CERN, mais celui d'une entreprise sous-traitante. Il s'agit là d'un artifice utilisé à grande échelle dans l'industrie nucléaire : elle fait venir des personnes de l'extérieur pour ne pas les employer directement.
Notre motion n'est pas une attaque contre le CERN, mais l'expression d'une volonté de transparence complète concernant cette organisation extrêmement importante pour notre canton.
La première réaction des responsables du CERN a été positive, d'après ce que la «Tribune de Genève» en a rapporté. M. Deninger, directeur de recherches, a déclaré : «Lorsqu'on nous informe de dysfonctionnements possibles, notre formation de scientifique nous pousse naturellement à entreprendre des vérifications à fond. Nous sommes disposés à mandater des experts indépendants, en accord avec nos autorités de surveillance.» Pourquoi pas la CRII-RAD, si ces autorités n'y voient pas d'inconvénient ?
C'est là l'esprit de notre motion. Depuis, l'attitude du CERN a changé. Un rapport d'une vingtaine de pages n'a été produit par ses autorités que pour réfuter les allégations de la CRII-RAD. Cette dernière a estimé insatisfaisantes les conclusions du CERN, cela après avoir analysé minutieusement le rapport précité et s'être référée au manuel de radioprotection et au règlement interne du CERN, loin d'être à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre d'une institution aussi prestigieuse.
En effet, le CERN présente des lacunes et des problèmes. Je pense notamment à l'employé dont je viens de parler. Il a enclenché le processus, parce qu'inquiet de ses conditions de travail et de son état de santé. Nous ignorons tout de la formation des personnes appelées à entrer en contact avec du matériel radioactif. Nous n'avons pas de réponse concernant les déchets radioactifs trouvés par les employés de la CRII-RAD dans de simples poubelles.
Je n'entrerai pas plus loin dans les détails ici, une plénière ne s'y prêtant pas. De plus, nous ne disposons pas du savoir nécessaire. En revanche, il est très important que nous nous intéressions à ces problèmes. Par conséquent, nous jugeons indispensables les propositions d'une étude indépendante et d'un débat public, réunissant des gens de l'extérieur et des autorités de surveillance en la matière.
Aussi je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'apporter votre soutien à cette proposition de motion.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Cette motion a pour objectif de faire la lumière sur les éventuelles défaillances concernant la sécurité au CERN, et dont la presse s'est faite largement l'écho.
Dans ce domaine, nous ne pouvons pas admettre que subsiste le moindre doute en regard de l'importance d'un problème qui engage la santé et le bien-être de nos concitoyens.
Par ailleurs, le dicton dit : «Il n'y a pas de fumée sans feu !». A nous d'examiner avec attention ce dossier, afin d'éteindre le feu, même s'il n'existe que dans les esprits.
Le groupe radical vous propose de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat - en tout cas ceux qui l'ont signée - (Rires.) ...afin qu'un rapport scientifique et étayé soit réalisé et diffusé dans les meilleurs délais.
Mme Barbara Polla (L). J'aimerais, tout d'abord, faire un commentaire général sur le sens de cette motion, puis développer certains arguments spécifiques et techniques.
Tout d'abord, que souhaite cette motion ? Un contrôle de la situation radiologique au CERN. Un contrôle strict de la situation radiologique du CERN nous paraît, à nous aussi, un objectif essentiel, et le parti libéral en est particulièrement soucieux. Ce contrôle doit être optimal et doit donc être confié aux instances les plus compétentes. De plus, si ce contrôle doit être continu, il doit aussi être intensifié en cas de problèmes; il doit alors être rapide et, finalement, les résultats doivent être rendus publics.
Le CERN partage, bien évidemment, ce point de vue. En effet, en sa qualité de laboratoire national, il applique sur son domaine les normes de radioprotection conformes aux standards contemporains en la matière. Cette politique se fonde sur l'obligation du CERN, en tant qu'organisation intergouvernementale, de garantir sur son domaine, envers ses Etats hôtes, en l'occurrence la Suisse et la France, un niveau de protection au moins équivalent à celui en vigueur sur leurs territoires nationaux respectifs. Par ailleurs, dans son manuel de radioprotection, le CERN a adopté les normes et les limites des ordonnances suisses du 22 juin 1994 sur la radioprotection, normes qui sont, à l'heure actuelle, les plus strictes du monde.
