Séance du
jeudi 28 mars 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
5e
session -
10e
séance
No 10/II
Jeudi 28 mars 1996,
nuit
Présidence :
M. Jean-Luc Ducret,président
puis
. .
première vice-présidente
La séance est ouverte à 21 h 30.
Assistent à la séance : MM. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat, Jean-Philippe Maitre, Claude Haegi, Olivier Vodoz, Gérard Ramseyer et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat.
1. Exhortation.
Le président donne lecture de l'exhortation.
2. Personnes excusées.
Le Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : M. Philippe Joye, conseiller d'Etat, ainsi que M. et Mmes Claire Chalut, Anne Chevalley, Laurette Dupuis et Luc Gilly, députés.
3. Annonces et dépôts:
a) de projets de lois;
Néant.
b) de propositions de motions;
Néant.
c) de propositions de résolutions;
Néant.
d) de demandes d'interpellations;
Le président. Les interpellations suivantes sont parvenues à la présidence :
Cosignataires : Pierre-François Unger, Henri Duvillard, Luc Barthassat, Philippe Schaller, Jean Opériol.
Cosignataires : Fabienne Bugnon, Vesca Olsommer, Marie-Françoise de Tassigny, Sylvia Leuenberger, Chaïm Nissim.
Cosignataires : Dominique Hausser, Sylvie Châtelain, Liliane Charrière Urben, Alexandra Gobet, Nicole Castioni-Jaquet.
Elles figureront à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
e) de questions écrites.
Néant.
4. Deuxième rapport de la commission de la santé chargée d'étudier :
En date du 22 juin 1995, le Grand Conseil, en séance plénière, décidait de renvoyer en commission le projet de loi 7252, complétant l'étude de la pétition 999, pour un nouvel examen et une refonte éventuelle.
Nous ne reviendrons pas sur la pétition 999, dont ce Grand Conseil avait, le même jour, décidé le dépôt sur le bureau à titre de renseignement. Nous renvoyons, pour tous détails, à notre rapport d'alors et au Mémorial no 30, du 22 juin 1995 (nuit), pour ce qui concerne les débats y ayant trait.
Rappelons simplement qu'il s'agissait d'un problème d'éthique pure et qu'un doute subsistait, à savoir s'il était vraiment idoine de légiférer sur ce point délicat, et, dans l'affirmative, de revoir le texte de loi proposé par la commission, qui paraissait peu clair et trop compliqué, pouvant conduire à des interprétations erronées.
Lors de ses séances des 24 novembre et 8 décembre 1995, la commission de la santé, sous la présidence de M. Andreas Saurer, président, a repris le problème à la base et l'a remis sur le métier. La discussion a porté tout d'abord (et à nouveau) sur le fait de légiférer ou non en ce domaine sensible de l'assistance en fin de vie et de l'éventuel acharnement thérapeutique. Après une discussion nourrie où les diverses sensibilités de chacun ont pu s'extérioriser, une majorité s'est dessinée en faveur d'un article de loi complétant la loi K 1 30, toutefois moins nettement que le 3 mars 1995. Au vote de principe, la décision de légiférer tout de même a été prise par 8 voix pour, 3 contre et 2 abstentions.
La suite des débats devait amener la commission à trouver un texte de base: nous avions à disposition l'énoncé proposé par le professeur Olivier Guillod, professeur à la faculté de droit de l'université de Neuchâtel et directeur de l'Institut du droit de la santé (annexe no 1) qui avait l'avantage d'être clair et concis et qui avait déjà servi de base à notre précédente discussion ayant abouti au projet de loi 7252. En outre, le président ayant mentionné le projet de M. Dominique Sprumont, également enseignant à l'Institut du droit de la santé de l'université de Neuchâtel (fax du 20 juin 1995 à la commisison, annexe no 2), celui-ci fut écarté car encore plus obscur et complexe que le premier projet de la commission.
Finalement, cette dernière se rallia à l'unanimité au fait de prendre le projet de M. Guillod comme base de travail définitive. Le débat se centra alors autour de ce dernier texte et donna lieu à une discussion nourrie et d'une haute tenue. Vu la jurisprudence actuelle, il ne parut pas possible de subordonner la volonté du patient à celle des proches et du médecin traitant. On arrive à la conclusion que l'avis du patient devait être rédigé et que s'il ne l'était pas, c'était l'éthique et la déontologie des professionnels qui tranchaient. Les directives écrites du patient décideraient en dernier ressort. L'euthanasie active ne serait pas concernée par ces directives anticipées car celle-ci est considérée comme un homicide volontaire par les articles 111 et suivants du CPS. Après un long débat sur les termes d'euthanasie passive et active, la commission hésitait à rajouter au texte de M. Guillod le fait que ces dispositions sont édictées en fonction de la législation actuelle et de la déontologie des professionnels de la santé. Cette adjonction parut finalement superfétatoire et fut abandonnée.
La discussion porta ensuite sur le fait que l'on ne peut résoudre tous les problèmes avec un texte de ce genre et que des zones grises subsisteraient toujours, impossibles à éliminer par une loi mais qu'un tel énoncé serait finalement d'un grand appui pour les jeunes médecins-assistants des hôpitaux, qui doivent pouvoir se baser sur quelque chose.
Finalement, tous les commissaires furent d'accord, une fois de plus, qu'il ne s'agissait pas d'un problème politique mais purement éthique. On apprend alors, de la bouche de M. Rodrik, qu'une commission d'éthique clinique est en train de se mettre en place mais qui serait plutôt destinée aux soignants qu'aux familles des patients (ces dernières pourraient y avoir recours par l'intermédiaire des médecins). Il y a donc un problème d'information, tout autant auprès des soignants que des patients, qu'il serait nécessaire d'approfondir.
La commission s'est alors penchée de plus près sur le texte du professeur Guillod, qui parut finalement le plus clair, le plus simple et le moins contraignant. Après plusieurs tentatives de modifications, la commission se rallia enfin à ce dernier, avec un seul amendement de M. de Tolédo, qui consistait à remplacer le terme «suivies» par «respectées».
Finalement, la commission accepta le texte suivant, qui viendrait s'intercaler entre les alinéas 2 et 3 de l'article 5 de la loi K 1 30:
«Les directives anticipées rédigées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives.»
Cela par 13 voix pour, 1 contre (L) et 1 abstention (L).
Bien entendu, tout en tenant compte des réserves concernant la déontologie, telles qu'elles ont été exprimées dans le présent rapport.
La commission, après ce gros travail, vous demande, en votre âme et conscience, de bien vouloir accepter ce projet de loi, mettant ainsi un terme à une équivoque qui n'a déjà que trop duré, sachant bien que tous les cas sont des cas d'espèce et que les zones dites grises subsisteront toujours.
Annexes: 1. Lettre du professeur Guillod.
2. Lettre du professeur D. Sprumont.
ANNEXE 1
ANNEXE 2
Premier débat
M. Henri Gougler (L), rapporteur. Tout d'abord, je désire apporter une correction à la page 2 de mon rapport. Je cite : «On apprend alors, de la bouche de M. Rodrik, qu'une commission d'éthique clinique est en train de se mettre en place, mais qui serait plutôt destinée aux soignants...». D'après M. Rodrik, cette commission est déjà en place, mais elle fonctionne de manière imparfaite. Il m'a donc prié de le préciser.
Pour le reste, je vous renvoie à mon ancien rapport et au Mémorial relatif à cette longue discussion. Nous sommes encore une fois confrontés à ce problème d'éthique qui, comme le sujet que nous traitions tout à l'heure, concerne la sensibilité de chacun. Le débat de la commission a principalement servi à dire si on allait légiférer ou non. Finalement, la commission a pris la décision de légiférer, et nous avons fini par nous rallier au texte de loi du professeur Guillod qui n'est pas non plus tout à fait satisfaisant, et qui suscitera certainement des objections. Mais si on légifère, il faut avoir une base, et je pense que ce texte constitue la meilleure base possible.
Toutefois, le premier texte que nous avions proposé était plus confus, mais plus complet. Il permettait de régler certains problèmes qui nous concernent tous. Vous le constaterez dans la discussion qui s'ensuivra.
M. Pierre-François Unger (PDC). Depuis environ une dizaine d'années, Genève est dotée d'une excellente législation concernant les rapports entre soignants et patients. Cette législation existe sous forme d'une loi issue de l'initiative populaire 10. Un des axes les plus marquants de cette loi concerne le consentement éclairé du patient à tout acte de nature diagnostique ou thérapeutique.
Le projet de loi qui nous est soumis vise à compléter les dispositions actuelles de la loi par l'introduction d'un alinéa réglant le problème des directives anticipées.
En réalité, cet alinéa vise à permettre à chacun de choisir une mort digne et exempte de souffrance en cas de maladie incurable, et doit donc empêcher l'acharnement thérapeutique dans ce qu'il peut avoir de futile, mais également d'inhumain, voire de dégradant. Qui pourrait s'opposer à cela ?
Malheureusement, le libellé de ce projet de loi va beaucoup plus loin. On peut lire que les directives anticipées doivent être respectées dans toute situation thérapeutique que le patient aurait envisagée. Permettez-moi de vous donner, à la lumière de mon expérience, quelques exemples concrets qui vous démontreront l'erreur que nous ferions en adoptant ce texte tel quel.
Lorsque l'on demande à des personnes en bonne santé si, à la suite d'un accident, elles préféreraient mourir plutôt que de finir leur vie dans une petite chaise, beaucoup répondent qu'elles préféreraient mourir. Cette situation pourrait faire l'objet de directives anticipées qui imposeraient aux soignants de laisser mourir des patients accidentés, momentanément inconscients, atteints d'une paraplégie. Or, et celles et ceux qui connaissent le monde du handicap le savent bien, les paraplégiques, en général, ne désirent pas mourir. On peut même constater à quel point ils sont le plus souvent habités par un profond désir et une grande force de vivre. L'explication de ce phénomène est simple. L'image de la qualité de vie que se fait une personne en bonne santé n'est pas la même que celle qu'elle s'en fait lorsqu'elle est malade.
Ma pratique quotidienne m'amène à recevoir, chaque jour, deux ou trois patients qui ont commis des tentatives de suicide, dont une bonne part sont des adolescents. Beaucoup de ces personnes nous sont amenées portant sur elles une lettre d'adieu, parfois rédigée de telle manière qu'elle pourrait imposer des directives anticipées. A l'occasion d'une crise existentielle, certes grave mais le plus souvent réversible, devrions-nous réellement renoncer à toute prise en charge destinée à préserver la vie ?
Et enfin, voici deux ou trois ans, le législateur fédéral a introduit un article dans le code pénal concernant l'obligation pour chacun de porter assistance à autrui. Peut-on réellement condamner un soignant qui appliquerait ce que le droit exige de tout citoyen ? Pour moi-même, comme pour la très grande majorité d'entre vous probablement, le consentement du patient est la pierre angulaire de tout contrat de soins. Comme vous tous, je suis opposé à l'acharnement thérapeutique pour ce qu'il représente de vanité, de futilité et parce qu'il est contraire aux principes de bienfaisance. Mais la loi qui nous est soumise, partie d'un désir profond et sincère de permettre à chacun de mourir dignement, ouvre la porte à des contraintes qui se retourneraient rapidement contre ceux qui devraient en bénéficier.
