Séance du
jeudi 20 juin 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
8e
session -
23e
séance
E 812
M. Dominique Schucani, M. Gabriel Aubert, Mme Nathalie Vimic, Mme Marozia Carmona Fischer et M. Michel Huguenin sont assermentés. (Applaudissements.)
6. Déclarations du Conseil d'Etat et communications.
Le président. Je vous signale déjà que, vu l'importance de l'ordre du jour des présentes séances et de celles de la semaine prochaine, nous poursuivrons nos débats, le vendredi 28 juin, après le vote sur les comptes rendus.
Vous êtes en effet convoqués, ce jour-là, dès 8 h, et également à 17 h et à 20 h 30.
Merci d'en prendre note.
Sur la table, dans la salle des Pas-Perdus, vous trouverez une formule d'inscription pour des cours d'informatique à votre usage. Je vous prie de remplir cette demande et de la remettre à l'un des huissiers avant demain soir.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Pendant près de quarante ans, la traversée de la rade a animé le débat politique et les conversations des Genevois. En 1988, à la suite d'une initiative populaire, le peuple genevois a voté, à une majorité des deux tiers, le principe d'une traversée de la rade.
Sur la base de ce mandat populaire, le Conseil d'Etat a étudié les modalités d'application du principe voté par le peuple. Les études ont duré huit ans et ont coûté 10 millions de francs.
Malgré les embûches et les querelles de procédure, le Conseil d'Etat et la majorité du Grand Conseil ont surmonté tous les obstacles et ont amené, comme promis lors de la campagne de 1993, la décision au vote populaire.
Dimanche 9 juin 1996, après une campagne électorale animée, le peuple genevois a refusé le pont par 69% de non, et le tunnel par 71% de non. (Applaudissements des bancs de la gauche.)
Plusieurs facteurs expliquent que le peuple ait refusé de confirmer son vote de 1988 :
- l'attachement de la population au site de la rade et à la qualité de la vie qu'il incarne;
- le coût de la traversée de la rade et de ses voies d'accès en regard des difficultés budgétaires, même si une certaine confusion a été entretenue entre le budget de fonctionnement et le budget d'investissement;
- le refus des automobilistes d'assumer la charge financière de la traversée de la rade par une augmentation de l'impôt-auto, qui survenait après l'introduction de la TVA et les hausses des cotisations de l'assurance-chômage et de l'assurance-maladie;
- l'amélioration de la circulation survenue depuis 1988 par la mise en service de l'autoroute de contournement et par les mesures appliquées au centre-ville;
- la volonté de donner une priorité aux transports publics, qu'il s'agisse du métro léger Annemasse-Meyrin ou de l'extension du réseau des lignes de trams et des parkings d'échange qui y sont liés.
La votation sur la traversée de la rade a été précédée par une campagne électorale longue et vive. La participation a été élevée, la plus élevée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale pour un sujet cantonal. Le vote est clair. Et la majorité est nette. Ces résultats facilitent l'interprétation du vote populaire et permettent, par leur clarté et leur netteté, d'éviter d'empoisonner le débat politique.
Quelles sont les conséquences que le Conseil d'Etat tire du vote populaire ? Elles sont de deux ordres et portent, d'une part, sur la politique d'investissement et, d'autre part, sur celle des transports.
En ce qui concerne la politique d'investissement, le Conseil d'Etat sera fidèle à son action anticyclique. Indépendamment des investissements financés par l'aéroport - 400 millions en dix ans - il maintiendra, dans le cadre du plan de redressement des finances, le montant actuel de la dépense d'investissement, soit environ 400 millions bruts par année, qui sont injectés dans l'économie genevoise et, en particulier, dans l'industrie de la construction qui traverse la plus grave crise de ces cinquante dernières années.
En ce qui concerne la politique des transports - dont le principe de base est la complémentarité des différents modes de transports - le Conseil d'Etat rappelle qu'elle reposait sur trois piliers : l'autoroute de contournement, la traversée de la rade et les transports publics.
