Séance du
jeudi 23 mai 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
7e
session -
18e
séance
PL 7409
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi sur les eaux, du 5 juillet 1961, est modifiée comme suit:
Art. 6, al. 2 (nouveau)
2 Seules sont admises, sauf exception dûment motivée, des méthodes naturelles de régulation des eaux.
Art. 22, al. 3 (nouveau)
3 Les travaux d'entretien seront réalisés de façon à maintenir au maximum le caractère naturel des cours d'eau.
Art. 26, al. 5 (nouveau, l'al. 5 ancien devenant l'al. 6)
5 Les surfaces non constructibles définies par le présent article constituent une zone à protéger au sens de l'article 17 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 22 juin 1979 (RS 700).
TITRE IVa
Protection et renaturation des cours d'eau et des rives
(nouveau)
Art. 107 (nouveau)
Principes
1 Le présent titre vise à:
a) protéger les secteurs des cours d'eau dont le tracé est encore naturel;
b) reconstituer les conditions permettant aux cours d'eau de s'écouler dans un tracé naturel et à retrouver une vie biologique proche de l'état naturel, chaque fois que cela est possible;
c) réaménager les rives afin qu'elles puissent, chaque fois que cela est possible, retrouver leurs fonctions naturelles.
2 Les dispositions du présent titre s'appliquent par analogie au lac.
Art. 108 (nouveau)
Cours d'eau au tracé libre
En principe, les cours d'eau dont le tracé est encore naturel ou proche de l'état naturel doivent demeurer libres d'interventions; sous réserve de l'article 110, seules peuvent s'envisager des interventions à titre exceptionnel, et respectueuses de la spécificité du cours d'eau et de ses écosystèmes.
Art. 109 (nouveau)
Zones alluviales
1 Dans les zones alluviales mentionnées par l'ordonnance sur la protection des zones alluviales d'importance nationale, du 28 octobre 1992 (RS 451.31), les cours d'eau peuvent divaguer librement; des dérogations ne peuvent être accordées que lorsque des ouvrages d'utilité publique dont l'emplacement est imposé par la destination sont concernés.
2 Le canton définit d'autres zones alluviales dignes de protection, protégées selon le droit cantonal.
Art. 110 (nouveau)
Méthodes de lutte contre l'érosion
1 En zone constructible, la lutte contre l'érosion et les glissements de terrain doit faire appel aux techniques de stabilisation végétale, sauf exception, lorsque l'emploi de telles méthodes ne suffit pas à assurer la protection d'ouvrages existants et d'une certaine importance.
2 En zone non constructible, la lutte contre l'érosion et les glissements de terrain doit faire appel aux techniques de stabilisation végétale, sauf exception, lorsque l'emploi de telles méthodes ne suffit pas à assurer la protection d'ouvrages d'utilité publique dont l'emplacement est imposé par la destination, ou de milieux de haute valeur écologique.
3 Les travaux tels que l'entretien ou le renouvellement de la végétation des rives et l'élimination des bois morts et des corps flottants ne sont pas considérés comme des aménagements.
Art. 111 (nouveau)
Renaturation
1 L'autorité établit un programme de renaturation des cours d'eau du canton. Elle définit un ordre de priorités déterminé notamment en fonction de la biodiversité potentielle des milieux concernés, et une programmation à long, à moyen et à court terme.
2 Cette programmation est soumise au Grand Conseil pour approbation.
3 La renaturation comprend le cours d'eau, ses berges, son environnement immédiat et, lorsque c'est nécessaire, la maîtrise de l'hydrologie de son bassin versant. Elle consiste en des travaux permettant au cours d'eau de retrouver:
a) une vie biologique naturelle;
b) un tracé naturel;
c) des berges proches de l'état naturel.
Les lits doivent permettre au cours d'eau de valoriser son potentiel d'auto-épuration.
4 Pour chaque cours d'eau, le périmètre concerné par les mesures de renaturation sera défini.
5 Le programme doit être achevé dans les 10 ans à partir de l'adoption de la présente disposition.
6 Par ailleurs, l'autorité compétente peut subordonner la délivrance de toute autorisation telle que: adoption d'un plan d'affectation du sol, octroi d'une autorisation de construire, approbation d'un projet d'amélioration foncière ou d'un remembrement parcellaire à des conditions visant au respect du présent titre de la loi.
Art. 112 (nouveau)
Frais
1 Au cas où la divagation d'un cours d'eau porte une atteinte prouvée et importante à un bien-fonds, le propriétaire de ce dernier peut demander à l'Etat d'acquérir la partie de la parcelle menacée par le cours d'eau, aux conditions définies par la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, du 10 juin 1933.
2 Un riverain contraint d'engager des travaux de réfection ou de protection en raison de la divagation des cours d'eau peut demander à l'Etat de réaliser les travaux nécessaires.
3 Au cas où une reconstitution de tracé naturel d'un cours d'eau porterait une atteinte notable au droit de propriété d'un riverain, celui-ci peut demander à l'Etat d'acquérir la partie de la parcelle menacée par le cours d'eau, aux conditions définies par la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, du 10 juin 1933. Il peut également conclure avec l'Etat un contrat fixant les modalités d'affectation et de gestion de la surface concernée par la reconstitution.
Art. 113 (nouveau)
Fonds
1 Afin de financer le programme de renaturation, les travaux incombant à l'Etat en tant que propriétaire du cours d'eau, les indemnités accordées à des privés, les frais relatifs à des rachats de terrains selon l'article 112, il est constitué un fonds de protection et de renaturation des cours d'eau.
2 Ce fonds est alimenté par un prélèvement de 0,80 F par m3 d'eau pompée dans le canton.
3 Le Conseil d'Etat rend compte annuellement, dans le cadre de son rapport de gestion, sur l'évolution du fonds.
Art. 114 (nouveau)
Rives et zones tampon
1 Les rives, dans les périmètres définis par l'article 26 de la présente loi, seront entretenues, exploitées et aménagées de façon à pouvoir servir de biotope pour une faune et à une flore indigène diversifiée et à assurer les interactions entre eaux superficielles et eaux souterraines.
2 Les programmes de renaturation entrepris au titre de l'article 111 veilleront à comprendre cet objectif; pour les portions de rives non intégrées dans un tel programme, l'autorité compétente définira les mesures à prendre.
Art. 2
Modification à une autre loi
(L 5 1)
La loi sur les constructions et les installations diverses, du 14 avril 1988, est modifiée comme suit:
TITRE IIIa (nouveau)
Eaux de ruissellement
Art. 118A (nouveau)
Eaux de ruissellement
1 Les constructions doivent être conçues de manière à ce que le ruissellement des eaux de surface soit maîtrisé.
2 Lors de nouvelles constructions, des mesures sont prises afin de permettre l'infiltration dans le sol ou la rétention des eaux pluviales.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La protection des eaux est un sujet de préoccupation constant depuis une quinzaine d'années au sein du Grand Conseil et du Conseil d'Etat (voir déclaration de M. Haegi, chef du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales (DIEAR) lors de la Foire de Genève en 1995). Les historiens de nos débats pourront reconstituer de longues listes de motions, interpellations, questions écrites ou orales sur ces thèmes. Les réponses engageantes et les promesses du Conseil d'Etat sont elles aussi nombreuses.