Après avoir longuement hésité et renoncé à entrer en matière - je dis bien renoncer, et non pas refuser, la nuance est de taille - il me semble que les préoccupations de beaucoup de nos concitoyens concernant l'acharnement thérapeutique méritent de figurer dans la loi. La présence ostensible de la technique, parfois même son apparente suprématie, suscite une angoisse légitime d'être un jour la victime d'une lutte insensée pour conserver la vie à tout prix.
En revanche, il faut apporter des amendements au texte proposé pour limiter les zones grises auxquelles le rapporteur fait référence. Je commenterai ultérieurement mon amendement.
Mme Barbara Polla (L). Je ne m'exprime, ni au nom du parti libéral, ni au nom des commissaires de la commission de la santé, puisque la grande majorité a accepté le projet de loi 7252, mais en mon nom propre et au nom de ceux qui, nombreux, pensent que le sujet traité est trop lié à la sphère privée pour faire l'objet d'une loi. D'ailleurs, je m'étais déjà exprimée en ce sens lors du précédent passage de ce projet en séance plénière. A l'époque, j'avais, comme d'autres députés, favorisé son retour en commission, entre autres parce qu'il me paraissait important que nous reconsidérions l'opportunité de légiférer sur un sujet touchant aussi intimement la vie de chacun, et le rapport que chacun entretient avec la mort. Je reste convaincue que la relation soignant/patient est le meilleur garant d'une prise en considération optimale de la subtilité des facteurs en jeu, même si cette relation, soignant/patient, comme toutes les relations humaines, demeure imparfaite.
La responsabilité réciproque, générée par la relation patient/soignant, si imparfaite qu'elle soit, ne saurait être remplacée par une loi, ni par une responsabilité politique, car ce sont les patients et les soignants qui engagent leur responsabilité seule dans leur rapport à la vie, à la maladie et à la mort. D'une manière générale, cette volonté de substitution nuirait à la qualité de cette responsabilité. C'est une des raisons pour lesquelles je me suis opposée au projet de loi qui vous est soumis, et qui, par ailleurs, a été accepté par une large majorité, y compris au sein du parti libéral.
Une autre raison est la crainte de voir dévier ce que j'estime être la responsabilité première de tout soignant, à savoir de veiller au bien le plus précieux, soit la vie. Cette loi pourrait amener les soignants à se demander d'abord ce qu'ils ne doivent pas faire pour sauver une vie humaine, au lieu du contraire.
Pour illustrer ce propos, j'avais donné, en commission, l'un des deux exemples que vient de citer le docteur Unger, soit celui de l'adolescent suicidant, une réalité ô combien trop fréquente à Genève, pour évoquer le risque énorme que l'on prendrait à suivre des directives rédigées dans le désarroi le plus profond. J'avais également souligné le rôle, tout particulier, que pourrait jouer le médecin traitant en sa qualité de garant des directives anticipées.
Pour prévenir ces risques, j'avais présenté deux amendements en commission. Dans la mesure où ils avaient été rejetés par une quasi-unanimité, je n'avais pas l'intention de les présenter à nouveau en plénière, me ralliant à la majorité de mon groupe et à celle de la commission. Mais, dans la mesure où certains de ces arguments sont aujourd'hui repris et donnent lieu à de nouvelles propositions d'amendements, je les soutiens, quelle que soit leur provenance, puisqu'ils semblent pouvoir préserver la vie et la qualité de vie des personnes concernées.
M. Pierre Froidevaux (R). La grande majorité de la commission de la santé propose à notre Conseil d'adopter un nouvel amendement à la loi (K 1 30) qui règle les rapports entre les membres des professions de la santé et les patients. La modification de cette loi introduirait le principe du respect des directives anticipées au soir de la vie.
Parler de cette loi, c'est aussi parler du respect de la liberté individuelle. En la votant, nous améliorons et développons la liberté de la personne. J'avais déjà argumenté sur ce sujet lors du débat de préconsultation du 22 juin dernier, et je n'entends pas y revenir.
Par contre, deux points méritent d'être encore formalisés en plénière. Premièrement, est-ce le bon moment de légiférer ? Deuxièmement, le patient dépressif peut-il argumenter de cette loi pour mourir, ou introduisons-nous la notion d'euthanasie active de manière subsidiaire ?
Cette dernière situation est totalement exclue de ce projet de loi. Si la vie d'un patient est en danger, quelle que soit l'origine de ce péril, le médecin se doit d'intervenir au plus près de ses connaissances pour lui venir en aide, sinon il est punissable de non-assistance à personne en danger.
Par contre, si cette même personne reste handicapée et que son handicap est incompatible avec la vie, et si le patient ne peut s'exprimer, il est alors tenu compte de ses directives anticipées. Il y a une parfaite égalité de traitement pour l'ensemble des situations morbides, quelle que soit leur origine, un accident ou une maladie grave, y compris la dépression.
Reconnaître ces situations par un acte législatif est courageux, car la mort fait peur. La société construit maints barrages pour éviter d'être mise en face de cette réalité. La Tour de Babel moderne est devenue un puits de sciences. Les miracles sacrés se sont mués en miracles de la médecine, et je crains fort que ni les uns ni les autres n'existent.
Le moment est donc venu de respecter infiniment celui dont c'est le tour de passer dans l'intemporel. Quelles que soient les circonstances, le mourant est toujours terriblement seul. Personne ne peut se substituer à l'agonisant, ni le juger, ni être sûr de le comprendre. Il faut donc respecter sans réserve les conditions que certains se sont librement choisies. Cela contribue aussi à leur faire mieux apprécier la vie.
M. Gilles Godinat (AdG). Voici deux réflexions qui m'amènent à soutenir la solution adoptée par la commission, malgré la présence de cette zone grise, dont parle le député Unger. Je ne le suivrai pas dans son amendement sur le thème, d'une part, du devoir d'assistance du soignant et, d'autre part, de la capacité de discernement du patient.
Il me paraît restrictif de réduire le thème du testament biologique à la seule situation des fins de vie. Je cite la lettre du professeur Guillod, dans l'annexe, à la page 5 du rapport : «Mais on peut envisager d'autres situations où un patient aimerait faire connaître à l'avance ses choix thérapeutiques au cas où il viendrait à perdre le discernement.» En tant que psychiatre, je me sens particulièrement concerné par cette phrase, puisqu'il arrive que, dans certaines situations, je dois évaluer la capacité de discernement des patients qui expriment leurs volontés. Je vous assure que légiférer sur ce thème est extrêmement périlleux.
Il faut laisser au soignant une marge de manoeuvre pour l'appréciation de la capacité de discernement, car, dans certaines situations, un patient pense, en toute bonne foi, qu'il n'a plus d'avenir. Il se sent inutile. Il exprime des sentiments que nous, thérapeutes, devons interpréter en gardant toujours à l'esprit notre devoir d'assistance. Par contre, je tiens à respecter les volontés du patient, comme celle, par exemple, relative aux traitements neuroleptiques. Dans cette situation, il est nécessaire de donner un principe général, tout en sachant que la déontologie des professionnels doit être réservée.
J'ai écrit un amendement à ce propos que j'ai abandonné, car on m'a convaincu qu'il n'y avait aucune raison de le formuler dans la loi, puisque, de toute façon, il s'agit d'un acquis social, et que la déontologie des professionnels appartient à la relation du contrat de mandat. Par conséquent, on ne peut pas légiférer en la matière. C'est la raison pour laquelle je soutiens la proposition actuelle.
M. Philippe Schaller (PDC). J'approuve ce que vient de dire mon collègue Godinat, ainsi que le texte élaboré en commission qui nous a donné beaucoup de travail. Je pense qu'il faut raison garder, Mesdames et Messieurs les députés. Quel est le contenu de ce texte ? Il demande simplement que le patient soit entendu par une déclaration écrite pour prévenir le cas où, à la suite d'un accident ou d'une maladie, il perdrait durablement et de façon irréversible sa capacité de discernement et de décision.
Cette proposition permet de réaffirmer le consentement libre et éclairé du patient, le droit au libre choix, au libre arbitre, celui de rendre à l'intéressé le rôle actif qui lui revient, car force est de constater que, bien souvent, le premier concerné, celui qui est malade, est exclu du débat.
Comme l'a expliqué M. Godinat, il ne s'agit pas exclusivement d'un testament biologique, mais également d'un acte en faveur de certaines personnes se trouvant dans des situations bien précises, comme l'exemple de la psychiatrie qu'a donné M. Godinat, et non pas seulement celles concernant la fin de vie.
Par ce texte, il n'est nullement question de régler les problèmes liés à l'euthanasie. Je désire rassurer mon collègue Unger en lui disant que, malgré ce texte, le soignant garde toute sa marge de manoeuvre. La loi est claire en ce sens, et, notamment, l'article 27 du code civil suisse qui stipule l'interdiction légale d'aliéner sa propre liberté. Ainsi, le médecin garde sa liberté de décision par rapport à ses actes.
Sur le plan législatif, les situations d'urgence sont connues, et je ne pense pas qu'un jour un juriste prendra une décision contre la déontologie médicale, pour autant que certains critères soient respectés. Heureusement que les zones grises existent. Elles doivent être conservées, car on ne peut pas tout légiférer. A la demande des soignants, nous avons voté un projet de loi sur le consentement présumé, et nous allons faire acte en faveur des soignés et de la population qui font cette demande. Que nous légiférions à bon ou à mauvais escient, notre population veut que l'on respecte les droits de celui à qui on prodigue des soins.
Je vous encourage à voter l'article, tel qu'il vous est proposé par le projet de loi, sans amendement et sans changement.
M. Dominique Hausser (S). Les députés Froidevaux, Godinat et Schaller ont résumé les intentions de la commission de la santé; malheureusement, on ne peut pas en dire autant du rapport de M. Gougler. Les premiers ont présenté toutes les garanties sur la manière dont il faut lire le nouvel alinéa, tel qu'il ressort des travaux de la commission. Je vous rappelle que l'on a déjà fait un aller et retour en plénière. On parlait des premiers résultats des travaux de la commission de la santé et le Grand Conseil reprochait le fait que le médecin traitant était détenteur des directives anticipées.
Il est vrai que tout le monde n'a pas de médecin traitant. Et si la majorité de la population en a un, elle pourrait être amenée à en changer, ou à n'être pas en contact avec lui au moment où il serait nécessaire de prendre en considération des directives rédigées antérieurement.
C'est la raison pour laquelle, je vous recommande de voter le projet tel qu'il ressort des travaux de la commission et de ne pas entrer en matière sur l'amendement proposé par M. Unger.