Quand une institution se dote des moyens les plus efficaces de se contrôler elle-même, pourquoi toujours vouloir que l'Etat effectue des contrôles supplémentaires et, qui plus est, en doublon, comme nous le verrons tout à l'heure ? Voilà pour le commentaire général.
Venons-en maintenant aux demandes de la motion. Suite aux événements qui nous préoccupent, le CERN a non seulement effectué tous les contrôles nécessaires mais a également demandé à l'Office fédéral de la santé publique, à la Sektion für Ueberwachung der Radioactivität, la SUR, sise à Fribourg, de vérifier ses propres contrôles. La SUR a prélevé les échantillons nécessaires le 29 avril 1996 déjà. Le CERN a donc réagi et s'est adressé, comme cela est proposé par les motionnaires, à un organisme reconnu. En effet, qui mieux que la section pour la surveillance de la radioactivité de l'OFSP pouvait effectuer ces contrôles, dans les meilleures conditions de fiabilité ?
Finalement, le CERN a rendu publics les résultats de cette double étude, le 15 mai 1996. Dans son rapport, contrairement à ce que dit M. Vanek, le CERN ne tente pas de répondre; il répond ! Le docteur Manfred Höfert - et moi-même aussi d'ailleurs ! - le docteur Manfred Höfert, disais-je, chef de la division de la radioprotection du CERN, s'étonne que les députés qui ont reçu la proposition de motion 1065 et ses annexes n'aient pas reçu aussi ce rapport du CERN, rapport qui contient aussi les résultats de la SUR. J'invite tous les députés intéressés par ce sujet à consulter ce rapport extrêmement détaillé et qui répond à tous les points soulevés par M. Vanek. Un deuxième rapport, datant du 29 mai, établit, quant à lui, l'origine des pièces restituées par la CRII-RAD.
Dans la mesure où le CERN lui-même a répondu par anticipation tant à la première qu'à la troisième invite de la motion 1065, nous estimons que celle-ci est, de ce fait, caduque et nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de la rejeter. En effet, le CERN a bel et bien effectué et fait faire tous les contrôles nécessaires, en ces circonstances très particulières comme en toutes autres occasions, et a assumé les responsabilités indispensables, et cela au-delà des exigences légales.
J'aimerais encore critiquer deux points très spécifiques qui ne se trouvent pas dans la motion mais dans le rapport annexe de la CRII-RAD. Ces points, particulièrement délicats, concernent respectivement les allégations du manque de formation, d'une part, et celles du manque de protection des employés du CERN, d'autre part, ceci - et cela justifie que nous nous y arrêtions - sur la base du cas de l'employé cité par M. Vanek.
En effet, durant ses seize ans de travail au CERN, cet employé a toujours été contrôlé, et ceci non seulement par dosimétrie mais aussi par anthropogammamétrie, et les résultats de ces contrôles ont toujours été au- dessous des normes exigées. Je n'entrerai pas dans des considérations médicales, qui pourtant s'imposent concernant la santé de cet employé. Retenez simplement que les risques d'exposition personnels, comme cela est détaillé dans le rapport du CERN, s'avèrent, en l'occurrence, bien plus conséquents que les risques professionnels en regard de la pathologie qu'il présente.
En ce qui concerne la formation, sachez qu'elle répond également à toutes les exigences légales. Le CERN s'est toujours strictement conformé à la législation suisse en vigueur, en particulier à l'article 10 de l'ordonnance ORaP94 qui stipule, entre autres, je cite : «...que la formation doit garantir que les personnes utilisant des rayonnements ionisants sont informées des dangers pour la santé qu'implique leur travail avec ces rayonnements.» Ainsi, toutes les personnes qui viennent au CERN doivent obligatoirement suivre un cours d'information sur tous les aspects de la sécurité dans cette institution. On ne peut que reconnaître que, contrairement à ce qui a été dit, le CERN a toujours attaché beaucoup d'importance à l'information et à assurer sa qualité. Tant en ce qui concerne la sécurité que la formation, donc deux points essentiels, réponse est parfaitement apportée !
