Séance du vendredi 26 avril 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 6e session - 15e séance

PL 7438
7. Projet de loi de Mmes et MM. Roger Beer, Christine Sayegh, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Pierre-François Unger, Christian Ferrazino, Marie-Françoise de Tassigny et Michel Halpérin modifiant la loi de procédure civile (droit de l'enfant à être entendu) (E 2 3). ( )PL7438

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi de procédure civile, du 10 avril 1987, est modifiée comme suit:

Art. 364, al. 3 (nouveau, les al. 3 et 4 anciens devenant les al. 4 et 5)

3 L'article 389 A est applicable.

Art. 389 A (nouveau)

Ecoute des enfants

1 Lorsqu'il l'estime nécessaire, le juge peut entendre les enfants communs des époux, le cas échéant avec le concours d'un spécialiste, en relation avec les questions de l'attribution de l'autorité parentale et de la garde, ainsi que du droit de visite.

2 L'audition a lieu hors la présence des parties et de leurs avocats.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les droits de l'enfant sont à l'ordre du jour. De nombreuses conférences et manifestations sont consacrées à ce sujet. Cent quatre-vingt-sept Etats sur 192 ont à ce jour ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, du 20 novembre 1989. La Suisse fait partie de ceux qui hésitent, la question est toutefois agendée aux Chambres fédérales.

A teneur de l'article 12 de la Convention, l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant (alinéa 1); dans les procédures judiciaires et administratives, il doit avoir «la possibilité d'être entendu» (alinéa 2). Si les procédures pénales touchant des mineurs (auteurs ou victimes d'infractions) et les procédures tutélaires ne posent pas de problèmes particuliers, il n'en va pas de même dans d'autres domaines où les solutions varient selon les législations cantonales. Il faut souligner que, de manière générale, le droit de procédure relève de la compétence des cantons. Le Tribunal fédéral l'a confirmé encore récemment (ATF 120 IV 217 ss.).

L'audition des enfants par le juge, dans le cadre notamment des procédures de divorce, séparation de corps ou mesures protectrices de l'union conjugale, est permise, à défaut d'être expressément prévue par les lois de procédure civile des cantons de Zurich, Bâle-Ville, Berne, Neuchâtel, Valais et Vaud. A Genève, l'article 225 LPC prohibe l'audition des descendants dans ce type de litige ainsi que dans «les instances en retrait de l'autorité parentale et dans les questions d'état des personnes». Cette interdiction est expliquée par le souci d'éviter à l'enfant les problèmes psychologiques que pourrait provoquer une comparution en justice et, surtout, le dilemme d'avoir à choisir, s'agissant de l'attribution de la garde par exemple, entre ses deux parents (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile, ad article 225, chiffre 5).

L'on peut se demander si cette position de principe n'est pas trop absolue. En cas de ratification par la Suisse de la Convention du 20 novembre 1989, elle sera difficilement compatible avec l'article 12 cité plus haut. Il n'est a priori pas évident d'établir pourquoi l'audition, par un juge d'instruction, d'un enfant victime d'abus sexuels de la part de ses père ou mère, est possible sans restriction sur le plan des textes légaux (articles 44 et 45 CPP), alors qu'il est interdit au juge du divorce de donner suite à la demande d'un adolescent qui voudrait donner son point de vue concernant les modalités du droit de visite.

Le même raisonnement s'impose, a fortiori, lorsqu'on compare les compétences respectives du juge du divorce et du juge de la Chambre des tutelles. Ce dernier est en effet libre d'entendre les mineurs dans les dossiers dont il a la charge, y compris dans les procédures post-divorce. Cette compétence revient aussi aux juges de la Cour de justice statuant en qualité d'autorité cantonale de surveillance de l'autorité tutélaire (article 35 LOJ).