M. Henri Gougler (L), rapporteur. Tout d'abord, le problème de l'euthanasie active est pendant devant le Conseil national, vu le postulat de M. Victor Rufy qui demande la légalisation de l'euthanasie. Pour l'instant, celle-ci dépend des articles 111 et suivants du code pénal et est considérée comme un homicide volontaire. Par conséquent, notre projet actuel n'a rien à voir avec l'euthanasie active.
La question principale, à savoir si on veut ou non légiférer dans ce domaine, a été posée et résolue en commission, mais pas dans cette docte assemblée. Si ce Grand Conseil décidait, ce soir, de ne pas légiférer, la discussion serait close ipso facto. Par conséquent, il est important de poser cette question et de se mettre d'accord sur ce texte. Je regrette - et je l'ai dit dans mon rapport, Monsieur Hausser - que nous n'ayons pas parlé du problème de la déontologie des soignants dans ce texte de loi, parce que l'on estimait que cela allait de soi.
Il me semble que l'on pourrait ajouter au projet actuel la conclusion du premier projet de loi, soit : «les principes déontologiques des professionnels de la santé sont réservés», dans tous les cas où un acharnement thérapeutique risque de se produire, ou dans des cas d'accident ou de suicide. Ceci permet aux professionnels de la santé de prendre une décision en leur âme et conscience. Mais, tout d'abord, il faudrait savoir si nous légiférerons ou non.
M. Andreas Saurer (Ve). Comme le disait tout à l'heure M. Schaller, sous certains aspects, ce projet de loi est le pendant du projet de loi précédent. Le projet de loi précédent a été élaboré, il est vrai, sous la pression du corps médical ou en tout cas d'une partie du corps médical. Ce n'est pas très surprenant, car c'est le corps médical qui intervient dans le domaine des transplantations d'organes.
Le projet de loi que nous avons ici, sous les yeux, est un projet de loi qui va dans la direction des patients et qui est le résultat du souhait d'un certain nombre de patients, et plus particulièrement de l'association Exit. Donc, pour moi, qui étais en faveur de la loi précédente, cette loi-ci et la loi précédente constituent une unité.
Cela étant dit, j'aimerais revenir sur les remarques de M. Unger et de Mme Polla. Je crois, en ce qui concerne l'intervention de M. Unger, qu'il faut quand même se rappeler que les directives ne sont pas écrites rapidement. Ce n'est pas un geste facile. Les personnes qui écrivent des directives le font, et jusqu'à maintenant la pratique l'a confirmé, après mûre réflexion.
Dans ce contexte, évidemment, nous ne pouvons pas assimiler une lettre d'adieu d'un adolescent suicidaire à une directive. Ce n'est pas la même chose. La directive demande, et l'expérience l'a montré, que cela se fasse après mûre réflexion. Maintenant, vous pouvez me dire : «Il y a des cas de doute où le médecin qui reçoit l'adolescent, qui a fait un tentamen, serait empêché de sauver une vie !». Il se posera alors la question : «Est-ce un acte précédé d'une mûre réflexion ou pas». Là, comme un préopinant l'a déjà dit, il y a l'obligation du médecin, selon la législation fédérale, de porter assistance. Donc, en cas de doute concernant la véracité, concernant la sincérité de la demande ou de l'écrit du patient, le médecin est toujours en droit de refuser ce texte et de prêter assistance au patient. Cela concerne cependant une situation très particulière, à savoir celle des personnes qui tentent de se suicider.
Maintenant, je crois - soyons honnêtes - que cette loi concerne essentiellement des personnes qui ont une maladie incurable, qui ont pu réfléchir longtemps à l'avance si elles veulent qu'on applique un certain nombre de mesures de réanimation ou pas, et c'est par rapport à ces situations-là que cette loi s'applique. Mais, je le répète, au cas où le corps médical, les professionnels de la santé ont des doutes concernant la sincérité de la déclaration qu'ils ont sous les yeux, ils ont le droit d'appliquer la législation fédérale qui les oblige de porter assistance. Donc nous nous trouvons clairement dans une zone grise où nous laissons un espace d'appréciation au corps médical.
Deuxième remarque par rapport à l'intervention de Mme Polla sur le fait de ne pas légiférer. C'est exactement le même discours que certaines personnes ont tenu par rapport aux droits des malades, à savoir l'accès aux dossiers, l'accès à l'information. Ce serait trop compliqué, et il ne faudrait pas légiférer. Je crois que nous avons bien fait de légiférer dans ce domaine, parce que, ce faisant, nous avons développé un certain nombre de principes. Ensuite, en ce qui concerne l'application précise du principe, c'est vrai, c'est une question d'appréciation clinique qui doit être faite par les professionnels de la santé. Il est donc important de légiférer dans le but, non pas de réglementer dans le moindre détail, mais de définir un certain nombre de principes.
Et pour terminer, je crois, comme disait M. Schaller, qu'il faut faire clairement la différence entre l'euthanasie active, interdite sur le plan pénal en Suisse, et ce que nous préconisons ici, que certains appellent l'euthanasie passive, ce qui signifie soulagement de la douleur, soulagement en fin de vie. Dans ce domaine-là, force est de constater qu'une partie du corps médical et une partie des institutions hospitalières ont une certaine difficulté à ne pas faire de l'acharnement thérapeutique.
C'est certainement une situation qui n'est pas courante, mais elle existe et, par rapport à cette situation-là, je crois extrêmement utile d'avoir une loi qui mentionne les directives anticipées et, dans ce sens-là, incite l'équipe soignante et les professionnels de la santé à respecter les désirs du patient. Je le répète : il y a des zones grises dans lesquelles les professionnels de la santé sont libres de prendre la décision que leur imposent leur déontologie et leur conscience. Pour cette raison-là, je vous demande de bien vouloir entrer en matière concernant ce projet de loi et de l'accepter tel quel, sans les amendements de M. Unger.
M. Bernard Lescaze (R). Le patient potentiel que je suis a des scrupules à prendre la parole après que tant de distingués médecins nous ont exposé leur point de vue sur le sujet.
En réfléchissant, je me demande s'il faut légiférer sur ces questions. Je réponds par l'affirmative, et la population, à juste titre, fait de même. Il est curieux de constater la différence fondamentale qui existe entre le projet de loi sur les dons d'organes, dont nous étions saisis tout à l'heure, les médecins approuvant tous ce don, tandis que les patients étaient plutôt réticents, et celui que nous traitons, où c'est l'inverse : les médecins sont réticents et les patients extrêmement favorables. Je désire vous en expliquer les raisons.
La relation de confiance qui devrait exister entre médecins et patients est bien la clef du problème. On est en droit d'attendre d'un médecin qu'il soigne son patient en entretenant avec lui des relations humaines. Sur ce plan, le patient et le médecin ont donc les mêmes droits.
Les rapports entre médecins et patients se sont profondément modifiés ces dernières années, en regard d'une tradition qui remonte à vingt ou vingt-cinq siècles. Pendant cette longue période, le médecin avait pour but premier de guérir le malade. Oserais-je dire qu'aujourd'hui le médecin insiste sur son rôle de prévention, allant presque jusqu'à soigner le bien-portant qui est un malade potentiel ?
Pour en revenir à ce projet de loi, nous ne craignons pas la mort. (Brouhaha. M. Lescaze répond à M. Dupraz.) Mais non, Monsieur Dupraz, chacun sait que la vie est une aventure dont on ne sort pas vivant ! (Rires.) Cela étant dit, les patients sachant qu'ils vont mourir demandent une mort très douce, car ils ont beaucoup plus peur de souffrir que de mourir.
Avec les méthodes thérapeutiques modernes et les moyens scientifiques dont disposent les médecins aujourd'hui, ils n'ont pas le droit de laisser leur patient souffrir. C'est pourquoi je vous invite à voter ce texte législatif nécessaire, sans amendement, et qui me paraît être le minimum acceptable.
Une voix. Bravo !
M. Nicolas Brunschwig (L). Si le député Lescaze ne m'avait pas coupé l'herbe sous les pieds, j'aurais été le premier «non-médecin» à s'exprimer ce soir. Il est important que les soignés disent leur sentiment à ce sujet. A cet égard, j'apprécie la belle unanimité de l'ensemble des intervenants en faveur du texte législatif, et je partage leur opinion. Ce sujet est beaucoup trop grave pour qu'on le laisse dans un flou plus ou moins artistique.
Ainsi, les quelques divergences qui apparaissent ce soir ne sont pas très importantes, et comme nous avons tous reçu la proposition du docteur Unger, il serait bon d'en discuter les deux points imprécis.
Soit, d'une part, cette zone grise dont je suis d'avis qu'il faut tout faire pour la définir dans l'intérêt du soignant et du soigné et, d'autre part, l'accord et la signature du médecin traitant. Ce dernier aspect ne me plaît pas, car la décision qui doit être prise reste individuelle et ne concerne que le futur malade potentiel. Il est bien entendu que ce dernier, dans la majeure partie des cas, s'entretiendra avec son médecin, mais c'est à lui seul qu'incombe la décision finale.
Je désire que le docteur Unger s'exprime sur ces deux éléments, afin que l'on trouve une solution satisfaisante qui permette de diminuer cette zone grise, handicapante pour le soigné et pour le soignant qui, parfois, devra prendre des décisions très rapides, selon les circonstances, à l'exemple des cas mentionnés par le docteur Unger.
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Durant les vingt-cinq siècles évoqués par mon collègue Lescaze, patient potentiel tout comme moi, les malades se sont vu livrer aux mains toutes-puissantes des médecins qui, bien souvent, en savaient trop peu pour les soigner. Ce n'est que depuis le début de ce siècle qu'ils en savent un peu plus.
Ce projet de loi est l'aboutissement d'un long combat pour la reconnaissance du droit des patients dans un domaine qui nous concerne tous car, un jour ou l'autre, nous y serons confrontés, ou, peut-être, avons-nous déjà été touchés par la mort de nos parents ou de nos proches. Je pense qu'un avis laïc est bienvenu.
Ce projet de loi a le mérite de clarifier ce qui se fait sur le plan pratique depuis un certain nombre d'années, soit que le patient décide déjà de l'arrêt des soins, donc de sa mort. Mais l'absence de loi dans ce domaine laisse un certain trouble dans les rapports entre médecins et patients. Ce projet de loi clarifiera cette relation et conférera un droit au patient. La loi encadrera les rapports entre patients et médecins.
Il ne me paraît donc pas nécessaire d'apporter un amendement à ce projet pour répéter que cette loi se situe dans les limites de la déontologie, car la médecine est un des domaines où la déontologie est le plus affirmée. Si vous le jugez nécessaire, vous le voterez. Quant à moi, je ne le voterai pas, car je pense que cette loi a le mérite d'être très claire sur les droits du patient devant sa mort.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Permettez à une députée, non-membre de la commission qui a traité ce projet de loi, de prendre la parole et d'amener dans ce débat non seulement ses convictions mais aussi ses modestes expériences.
Permettez ainsi que je vous dise l'inquiétude qu'a suscitée la lecture du texte tel qu'il est proposé aujourd'hui.