Malheureusement, l'état de nos cours d'eau nous met en face de la réalité: les discours ne leur ont pas encore rendu la santé. Aucun cours d'eaufranco-genevois n'a vu sa qualité biologique s'améliorer depuis 1980, malgré des investissements importants consentis par le canton et les communes.
Dans le projet de Concept de la protection de l'environnement établi par le DIEAR en mai 1995, on peut lire en page 18 les questions suivantes:
«Les perceptions diverses des uns et des autres à propos de notre environnement ne nous permettent de trouver un consensus qu'à la condition de définir le niveau de protection souhaité. Ainsi pour la réhabilitation des cours d'eau, devrons-nous choisir un niveau:
- Voulons-nous de l'eau ?
- Voulons-nous de l'eau propre ?
- Voulons-nous de l'eau propre et des paysages naturels ?
- Voulons-nous de l'eau propre, des paysages naturels et des poissons ? Et si oui lesquels ? Chacun de ces niveaux induit un coût, ce dernier étant le facteur limitant.»
La réponse que nous donnons est que nous avons non seulement le droit à de l'eau propre, à des paysages naturels et à des eaux connaissant une vraie vie biologique, mais que nous avons le devoir, en tant qu'élus politiques, d'y veiller.
Il est temps de reprendre la réflexion sur une politique globale de l'eau, considérant tous les aspects de cette ressource existentielle. En effet, sur le plan juridique et conceptuel, la protection des eaux repose sur trois piliers:
- La lutte contre la pollution. Sur ce thème, la première loi fédérale, de 1955, puis la 2e, de 1972, ont conduit au raccordement de pratiquement toute la population aux stations d'épuration, et à la mise en place de mesures de lutte à la source, quoique dans une mesure moindre (lessives sans phosphates, etc.).
- La protection quantitative. Cette question est plus récente, et il a fallu attendre la loi fédérale de 1991, contreprojet indirect de l'initiative «Sauvons nos eaux» lancée en 1983, pour que des exigences concernant les débits minimums soient ancrées dans le droit. Cette loi parle aussi de la protection hydrologique.
- Enfin, la protection des berges et des lits. Ce thème est abordé pour la première fois dans la loi fédérale sur la protection de la nature et des paysages (LPN), de 1966 (RS 451). Mais c'est véritablement le parent pauvre de la protection des eaux.
Il est important, à l'égard de ces trois dimensions du problème, de bien comprendre qu'elles sont étroitement liées. Un cours d'eau naturel est un élément essentiel de la biodiversité, et offre des biotopes de transition très riches; il a un pouvoir d'auto-épuration accru; il peut remplir les attentes piscicoles placées en lui. Or, d'une manière générale, les cours d'eau de notre canton ont subi une très grande artificialisation: mise sous tuyau pour plusieurs d'entre eux, canalisation pour d'autres, réductions importantes de débit, dans le cadre d'une artificialisation générale du régime hydrologique en raison de l'imperméabilisation des sols.
L'objectif général en matière d'eau, dans la région, pour nous, est de gérer les eaux du bassin lémanique pour préserver la ressource, quantitativement et qualitativement, et de viser à reconstituer le fonc-tionnement des écosystèmes en vue de retrouver une régulation naturelle des flux. L'atteindre aura un coût, il convient d'évaluer les différentes façons de faire possibles, et d'en mesurer les impacts. Relevons que les ouvrages de drainage, mise sous tuyau, rectification et endiguement des cours d'eau faits sur le territoire ont représenté des sommes très importantes, dont il serait intéressant de faire une fois le compte. La réhabilitation de certaines zones humides aura un impact favorable sur la régulation des cours d'eau et une influence bénéfique sur l'alimentation des nappes phréatiques qui voient baisser leur niveau.
Il serait faux d'aborder la gestion de l'eau du seul point de vue genevois; en effet, la plupart de nos cours d'eau ont leur source en France voisine. C'est une politique transfrontalière que nous devons développer. Lors du dernier colloque du comité franco-genevois, qui s'est réuni au CERN, en décembre 1995, un accueil favorable a été donné à l'idée de la perception d'une taxe de pompage des eaux de la région franco-suisse dans le but d'alimenter un fonds destiné à la renaturation des cours d'eau de la région. Citons encore que, pour certains cours d'eau, les études franco-suisses pour la renaturation de ceux-ci sont terminées. Il s'agit maintenant de financer les travaux sans plus attendre.
La législation fédérale
Ces dernières années, la législation fédérale a été nettement renforcée dans le sens de la prise en considération des préoccupations susmentionnées.
- La loi sur la protection des eaux (RS 814.20) a fait l'objet d'une révision complète et a été adoptée le 24 janvier 1991. Elle est entrée en vigueur le 1er novembre 1992. Dans son article 1, il est dit qu'elle «vise notamment à (...) assurer le fonctionnement naturel du régime hydrologique». Elle s'applique aux eaux superficielles et souterraines, les premières comprenant les eaux de surface, les lits, les fonds, les berges, de même que la flore et la faune qui y vivent.
- La loi sur la pêche (RS 923.0), dès le 1er janvier 1994, a également été adoptée en 1991. Elle s'applique aux eaux publiques et privées, vise à protéger les espèces indigènes et leur exploitation à long terme, ainsi qu'à «protéger, améliorer ou, si possible, reconstituer leurs biotopes» (art. 1). On notera en particulier que les cantons doivent édicter des prescriptions sur les zones de protection, là où la protection des peuplements l'exige (art. 4). L'article 7 demande que les cantons assurent la préservation des ruisseaux, des rives naturelles et de la végétation aquatique servant de frayères aux poissons ou d'habitat à leur progéniture. Ils prennent si possible des mesures pour améliorer les conditions de vie de la faune aquatique et pour reconstituer localement les biotopes détruits.
On notera également le renforcement de l'article 21 de la LPN, dès le1er novembre 1992, dont l'alinéa 2 dit désormais: «Dans la mesure du possible, les cantons veillent à ce que les rives soient couvertes d'une végétation suffisante ou du moins à ce que soient réalisées les conditions nécessaires à son développement.»
Enfin, en 1992, a été édictée l'ordonnance sur les zones alluviales d'importance fédérale: l'inventaire fédéral comprend 5 sites sur Genève.
La législation cantonale
Divers textes cantonaux reprennent, dans une mesure non exhaustive, les thèmes du droit fédéral. Ainsi, la révision totale de la loi fédérale sur la pêche a entraîné la réécriture de la loi cantonale (M 7 10), donnant la loi cantonale du 20 octobre 1994. S'agissant des biotopes en général, on citera la loi sur la protection de la nature, M 8 1, et la loi sur la faune et son article 11 sur la protection des biotopes. La loi de base concernant notre domaine est naturellement la loi sur les eaux, L 2 0,5, du 5 juillet 1961. Elle règle tout ce qui concerne l'usage de l'eau et sa protection contre la pollution. S'agissant des travaux entrepris sur les eaux, la seule disposition inspirée de considérations relatives aux biotopes est l'article 6, dont la formulation est cependant trop faible («Les projets de travaux doivent tenir compte de la protection des sites, de la faune et de la flore. Les boisements et le couvert des berges des cours d'eau doivent notamment être préservés»).