En conclusion, je vous invite à reconnaître la qualité des contrôles effectués par le CERN et par d'autres organismes reconnus, l'adéquation de ces contrôles aux normes légales et la transparence, en dehors de toute «fumée», des rapports que le CERN établit avec la Cité. Par conséquent, je vous invite aussi à rejeter cette motion.
M. Bénédict Fontanet (PDC). M. Vanek et moi sommes d'accord sur un point, au moins : les compétences en matière de radioactivité et de contrôle de radioactivité au sein de ce Grand Conseil sont relativement limitées.
Il me semble, Monsieur Vanek, que votre motion a perdu de son actualité, puisque le CERN a très largement répondu, comme vient de le dire ma préopinante, aux préoccupations légitimes de la population concernant l'affaire évoquée par les médias. Par voie de conséquence, cette motion devrait être retirée par ses auteurs, mais je ne me fais guère d'illusions...
A des spécialistes d'autres spécialistes ont répondu a contrario. Dans cette affaire, le CERN, comparativement à d'autres institutions interna-tionales, a été un exemple de transparence. Il a mandaté un organisme indépendant aux fins d'examen, puis il a produit le contenu du rapport rendu public. Cela étant, le CERN est également très strict en matière de contrôle de radioactivité.
Le problème évoqué semble plutôt prendre sa source dans un conflit entre un ancien employé et cette organisation internationale. Je tiens à dire que cette motion, si elle devait être votée telle quelle, donnerait l'impression d'un sentiment de méfiance à l'égard d'un organisme internationalement reconnu, lequel a démontré son souci de transparence et sa rigueur scientifique.
Il me semble qu'au jour où d'autres cantons essaient désespérément de maintenir, voire de développer, des activités internationales sur le territoire, il n'est pas bon d'avoir une attitude méfiante à l'égard du CERN qui, je le répète, a fait preuve d'une attitude claire et transparente.
Le CERN est une concentration exceptionnelle de cerveaux. En fonction de la décision des Etats membres, il représente près de 4 milliards d'investissements dans les années à venir et 300 millions dans les trois ans prochains. Le CERN, c'est aussi près de deux mille employés ou quatre mille avec les chercheurs. Le CERN est une organisation internationale exemplaire que Genève peut se flatter d'accueillir.
C'est pour cela que notre groupe vous invite à rejeter cette motion.
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne débattrai pas avec Mme Polla des problèmes de dosimétrie et autres. Je pourrais fournir des réponses relativement techniques, mais je me bornerai à dire ceci :
L'intervention de Mme Polla est surprenante. D'une part, elle dit que le CERN est surpris que son rapport ne soit pas parvenu aux auteurs de la motion et aux députés. D'autre part, elle dit qu'il faut faire confiance au CERN.
Je lui répondrai que j'ai cette réponse, de même qu'une critique détaillée et raisonnée en référence au manuel de radioprotection du CERN. Il n'en demeure pas moins qu'il subsiste un doute que l'on ne peut pas évacuer en faisant simplement appel à la confiance et aux cerveaux brillants du CERN. Certes, les chercheurs du CERN ont de grandes qualités et la première d'entre elles est de reconnaître que l'on peut se tromper, notamment en matière de sécurité et de protection des travailleurs. La recherche de pointe, précisément dans ce domaine, n'offre pas la garantie d'une sécurité totale.
Je n'accepte pas de la part de Mme Polla sa demande de faire tout bonnement confiance au CERN. Voter cette motion, c'est permettre au débat d'avoir lieu. Il faut une confrontation publique, notamment entre les gens de la CRII-RAD et les responsables du CERN, portant sur les points repris dans le rapport du CERN, notamment les portiques de détection, dont la CRII-RAD affirme qu'il n'y a pas de garantie qu'ils fonctionnent à satisfaction et qu'ils empêchent la sortie du matériel radioactif en dessus des taux d'exemption. Il ne suffit pas de dire : «Le CERN, c'est très beau, c'est très bien, il faut lui faire confiance.» Non !
Il ne faut pas se méfier, mais il est bon de s'interroger quant à la sécurité. Ce n'est pas faire injure aux gens du CERN de leur proposer de se soumettre à ces contrôles. Au contraire, si tout était si propre et si beau, ce type d'expertise indépendante et notre débat ne pourraient être que positifs pour l'image du CERN.