Voilà un sujet délicat, difficile. Chacun l'appréhende avec ses convictions, sa sensibilité, ses vécus et, pour certains, leurs appartenances religieuses. Et les députés qui ont choisi de nous proposer aujourd'hui ce texte l'ont certainement fait après moult réflexions et avec beaucoup de profondeur. Ils ont ainsi rédigé une formulation qu'ils ont estimée juste et reflétant leurs discussions et les certitudes acquises au cours de leurs travaux.
Mais pour la personne qui découvre ce texte, sans connaissance de ce que les mots sous-tendent, la réaction ne peut être que l'inquiétude.
D'ailleurs le simple fait de pouvoir lire un article de loi différemment, selon que l'on a été ou non participant aux travaux de la commission, est déjà une preuve que le texte est sujet à interprétation. Et si de telles éventualités sont acceptables voire judicieuses dans certains domaines, lorsqu'il s'agit comme présentement, de vies humaines, de la «Vie», aucune interprétation ne peut et ne doit être possible.
Et le texte même du rapport l'avoue. Il reste et restera toujours des zones grises, des zones floues. Mais ces zones, Mesdames et Messieurs les députés, si on ne peut les éviter, alors elles ne doivent en aucun cas faire prendre un risque quelconque, elles doivent, au contraire, toujours donner sa chance à la vie. Et tel n'est pas le cas, dans cet article tel que formulé.
Permettez juste un exemple. J'ai le privilège - je suis en effet convaincue que c'est un privilège - d'avoir rééduqué et accompagné de nombreux jeunes para ou tétraplégiques. Souvent des motards, décidés à braver la mort le plus souvent possible. Mourir au guidon de leur machine ne les effraie pas.
Par contre, voilà une catégorie de population, j'en suis certaine, qui serait prête à donner des directives du genre : «Mourir plutôt que finir dans une chaise !».
D'ailleurs, Mesdames et Messieurs les députés, ne serions-nous pas nous-mêmes enclins à tenir ce même discours ?
Et avec l'application de cette loi, lorsque par malheur l'un de ces jeunes arrivera en urgence après un accident et avec de telles directives données antérieurement, il faudra ne rien entreprendre et laisser la mort faire son travail.
Et pourtant, je peux en témoigner ici, ils sont nombreux les jeunes en chaise roulante qui, même s'ils passent par des moments d'épreuves très difficiles et pénibles, attestent que la vie vaut toujours la peine d'être vécue.
Que l'on me comprenne bien. Je suis convaincue que toute personne qui est atteinte d'une maladie qu'elle sait incurable, évolutive, quelle qu'elle soit, a le droit de dire, au moment où elle le jugera opportun, qu'elle en a assez et qu'elle veut partir. En cela, ce projet a une base juste. Mais il faut impérativement éviter de laisser s'y infiltrer les situations d'urgence, d'imprévus, ou encore de tentamen.
J'ai entendu des députés dire, ça et là, que ces risques seraient tout à fait exceptionnels.
C'est peut-être vrai. Mais il n'y a dans ce domaine aucune approche quantitative admissible. Une seule vie que l'on aura laissé s'échapper, une seule vie que l'on aura dû laisser s'échapper à cause de l'application de cette loi, est un risque que personne n'a le droit de prendre.
C'est pourquoi je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre l'amendement proposé.
M. Pierre-François Unger (PDC). Je désire remercier l'ensemble des intervenants qui ont apporté un éclairage différent au texte de loi proposé, que je n'avais pas vu dans le rapport.
A la demande de M. Brunschwig, je relirai et expliciterai mon amendement. Il s'agit de légiférer dans le domaine particulièrement sensible de l'acharnement thérapeutique, auquel MM. Froidevaux, Saurer et Lescaze ont fait référence. Je propose donc l'amendement suivant :
«Les directives anticipées rédigées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé.»
Il n'y a donc pas d'opposition manifeste entre le voeu exprimé par ceux qui défendent l'actuel projet de loi et le libellé, tel que je vous le soumets. Cet amendement est complété par la phrase suivante :
«Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.»
En réalité, l'amendement proposé poursuit trois objectifs. En premier lieu, il faut préciser que les directives concernent la notion d'acharnement thérapeutique, et donc de disposition de fin de vie, à laquelle mes préopinants ont fait référence, et non de n'importe quelle situation thérapeutique. Ce distinguo est essentiel.
En second lieu, le patient peut en tout temps renoncer au voeu qu'il aurait exprimé dans ses directives anticipées - c'est un principe général de notre culture et de notre législation, il en va de même pour notre testament - celles-ci ne pouvant revêtir un caractère obligatoire que si la capacité de discernement est irrémédiablement atteinte.
En troisième lieu, j'ai compris que M. Brunschwig n'était pas chaud. Toutefois, permettez-moi de vous expliquer pourquoi j'ai prévu cette co-signature du malade et de son médecin traitant, sur laquelle je suis d'accord de revenir, le cas échéant. Etant entendu que le consentement est un acte qui doit être éclairé, c'est-à-dire libre, sans aucune pression extérieure, et informé, il m'apparaît que les directives anticipées devraient revêtir les mêmes caractéristiques. C'est la raison pour laquelle je vous propose qu'elles soient contresignées par le médecin traitant qui, ainsi, s'engagera non pas sur le fait d'accepter ou non les directives mais sur la capacité de discernement de son patient au moment où il les a rédigées. Comment être sûr qu'elles n'ont pas été écrites sous l'emprise de l'alcool ou sous la contrainte. Malheureusement, j'ai déjà vu deux cas de ce genre.
Enfin, il est nécessaire d'appuyer ces directives par une information complémentaire donnée par une personne qui connaît le sujet, par exemple, un médecin, ou pourquoi pas un autre soignant, et qu'elle atteste de ce que le malade veut exactement dire dans ses directives. Voilà pourquoi j'ai pensé à cette double signature. Si cela vous paraît trop lourd, je suis prêt à y renoncer.
M. Pierre Froidevaux (R). Je plaiderai une dernière fois pour que les amendements du député Unger soient refusés et que le projet de loi soit voté, tel qu'il ressort de nos travaux en commission. Ces amendements qui représentent quasiment une révision complète de la loi expriment la crainte que les directives anticipées se réduisent à un papier trouvé au fond de la poche et sur lequel serait écrit : «Je veux mourir.»
Si un professionnel de la santé ne respecte pas cette volonté, il serait, d'après le député Unger, passible des tribunaux. C'est faux. Du point de vue juridique, les directives anticipées sont un mandat. Ce dernier est de même nature que celui qui s'établit lorsqu'une personne consciente vient demander une consultation en urgence. Les directives anticipées s'appliquent si cette même personne est devenue incapable de discernement et se trouve dans une situation qu'elle a elle-même prévue. Si cette personne a écrit qu'elle veut mourir et qu'il s'agit d'un processus morbide terminal, cette volonté doit être infiniment respectée.
Si cette personne exprime des idées suicidaires, le médecin, de ce fait, reçoit le mandat explicite de lui venir en aide. Certes, il est difficile pour des médecins en devenir d'évaluer correctement la nature du mandat qu'ils reçoivent de la part de leurs malades. Il est également vrai qu'aucun problème n'a été relevé par les pétitionnaires lorsque le mandat est accompli par le médecin traitant. Il faut donc que nos institutions publiques médicales abordent courageusement l'évaluation du mandat que les médecins reçoivent de leurs patients et qu'elles ne se retranchent pas systématiquement derrière des livres de science ou du juridisme, comme ce soir. Cela fait partie des droits du patient qui a aussi envie de sortir du puits de science pour rejoindre la liberté de notre humanisme.
M. Andreas Saurer (Ve). Permettez-moi de répondre brièvement à l'intervention de Mme Reusse-Decrey. Les situations que vous avez présentées ne sont, malheureusement, que trop courantes, et évidemment nous tous, nous nous sommes posé la question : «Que devons nous faire ?». Nous nous sommes posé cette question en commission. Nous l'avons posée, entre autres, au professeur Guillod, et sa réponse était parfaitement claire, à savoir que tout d'abord, comme je vous l'ai déjà dit, cette demande doit être écrite, et ce n'est pas un geste facile.
Maintenant, on peut dire, comme M. Unger, qu'il y a des gens qui écrivent ou qui signent sous l'influence de l'alcool, sous la pression des proches, et j'en passe. Mais quand nous nous trouvons dans une situation d'urgence et surtout - c'est absolument essentiel, je crois - au moment où les professionnels de la santé ont le moindre doute, comme je l'ai dit tout à l'heure, concernant la sincérité et la véracité de la déclaration, ils ont le droit, voire le devoir, comme le disait justement M. Froidevaux, de tout entreprendre pour sauver le patient.
Donc, c'est vrai, il y a une certaine zone grise où on peut, quand on reçoit une déclaration de ce genre-là, se poser la question de savoir si elle a été écrite dans des bonnes conditions. Mais je le répète, toutes les informations que nous avons reçues de la part de juristes quand même éminents, comme le professeur Guillod, étaient absolument formelles, à savoir qu'en cas de doute le médecin se plie à son devoir de sauver la vie. Je précise que la commission de la santé a été satisfaite de cette réponse.
Maintenant, il y a peut-être un autre problème. C'est vrai, ces directives anticipées impliquent que nous sommes d'accord sur le fait qu'une personne puisse accélérer sa mort. On s'approche de ce qu'on pourrait appeler le droit au suicide. Et là je suis tout à fait d'accord : l'on peut avoir des attitudes très différentes. Il est vrai qu'en légiférant en la matière, en formulant la loi telle quelle, en allant jusqu'au fond, cela signifie que nous acceptons, sous certains aspects, le droit au suicide.
Je comprends parfaitement bien que certaines personnes, ici présentes, ne sont pas d'accord avec ce droit. Personnellement, je pense que c'est un droit élémentaire que nous devons accepter dans la mesure où nous avons l'intime conviction que les personnes qui demandent de pouvoir le mettre en pratique le font après mûre réflexion.
Maintenant, je reviens aux amendements de M. Unger. Il y a deux différences fondamentales par rapport à notre formulation. D'une part, vous voulez limiter les directives anticipées au problème de la mort. Comme disait M. Godinat, les directives anticipées ne se réduisent pas uniquement aux situations juste avant la mort. Il y a aussi le problème des choix thérapeutiques; enfin, il y a un problème auquel nous sommes très sensibles, c'est le choix des traitements en psychiatrie. Vous savez peut-être que toute une série de personnes refusent catégoriquement l'administration des neuroleptiques. Nous pensons - en tout cas, moi je le pense - que dans la mesure du possible et dans certaines conditions, ce genre de souhait doit être respecté au nom du droit des malades. Donc, cela ne me semble pas acceptable de réduire la portée de cette loi exclusivement à la situation juste avant la mort.
Ensuite, en ce qui concerne le médecin traitant, Exit, lui-même, demande qu'un double de la déclaration soit déposé chez le médecin traitant. C'est une pratique courante; en ce qui me concerne, j'ai plusieurs déclarations de ce type et je ne pense pas être le seul.