Commentaire article par article
Article 6, alinéa 2
Ce nouvel alinéa rappelle que des mesures de régulation des eaux ne peuvent intervenir que lorsque les conditions posées par l'article 37 de la loi fédérale sur la protection des eaux, du 24 janvier 1991 (RS 814.20) sont réalisées.
Par ailleurs, en indiquant que, en principe, il convient d'avoir recours à des «méthodes naturelles de régularisation des eaux», la disposition nouvelle renvoie aux objectifs figurant aux articles 107 et suivants de la loi, objectifs qui devront toutefois être encore précisés, pour disposer d'un inventaire clair des méthodes compatibles avec la loi.
Article 2, alinéa 3
Cette disposition qui constitue une précision de la même nature que celle figurant à l'article 6, alinéa 2, indique que, dans le cadre des travaux d'entretien, les propriétaires riverains doivent mettre en oeuvre les principes figurant aux articles 107 et suivants de la loi.
Article 26, alinéa 5
En définissant, aux alinéas 1 à 4 de l'article 26, une zone non constructible, la loi tient compte d'ores et déjà d'un objectif de protection des rives, lesquelles sont, par ailleurs, déjà considérées comme une zone à protéger par l'article 29, lettre a, de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (L 1 17).
De façon qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur la notion de «rive», l'article 26, alinéa 5, précise qu'il s'agit des surfaces non constructibles mentionnées par l'article 26.
C'est dire que dans ces périmètres l'on ne devra pas se borner à éviter d'édifier de nouvelles constructions, mais, comme l'exige le droit fédéral, qu'il conviendra de s'abstenir de toute intervention pouvant porter atteinte au caractère naturel des rives et des cours d'eau.
Les rives sont des zones tampons d'une très grande importance biologique et constamment menacées; la présente disposition permet de leur accorder la protection efficace dont ils ont besoin.
Article 107
Cette disposition, sous le titre «Protection et renaturation des cours d'eau et des rives», fixe les principes qui sont concrétisés par les articles 108 à 114.
Il s'agit, d'une part, de protéger les cours d'eau et les rives, comme l'exigent les articles 1 et 37 de la loi fédérale sur la protection des eaux.
Il s'agit, d'autre part, de reconstituer, dans la mesure du possible, les biotopes détruits, préoccupation que l'on retrouve à l'article 7 de la loi fédérale sur la pêche, du 21 juin 1991 (RS 923.0).
Concernant le canton de Genève, où, en raison de l'exiguïté du territoire et de son urbanisation, l'atteinte portée aux cours d'eau n'a aucun équivalent en Suisse, l'objectif de reconstitution des cours d'eau est énoncé avec une certaine prudence.
Article 108
Cette disposition fixe le principe que les rares cours d'eau dont le tracé est encore naturel doivent être préservés.
Des interventions sur ces cours d'eau sont cependant possibles aux conditions restrictives énumérées à l'article 110.
Article 109
Cette disposition concernant les zones alluviales constitue un renvoi au droit fédéral, lequel protège strictement les zones alluviales, qui sont au nombre de cinq dans le canton de Genève (Vallon de la Laire, Vallon de l'Allondon, Moulin de Vert, Les Gravines et Vers Vaux). Elle demande que cette protection de droit fédéral, dont on sait qu'elle n'est accordée que d'une manière très restrictive, soit complétée par une protection de droit cantonal, fondée sur un inventaire complémentaire.
Article 110
L'article 37 de la loi fédérale sur la protection des eaux prévoit que des travaux d'endiguement ou de correction des cours d'eau ne peuvent être effectués que si l'une des trois conditions suivantes est réalisée: les travaux s'imposent pour protéger des personnes ou des biens importants, ils sont nécessaires à l'aménagement de voies navigables ou à l'utilisation de forces hydrauliques dans l'intérêt public, ils permettent d'améliorer l'état d'un cours d'eau déjà endigué ou corrigé.
En s'inspirant de cette disposition, l'article 110 - qui traite des interventions sur les cours d'eau dont le tracé est encore naturel - établit une distinction entre les zones constructibles et les zones non constructibles.
En zone constructible, l'on pourra utiliser, à titre exceptionnel, des techniques d'endiguement allant au-delà de la stabilisation végétale, pour protéger des ouvrages ou bâtiments existants d'une certaine importance.
En zone non constructible, de telles techniques ne pourront être employées que lorsqu'il s'agira de protéger des ouvrages d'utilité publique dont l'emplacement est imposé par la destination ou des milieux de haute valeur écologique.
Il va de soi que lors de ces interventions le tracé naturel des cours d'eau devra être autant que possible respecté ou rétabli et que les eaux et les rives devront être aménagées de façon adéquate, comme l'exige l'article 37,alinéa 2, de la loi fédérale sur la protection des eaux et l'article 4, alinéa 2, de la loi fédérale sur l'aménagement des cours d'eau, du 21 juin 1991 (RS 721.100).
Article 111
Alors que les articles 108 à 110 visent à protéger les cours d'eau dont le tracé est encore naturel, conformément à l'objectif figurant à l'article 107, lettre a, l'article 111 a pour objet de concrétiser le deuxième objectif du projet de loi, soit celui de renaturation des cours d'eau.
Vu l'état des cours d'eau à Genève, il faut d'emblée s'attendre à ce que les travaux de renaturation prennent un certain temps. C'est la raison pour laquelle l'article 11, alinéa 5, prévoit que le programme des travaux de renaturation peut être conduit sur une période de 10 ans.
Toutefois, la période de 10 ans fixée à l'article 111, alinéa 5, ne doit pas constituer un oreiller de paresse. L'article 111, alinéa 1, indique donc qu'un ordre de priorité doit être fixé avec des objectifs non seulement à 10 ans mais, également, à court et à moyen terme. Le texte donne aussi un critère pour orienter le démarrage du programme, puisqu'il indique que l'on déterminera les priorités notamment en fonction de la richesse biologique des cours d'eau.
Vu l'importance des moyens qui devront être engagés pour renaturer les cours d'eau, il apparaît nécessaire que le programme établi par le Conseil d'Etat soit soumis au Grand Conseil pour approbation. C'est ce que propose l'article 107, alinéa 2.
Les travaux de renaturation doivent permettre aux cours d'eau de retrouver un tracé naturel et des eaux et des rives accueillant une faune et une flore diversifiées. Ces objectifs fixés par l'article 37, alinéa 2, de la loi fédérale sur la protection des eaux sont rappelés à l'article 11, alinéa 3. De même, cette disposition précise la portée des travaux de renaturation. Il peut s'agir d'interventions sur le cours d'eau et ses berges, lesquelles peuvent constituer en le démantèlement des ouvrages de protection tels que gabion, palplanche, cunette, etc., ou en la mise à l'air libre de cours d'eau enterrés, comme le veut l'article 38 de la loi fédérale sur la protection des eaux. La renaturation comprend également celle des rives et, lorsque c'est nécessaire, la maîtrise de l'hydrologie du bassin versant.