La traversée de la rade refusée, restent l'autoroute de contournement - qu'il faut amener à pleine capacité - et les transports publics - dont le développement doit être accéléré.
Afin d'amener l'autoroute de contournement à pleine capacité et de diminuer la circulation dans le centre-ville, le Conseil d'Etat proposera, dans le cadre du programme ordinaire des investissements routiers, d'améliorer les accès à l'autoroute à Vernier, à Meyrin et au Grand-Saconnex et, en fonction du résultat des études, de créer de nouveaux accès à Versoix et dans le secteur des Trois-Chênes. En outre, afin d'améliorer la sécurité et la tranquillité de certaines localités, le Conseil d'Etat, en collaboration avec les communes, et, si possible avec leur participation financière, accélérera les travaux d'évitement, de dénivelé ou de réaménagement à Meyrin, Onex, Versoix, Vésenaz et Chancy.
En ce qui concerne les transports publics, le Conseil d'Etat fera un effort accru en affectant les 250 millions prévus pour la construction des voies d'accès à la traversée de la rade au développement du réseau et aux parkings d'échange qui y sont liés.
Cet effort accru dans le domaine des transports s'effectuera autour de trois axes principaux :
- d'abord, la ligne de métro léger - qui est, en réalité, un tram de la troisième génération, circulant en site propre, à vitesse commerciale élevée - sur le parcours Annemasse/Eaux-Vives/Cornavin/Meyrin-CERN : les études de faisabilité et de rentabilité seront soumises cet automne au Grand Conseil, qui prendra les décisions nécessaires au début de 1997;
- l'extension du réseau des lignes de trams sur deux tronçons, celui de Plainpalais/Acacias/Les Palettes et le tronçon Cornavin/Sécheron/Place des Nations : les concessions fédérales ont été accordées, et les procédures d'autorisation de construire sont engagées;
- et, enfin, les parkings, notamment d'échange, liés aux réseaux des transports publics qui seront situés à Genève-Plage, au Bachet-de-Pesay, aux Acacias et à Sécheron.
La campagne électorale sur la traversée de la rade a été marquée par un engagement important des jeunes qui s'opposaient au projet, préférant des investissements dans le domaine de la protection de l'environnement et du développement durable. Cette attente pourrait être satisfaite par le programme : «Dix ans pour sauver nos rivières» dont le Conseil d'Etat débattra prochainement.
Par ailleurs, beaucoup de jeunes ne ressentent plus les problèmes de déplacement de la même manière, notamment en raison du développement des nouvelles technologies de l'information, dont ils s'emparent avec efficacité et enthousiasme.
Ce pressentiment est juste.
Dans le monde entier, les nouvelles technologies de l'information déclenchent une révolution qui, par son ampleur et ses effets, sera au XXle siècle ce que la Révolution industrielle a été au XlXe siècle, modifiant profondément notre façon de vivre, d'apprendre et de travailler.
C'est pourquoi le Conseil d'Etat a annoncé, au début de cette année, le projet «Smart Geneva», qui vise à doter notre canton et ses habitants d'un réseau de véritables autoroutes de l'information.
La mise sur pied d'un tel réseau n'est pas seulement un défi technologique : c'est surtout la création d'un nouveau système de formation, d'information et de communication, au service de tous les habitants, toutes les entreprises, toutes les institutions d'enseignement et de recherche, toutes les organisations internationales.
Au cours de ces derniers mois, le Conseil d'Etat a fait étudier la création de ce réseau, dont le coût total, réseaux et raccordements individuels, est estimé à 650 millions de francs, financés, pour l'essentiel, par des capitaux privés.
Un premier rapport sera présenté au Grand Conseil en automne 1996. Par la suite, une vaste procédure de consultation, accompagnée d'un véritable débat public, aura lieu début 1997, afin d'aboutir aux décisions politiques avant la fin de la législature, et d'être prêts au moment de la libéralisation des télécommunications, le 1er janvier 1998.