Donc, généralement dans la pratique, le médecin traitant intervient. Maintenant, j'estime qu'il n'est pas juste de vouloir mettre le patient sous la tutelle du médecin traitant. Le patient doit avoir la liberté de déposer ou de ne pas déposer le double de sa déclaration auprès du médecin traitant. Donc, je ne suis pas d'accord que l'on fasse figurer cette notion dans le projet de loi pour que cela devienne une obligation. Pour ces motifs, je vous demande de bien vouloir accepter la loi telle qu'elle est proposée par la commission de la santé.
M. Henri Gougler (L), rapporteur. Je reviens sur ce que j'ai dit tout à l'heure et, pour calmer certains intervenants, je réitère ma proposition d'ajouter à la fin du texte proposé, sans tenir compte de l'amendement de M. Unger, que les principes déontologiques des professionnels de la santé sont réservés. Nous l'avons dit en commission et nous en avons discuté, mais il faut le redire pour que tout le monde soit content. Cela nous permettra d'agir d'une façon plus nuancée. (Brouhaha.) Je suis prêt à déposer cet amendement.
Le président. Vous êtes prêt ou vous le déposez ?
M. Henri Gougler, rapporteur. Si vous pensez que c'est implicite, je ne le dépose pas !
Le président. Ce n'est pas à moi de le dire, Monsieur le député. Ah, vous ne le déposez pas !
M. Henri Gougler, rapporteur. Non !
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Article unique (souligné)
Article 5, alinéa 3 (nouveau, les alinéas 3 à 6 anciens devenant les alinéas 4 à 7)
Le président. Je mets aux voix l'amendement de M. Unger rédigé en ces termes :
«3Les directives anticipées rédigées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé. Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.»
Cet amendement est rejeté.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). L'amendement proposé par M. Unger a été rejeté, mais, pour ma part, je demeure convaincue que le texte de loi présente des risques considérables. D'ailleurs, il est intéressant d'entendre M. Froidevaux faire l'éloge de la liberté individuelle, tout en disant que lorsqu'il sera confronté aux directives d'un patient annonçant sa volonté de mourir, il lira «qu'il s'agit d'un appel au secours». Il se donne donc plein pouvoir sur l'interprétation des directives.
Par conséquent, je présente un autre amendement, déposé sur le Bureau et cosigné par MM. Dupraz et Unger. Tout en reprenant la première partie de l'amendement précédent, il élimine la seconde phrase qui gêne aussi MM. Brunschwig et Saurer, soit : «Ces directives doivent être signées par le patient et son médecin traitant.» L'idée est de laisser la liberté au seul patient.
Le texte de l'amendement est le suivant :
«Les directives anticipées rédigées et signées par le patient concernant les dispositions à prendre pour lui assurer une mort digne et sans souffrances en cas d'affection incurable et d'atteinte irrémédiable à sa capacité de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Mis aux voix, l'article 5, alinéa 3 (nouveau, les alinéas 3 à 6 anciens devenant les alinéas 4 à 7) est adopté.
Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
(PL 7252)
LOI
modifiant la loi concernant les rapports entre membres des professionsde la santé et patients
(K 1 30)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients, du 6 décembre 1987, est modifiée comme suit:
Art. 5, al. 3 (nouveau, les al. 3 à 6 anciensdevenant les al. 4 à 7)
3 Les directives anticipées rédigées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives.
P 999-B
Le Grand Conseil prend acte que le projet de loi 7252-A répond à la pétition 999-B.
Cette pétition est close.
Du 28 juin au 3 juillet 1998 doit se tenir à Genève le 12e Congrès international sur le Sida qui réunira, à l'instar des précédents congrès tenus en 1993 à Berlin et à Yokohama en 1994, de 10 000 à 12 000 personnes, notamment représentants d'organismes d'entraide, chercheurs de laboratoire, médecins, spécialistes en santé publique, représentants de maisons pharmaceutiques ou d'associations engagées dans la lutte contre le Sida, etc.
Un comité d'organisation genevois s'est constitué en Association pour le Congrès mondial sur le Sida 1998. Bien qu'une telle manifestation puisse équilibrer ses frais, les organisateurs rencontrent un problème de trésorerie du fait que les revenus ne peuvent être comptabilisés qu'au tout dernier moment. Sur le plan budgétaire, l'organisation d'un tel congrès est soumise à l'éventualité d'événements politiques extérieurs qui pourraient en compromettre la tenue, tel un conflit subit. Dans ces conditions, l'octroi d'une garantie de déficit par l'Etat devient nécessaire. Tel est le but du présent projet de loi.
Le montage financier prévoit que l'Etat de Genève accorde une garantie d'un montant ne dépassant pas 2,5 millions de francs, soumise à la ratification du Grand Conseil pour une partie des avances de la Banque cantonale de Genève. Cette garantie devrait couvrir l'éventuel déficit à hauteur d'un quart des dépenses totales, évaluées à 10 millions de francs, considérées en l'état comme intégralement couvertes par les recettes et les dons prévus dans le budget établi par l'office du tourisme de Genève. Il a de plus été prévu dans les statuts de l'Association que le contrôle financier cantonal était chargé de veiller à ce que les conditions stipulées dans la loi soient respectées. Par contrat signé entre le département de l'action sociale et de la santé (DASS) et l'International Aids Society, les droits et devoirs des deux parties ont été fixés de manière précise, étant entendu que ce contrat ne déploiera ses effets qu'à la suite de l'acceptation de la garantie par le Grand Conseil.
Travaux de la commission
Le 10 janvier 1996, la commission des finances a reçu le professeur B. Hirschel, de l'hôpital cantonal universitaire de Genève, président du Comité d'organisation, et M. Dario Zanni, chef du service financier du DASS, en présence de M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Tandis que le président du Comité d'organisation soulignait les indiscutables retombées économiques d'un tel congrès pour Genève, M. D. Zanni relevait l'aspect de subvention «conditionnelle» de la garantie qui ne pourra être déclenchée qu'avec l'accord de l'inspection cantonale des finances. Cette manière de procéder évite ainsi de devoir approuver par la suite des montants supplémentaires pour couvrir les déficits éventuels, précise encore le chef du département des finances.
Des comptes semestriels jusqu'en 1998, puis trimestriels dès cette année-là seront établis avant le décompte final comportant les recettes qui interviendra à la fin du Congrès. Le contrat entre le DASS et l'International Aids Society précise que «les décisions financières importantes doivent être prises d'entente entre les parties». En réalité, c'est le Comité de direction qui prendra ces décisions financières, mais il devra veiller à ce qu'elles soient prises par consensus. Il s'agit d'une garantie fondamentale puisque deux ou trois Genevois siègent au Comité de direction, avec droit de veto. Les hauts fonctionnaires et professeurs représentés au Comité pourront ainsi veiller à ce que l'on ne tombe pas dans des dépenses excessives.
La garantie proposée ne sera actionnée que sur la base du rapport de l'inspection cantonale des finances, et bien entendu, seulement en cas de besoin.
Le caractère de subvention conditionnelle, tel qu'il ressort du projet de loi présenté, doit éviter l'imbroglio de la Fête du costume, où les garanties avaient été faites sur une base privée alors qu'il appartient au parlement de voter les subsides.
Indépendamment des problèmes financiers, la commission des finances se plaît à relever l'importance d'un tel congrès en faveur de la lutte contre le Sida: plutôt qu'un subventionnement direct, solution retenue à Berlin et à Vancouver cette année, le gouvernement genevois a préféré le mode de la garantie, méthode préférable dans la mesure où il y a un contrôle possible au niveau faîtier de l'organisation de la manifestation.
Conclusion et vote
Pour les raisons évoquées ci-dessus, la commission des finances recommande à votre approbation, Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi 7306 instituant une garantie de déficit pour le 12e Congrès international sur le Sida en 1998 à Genève, à l'unanimité des 11 membres présents (3 L, 2 R, 2 S, 2 DC, 1 Ve, 1 AdG).
Premier débat
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. Ce rapport sort un peu du commun, puisque j'ai omis de mentionner que la commission des finances était présidée par M. Ducommun ! (Rires et exclamations.)
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
(PL 7306)
LOI
instituant une garantie en cas de déficit pour le 12e Congrès international sur le Sida en 1998 à Genève
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
Garantie
Le Conseil d'Etat est autorisé à octroyer une garantie en cas de déficit à l'Association pour le Congrès international du Sida 1998, en vue d'assurer l'organisation dudit congrès à Genève.
Art. 2
Montant et modalités
1 Le montant de la garantie n'excède pas 2,5 millions de francs.
2 Elle sert à garantir soit une partie des avances de la Banque cantonale de Genève aux organisateurs, soit à couvrir le déficit à hauteur d'un quart des dépenses totales qui devraient s'élever à 10 millions de francs, couverture considérée en l'état comme intégralement assurée par les recettes et les dons prévus au budget établis par l'office du tourisme de Genève.
Art. 3
Surveillance
L'inspection cantonale des finances est chargée de veiller au respect des conditions stipulées dans la présente loi.
Art. 4
Couverture financière
En cas d'appel de la garantie, le montant correspondant est prélevé sur la rubrique budgétaire 85.11.00.365 du budget de la République et canton de Genève pour 1998.
Art. 5
Loi sur la gestion administrative et financière del'Etat
Pour le surplus, les dispositions de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat, du 7 octobre 1993, sont applicables.
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que le maintien du secret médical est un des meilleurs gages d'une relation patient-praticien basée sur la confiance et que sa préservation constitue un intérêt public prépondérant;
- que le diagnostic est une donnée sensible au sens de la loi fédérale sur la protection des données;
- que le secret médical a la même portée en médecine privée et publique;
- que des études statistiques sont essentielles tant pour des motifs scientifiques que médico-économiques mais qu'elles ne justifient pas pour autant la violation du secret médical;
- l'article 4a de la loi K 1 30,
invite le Conseil d'Etat
- à s'opposer au principe de la transmission systématique du diagnostic dans les factures des fournisseurs de prestations, telle que prévue par l'OAMal (art. 59);
- à intervenir auprès de la direction des HUG dans le même sens;
- à étudier avec les partenaires concernés la mise sur pied d'un outil statistique répondant aussi bien à des objectifs scientifiques que médico-économiques dans le respect de la législation.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La question du secret médical a toujours soulevé des problèmes importants et sensibles, tant il est vrai que le diagnostic d'un patient appartient à ce dernier et touche en particulier sa sphère privée. Il nous a donc semblé important de traiter de ce problème parallèlement à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 1996, de la loi sur l'assurance-maladie (LAMal).
Les dispositions de la LAMal, relatives à ces objets, prévoient notamment:
- à l'article 42, alinéas 4 et 5
«L'assureur peut exiger un diagnostic précis ou des renseignements supplémentaires d'ordre médical.
Le fournisseur de prestations est fondé lorsque les circonstance l'exigent, ou astreint dans tous les cas, si l'assuré le demande, à ne fournir les indications d'ordre médical qu'au médecin-conseil de l'assureur, conformément à l'article 57.»