Dans la mesure où chaque cours d'eau devra faire l'objet d'une intervention spécifique, l'article 111, alinéa 4, indique qu'un périmètre concerné par un travail de renaturation devra être défini de cas en cas.
Enfin, de façon à accélérer la mise en oeuvre du programme de renaturation, l'article 111, alinéa 6, permet à l'autorité compétente, chaque fois qu'elle a à délivrer une autorisation pour un projet où un cours d'eau est concerné, de conditionner la réalisation du projet à des mesures de renaturation.
Article 112
L'article 108 posant le principe que les cours d'eau au tracé libre ne doivent pas être endigués, il est possible que la divagation du cours d'eau puisse porter atteinte à certaines parcelles. Dans un tel cas, si cette atteinte est d'une certaine importance, le riverain peut demander à l'Etat d'acquérir la partie de la parcelle menacée par le cours d'eau en application de l'article 112, alinéa 1. Au cas où des travaux visant à lutter contre l'érosion devraient être entrepris de façon impérative, c'est-à-dire dans les cas prévus par l'article 110 de la loi, le riverain peut demander à l'Etat de réaliser les ouvrages de pro-tection nécessaires. La question de la répartition entre l'Etat et le riverain du coût de l'ouvrage et l'entretien de celui-ci est réservée. L'article 112, alinéa 2, ne mentionne pas cette question qui devra être réglée de cas en cas.
L'article 112, alinéa 3, précise que les principes fixés par l'article 112, alinéa 1, s'appliquent également en cas de renaturation d'un cours d'eau. Cette disposition précise, notamment pour les cours d'eau situés en zone agricole, que le programme de renaturation du cours d'eau peut être accompagné d'un contrat conclu avec le riverain fixant les modalités d'affectation et de gestion de la surface concernées par la renaturation.
Article 113
La mise en oeuvre d'une politique visant à protéger et à renaturer les cours d'eau entraîne des frais importants. D'après certaines évaluations faites par le DIEAR, le coût des mesures nécessaires serait de l'ordre de 600 millions de francs.
Si l'on considère que, dans le canton de Genève, près de 65 millions de m3 d'eau ont été pompés en 1994 par les seuls Services industriels de Genève, sans compter les pompages privés, tous cependant soumis à autorisation, un prélèvement de 0,80 F par m3 d'eau pompée, tel que le propose le DIEAR, devrait permettre de réaliser l'essentiel du programme décennal prévu par l'article 111.
Les montants ainsi prélevés seront versés à un fonds, comparable à celui qui existe en matière de pêche. Le Grand Conseil sera informé, une fois par année, de l'évolution du fonds dans le cadre du rapport de gestion du Conseil d'Etat.
Article 114
Cette disposition concrétise l'objectif de protection des rives énoncé à l'article 107, lettre c.
L'article 114, alinéa 1, rappelle les objectifs poursuivis, en matière de protection des rives, par la législation fédérale. Celles-ci doivent être aménagées de façon qu'elles puissent accueillir une faune et une flore diversifiées, que les interactions entre eaux superficielles et eaux souterraines soient maintenues autant que possible et qu'une végétation adaptée à la station puisse croître sur les rives (voir article 37, alinéa 2, de la loi fédérale sur la protection des eaux).
L'article 114, alinéa 2, précise que les prescriptions relatives à la protection des rives seront soit prises dans le cadre des programmes de renaturation soit, en l'absence de tels programmes, édictées par l'autorité compétente en fonction des caractéristiques de chaque cours d'eau.
Article 119A LCI
De façon à préserver la qualité des eaux et l'état des cours d'eau, il est nécessaire que des mesures de prévention soient adoptées. Parmi les mesures à prendre en amont figure la lutte contre les dérèglements du régime hydrologique. Suite à l'imperméabilisation des sols dans les bassins versants, les débits sont devenus nettement plus erratiques et il est ainsi nécessaire que cette question soit prise en compte au niveau des constructions.
Conclusion
Après les nombreuses interventions parlementaires sur l'état des eaux, et les déclarations de conseillers d'Etat dans le même sens, il nous semble maintenant nécessaire que des objectifs plus fermes soient définis dans la loi, et un programme ainsi que des moyens définis. Pour la plupart des rivières, les diagnostics et études ont été établis, ce qui manque est le passage à l'action. On peut faire le parallèle avec le développement des transports publics: la loi sur le réseau des transports publics, H 1 10,8, définit de même un état cible, un programme, un financement, et des délais. Sans cela, les beaux principes sont destinés à demeurer lettre morte.
Tout récemment, reprenant une proposition formulée en juin 1992 par la «Coordination rivières», le chef du DIEAR a annoncé la création d'un fonds «rivières-nature» en complément du fonds cantonal d'assainissement des eaux. Les coûts de l'assainissement sont estimés à 400 millions de francs pour des travaux de remodelage des cours d'eau, de plantation des berges, de protection contre l'érosion et de remise à ciel ouvert, et à 200 millions pour des mesures complémentaires en matière de débit; 45 km de rivières seraient concernés par ce programme. Ce dernier serait de dix ans et serait financé partiellement par une taxe sur le prélèvement de l'eau, passant de 8 c par m3 en 1997 à 80 c en 2007. Nous applaudissons naturellement à de tels projets. L'expérience a cependant montré que souvent des effets d'annonce au dépôt effectif d'un projet il se passait de longs mois. L'objet du présent projet est ainsi, à la fois, de développer une conception sur le fond, à savoir définir des objectifs et des modalités de la renaturation à entreprendre, et de contribuer à ce que l'action souhaitée se mette le plus rapidement en oeuvre.
Préconsultation
M. Bernard Lescaze (R). Voilà un projet intéressant - du moins si on l'examine superficiellement - et qui ne manquera pas de retenir, je l'espère, l'attention de la commission de l'environnement, si ce projet lui est renvoyé. Il pose en effet, un certain nombre de questions importantes. Nous avons reçu récemment une invitation à participer à une table ronde sur le thème : «La bataille pour l'eau». Les auteurs de ce projet n'imaginaient pas si bien dire !
Actuellement, la protection de l'eau n'a pas de prix, mais elle a un coût. Les auteurs du projet l'ont sans doute oublié ! Je ne vais pas faire l'apologie des dispositions - louables, au demeurant - de ce projet de loi. Elles semblent politiquement correctes, comme il est de mise dans nos assemblées. Il est bon et sain de protéger la qualité de l'eau, mais il s'agit également de défendre, à Genève en particulier, les intérêts des gros consommateurs d'eau : les industriels, les agriculteurs, les administrations publiques.