Pour sa part, le Conseil d'Etat souhaite que le débat sur «Smart Geneva» ne porte pas tellement sur son infrastructure, le réseau, mais surtout sur son concept : une ville créatrice, créatrice d'idées, d'intégration, d'espoir, d'audace, mais aussi d'innovations, d'art, de produits et d'emplois.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la votation sur la traversée de la rade marque la fin d'une époque, celle des grandes réalisations à caractère prestigieux ou surdimensionné qui, comme le dépôt TPG du Bachet, l'Hôtel de police... (Applaudissements.) ...la zone Sud de l'hôpital cantonal, Uni-Mail ou l'usine des Cheneviers, ont été engagées durant les années de haute conjoncture.
Après avoir accepté d'importants investissements dans le domaine routier - l'autoroute de contournement, je vous le rappelle, a coûté, au total, fonds fédéraux et cantonaux, plus de 1,4 milliard - la population genevoise a donc rejeté nettement le projet de traversée de la rade.
Survenant huit ans après un vote de principe favorable, et après un renversement de la situation économique, ce changement d'avis indique, par son caractère massif, un changement de mentalité.
Tirant les conséquences de ce vote, loyalement et démocratiquement, le Conseil d'Etat espère sincèrement qu'une large et solide majorité se dégagera en faveur des nouveaux projets, d'un ordre de priorités et d'un calendrier. C'est à ce prix que l'on pourra développer une vision dynamique de la Genève du XXle siècle, une Genève multiculturelle, confiante et solidaire, fidèle à son esprit de pionnier et d'ouverture. (Applaudissements.)
M. Christian Grobet (AdG). Nous attendions avec intérêt la déclaration du Conseil d'Etat après la votation de ce week-end. Je pense que certains députés, qui ne faisaient pas partie de la majorité liguée derrière le projet de la traversée de la rade, voudront exprimer leur opinion à cette occasion.
Monsieur le président du Conseil d'Etat, vous avez eu raison de souligner, surtout à la fin de votre intervention, que ce scrutin marque un changement profond de mentalité. Mais je crois qu'il marque surtout le rejet d'un certain nombre d'objectifs politiques qui ont été défendus par le Conseil d'Etat et mis en évidence à l'occasion de cette votation. En effet, elle ne portait pas uniquement sur un simple projet routier de traversée de la rade, mais, en filigrane, des questions très importantes étaient posées qui, dans l'esprit du Conseil d'Etat, devaient susciter l'intérêt d'une majorité de la population.
En effet, ce projet a été évoqué pour justifier une politique des transports axée sur la priorité à la voiture. On a même prétendu qu'il serait utile aux transports publics. Il a été brandi comme un étendard porteur d'espoir de relance économique grâce aux possibilités de travail qu'il aurait offertes. Il a été utilisé pour mobiliser Genève. Or il faut bien constater que la population n'a pas suivi, et il faut en tirer les conclusions. C'est donc avec intérêt que nous avons entendu les propositions du Conseil d'Etat.
Vous avez évoqué deux axes : la politique des investissements et celle des transports. En ce qui nous concerne, nous continuons à dire que le montant actuel des investissements doit être maintenu, et vous avez dit que telle était votre intention. Toutefois, la gestion des investissements doit être aussi diversifiée que possible. Elle doit profiter au plus grand nombre possible d'acteurs économiques de ce canton. Il faut jouer sur l'effet multiplicateur des petits et moyens chantiers, et non pas recourir à un seul grand projet qui ne profiterait qu'à certaines entreprises, au risque même que le travail n'échappe aux entreprises locales.