Il est des cas où l'audition de l'enfant par le juge du divorce, de la séparation de corps ou des mesures protectrices de l'union conjugale, pourrait s'avérer nécessaire ou du moins opportune. Les parents pourraient souhaiter que leur enfant s'exprime directement et non pas par l'intermédiaire d'un organisme social. L'enfant lui-même pourrait solliciter son audition. Enfin, le juge pourrait constater qu'il existe entre les parents (ou l'un deux) et l'enfant un conflit d'intérêts qui justifie l'audition de ce dernier, mais non pas nécessairement la désignation d'un curateur, qui constitue, à l'heure actuelle, la seule solution légale possible.

Le présent projet de loi ne vise pas à renverser la situation actuelle. Il se limite à proposer une modification de la procédure en ce qui concerne les causes liées au statut matrimonial ou post-matrimonial des parents. L'idée de fond est de donner au juge du divorce, de la séparation de corps ou des mesures protectrices de l'union conjugale, la faculté et non pas l'obligation d'entendre l'enfant, lorsque cet acte d'instruction lui paraît indiqué au vu des particularités du cas. Les compétences du service de protection de la jeunesse restent intactes.

En raison de la fragilité de l'enfant, qui peut être l'enjeu principal de la procédure qui oppose les parents, et du conflit de loyauté auquel il peut être confronté, il s'impose en revanche de prévoir des règles particulières concernant son audition. L'enfant doit pouvoir s'exprimer hors de la présence de ses père et mère et de leurs avocats. Le juge choisira librement l'endroit où l'audition doit avoir lieu. Enfin, le juge doit avoir la possibilité de se faire assister par un spécialiste qui peut être un psychologue, un représentant du service de protection de la jeunesse, voire un autre juge plus expérimenté.

On est en droit d'espérer que, l'audition des enfants étant désormais possible, avec les cautèles préconisées, la loi contribue à une meilleure acceptation des décisions de justice et des suites d'un divorce de la part des enfants. En ce sens, elle participerait à la promotion de l'intérêt des enfants à moyen et à long terme.

Commentaire des modifications proposées

Article 364 LPC

Les mesures protectrices de l'union conjugale étant régies par des règles de procédure assez différentes de celles relatives au divorce et à la séparation de corps, il se justifie de faire un renvoi exprès au nouvel article 389 A LPC

Articles 389 A LPC (nouveau)

Ad chiffre 1. Cette disposition indique clairement que l'audition d'un enfant ne saurait être imposée au juge, lequel n'a pas à justifier sa décision, négative ou positive. Seuls les enfants communs des époux sont concernés, à l'exclusion des enfants issus d'un autre mariage ou nés hors mariage. Cela s'explique par le fait que l'époux qui n'est pas le père ou la mère n'a juridiquement pas la possibilité d'obtenir ne fût-ce qu'un droit de visite sur l'enfant de son conjoint dont il (elle) veut divorcer ou se séparer. Les cas d'adoption ou de reconnaissance d'un tel enfant sont, bien entendu, réservés. N'est pas résolue par le présent projet de loi la question - qui ne relève pas de la procédure civile - de la rétribution du spécialiste ainsi mis en oeuvre. Lorsque l'un et/ou l'autre des parents bénéficie(nt) de l'assistance juridique, cette rétribution pourrait être prise en charge par l'Etat.

Ad chiffre 2. L'un des piliers du débat judiciaire - civil ou pénal - est le principe du contradictoire. Le nouvel article introduit une exception à ce principe. Celle-ci paraît cependant justifiée par l'intérêt de l'enfant qui devrait ainsi échapper, dans une large mesure, au conflit de loyauté, si souvent invoqué pour le priver de parole, envers ses parents. Comme indiqué plus haut, le juge qui décide d'entendre un enfant doit être libre de choisir le lieu le plus adéquat à cet effet, ce que cette disposition permet implicitement.

Préconsultation

M. Roger Beer (R). Ce projet de loi permettra au juge d'auditionner des enfants dans les procédures de divorce. Pour l'instant, cette possibilité existe sur le plan de la procédure pénale uniquement, par exemple lorsqu'un juge d'instruction veut auditionner un enfant victime d'abus sexuels. Cette possibilité n'existe pas pour la procédure civile.