Il est complété par les dispositions suivantes de l'OAMal qui stipule (article 59):
«Les fournisseurs de prestations doivent indiquer dans leurs factures:
a) les dates de traitement;
b) les prestations fournies, détaillées comme le prévoit le tarif qui leur est applicable;
c) le diagnostic dans le cadre du 2e alinéa.
Les assureurs et les fournisseurs de prestations peuvent stipuler dans les conventions tarifaires quels informations et diagnostics ne doivent, en principe, être portés qu'à la connaissance du médecin-conseil de l'assureur au sens de l'article 57 de la loi. Au surplus, la communication du diagnostic est régie par l'article 42, 4e et 5e alinéas, de la loi. Le département peut fixer, sur proposition commune des assureurs et des fournisseurs de prestations, un code uniforme pour les diagnostics valable dans toute la Suisse.
Les prestations prises en charge par l'assurance obligatoire des soins doivent être clairement distinguées des autres prestations dans les factures.»
Les dispositions de la LAMal ne posent pas un problème trop grave bien qu'étant plus souples que la LAMA puisqu'elles laissent, malgré tout, la possibilité au patient de s'opposer à la transmission du diagnostic ou d'autres données sensibles au service administratif de sa caisse-maladie et de ne l'accepter que pour le médecin-conseil.
En revanche, les dispositions de l'OAMal sont choquantes à plusieurs points de vue:
- il est inexplicable qu'une dispositions d'application puisse aller plus loin dans ses exigences que les principes posés par la loi;
- le diagnostic concernant la sphère privée intime du patient ne saurait, tant au niveau du secret médical que de la loi sur la protection des données, circuler à l'intérieur des services administratifs d'une caisse-maladie, voire, comme le prévoit l'article 120 de l'ordonnance, entre caisses-maladie;
- si le but de ces dispositions est d'établir des statistiques concernant le coût de chaque affection, d'autres moyens permettent ces recherches, notamment avec la collaboration des caisses et des sociétés médicales, qui ne risquent pas de causer un préjudice grave au patient;
- au sens des dispositions de la loi sur la protection des données, le diagnostic est une donnée sensible et ne saurait, sans l'autorisation du patient, être transmis à sa caisse-maladie.
- l'inscription du diagnostic sur chaque facture, même de façon codée, pose non seulement des problèmes de confidentialité mais également des problèmes administratifs pour les médecins qui ne sont pas équipés en informatique, ce qui représente le 75% du corps médical.
D'autre part, nous apprenons que l'Hôpital entend également réintroduire l'inscription du code-diagnostic sur ses factures. Nous pensons que la situation est ainsi de la même nature et qu'il est nécessaire de s'opposer à cette pratique.
Il ne s'agit pas, par le biais de cette motion, d'instituer un rempart pour éviter toute fourniture d'information sous prétexte de conserver le secret médical. Nous affirmons que les statistiques en matière de dépenses de la santé sont nécessaires tant pour permettre d'améliorer les prestations qu'à des fins de recherche scientifique, mais qu'il n'est pas concevable que, sous ce prétexte, l'on aboutisse à un système ne respectant pas la sphère privée du patient.
Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement cette proposition de motion et de l'adresser au Conseil d'Etat.
(R 306)
EXPOSÉ DES MOTIFS
La question du secret médical a toujours soulevé des problèmes importants et sensibles, tant il est vrai que le diagnostic d'un patient appartient à ce dernier et touche en particulier sa sphère privée. Il nous a donc semblé important de traiter de ce problème parallèlement à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 1996, de la loi sur l'assurance-maladie (LAMal).
Les dispositions de la LAMal, relatives à ces objets, prévoient notamment:
- à l'article 42, alinéas 4 et 5
«L'assureur peut exiger un diagnostic précis ou des renseignements supplémentaires d'ordre médical.
Le fournisseur de prestations est fondé lorsque les circonstance l'exigent, ou astreint dans tous les cas, si l'assuré le demande, à ne fournir les indications d'ordre médical qu'au médecin-conseil de l'assureur, conformément à l'article 57.»
Il est complété par les dispositions suivantes de l'OAMal qui stipule (article 59):
«Les fournisseurs de prestations doivent indiquer dans leurs factures:
a) les dates de traitement;
b) les prestations fournies, détaillées comme le prévoit le tarif qui leur est applicable;
c) le diagnostic dans le cadre du 2e alinéa.
Les assureurs et les fournisseurs de prestations peuvent stipuler dans les conventions tarifaires quels informations et diagnostics ne doivent, en principe, être portés qu'à la connaissance du médecin-conseil de l'assureur au sens de l'article 57 de la loi. Au surplus, la communication du diagnostic est régie par l'article 42, 4e et 5e alinéas, de la loi. Le département peut fixer, sur proposition commune des assureurs et des fournisseurs de prestations, un code uniforme pour les diagnostics valable dans toute la Suisse.
Les prestations prises en charge par l'assurance obligatoire des soins doivent être clairement distinguées des autres prestations dans les factures.»
Les dispositions de la LAMal ne posent pas un problème trop grave bien qu'étant plus souples que la LAMA puisqu'elles laissent, malgré tout, la possibilité au patient de s'opposer à la transmission du diagnostic ou d'autres données sensibles au service administratif de sa caisse-maladie et de ne l'accepter que pour le médecin-conseil.
En revanche, les dispositions de l'OAMal sont choquantes à plusieurs points de vue:
- il est inexplicable qu'une dispositions d'application puisse aller plus loin dans ses exigences que les principes posés par la loi;
- le diagnostic concernant la sphère privée intime du patient ne saurait, tant au niveau du secret médical que de la loi sur la protection des données, circuler à l'intérieur des services administratifs d'une caisse-maladie, voire, comme le prévoit l'article 120 de l'ordonnance, entre caisses-maladie;
- si le but de ces dispositions est d'établir des statistiques concernant le coût de chaque affection, d'autres moyens permettent ces recherches, notamment avec la collaboration des caisses et des sociétés médicales, qui ne risquent pas de causer un préjudice grave au patient;
- au sens des dispositions de la loi sur la protection des données, le diagnostic est une donnée sensible et ne saurait, sans l'autorisation du patient, être transmis à sa caisse-maladie.
- l'inscription du diagnostic sur chaque facture, même de façon codée, pose non seulement des problèmes de confidentialité mais également des problèmes administratifs pour les médecins qui ne sont pas équipés en informatique, ce qui représente le 75% du corps médical.
D'autre part, nous apprenons que les HUG entendent également réintroduire l'inscription du code-diagnostic sur ses factures. Nous pensons que la situation est ainsi de la même nature et qu'il est nécessaire de s'opposer à cette pratique.
Il ne s'agit pas, par le biais de cette motion, d'instituer un rempart pour éviter toute fourniture d'information sous prétexte de conserver le secret médical. Nous affirmons que les statistiques en matière de dépenses de la santé sont nécessaires tant pour permettre d'améliorer les prestations qu'à des fins de recherche scientifique, mais qu'il n'est pas concevable que, sous ce prétexte, l'on aboutisse à un système ne respectant pas la sphère privée du patient.
Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement cette proposition de résolusion et de l'adresser au Conseil fédéral.
Débat
M. Pierre-François Unger (PDC). L'adoption de la nouvelle loi sur l'assurance-maladie, au soir d'un 4 décembre où nous avions pris de sérieuses taloches, a été pour beaucoup d'entre nous un réel soulagement et, à vrai dire, un grand espoir : une assurance obligatoire, une assurance solidaire, réintroduisant la solidarité entre jeunes et plus âgés, entre hommes et femmes, entre bons et mauvais risques, bref, une assurance indispensable. Elle était également destinée à susciter un peu de concurrence entre prestataires de soins via une nécessaire planification sanitaire, mais aussi entre caisses par la possibilité de créer des HMO ou de souscrire à des franchises variables.
Mais, en deux mois et demi, le désinvestissement des pouvoirs publics aidant, que de déconvenues ! (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !
M. Pierre-François Unger. L'explosion des primes sans rapport évident avec l'augmentation des prestations, des défauts majeurs de solidarité - ne nous avait-on pas dit que Genève serait peu affectée compte tenu de sa loi déjà très proche de la loi fédérale - les Suisses de l'étranger ou les frontaliers tout simplement oubliés, les restrictions de concurrence entre caisses empêchant par exemple la gratuité pour le troisième enfant, et la liste n'est pas exhaustive !
Qui prendra en charge ce qui au mieux représente les maladies d'enfance de la loi, mais au pire - et nous le craignons - une invalidité permanente de cette même loi ? Et, comme si ces défauts n'étaient pas suffisants, l'ordonnance d'application de la loi intime aux prestataires de soins de violer l'article 321 du code pénal suisse en contradiction totale avec la volonté des Chambres de le renforcer il y a peu, s'agissant de la recherche médicale !
Ainsi donc, le secret serait à géométrie variable, suivant qu'il s'agisse de recherche ou, plus prosaïquement, d'argent. Alors que la loi prévoit en son article 42 que les renseignements médicaux seront fournis à l'assurance lorsque les circonstances l'exigent ou si l'assuré le demande par l'intermédiaire de son médecin-conseil, ce qui est tout à fait acceptable, l'ordonnance de la loi va beaucoup plus loin.
Cela pose tout à la fois un problème de forme et un problème de fond. S'agissant du fond - nous l'avons déjà dit - l'ordonnance de la LAMal fait fi du secret médical, dont tous les juristes s'accordent pourtant à dire qu'il représente un intérêt prépondérant en matière de santé publique. On pourra objecter que déjà actuellement les caisses disposent, grâce par exemple à leur contrôle des ordonnances de médicaments ou d'analyses, de renseignements très détaillés, et c'est vrai.
Mais qu'ont-elles fait de ces renseignements jusqu'alors ?
Mesdames et Messieurs les députés, ne nous leurrons pas ! Les caisses n'ont en réalité aucun intérêt objectif à limiter les coûts de la médecine, puisqu'avant tout elles en vivent.
S'agissant du problème de forme, il est inadmissible qu'une ordonnance aille plus loin que la loi ne l'exige. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'imposer des conditions par une voie : l'ordonnance qui n'est soumise à aucun contrôle populaire. Ce procédé est exécrable !
A part cela, comprenons-nous bien, le but de la résolution et de la motion n'est en aucun cas de brandir le secret comme un écran de fumée pour protéger les soignants, d'autant moins, je le rappelle, que le secret est propriété du patient et non l'affaire du soignant. Preuve en est la liste des signataires de cette résolution qui dépasse largement les soignants !
Preuve en est aussi notre troisième invite destinée à encourager la constitution d'un outil statistique indispensable tant au plan scientifique - la Suisse ne dispose d'aucune donnée statistique sanitaire - que médico-économique pour amener des gains d'efficience. Mais la constitution d'un tel outil ne nécessite en aucun cas la violation systématique du secret. Mettre le doigt dans cet engrenage c'est à coup sûr vider de son sens l'esprit du colloque singulier entre le patient et son soignant, dont la préservation constitue, à n'en pas douter, un intérêt public prépondérant.
C'est aussi et tout simplement se moquer de la loi sur la protection des données. Il faut donc impérativement et rapidement revoir l'ordonnance d'application de la LAMal.