Or ce projet prévoit le prélèvement d'une taxe, certes progressive, qui s'élèverait à 80 centimes le m3. Cette somme peut sembler très modique aux personnes ignorant qu'un ménage consomme quotidiennement des centaines de litres d'eau, potable ou non potable, et une entreprise, des dizaines de milliers de m3. Cette taxe financerait, dans son ensemble, un projet de renaturation de l'eau s'élevant à 900 millions.
Avant de préciser la charge que cela représenterait pour certaines entreprises, notons que cette renaturation semble défaire le travail des générations précédentes : en enlevant notamment le béton de la Seymaz, afin de créer des réserves pour moustiques ou pour grenouilles, que des pétitions de riverains s'efforceront de faire taire !
La situation des agriculteurs, d'une part, est suffisamment difficile pour qu'on n'alourdisse pas leurs charges et, d'autre part, l'on n'imagine pas encore combien cela va coûter aux administrations et aux entreprises. La Chambre de commerce a demandé à quelques-unes de réaliser une étude, afin d'en évaluer le montant : plus de 4 millions pour l'Union de banques suisses, 4,5 millions pour Givaudan, 629 000 F pour les Papeteries de Versoix. Et pour les seules administrations publiques de la Ville de Genève, les parcs et promenades, la voirie, les coûts s'élèvent à plus de 2 millions, sans compter les charges supplémentaires imposées aux locataires et aux propriétaires.
Malgré ses mérites, ce projet doit être examiné avec la plus grande prudence. Je ne suggère pas de «tirer la chasse d'eau», même s'il le mérite peut-être ! (Rires.) Mais lorsque nous aurons les résultats des travaux de commission proposant un plan de financement éventuellement beaucoup plus doux, nous pourrons en reparler. Ces 80 centimes par m3, affectés exclusivement à la renaturation des cours d'eau, représentent une augmentation de 100% de la taxe actuelle. Le prix de l'eau est d'environ 1 F le m3, et il existe déjà une taxe de 72 ou 74 centimes. L'ensemble de la population - y compris les 43% de la ville de Genève - devra payer.
Veut-on réellement rouvrir les nants de Traînant, de l'Amandolier ou de Sécheron, en pleine ville, pour prétendument répondre aux exigences de la législation fédérale à coups de centaines de millions ? Je réponds fermement : non, car l'économie genevoise a besoin de projets dynamiques, et non d'une «pierre au cou» !
Le président. Comme nous sommes en procédure de préconsultation, un seul député par groupe peut s'exprimer pendant cinq minutes.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je vais essentiellement vous parler de l'écologie, qui fut notre motivation première pour jeter les bases de ce projet de loi en 1991, avec - entre autres - MM. Vaissade, Cramer, Rebeaud et Meylan.
La présentation de M. Haegi, l'automne passé, du concept intitulé «Dix ans pour sauver nos rivières» nous a encouragés à le ressortir. Nous remercions les députés cosignataires qui ont manifesté ainsi leur intérêt. Notre projet de loi servirait donc de base légale à l'application de ce concept.
Il est grand temps de se préoccuper des rivières, car les cours d'eau naturels sont devenus rares en Suisse. Pour de multiples raisons, les rivières naturelles sont des écosystèmes très dynamiques, en perpétuelle transformation. En transportant du gravier et du sable, l'eau forme de nouvelles rives, où poussent des arbrisseaux qui se transforment en bois et en luxuriantes forêts de feuillus. Cette «colonisation» est soumise à un perpétuel recommencement depuis des millions d'années, car l'eau inonde sans cesse les berges. Le cours d'eau naturel est un agent important du cycle de l'eau : il alimente les eaux souterraines et influence les microclimats. En favorisant par ailleurs la diversification de la faune et de la flore aquatiques, il est vital pour l'équilibre biologique.
Et c'est justement cette liberté fondamentale de «divaguer» que nous voulons redonner aux cours d'eau. Les rivières genevoises sont gravement détériorées par les innombrables canalisations, par les endiguements excessifs, par la croissante imperméabilisation des sols bétonnés. Les rivières, éléments indispensables à la qualité de nos eaux potables, ont été malmenées ! Les sauvegarder et tenter de les renaturaliser - à long terme - voilà le but de notre projet de loi ! A l'article 111, alinéa 3, il est stipulé que : «Le lit des rivières doit permettre au cours d'eau de valoriser son potentiel d'auto-épuration.»
Je souhaiterais que M. Lescaze soit attentif à ce point essentiel : c'est à ce niveau que le travail doit se faire en partie, et non uniquement en aval, à grands frais d'épuration, au moyen de techniques artificielles.
Nous ne sommes pas les seuls à nous soucier de ce problème : la Confédération a promulgué des lois, afin que les cantons agissent. Mais ces derniers ne disposent que d'articles de lois dispersés et insuffisamment contraignants pour régler la protection des rives et des cours d'eau. Notre projet va dans le sens de l'application des lois fédérales.
Ce Grand Conseil a souvent eu l'occasion, au cours des dix dernières années, de s'exprimer sur la protection des eaux. De même, la Commission parlementaire du Léman a été créée, en 1981, pour étudier le rapport rédigé par le Conseil d'Etat sur la pollution du Léman, et de nombreuses motions émanant de tous les partis furent renvoyées à cette commission.
Genève compte cent septante-huit rivières et nants, c'est une véritable cuvette recevant les eaux des crêtes avoisinantes ! Mais seule une vingtaine est susceptible d'abriter une faune et une flore intéressantes. Les autres sont soit enterrés soit à sec la plus grande partie de l'année. La réduction des variétés d'organismes vivants et la diminution de la productivité des diversités piscicoles témoignent depuis plus de vingt ans de la dégradation de nos rivières.
La plupart de nos cours d'eau ont leur source en France, où les équipements d'assainissement sont inexistants ou peu efficaces, les eaux sont ainsi souillées dès le départ. Sur le sol genevois, seuls 70% des eaux polluées sont traités par la STEP d'Aïre; le reste se déverse directement dans les rivières. Comme la perturbation des régimes hydrauliques représente le problème principal, il est indispensable d'améliorer le lit des rivières et de lutter contre le bétonnage : l'excès d'imperméabilisation et la période de sécheresse rendent le débit des rivières quasiment nul en été, provoquant ainsi la mort de la faune, et des inondations lors d'importantes pluies.
En résumé, le but de notre projet est donc d'améliorer l'épuration naturelle de l'eau des rivières, de lutter contre l'excès de bétonnage en protégeant les secteurs des cours d'eau au tracé naturel - ou d'en reconstituer les conditions - et de réaménager les rives pour faire revivre toutes les fonctions écologiques naturelles.
Le dernier point à examiner est de taille : il s'agit, en effet, du financement qui préoccupe le parti radical, et M. Lescaze en particulier. La proposition de prélever une taxe de 80 centimes sur le pompage devra être examinée, affinée et modulée en concertation avec certains milieux, tel celui des agriculteurs, où l'eau est indispensable à la production.
