Séance du
vendredi 29 mars 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
5e
session -
11e
séance
R 309
EXPOSÉ DES MOTIFS
La Chine est confrontée de longue date au problème de maîtrise de sa démographie, enjeu dont l'importance n'est pas contestable.
Sur le plan de la politique extérieure, cette nation s'est progressivement ouverte au reste du monde pour s'associer, enfin, à la concertation internationale.
Rappelons, pour mémoire, que la Chine a tenu à accueillir la Conférence internationale des femmes, ce qui n'a pas manqué de donner lieu à des contestations, vu sa politique en matière de respect des Droits de l'homme.
Une enquête récente, diffusée par la TSR sous l'intitulé «Les dortoirs de la mort», a éclairé d'une manière cruelle le sort des enfants en bas âge placés dans les orphelinats de l'Etat chinois.
Résultante conjuguée de la politique nationale de l'enfant unique - qui a entraîné l'abandon massif des enfants surnuméraires - et de la préférence traditionnelle des Chinois pour les garçons, l'Etat a vu placée sous sa responsabilité une foule d'enfants rejetés, majoritairement des filles, et des garçons handicapés.
Mais n'a-t-il pas lui-même accepté d'accorder des dérogations à la norme de l'enfant unique «lorsque le premier né est une fille ou un enfant handicapé» ?
L'enquête illustre par différents moyens (images prises sur le vif, témoignages et documents photographiques) l'état d'abandon physique, mental et affectif auquel sont livrés les nourrissons, qui se solde, dans toutes les régions du pays, par une mortalité proche de 90% des enfants admis.
Pire encore, une fraction des enfants, choisie par le personnel selon des critères arbitraires, est délibérément vouée à la mort. Les enfants sont dénudés, immobilisés, dénutris et déshydratés jusqu'à ce que mort s'ensuive, avec ou sans recours à des sédatifs ou des analgésiques.
Après l'éveil des consciences aux réalités des orphelinats de Roumanie et d'autres dictatures, il faut admettre qu'un pas supplémentaire est franchi dans l'horreur, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un simple problème de négligence indifférente ou d'insuffisances budgétaires mais de la mie en oeuvre d'une application particulière de la politique démographique du gouvernement.
Si les proposantes nourrissent quelque espoir de prise en considération de la présente résolution, c'est que les autorités chinoises - pour maladroites qu'aient été leurs réactions - se sont montrées réceptives aux conséquences que pourrait engendrer la diffusion de cette enquête. Ces manifestations sont une porte ouverte au dialogue.
Forte de sa vocation humanitaire et des trésors d'expérience des organisations d'entraide helvétiques, la Confédération est en mesure d'exprimer , tout à la fois, la ferme exigence d'un arrêt des exterminations et des sévices, et l'offre immédiate d'une coopération efficace pour donner un sort d'humanité acceptable aux enfants abandonnés et orphelins, qui meurent présentement dans les institutions du gouvernement chinois.
Ce faisant, le Conseil fédéral voudra bien communiquer à ses interlocuteurs que la Suisse ne sous-estime pas l'importance des objectifs démographiques que la Chine a dû se fixer, ni l'incidence des pesanteurs sociologiques, qui amènent les familles à abandonner les petites filles et les enfants handicapés.
L'autorité fédérale voudra bien examiner la possibilité d'allouer un crédit humanitaire pour accompagner son offre de bons offices.
Débat
Mme Alexandra Gobet (S). Dans quelques semaines, à Genève, la Chine sera en point de mire de la commission des droits de l'enfant de l'ONU.
La Chine a signé et ratifié, en 1992, la Convention sur les droits de l'enfant. Encore faudrait-il que cet engagement se traduise en actes d'humanité.
Après que l'émission «Temps présent» eut projeté une lumière crue sur la politique d'extermination des enfants abandonnés et orphelins de ce pays, nous ne pouvions pas rester sans voix, baisser pudiquement les yeux et oublier.
Aujourd'hui, nous soumettons au Grand Conseil une résolution assortie d'une double demande au Conseil fédéral. Il faut directement intervenir auprès du gouvernement chinois, mais pas avec une condamnation monolithique, stérile et sans appel. Il faut intervenir pour que la Chine prenne, elle-même, toutes les mesures nécessaires pour que cessent les mauvais traitements qu'elle a tolérés.
Parallèlement à cette démarche diplomatique, la Suisse peut et doit engager une action humanitaire et logistique, concrète et immédiate, pour aider la Chine à résoudre ses problèmes bien réels. A notre sens, un crédit humanitaire devrait accompagner notre offre de bons offices.
Pour être complète, je dois vous dire que cette résolution ne devrait pas être renvoyée à Berne sans les six cent cinquante-cinq signatures recueillies par les élèves de septième année du cycle de Budé. Ils nous les ont transmises pour que nous les joignions à la résolution. A Lausanne est constituée, ce soir même, l'association humanitaire Mei-Ming qui s'apprête à se rendre sur place. A Genève, à Marchissy, au Mont-sur-Lausanne, à La Tour-de-Peilz, à Gruyères, à Neuchâtel, ailleurs encore, des centaines de citoyens se mobilisent pour soulager le sort des orphelins chinois et nous font part de leurs initiatives. Pas moins de quatorze textes de pétitions et d'actions sont parvenus à la connaissance de l'association Mei-Ming.
Nous, parlementaires, devons prendre le relais de la population qui nous a élus. C'est pourquoi nous vous demandons, Mme Sayegh et moi, d'adopter cette résolution.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
Orphelinats d'Etat en Chine: pour en finir avec une mortalité institutionnelle
LE GRAND CONSEIL,
- considérant l'importance de la coopération internationale pour l'amélioration des conditions de vie des enfants dans tous les pays, en particulier dans les pays en développement;
- considérant que la Confédération a signé la Convention relative aux droits de l'enfant, du 20 novembre 1989;
- considérant la valeur de symbole qu'il convient d'accorder à l'accueil récent par la Chine de la Conférence internationale des femmes;
- vu la teneur de l'enquête «Les dortoirs de la mort», établissant par reportage direct, témoignages et documents photographiques le recours systématique, dans les orphelinats d'Etat en Chine, à des procédés de mise à mort et de sévices incompatibles avec le respect des droits humains les plus élémentaires (TSR, Temps présent, «Les dortoirs de la mort», diffusion des 18 et 23 janvier 1996);
- vu la sensibilité marquée par les autorités chinoises à la diffusion de l'enquête précitée;
- vu la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Déclaration des droits de l'enfant, du 20 novembre 1959, et tous autres actes internationaux d'application;
- tenant dûment compte de l'importance des problèmes démographiques en Chine et de l'incidence des traditions culturelles en la matière;
demande au Conseil fédéral
- d'intervenir immédiatement auprès des autorités chinoises afin qu'elles prennent sans délai toutes mesures politiques, humaines et budgétaires nécessaires pour mettre fin aux mauvais traitements et à la mortalité institutionnelle dont sont victimes les enfants des orphelinats d'Etat;
- de proposer ses bons offices pour la recherche de solutions humanitairement acceptables au problème des enfants abandonnés à la responsabilité de l'Etat chinois;
- d'examiner, dans ce contexte, la possibilité de mettre en oeuvre, dans un laps de temps inhabituellement court, une ou plusieurs organisation(s) humanitaire(s) suisse(s) reconnue(s) par la Chine.