Etant donné la fragilité de l'enfant, liée à de telles situations, nous avons prévu que, lors des auditions, le juge puisse se faire assister d'un psychologue ou d'un représentant du service de protection de la jeunesse, voire même d'un autre juge plus expérimenté. Toutefois, une question reste en demeure concernant l'âge de l'enfant devant être auditionné par le juge qui, seul, décide d'agir en ce sens.

Ce projet de loi a été élaboré avec des spécialistes travaillant dans le cadre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, du 20 novembre 1989. La Suisse n'a pas encore ratifié cette convention, mais on peut imaginer qu'elle le fera un jour ou l'autre. Toutefois, un certain nombre de cantons suisses admettent la possibilité d'auditionner des enfants dans les procédures de divorce.

Enfin, il serait nécessaire qu'en commission les discussions soient menées sur un mode juridique. Je demande aux membres de la commission qui étudieront ce projet de loi d'auditionner ceux qui ont travaillé à son élaboration, soit les représentants du Bureau central d'aide sociale ou les représentants du droit international de l'enfant. Je vous remercie d'accueillir favorablement ce projet de loi.

Mme Christine Sayegh (S). En complément à ce que vient de dire mon préopinant, j'ajoute que ce projet de loi s'inscrit dans l'évolution du droit des mineurs qui tend à protéger l'enfant, non plus comme un objet de droit, irresponsable au sens du droit civil, mais comme un sujet de droit.

Nous ne sommes plus à l'époque où l'enfant devait à ses parents la révérence naturelle, en confirmation du lien légitime d'obéissance. Ceci a été confirmé en 1985 par la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant adopté. Toutefois, cette convention n'est toujours pas ratifiée par la Suisse. La protection des mineurs leur garantit une nationalité, un nom, un droit à l'éducation, à la liberté d'expression et de pensée, et, surtout, un droit à maintenir des contacts avec leurs deux parents.

Dans le cadre du droit de la famille, et, plus particulièrement, lorsque les parents se séparent, il appartient au juge de décider, selon la maxime d'office, de l'attribution de la garde de l'enfant. Lorsque le conflit conjugal est très aigu et que le litige porte sur l'attribution de l'enfant, que ce dernier devient l'enjeu de la procédure, par confusion de sentiment - et c'est malheureusement plus souvent le cas qu'on ne le pense - le juge doit pouvoir s'entretenir avec l'enfant en toute garantie d'objectivité.

Aujourd'hui, il est essentiel de donner au juge, s'il l'estime nécessaire, cette faculté d'entendre l'enfant. Il est important d'entendre un mineur avant de se prononcer sur les questions qui le concernent, et ce projet de loi offre cette possibilité. Par conséquent, je vous prie de lui faire bon accueil et de le renvoyer à la commission judiciaire.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Ce dont nous parlons pourrait être un phénomène social assez banal s'il n'était pas une expérience singulièrement douloureuse. De plus, il y a fort à parier que l'opportunité d'entendre l'enfant concerné surviendra dans les cas de séparation les plus conflictuels.

Du point de vue juridique, premièrement, cette proposition de projet de loi nous met en conformité avec la Convention des droits de l'enfant en ce qui concerne son droit à être entendu sur toute question l'intéressant. Or, dans notre pays, nous avons tendance à ratifier les conventions internationales après avoir adapté notre législature nationale.

Deuxièmement, ce projet de loi rend les pratiques judiciaires cohérentes, puisque, dans notre droit, les enfants peuvent déjà être entendus par le juge de la Chambre des tutelles en ce qui concerne les atteintes à leur personne.

A notre époque, les enfants, et même les bébés, sont considérés comme des personnes. Leur situation de dépendance n'en fait pas des demi-portions dans la dynamique familiale. A l'évidence, l'enfant est concerné par la séparation de ses parents. Donner la possibilité au juge d'entendre l'enfant ou l'adolescent, autrement que par l'intermédiaire de la tutelle, permet à ce dernier d'être reconnu autrement que dans le discours de ses parents, soit avec une personnalité propre et une compétence.

D'un point de vue social, on se réjouit qu'un enfant qui, par certains aspects, est lui-même parent de ses parents en crise et otage de leurs différents investissements affectifs soit rencontré et entendu comme une personne à part entière.