La population doit savoir que l'eau potable est notre plus grande richesse. Participer à sa conservation à la source, l'économiser grâce à l'augmentation des taxes, améliorer le lit des rivières : voilà les actions les moins onéreuses à long terme. Et je défie qui que ce soit - même M. Lescaze, qui ne m'écoute pas - de prouver le contraire ! Le problème est comparable à celui de la vache folle : pour augmenter la quantité de viande, on n'a pas hésité à modifier le cycle alimentaire des bovins...
Le président. Concluez, Madame la députée, voilà six minutes que vous parlez !
Mme Sylvia Leuenberger. Je ne dispose donc pas de dix minutes ? Je suis pourtant l'auteur du projet !
Le président. Non, nous sommes en préconsultation !
Mme Sylvia Leuenberger. Si l'on refuse de payer un peu plus cher pour conserver la qualité de l'eau à la source, on court tôt ou tard à la catastrophe, car l'eau pourrait manquer. Et nous retrouvons, à ce point précis, le fondement de l'écologie : le rendement à court terme, au détriment de l'équilibre biologique à long terme, coûtera toujours plus cher. Et toute production ou utilisation des énergies de base devraient être pensées en termes d'équilibre à respecter. Pour toutes ces bonnes raisons, nous vous prions de renvoyer ce projet de loi à la commission de l'environnement. Et pour conclure, Monsieur Lescaze, vous pouvez tirer la chasse d'eau, mais ajoutez une brique, vous économiserez ainsi un tiers d'eau potable et un tiers de la taxe ! (Applaudissements.)
M. Hervé Burdet (L). Nous nous acheminons vers un renvoi en commission quasi automatique selon notre règlement. Je ne répéterai donc pas l'excellent exposé de Mme Leuenberger. J'aimerais vous rappeler - et je m'en excuse - une notion scolaire : nous sommes constitués d'eau à 85% pour les plus denses, à 95% pour les plus dissipés ! L'eau, c'est la vie, c'est un truisme. Rapprocher la bourse de la vie en évoquant ces fameux 80 centimes, c'est une histoire de brigands : «La bourse ou la vie !».
La Chambre de commerce, malgré une connaissance approfondie du sujet, insinue qu'on cherche à imposer une nouvelle taxe pour récupérer des millions. Personne n'a compris que la renaturation des rivières offre également la possibilité de créer des emplois et de développer des entreprises; c'est pourtant un aspect essentiel de ce dossier.
Mon excellent collègue Beer, malmené par M. Lescaze, n'a pas pu préciser qu'il ne s'agissait pas d'une tactique coutumière des députés libéraux, généralement assez rigoureux. Si on approuve l'idée de ce projet de loi, on le signe ou on en est le cosignataire, on le développe dans la mesure du possible, on se rend en commission, on corrige, on auditionne, on adapte et on revient devant le Grand Conseil avec un projet affiné qui sera probablement voté par une majorité.
Le projet a donc été rédigé à la diable, j'en conviens. Lorsqu'on parle de 80 centimes, il s'agit d'une progression de 8 à 80 centimes au cours d'une dizaine d'années au minimum. Avant le renvoi en commission de ce projet, il n'est absolument pas question d'imposer des taxes sur l'eau aux agriculteurs. Ils font circuler l'eau, et le seul fonctionnement de l'agriculture assure à lui seul un recyclage et une renaturation de l'eau, dont ces gens sont responsables et usagers. Cette taxe serait un non-sens, contre laquelle je me battrai en commission...
M. Claude Blanc. Vous avez pourtant signé le projet de loi !
M. Hervé Burdet. Je l'ai signé, Monsieur Blanc, car l'idée est excellente.
M. Claude Blanc. Même si le texte est mauvais ?
Le président. Je vous en prie, Monsieur Blanc !
M. Hervé Burdet. Le texte n'est certes pas parfait, mais l'idée, elle, est impérative. Il s'agit d'une question vitale. Vous-même qui consommez toutes sortes de...
Le président. Monsieur l'ancien président, adressez-vous au parlement, s'il vous plaît !
M. Hervé Burdet. Monsieur le président, je vous présente mes excuses ! Il ne s'agit pas de taxer les agriculteurs et les établissements publics évoqués par M. Lescaze, ni l'industrie qui n'emploie pas l'eau potable, précieuse et coûteuse du réseau des Services industriels, mais l'eau de pompage d'une rivière ou du lac pour refroidir ou conditionner des locaux. Mais une grande injustice frappe les propriétaires de villa ou d'immeuble qui paient l'eau, alors que les locataires, eux, ne la paient pas. Il y a matière à réflexion en commission. Malgré les ricanements de M. Blanc et d'autres députés, il s'agit bien d'une question vitale. Un parlement cantonal n'est pas seulement une enceinte dans laquelle on approuve des comptes, où on vote des budgets, où on gracie des condamnés, où on accomplit quelques actes purement formels. Il faudrait également s'y livrer à des réflexions approfondies : le futur et la qualité de l'environnement sont en jeu.
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne prolongerai pas longuement ce débat qui doit évidemment se poursuivre en commission. Notre groupe soutient, bien sûr, ce projet de loi dont il est signataire. Comme mes deux préopinants l'exprimaient, des questions de détails pourront être modifiées lors des travaux de commission. Quant au problème fondamental, on ne saurait se contenter des réponses apportées par M. Lescaze, qui se livre à de l'humour facile en évoquant le coassement des grenouilles et qui s'agite maintenant sur son banc au sujet d'un hypothétique référendum avant même tout débat de fond. Selon lui, nous n'aurions pas considéré les coûts. Il y a précisément des dispositions permettant de prélever des sommes, afin d'atteindre ces objectifs.
J'approuve les propos de ma préopinante écologiste : ces dispositions sont absolument indispensables à long terme. L'idée d'élever le coût de l'eau pour une catégorie d'usagers doit être suivie, afin de réaliser simultanément des économies radicales d'eau et d'énergie pour le pompage, ce qui rejoint les objectifs cantonaux en matière d'énergie définis dans l'article 160 C de notre constitution.
Nous soutenons donc fermement ce projet de loi.
M. René Longet (S). Avec une rare élégance, vous nous avez privés de la position du groupe radical, Monsieur Lescaze ! Nous devrons donc attendre les travaux en commission pour la connaître. J'excuserai vos égarements aquatiques en les mettant sur le compte de votre manifeste méconnaissance du sujet.
Lorsqu'on connaît l'histoire comme vous, on ne peut pas escamoter tout un pan de la réalité. L'économie hydrologique est un fondement naturel et vital de notre existence, comme le soulignait M. Burdet. Vous avez peut-être étudié certaines tranches de notre passé, mais vous avez omis de considérer les efforts des députés pour la progression de ce dossier. Si vous aviez examiné avec la minutie requise l'histoire récente des travaux de ce Grand Conseil, vous auriez compris que ce projet est le résultat d'une certaine lassitude, due à l'approche au coup par coup, aux plaintes auxquelles nous étions réduits et aux interventions sectorielles qui ont marqué les débats sur l'eau, lors de ces quinze dernières années. Le Mémorial indique clairement le mode sur lequel s'est exprimée la préoccupation aquatique du Grand Conseil : avec des pétitions, des motions, des discours au cas par cas, et surtout beaucoup de frustration, car nous ne sommes guère avancés, et c'est une litote !