Dès lors, il conviendra d'analyser l'inventaire concret des projets que le Conseil d'Etat se propose de réaliser. En ce qui concerne la politique des transports, malgré l'intérêt suscité par vos déclarations relatives aux transports publics, nous regrettons qu'une fois de plus vous ayez cité en premier lieu des investissements routiers ne paraissant pas, à première vue, et sur la base des exemples que vous avez donnés, prioritaires; les réalisations que vous avez prévues seront très coûteuses. Aujourd'hui, la priorité n'est plus à la construction des routes. La population demande la réalisation du deuxième volet de la politique des transports que vous avez évoqué, à savoir le développement des transports publics. A cet égard, nous jugerons les intentions réelles du Conseil d'Etat, car j'aimerais vous rappeler, Monsieur le président du Conseil d'Etat, que, depuis 1975, on proclame la volonté de développer les transports publics dans ce canton ! Depuis cette date, on passe d'un projet à l'autre, et on ne fait presque rien.
En 1993, il y a donc plus de trois ans, le Grand Conseil avait voté un projet d'extension du réseau des tramways pour lequel, comme vous l'avez rappelé, des concessions fédérales ont été délivrées. Nous demandons simplement que ce qui a été voté par le Grand Conseil soit enfin réalisé; que les réseaux de tramways que vous avez évoqués, à savoir le tronçon Acacias/Les Palettes et celui de Sécheron, ainsi que les parkings d'échange liés à ces deux projets, soient enfin mis en chantier. Il faut accélérer le processus, afin que cette extension du réseau et celle qui doit le compléter - dont cette ligne qui devrait aller en priorité de Meyrin au centre-ville - soient réalisées, sachant qu'il faudra plusieurs années pour obtenir les autorisations nécessaires.
En définitive, je vous remercie du message que vous nous avez transmis. Nous espérons qu'au-delà des paroles les actes suivront !
M. Michel Balestra (L). Vous avez eu la preuve que tous ceux qui parlent d'un gouvernement monocolore se trompent ! A l'avenir, j'aimerais que vous parliez tous d'un gouvernement homogène.
Votre lecture de la votation sur la traversée de la rade diffère de la mienne. L'interprétation que vous en faites n'est, à mon sens, pas tout à fait honnête, car vous avez très habilement mené campagne contre les deux projets.
Nulle part, je n'ai vu «non à la rade» pour interdire l'usage des véhicules privés ! Nulle part, je n'ai vu «non à la rade» pour donner la priorité aux transports publics ! (Exclamations.)
Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !
M. Michel Balestra. Vous avez parlé de jeter l'argent au lac, vous avez dessiné les billets et identifié les citoyens qui les jetaient. J'interprète la décision populaire comme étant une volonté d'économie, d'austérité et un «ras-le-bol» face aux taxes supplémentaires, fussent-elles destinées à développer les transports publics. De plus, la majorité de ce Grand Conseil a été élue pour son programme d'assouplissement des contraintes législatives et dans le but d'améliorer les conditions-cadre de l'économie. La liberté de choix du mode de transport est une condition nécessaire à la bonne marche des affaires genevoises.
J'en veux pour preuve les propos du président de la Fédération des artisans et commerçants qui, lors de son audition, mardi, à la commission des transports, a répondu oui à la question : «Les places pour voitures devant les commerces augmentent-elles les ventes ?». Il a également répondu affirmativement à la question : «Plus de ventes font-elles plus d'emplois ?».
Si le développement des emplois vous intéresse, vous êtes, Mesdames et Messieurs les députés, obligés d'accepter le concept de complémentarité des moyens de transport.
J'en reviens au projet politique dont nous sommes porteurs. Nous entendons continuer à le mettre en place et à tenir nos engagements. Puis nous dresserons le bilan des réalisations et des dommages. Nous le soumettrons à la population qui nous accordera sa confiance ou non.
C'est ainsi que nous concevons la politique, et, s'il y a alternance, ce que je me refuse à croire, j'espère que vous nous prouverez votre capacité à faire mieux que nous, mais j'espère que cela durera plus longtemps que dans les années 30 ! (Applaudissements de la droite.)
Une voix. Mauvais perdant !
7. Correspondance.
Le président. La correspondance suivante est parvenue à la présidence :