M. Philippe Schaller (PDC). Je peux très bien comprendre cette proposition de motion et de résolution. Toutefois, il faut se poser un certain nombre de questions. Beaucoup de voix s'élèvent, souvent de manière émotive, à propos de cette nouvelle loi sur l'assurance-maladie. Je crois, comme l'a dit M. Unger, que si elle apporte un certain nombre d'améliorations par rapport à l'ancienne loi, elle évite, notamment, d'exclure certains malades et les personnes âgées; elle est également un révélateur du dysfonctionnement de notre système de santé.
Cette loi nous offre, en outre, un certain nombre d'instruments qui permettront, à long terme, de maîtriser les coûts; ce n'est pas la loi qui est responsable de l'augmentation de ces coûts, augmentation qui a des raisons multiples. Je ne vais pas les rappeler ici, mais il en existe une dont nous sommes responsables : le transfert des fonds publics vers les privés. Les primes auraient été aussi élevées - et même beaucoup plus élevées - pour une partie de la population sans cette nouvelle loi. Les instruments mis à disposition pour freiner les coûts par cette loi sont notamment la planification hospitalière, la disparition des cartels, cette possibilité pour les assurances de contrôler les fournisseurs de soins.
Nous nous «hâtons bien vite» de nous opposer à ce contrôle des caisses maladie sur les fournisseurs de soins; ce sera un des moyens possibles, à long terme, de maîtriser les coûts.
Par ailleurs, l'employé d'assurance est lui aussi soumis au secret de fonction... (Brouhaha.) L'ordonnance médicale envoyée aux assurances est aussi un révélateur du diagnostic bien plus grave que ce qui est demandé aujourd'hui par la législation fédérale sur l'assurance-maladie concernant les codes diagnostiques.
Mesdames et Messieurs, je crois que nous avons besoin de statistiques, d'un contrôle démocratique des coûts collectifs engendrés par les actes médicaux. Le plus navrant est que les acteurs en présence, c'est-à-dire les fournisseurs de soins et les assurances-maladie, n'arrivent pas à s'entendre; ils manquent de transparence et ne collaborent pas entre eux dans l'intérêt du patient. Cela est bien plus grave que le problème du secret médical. Si le problème du secret médical existe c'est en raison de la non-collaboration, et cette non-collaboration, en termes d'argent public et d'intérêt du patient, me semble excessivement grave.
Je ne suis pas opposé au fait de renvoyer cette proposition de motion et cette résolution en commission afin d'en discuter. Toutefois, il me semble peu probable que le Conseil d'Etat puisse s'opposer à l'application d'une loi fédérale que le peuple suisse a votée il y a une année.
M. Gilles Godinat (AdG). J'aimerais attirer tout d'abord votre attention sur un point essentiel - souligné par mon collègue Unger - je veux parler du secret médical. Le problème de l'information et de l'outil statistique doit être dissocié du secret médical. L'anonymat, dans les commissions d'éthique et de recherche, garantit en fait l'anonymat dans les enquêtes pour le respect de la sphère privée du patient. Ayant moi-même participé à des enquêtes de ce type, je sais qu'il est possible de collecter des informations très fines et utiles pour une politique de santé sans pour autant porter atteinte au secret médical, qui est la garantie d'un mandat de base entre le professionnel de la santé et son patient.
Pour ma part, je veux faire cette distinction et ne me prononcer que sur cet aspect précis de l'ordonnance. J'estime que les dérapages possibles sont trop graves. Le fait qu'une assurance-maladie puisse avoir un accès direct aux informations médicales sans passer par le médecin-conseil - cela a été parfois le cas pour limiter notamment certains traitements et des remboursements de prestations - est beaucoup trop grave à mes yeux. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe, en ce moment, avec les patients qui souffrent du sida et qui ont besoin de certains traitements : l'on peut malheureusement craindre le risque de non-remboursement de certaines prestations.
Pour cette raison, je tiens à garantir le respect du secret médical absolu comme base de la pratique médicale.
M. Henri Gougler (L). Je ne ferai pas non plus de généralités sur la LAMal, mais c'est à l'article 59 de l'ordonnance d'application, lettre c), que j'en ai, car il y est stipulé que le diagnostic doit figurer sur les notes d'honoraires des médecins. Cette disposition suscite un véritable tollé chez les patients qui refusent complètement cet état de fait, car ces renseignements sont à la disposition de tout le monde et peuvent être lus par n'importe qui. Les patients acceptent très mal cela.
J'ai sous les yeux une lettre du préposé fédéral à la loi sur la protection des données, qui s'étonne grandement que l'on puisse faire figurer une chose pareille dans une ordonnance d'application d'une loi fédérale, ce qui est contraire à la loi sur la protection des données et à l'article 321 du code pénal.
Enfin, j'ai à ma disposition deux lettres de caisses maladie adressées à des médecins, les informant que les notes de leurs patients ne seraient pas remboursées si le diagnostic ne figurait pas sur leur note d'honoraires. C'est un système dictatorial, qui enfreint gravement la sphère privée des gens. Je pense que l'on peut s'opposer en tout temps à une ordonnance fédérale et la faire modifier; ce n'est pas une raison pour modifier la loi.
Je demande au Conseil d'Etat de bien vouloir prendre la chose en considération en soutenant la résolution que nous lui avons adressée.
Le président. Docteur Saurer, vous avez la parole !
M. Andreas Saurer (Ve). Monsieur le président, j'interviens, jusqu'à nouvel avis, en tant que député comme vous présidez le Grand Conseil en tant que président et non pas en tant que notaire ! (Rires.)
Cela étant dit, nous abordons, une fois de plus, un problème d'éthique médicale. Même s'il n'est pas concrétisé par un projet de loi, le sujet est extrêmement important. Comme mon collègue Schaller, je ne fais pas partie des signataires de cette motion. Cependant, je crois que notre communauté d'esprit s'arrête à ce point, en ce qui concerne cette motion.
En effet, je la soutiens tout à fait, et pour les raisons suivantes :
La LAMal, votée en novembre ou décembre 1994, stipule que le diagnostic n'est en principe fourni qu'au médecin-conseil. Dans l'ordonnance, ce principe devient l'exception. C'est le fond du problème.
Il est intéressant de connaître certaines prises de position que je me permettrai de vous lire très brièvement, notamment celle de Mme Dreifuss concernant une lettre de l'AMG où elle dit très clairement, je cite : «En droit suisse, la protection du secret médical est garantie par les droits fondamentaux, par des règles de droit privé, par des règles de droit pénal et, enfin, par des règles spéciales de droit administratif. Cet article - de l'ordonnance donc - ne saurait déroger à toutes ces règles.» Ensuite, le préposé pour la protection des données dit : «Ceci implique que la communication systématique est exclue.»
Je ne vais pas continuer à réciter les interprétations juridiques et attire tout simplement votre attention sur le fait que le professeur Guillod, encore mardi dernier dans un colloque, disait clairement que, sur le plan strictement juridique, l'interprétation, selon lui, de l'ordonnance ne permet pas la transmission systématique du diagnostic aux assureurs.
Voilà donc quelques considérations, sur le plan juridique, faites par le simple médecin que je suis. Je me réfère, néanmoins, à des personnes très compétentes en la matière et qui ont de bonnes connaissances dans le domaine de l'interprétation légale.
Cela étant dit, je reviens sur la remarque de M. Godinat, à savoir que nous sommes tous d'accord ici sur le fait que les coûts de la santé doivent être contrôlés. Nous assistons effectivement à une augmentation très inquiétante qui se reporte inévitablement sur le citoyen.
Comment pouvons-nous contrôler ces coûts ? L'appareil statistique joue un rôle essentiel, mais, comme le disait M. Godinat, il est tout à fait possible de fournir des statistiques très détaillées sans dévoiler le secret médical. Pour cela nous avons besoin d'une grille statistique définie au niveau national, remplie ensuite par tous les fournisseurs de soins, principalement par les hôpitaux. Les caisses maladie recevront alors des moyennes qui leur permettront de comparer les coûts des prestations des différents fournisseurs de soins et de dire, par exemple, qu'une appendicectomie à Genève coûte plus cher que dans le canton de Vaud, etc. Mais les caisses maladie n'ont pas absolument besoin du diagnostic du patient pour pouvoir faire ces comparaisons.
Comment fonctionnent les caisses maladie par rapport aux factures des médecins privés ? Elles examinent tout simplement les factures dépassant une certaine somme, et cela à juste titre ! Des millions et des millions de factures sont envoyées aux caisses maladie. Il est totalement impossible, sauf si nous voulons hypertrophier l'appareil administratif des caisses maladie, de contrôler toutes les factures. Malheureusement, elles n'exercent pas ce contrôle avec une assez grande assiduité. Il est donc parfaitement possible d'exercer un contrôle sans transmettre le diagnostic médical.
Pour en revenir à la situation genevoise, le collège des chefs de service et la direction de l'hôpital cantonal ont décidé de répondre à l'ordonnance et de fournir vingt-quatre diagnostics. Mais cela représente quoi ? C'est, par exemple, savoir qu'une personne qui sort de l'hôpital de psychiatrie y a été hospitalisée pour une affection psychiatrique. Cela ne permet aucun contrôle. Donner cette grille de vingt-quatre diagnostics c'est véritablement se «ficher» des caisses maladie et de l'ordonnance ! En effet, je défie quiconque de pouvoir utiliser de quelque manière que ce soit cette grille de diagnostics.
Le problème de fond est, je crois, véritablement le secret médical. Nous ne sommes pas opposés au fait que figurent des informations concernant le type de prestations fournies sur les factures hospitalières et médicales. Il faut se souvenir que les caisses maladie ont un rôle financier, comptable; elles ne fournissent pas des soins. Les établissements hospitaliers et le corps médical fonctionnent dans une dynamique différente. Le but essentiel est de soigner. Pour ce faire, le diagnostic est nécessaire, mais, pour avoir un budget équilibré, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de connaître ce diagnostic.
Néanmoins, je regrette que les différents partenaires ne se soient pas réunis autour d'une table pour tenter de trouver une solution. Je suis en effet absolument convaincu que les caisses maladie sont autant sensibles au respect absolu du secret médical que le corps médical et les directions hospitalières sont sensibles à la nécessité du contrôle financier.
Donc, pour aller plus loin dans ce sens et trouver un consensus permettant d'exercer un contrôle tout en respectant le secret médical, je propose de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé.
Pourquoi à la commission de la santé ? Parce que nous nous trouvons en présence d'un problème fondamentalement éthique : le secret médical. Le débat, que nous avons déjà eu en commission de la santé, porte sur le problème éthique. Alors, malgré le fait qu'il s'agit d'une assurance sociale ou d'une interprétation d'une assurance sociale, j'estime que la commission de la santé est plus à même d'élaborer un rapport sur cette proposition de motion que la commission sociale.