Le Grand Conseil n'a cessé de se plaindre, mais aujourd'hui on change de discours : on ne se plaint plus par le biais des motions, on propose des solutions en usant du pouvoir législatif. Ce projet de loi nous permet de prendre des décisions. Il est conçu très simplement sur quatre axes. Nous avons tout d'abord un objectif, qui plaît ou non, très clairement inscrit dans un certain nombre de lois fédérales tout récemment révisées, et qui s'imposent dans tous les cantons également.
Nous avons ensuite un programme de renaturation très concrètement fondé sur le potentiel biologique de nos cours d'eau et qui sera soumis à ce Grand Conseil. Un contrôle parlementaire est donc prévu.
Le troisième point concerne la façon dont se déclinent ces objectifs et ce programme, par rapport à un délai. Toute intention reste vaine sans horizon temporel. C'est ainsi qu'un délai de dix ans a été fixé.
Il s'agit, finalement, d'établir un plan financier. On ne peut pas appliquer le principe de causalité ni rectifier le prix d'une ressource sans prendre en compte sa vraie valeur. Mais alors, Messieurs Lescaze et les autres, quelle alternative ? Soit on ne fait rien, mais cela nous l'excluons absolument, soit on charge le budget d'investissement de l'Etat. Je vous laisse le choix ! Pour nous, il n'y a qu'une solution, c'est celle que M. le conseiller d'Etat Haegi a lui-même proposée il y a quelques mois. C'est la plus cohérente et la plus logique.
Naturellement, la répercussion et la quotité de cette hausse doivent encore être débattues. M. Haegi avait prévu un échelonnement des délais. Il faut envisager les répercussions effectives et non mythiques : il ne s'agit pas d'attiser les peurs. Nous allons examiner ce projet de loi en commission avec toute l'attention et l'efficacité nécessaires, et, afin d'aboutir à une solution équitable, l'ensemble des milieux concernés sera entendu. Il est parfaitement possible de rediscuter du prix de l'eau, de façon à concilier équité et efficacité. Vous n'allez tout de même pas prétendre, Monsieur Lescaze, que le prix de l'eau est tel que d'aucuns en seraient privés en cas de hausse. Ce qui est possible dans le projet du département, le sera également dans la loi que nous allons préparer en commission, d'une façon constructive et sereine en n'évoquant pas en priorité les obstacles, mais les nécessités qui s'imposent pour les franchir.
M. Claude Blanc (PDC). Il va de soi que le groupe démocrate-chrétien ne s'oppose pas au renvoi de ce projet de loi en commission qui contient un certain nombre de propositions. Les auteurs de ce projet ont fait l'inventaire de toutes les possibilités que le droit fédéral, entre autres, offre pour préparer un programme cantonal de restructuration des cours d'eau. Après avoir fait un inventaire total, ils ont choisi de proposer le maximum possible. Cela dit en d'autres termes : c'est la totale ! Ils n'ont pas de place pour les demi-mesures et demandent à l'Etat de nettoyer toutes les rivières du canton en dix ans. Je doute que cela soit possible, mais, enfin, c'est tout de même dans le projet de loi. Ce genre de projet est tellement excessif qu'il me fait penser à ceux qui confondent la loi coranique avec le code pénal. (Brouhaha.)
Disons que ce projet de loi vise à l'amélioration des eaux de nos rivières. Mais, en réalité, il vise à un aménagement différent du territoire.
J'en viens au coût de ce projet. M. Haegi, qui a un projet à peu près semblable dans ses tiroirs, avait laissé entendre qu'une telle opération pourrait coûter environ 900 millions de francs, si j'ai bien compris.
Une voix. Ce n'est pas vrai !
M. Claude Blanc. C'est quelque chose d'approchant.
Une voix. On n'en sait rien !
M. Claude Blanc. 900 millions de francs, cela fait environ 100 millions par année. Alors, je me demande comment financer une telle somme ? Vous savez probablement que les consommateurs d'eau paient une taxe qui sert à régler les frais de l'épuration des eaux usées. Cela est parfaitement légitime. L'eau qui nous est livrée est potable, et nous la renvoyons usée. Par conséquent, il est juste que nous payons les frais nécessaires à la purification de cette eau, afin qu'elle redevienne potable. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute.
Mais vous allez beaucoup plus loin, car vous nous proposez une mesure d'aménagement du territoire qui n'a pas, contrairement à ce que vous dites, de conséquences directes sur la purification de l'eau, car la pollution de quelques-unes de nos rivières ne vient pas de nos propres déchets, mais de ce que les gens situés en amont ont rejeté, sur lesquels vous n'avez aucun pouvoir, car vous n'irez pas prélever chez eux des taxes sur le pompage.
Ce projet de loi, que je considère comme un projet d'aménagement du territoire, doit être payé comme tel, soit par l'impôt, car ceux qui consomment l'eau sont déjà suffisamment taxés.
Je vous conseille, Mesdames et Messieurs les députés, de prévoir dans les travaux de la commission que si nous dépensons 100 millions par année pour ce travail, nous augmenterons l'impôt de 7 centimes additionnels supplémentaires par année, pendant dix ans, afin de couvrir les frais entraînés par ce travail.
En effet, il faut savoir que, premièrement, l'élément eau est indispensable à notre survie, ensuite à l'agriculture, et puis à l'industrie. Je vous prie de croire que certaines industries du secteur secondaire consomment énormément d'eau.
Or, ces temps, on entend dire que l'Etat doit venir au secours du secteur secondaire en difficulté. Pourquoi ce secteur a-t-il des difficultés ? Parce que nous sommes dans un pays qui produit cher. Aujourd'hui, après avoir pleuré pour que l'on aide ces entreprises, vous voulez les taxer sur l'utilisation de l'eau pour les rendre encore moins concurrentielles, ceci sans compter l'agriculture qui vous intéresse peu. D'ailleurs, si les salades produites à Genève sont trop coûteuses, vous irez les acheter à Ambilly ou à Thoiry; voilà bien votre politique !
Je conseille vivement à la commission qui sera chargée de ce projet de loi de l'étudier avec attention, de le rendre plus modeste et de trouver des sources de financement qui ne contribuent pas à la destruction du milieu économique et agricole. Faute de quoi, je vous avise ici, puisque M. Lescaze y a fait allusion tout à l'heure, que le comité référendaire est en voie de constitution. Comprenne qui pourra !
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. En juin 1993, a été publié dans le cadre des cahiers de la santé un document intitulé : «Rivières et lac, la santé des eaux genevoises». A l'époque, ce document a été publié sous la responsabilité du département de la santé et de la prévoyance sociale, puisqu'à ce moment-là le service de l'écotoxicologue cantonal y était encore rattaché. Quelques mois après, en septembre 1993, un autre cahier était publié : «La santé de l'environnement genevois». Personne n'a contesté ces documents. Ils présentaient une radiographie de la situation dans notre canton et laissaient bien entendre - les choses me semblaient claires - que nous ne pouvions nous contenter d'un constat, mais que ce constat devait précéder une action.