Mais la chose n'est pas simple. Il ne s'agit pas d'ajouter du drame au drame ni de charger l'enfant de responsabilités que d'autres seraient incapables de prendre ni de lui faire porter la responsabilité de la décision ou de l'engager dans un conflit de loyauté et de le contraindre à parler.

C'est pourquoi, le présent projet de loi prévoit certaines cautèles concernant l'audition des enfants. D'abord, le juge seul est responsable de l'opportunité de l'audition. Ensuite, le juge peut se faire assister d'un professionnel apte à faciliter la rencontre. Finalement, l'enfant doit pouvoir s'exprimer hors de la présence de ses parents et de leurs avocats.

La question du procès-verbal de cette audition devra être examinée par la commission judiciaire. Si les juristes sont attachés au principe de l'instruction contradictoire, l'existence d'un procès-verbal vide de son sens la tentative fondamentale d'établir un lien de confiance et de dialogue avec l'enfant.

Le risque existe que les enfants s'interdisent eux-mêmes de parler, comme dans les situations de maltraitance, lors d'auditions avec les parents qui se séparent, s'ils estiment pouvoir faire l'économie psychologique de souffrances supplémentaires en se taisant.

Ce projet de loi est suscité par la section suisse de Défense des Enfants - International et s'appuie, comme on l'a déjà dit, sur la Convention des droits de l'enfant. Cette dernière n'existe pas seulement pour que les autres se comportent enfin en personnes civilisées, mais elle nous met face à une transformation culturelle importante. Il s'agit du passage d'une pratique qui voulait que l'on protège l'enfant, que l'on agisse dans son intérêt, à une autre qui nous impose de respecter et de faire respecter les droits de l'enfant. D'ailleurs, la «culture des droits de...» est une tendance générale. Les droits des patients en sont un exemple.

Cette ouverture, bienvenue, freinera les abus dans tous les domaines. Toutefois, elle risque de provoquer une sorte de déresponsabilisation des adultes et de l'autorité.

L'enfant va être entendu, alors que lui-même et ses parents se trouvent dans une période de souffrances.

Le large appui politique apporté à ce projet de loi témoigne du sérieux non polémique accordé à cette proposition. Mais il convient que ce projet de loi s'inscrive comme un droit et en aucun cas comme une issue de secours à une déresponsabilisation. La commission judiciaire aura pour tâche de choisir les termes législatifs adéquats pour déterminer, non seulement à l'égard des juges mais aussi à l'égard des parties à la procédure, qu'il ne s'agit pas d'un transfert de responsabilités.

M. Claude Lacour (L). Je désire mettre un bémol au concert de louanges qui accompagne cette loi. Les praticiens ont tous eu l'occasion, non pas en Suisse mais dans les pays avoisinants, d'assister à des auditions d'enfants faites par des juges. Celles-ci se déroulaient dans des conditions aussi confortables que possible, avec toutes les précautions dont nous venons de parler. Malheureusement, il arrivait toujours que, à tort ou à raison, l'enfant avait l'impression de devoir choisir entre ses parents, et cela causait des traumatismes d'une violence incroyable.

J'entends encore des personnes qui, trente ou quarante ans après, me disent :  «Mais vous vous rendez compte, on m'a demandé de choisir entre mes parents !». Pour ma part, je pense que l'audition des enfants, en tout cas en ce qui concerne le droit parental et le droit de visite, est une erreur grave qu'il faut absolument éviter.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je n'allongerai pas le débat étant donné qu'il s'agit d'un renvoi en commission. En guise de préambule, je dirai que ce soir, dans la première heure de cette session, vous aurez l'occasion de vous prononcer sur des projets de lois qui, tous, sont conçus en vue d'une amélioration du fonctionnement de la justice. Certains émanent du Palais, d'autres de mon département, tandis que d'autres encore viennent de vous, Mesdames et Messieurs les députés.

Je tiens donc à vous remercier très sincèrement de participer à l'amélioration de la justice genevoise, et je rends hommage au travail extrêmement efficace conduit actuellement par la commission judiciaire.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.