Le retrait du CERN est inquiétant, alors qu'au début son attitude semblait coopérative. C'est pour cela que nous devons voter cette motion... (Intervention de M. Bénédict Fontanet.) Monsieur Fontanet, vous dites que - Genève devant attirer des organismes internationaux de ce type - il ne faut pas faire preuve de méfiance et leur garantir de bonnes conditions d'implantation. L'une de ces bonnes conditions est, précisément, une opinion publique vigilante à ces problèmes et un Etat de Genève prêt à jouer un rôle positif pour trouver des solutions. Cette démarche est bien plus positive par rapport au CERN que celle consistant à dire qu'il y a un certain nombre de milliards en jeu et que mieux vaut laisser faire les cerveaux brillants.
Les cerveaux brillants, je le répète, n'empêchent nullement que l'on prenne les dispositions nécessaires pour protéger la santé des travailleurs et la santé publique.
Je vous invite donc à soutenir cette motion. Si vous ne désirez pas la renvoyer telle quelle au Conseil d'Etat, vous pouvez la renvoyer à la commission de la santé où nous entendrons les responsables de la radioprotection du CERN, les responsables de la CRII-RAD, et où nous prendrons connaissance des rapports contradictoires déjà fournis. En faisant cela, nous jouerons correctement le rôle qui nous est dévolu par le public, lequel compte sur notre vigilance, notre esprit d'ouverture et notre volonté de transparence. Un autre mode de faire serait mal compris de l'opinion et relancerait la polémique.
Il faut donc accepter cette motion qui n'a rien d'une attaque dirigée contre le CERN, je le répète. Il s'agit simplement d'étudier ce problème à fond, de tirer nos conclusions sans faire une confiance aveugle à qui que ce soit.
M. Chaïm Nissim (Ve). J'aimerais apporter dans ce débat mon point de vue personnel. Il y a quinze ans que je travaille avec des produits radioactifs, soit au CERN, soit dans le service de médecine nucléaire. J'ai reçu une formation spécifique dans ces deux postes...
Une voix. Vous travaillez avec des ordinateurs !
M. Chaïm Nissim. Certes, je travaille avec des ordinateurs. Néanmoins, j'ai été prévenu des effets néfastes d'une radioactivité à faible dose et l'on m'a indiqué comment m'en protéger.
En tant qu'antinucléaire, j'appartiens, vous le savez, aux milieux qui agissent, depuis vingt-cinq ans, pour que les doses d'exemption diminuent progressivement, car ils sont conscients des effets de ces faibles doses. Nous avons obtenu quelques satisfactions, les normes suisses étant assez sévères bien qu'elles pourraient l'être plus.
Je peux seulement vous communiquer que les 6,4 mSv/h par an auxquels M. Allemann a été soumis au cours de son travail, nonobstant le problème de surcontamination et d'irradiation, provoquent, selon les statistiques mondiales, vingt-six cancers mortels pour dix mille travailleurs. Cela ne veut pas dire que c'est la cause du cancer de M. Allemann qui, peut-être, fumait ou côtoyait des fumeurs, ou a été en contact avec de l'amiante. Il a peut-être même séjourné au Kerala où la radioactivité naturelle est plus élevée que chez nous. Il s'est peut-être rendu à Crans-Montana dont l'altitude induit une élévation de la radioactivité naturelle.
Tout informé et antinucléaire que je suis, j'avoue parfois avoir négligé ou oublié de me ganter, et cela arrive aussi à mes collègues. Personne n'est infaillible et chacun commet des actes contraires aux normes ou à la loi. C'est une partie de ma réponse, Madame Polla ! Vous nous dites que le CERN a procédé à tous les contrôles et respecte strictement les normes légales. D'accord, Madame Polla, mais la question n'est pas là. Elle a trait aux hommes et aux femmes qui travaillent au CERN et qui, parfois, se trompent. Personnellement, il m'est arrivé plusieurs fois de me tromper de poubelle lors de l'élimination de seringues. Ce sont des choses qui arrivent !
C'est pourquoi il est indispensable de confier une étude à un organisme extérieur au CERN, antinucléaire et par conséquent décidé à secouer le cocotier et à aider le CERN à être à la hauteur de sa réputation scientifique internationale.