Lorsque, au début de cette législature, je me suis vu confier la responsabilité de l'environnement dans notre canton, il me paraissait être dans l'ordre des choses de poursuivre ce qui avait été engagé. Or, cela m'a conduit à faire un relevé précis de l'état des rivières. Alors, j'ai demandé à mes collaborateurs de mettre à jour cette fameuse radiographie, pour - en effet, Monsieur Blanc - idéaliser, en quelque sorte, la situation et prendre ensuite des décisions dans les meilleures conditions.
En idéalisant la situation et en dégageant des chiffres qui demandent à être précisés, nous sommes arrivés à un total de dépenses - y compris la station d'Aïre qui représente une pièce majeure de ce programme - d'environ 300 à 350 millions concernant l'assainissement des rivières. Mais nous savions bien que nous ne pouvions pas éviter de répondre à ceux qui avaient posé des questions concernant la nature. Il était donc dans l'ordre des choses de passer au programme dit «de renaturation».
Chacun a sa sensibilité sur ce sujet, mais, dans le fonctionnement de nos institutions, certaines choses doivent être respectées. C'est pourquoi nous avons évalué une nouvelle somme s'élevant à environ 600 millions pour les dépenses liées aux travaux d'aménagement, d'où les chiffres articulés de 900 à 950 millions.
J'ai pris la responsabilité de dire que, dans dix ans, nous aurions sauvé nos rivières. Au mois de novembre dernier, j'ai présenté ce constat dans le but d'ouvrir un débat, de manière que nous puissions prendre les bonnes décisions à partir de l'estimation que nous avions faite.
Toutefois, Mesdames et Messieurs les députés, si vous jugez que ce programme est trop ambitieux, vous aurez tout le loisir de réduire les dépenses. Si vous considérez que cette période de dix ans est trop courte, vous n'aurez qu'à la prolonger de deux ou de cinq ans, voire plus.
Par contre, nous n'avons pas le droit de banaliser ni de refuser de traiter les problèmes. Je ne vous cache pas ma lassitude en entendant certaines déclarations sur ce qu'il faudrait faire et tout de suite, sans évaluer les conséquences financières. Je n'ai pas articulé ces chiffres pour provoquer un découragement, mais simplement pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions.
Lorsqu'on nous a annoncé la présentation d'un projet de loi, j'ai été plutôt agacé par cette démarche, car les auteurs savaient très bien que nous étions dans une phase de dialogue. Ils ont décidé d'accélérer le processus et de rédiger ce projet de loi. Or, s'ils ne l'avaient pas fait, je me demande, de manière objective, à quel moment nous aurions pu avoir ce débat au Grand Conseil.
Compte tenu des engagements du Conseil d'Etat dans le domaine de l'environnement au début de la législature, nous devons parler de ces choses avant la fin de la législature. Si l'on prend des engagements et que l'on signe des contrats, on doit reprendre ses engagements sur tous les points. Je ne saurais minimiser un point sur lequel nos sensibilités ne sont pas exactement les mêmes dans ce parlement. Pour cela, je souhaitais un dialogue.
En effet, le projet de loi contient un certain nombre d'inconvénients majeurs, voire des propositions tout à fait inacceptables. Tout à l'heure, Monsieur Lescaze, vous avez évoqué les réactions de certains milieux économiques. Voyez-vous le document de la Chambre de commerce et de l'industrie, auquel vous vous référez, n'est pas un document qui a été étudié et présenté spontanément; il a été préparé à mon intention, en réponse à ma demande. Compte tenu de cette situation difficile, j'ai voulu un dialogue constant avec les milieux économiques pour que l'on puisse voir comment le couple économie-environnement pouvait fonctionner.
Nous ne pouvons pas continuer à opposer systématiquement tous les projets environnementaux à l'économie sous prétexte qu'ils représentent une charge pour cette dernière. D'ailleurs, cette idée est fausse si l'on connaît la situation au plan international ou au plan européen. En effet, si vous lisiez ce petit bouquin : «Politique de l'environnement en Allemagne», vous verriez comment l'Allemagne, à travers une politique environnementale ambitieuse, a su dynamiser ses activités économiques. Ces choses doivent être étudiées sereinement. Il me déplairait que nous ayons des a priori et que nous rejetions, sans autre, ce type de proposition.
J'ai eu l'occasion de dire, depuis que le projet de loi a été présenté, que je n'ai jamais imaginé, au moment où on lançait le dialogue sur le projet «Dix ans pour sauver nos rivières», que nous allions frapper ceux-là mêmes dont nous attendons qu'ils favorisent l'emploi et soutenir d'éventuelles délocalisations d'entreprise. On a raison d'en tenir compte. J'ai dit très clairement au président de la Chambre genevoise d'agriculture qu'il n'était pas question que les agriculteurs soient touchés par cette taxe.
Une voix. C'est le projet de loi !
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Oui, c'est le projet de loi, mais je me réfère à ce que j'ai dit, et je l'assume !
D'ailleurs, vous avez entendu, tout à l'heure, les auteurs du projet de loi dire leur ouverture au dialogue. Lorsque je leur ai demandé d'où ils avaient sorti cette idée des 80 centimes, ils m'ont répondu l'avoir trouvée dans mon projet. La seule différence est que, lorsque j'ai parlé de cette taxe de 80 centimes comme une nécessité pour couvrir le montant des dépenses prévues dans mon projet, j'ai envisagé que si nous options pour ce système l'augmentation soit progressive.
Je souhaite que ce projet de loi contribue à alimenter l'indispensable dialogue que nous devons avoir et je me permets d'insister pour que vous l'étudiez en tenant compte de ce que je vous ai dit tout à l'heure. Le domaine de l'environnement est aujourd'hui un des secteurs les plus porteurs en termes d'économie et d'emplois.
Le projet «Dix ans pour sauver nos rivières» est peut-être excessif, mais, lorsque vous le regardez de près, vous vous rendez compte qu'il est générateur d'emplois pour les entreprises genevoises. Je vous le démontrerai en commission, car j'ai demandé une étude économique. Tout à l'heure, je me référais à l'Allemagne qui n'est pas un pays à économie faible, mais bien la première puissance industrielle européenne et la troisième puissance industrielle mondiale. Ces gens-là ne sont pas inconscients lorsqu'ils suggèrent des plans. Puissions-nous prendre conscience de cela et rétablir le dialogue !
Faisons-le pour Genève. Soyons cohérents, car on ne peut pas courir à travers le monde, proposer aux gens de venir à Genève pour parler des problèmes de l'environnement au plan mondial, et rejeter l'idée d'un dialogue constructif sur ce thème. Si nous ne sommes pas capables d'en parler, il vaut mieux alors que les acteurs de ces sujets les débattent ailleurs qu'à Genève ! (Bravos et applaudissements.)
Ce projet est renvoyé à la commission de l'environnement et de l'agriculture.