La science, Monsieur Fontanet, c'est le doute. Et je puis vous affirmer que les quatre mille cerveaux dont vous avez parlé le connaissent ! D'où l'intérêt de mandater un organisme extérieur qui va les aider à mieux faire leur travail et, de ce fait, à diminuer le nombre de cancers mortels.
Mme Barbara Polla (L). Je voudrais revenir sur l'expression «pas de fumée sans feu» utilisée par Mme de Tassigny. Avec une telle assertion, beaucoup d'innocents sont accusés, surtout si des gens s'activent à attiser le foyer !
Je reviens sur ce qu'a dit M. Vanek, qui parle d'une confiance aveugle accordée au CERN, en dehors de «toute accusation faite au CERN», bien sûr ! Cette confiance n'est pas seulement accordée au CERN, elle l'est aussi à l'Office fédéral de la santé publique, par l'intermédiaire de la SUR. Aussi suis-je étonnée des réserves émises, notamment par M. Vanek, sur la qualité et le sérieux des contrôles de l'Office fédéral de la santé publique qui n'a pas été mandaté par le CERN mais interrogé par lui, précisément à cause des doutes de l'ensemble des scientifiques y travaillant.
Si la formation accordée au CERN est adéquate, comme le dit M. Nissim, il est vrai qu'il y a toujours des personnes qui y sont récalcitrantes. Néanmoins, je ne suis pas sûre que des contrôles extérieurs vont permettre de venir à bout de la résistance de certaines personnes à tous les efforts de formation faits en leur faveur.
Quoi qu'il en soit, dans la mesure où notre confiance n'a rien d'aveugle, le renvoi de cette motion en commission nous permettra d'entendre les gens du CERN et d'en apprendre davantage sur un point sur lequel je n'ai pas voulu m'étendre, à savoir l'origine des pièces radioactives retrouvées et remises au CERN par la CRII-RAD.
Nous acceptons donc le renvoi de cette motion à la commission de la santé.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Cette affaire est grave, car on ne badine pas avec la radioactivité !
Les inquiétudes soulevées, si elles s'avèrent fondées, impliquent d'urgence la prise des mesures indispensables.
A entendre Mme Polla, il n'y aurait pas lieu de s'inquiéter, puisque des normes existent et que le CERN a répondu en se blanchissant lui-même. Tant mieux, Madame, si votre confiance est ainsi satisfaite. En ce qui nous concerne, cela ne nous suffit pas ! Notre motion demande qu'une étude soit faite par un organisme indépendant et non par un organisme mandaté par le CERN.
Le laboratoire de la CRII-RAD est reconnu. Les pages 10 et 11 du texte de la motion donnent la liste non exhaustive des études que ce laboratoire a menées pour de nombreuses administrations, des collectivités territoriales, des universités, et j'en passe.
Etant donné la gravité du sujet, vous ne pouvez balayer d'un revers de main les inquiétudes soulevées, et cela d'autant moins dans un canton qui a une constitution antinucléaire et où les citoyens sont particulièrement sensibles à cette problématique.
La transparence est profitable à tous. Rassurer les citoyens, confirmer la rigueur du CERN, démontrer que les autorités font leur travail et s'assurent de la protection de la santé des citoyens, sont bien les buts de cette motion.
Je suis heureuse que Mme Polla accepte son renvoi en commission et je vous demande de faire de même.
M. Pierre Vanek (AdG). Madame Polla, je vous remercie de vous être rendue à nos arguments. Je ne pensais pas à vous quand je parlais de confiance aveugle. A ce moment-là, j'entrevoyais l'hypothèse du rejet de cette motion par notre Grand Conseil, ce qui aurait dénoté une confiance aveugle de sa part.
Aller en commission et y entendre non seulement les responsables du CERN mais aussi les gens qui ont «allumé le feu», selon vous, ou révélé le problème, selon d'autres, nous permettra d'y voir plus clair.
Madame Polla, vous dites que je ne fais pas confiance à un organisme d'Etat aussi éclairé que celui que vous citez. Venant d'une députée libérale, cette confiance dans un service public est à relever, mais je maintiens qu'il faut, même par rapport à des organismes fédéraux, ne pas prendre pour argent comptant tout ce que l'on raconte et garder un esprit critique en toute circonstance.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de la santé.