M. Pierre Froidevaux (R). Les coûts de la santé sont une immense préoccupation. Chacun est concerné ne serait-ce qu'en tant qu'assuré obligatoire. La politisation indispensable de ce débat engendre et engendrera une passion justifiée. Mais la passion n'a pas que des vertus. Elle contient aussi tous les ferments d'âpres débats polémiques qui s'appuieront sur tel ou tel rapport ou des avis d'experts, très souvent contradictoires.
Nos débats sont encore dans leur phase préparatoire. Nous récoltons les données pour une analyse imminente; selon le Conseil fédéral, nos données devraient comprendre la relation entre les coûts des soins et le diagnostic. C'est un piège ! Un piège destiné notamment à nos parlements de milice.
Aborder en dix minutes l'essentiel d'un tel sujet est extrêmement délicat. Je ne puis que souscrire dans les grandes lignes à ce qui a déjà été dit dans cette enceinte.
Quant à moi, je tiens à rendre attentif notre Conseil à l'aspect loufoque et pervers de cette nouvelle association d'idées : diagnostic et politique. Comme chacun le sait, le diagnostic médical provient de différentes entités nosologiques prononcées en phonèmes protéiformes à caractère cryptogénétiques. (Rires.) Vous n'avez peut-être pas tout compris - pour ceux qui écoutent - pourtant je vous ai défini précisément en langage diagnostique ce qu'est un diagnostic médical !
Le diagnostic est d'abord un code entre thérapeutes, puis un code entre le thérapeute et son patient. Il est le plus neutre possible dans la relation médecin/patient. Il fait partie intégrante du lien thérapeutique. Il sert au malade à exprimer ce qu'il ressent; il sert au médecin à exprimer ce que le patient veut bien, de lui-même, comprendre de son affection. La compréhension d'un même diagnostic se révèle ainsi souvent fort différente, selon que l'on est thérapeute ou patient. Le médecin a son diagnostic, le malade le sien et, demain peut-être, l'assurance aura le sien. De plus, le diagnostic n'est pas stable dans le temps, puisqu'il évolue avec la relation médecin/patient.
Prenons un exemple. Une personne est prise d'un malaise. Le diagnostic est tout d'abord : malaise. Des investigations vont mettre en évidence un diabète, un problème cardio-vasculaire, neurologique ou psychique, ou tout à la fois, ou rien. Le diagnostic va donc évoluer d'autant plus que les raisons d'un diabète ou d'un problème cardio-vasculaire ou d'un trouble psychique sont multiples. Le pronostic va donc encore dépendre d'autres facteurs, comme les maladies antérieures, ou des ressources mentales du patient pour faire front à sa maladie. Quel code diagnostique pourra valablement être appliqué à ce patient qui a eu un malaise pour que ce code fasse partie d'une étude financière sérieuse ?
Le diagnostic ne s'expliquera jamais comme une entité définissable par les lois de la physique. Deux diagnostics ne sont jamais égaux, et, par conséquent, ils ne sont jamais «additionnables». Le diagnostic, qui se décompose infiniment, ne pourra jamais se muer en une constante physique qui puisse servir un jour au calcul du coût de la santé. Le diagnostic n'a ainsi aucune vertu mathématique. Pourtant j'ai trouvé une équation où la variable «diagnostic» est utile à introduire dans la relation statistique maintes fois démontrée que : «Plus il y a de médecins, plus la santé coûte cher !».
Les économistes se trouvent en face d'une singularité économique qui s'oppose à une des lois très fondamentales du marché qui dit : «Plus l'offre est grande, plus les prix baissent !». Alors, pourquoi la médecine n'obéirait-elle pas aux règles générales ? Comme expliqué, le diagnostic est instable et divisible. Chaque fois qu'il est divisé en deux, il est à l'origine de deux thérapies effectuées par deux thérapeutes dont le coût n'est, lui, jamais divisé. Il reste un chiffre entier. En économie de marché, cela est rare. Cela voudrait dire que vous pourriez vendre chaque moitié d'une pomme au prix de la pomme entière. En période de disette, c'est possible; en période de pléthore vous jetez les deux moitiés et vous demandez une entière pour le même prix.
Actuellement, le diagnostic est rendu par de nombreux spécialistes. La tendance critiquable est alors de soigner les maladies toujours divisibles plutôt que le malade toujours un. Les dépenses de la santé s'arrêtent alors souvent lorsque le dernier spécialiste a répondu à l'attente du patient ou lorsque le patient, de lui-même, cesse sa quête de non-réponse à son problème. Pour lutter contre cette dérive, l'action politique devrait tendre à une formation médicale qui permette de vendre des pommes entières, soit de favoriser la prise en charge globale par un médecin traitant. Le diagnostic n'est pas toujours une constante sur laquelle on peut agir pour lui donner des vertus économiques.
Après vous avoir affirmé que l'ordonnance de Mme Dreifuss, qui impose un diagnostic sur une facture de soins, n'a pas de valeur numérique stable indispensable à une étude de notre politique de santé, il faut clore ce sujet en évoquant un très vieux démon de la politique : le pouvoir médical ! Certains hommes ou femmes, délectés par la vision de la politique secrète, croient voir dans les alcôves intimes de la relation médecin/patient un pouvoir à saisir. Le pouvoir médical est le contraire du pouvoir politique. Le pouvoir médical est à l'individu ce que le pouvoir politique est à la société. L'un est infiniment intime, l'autre infiniment public. Et les intérêts personnels ne doivent et ne peuvent jamais se confondre avec ceux de la société. La rencontre des deux ne peut que se comparer à la rencontre de la matière et de l'antimatière.
Le diagnostic médical, Mesdames et Messieurs les députés, n'a ainsi aucune vertu politique.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Nous sommes saisis de deux textes différents : d'une part, la proposition de motion et, d'autre part, la proposition de résolution concernant l'ordonnance d'application de la LAMal.
Je ne veux pas faire un long discours maintenant. Je vous propose de voter tout d'abord la proposition de résolution qui sera adressée au Conseil fédéral et, ensuite, d'entrer en matière sur la proposition de motion et de la renvoyer - Monsieur Saurer, je suis désolé ! - à la commission des affaires sociales qui a été saisie de tous les projets concernant la nouvelle LAMal.
Je comprends bien les aspects médicaux que vous avez soulevés les uns et les autres, à juste titre, mais il me paraît important que la même commission puisse traiter cette motion, même si, sur ce point particulier, elle peut siéger avec la commission de la santé, comme elle l'a fait lors de l'élaboration de la politique cantonale en matière de toxicomanie.
M. Andreas Saurer (Ve). Je ne partage évidemment pas la proposition de M. Segond ! Pourquoi ?
Comme je l'ai déjà expliqué tout à l'heure, nous nous trouvons en présence d'un sujet extrêmement pointu et particulier : le secret médical ! Les projets et différents problèmes qui se discutent à la commission des affaires sociales concernent la loi genevoise en matière d'assurance-maladie. Mais, dans le cas présent, nous nous trouvons devant des points très particuliers qui concernent l'éthique. Pour cette raison, il me semble infiniment plus pertinent de l'adresser à la commission de la santé. Il ne s'agit pas de modifier une loi, mais de savoir comment interpréter un aspect particulier relevant de l'éthique. Vous-même, Monsieur Segond, à moult reprises, avez insisté sur le fait que la commission de la santé doit essentiellement traiter des problèmes éthiques auxquels la médecine est confrontée.
Il est donc souhaitable de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé.
M 1034
La proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé est adoptée par 27 oui contre 26 non.
R 306
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
RESOLUTION
concernant l'ordonnance d'application de la LAMal
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que le maintien du secret médical est un des meilleurs gages d'une relation patient-praticien basée sur la confiance et que sa préservation constitue un intérêt public prépondérant;
- que le diagnostic est une donnée sensible au sens de la loi fédérale sur la protection des données;
- que le secret médical a la même portée en médecine privée et publique;
- que des études statistiques sont essentielles tant pour des motifs scientifiques que médico-économiques mais qu'elles ne justifient pas pour autant la violation du secret médical
- l'article 4a de la loi K 1 30,
invite le Conseil fédéral
- à modifier l'OAMal et en particulier son article 59;
- à faire en sorte que cette modification pose le principe de base de la non-transmission du diagnostic;
- à étudier avec les partenaires concernés la mise sur pied d'un outil statistique répondant aussi bien à des objectifs scientifiques que médico-économiques dans le respect de la législation.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La volonté populaire de développer l'aide et les soins à domicile s'est clairement exprimée le 16 février 1992.
La première tranche annuelle de crédit accordée au Conseil d'Etat le 1er janvier 1993 concrétisait financièrement le développement de l'aide à domicile pour une période quadriennale.
Nous arrivons au terme de la troisième année d'application de la loi sur l'aide à domicile et allons vers une nouvelle période quadriennale. Le budget 1995 prévoit la quatrième tranche de crédit alors qu'aucun rapport sur l'application de la loi n'a été adressé au Grand Conseil.
En réponse aux diverses motions et interpellations, le chef du département de l'action sociale et de la santé présente, au titre dudit rapport, les quelques lignes figurant dans les rapports de gestion successifs du Conseil d'Etat et dans les différents projets de budget, soit en tout, pour les trois années écoulées, trois pages !
Vu l'enjeu considérable que constitue le développement de l'aide à domicile dans la politique sanitaire et sociale du canton, importance dont le rapport Gilliand s'est fait l'écho dans différents documents, il nous paraît plus qu'urgent de pouvoir évaluer après trois ans d'application la loi sur l'aide à domicile et ses divers effets, de façon détaillée, afin de mieux définir les priorités pour la prochaine période.
Nous vous serions reconnaissants, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir envoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
Débat
M. Gilles Godinat (AdG). L'essentiel est précisé dans la motion. Il s'agit d'inviter le Conseil d'Etat et, en particulier, le président du Conseil d'Etat à nous rendre compte du travail qui a été effectué dans le domaine de l'aide à domicile dans l'application de la loi sur l'aide à domicile.
Comme les motionnaires le soulignent, il y a un besoin urgent d'information pour identifier les différents problèmes soulevés par la mise en application de la loi, afin de corriger éventuellement le tir, si cela s'avérait nécessaire pour la prochaine période. Des difficultés et des problèmes politiques importants existent. Il serait souhaitable de savoir quelle est la part qui revient au canton et quelle est l'autonomie communale en matière d'application de la loi, en particulier dans la gestion et la coordination des centres. Ces points devraient être éclaircis, puisqu'ils sont actuellement en discussion. Il serait également souhaitable de savoir si les effectifs en personnel sont suffisants ou non. En effet, les informations divergent à ce sujet.
M. Andreas Saurer (Ve). Je pense que ce sera ma dernière intervention pendant cette séance !
Des voix. Oh !
Une voix. Quel dommage !
Une voix. C'est la dernière ?
M. Andreas Saurer. C'est la dernière, mais laissez-moi la finir !
Une voix. Tu l'as même pas commencée !
M. Andreas Saurer. Oui, je la commence !
Des interventions adressées à M. Segond, au sujet de l'aide à domicile, ont régulièrement eu lieu afin d'obtenir des rapports; la dernière au mois de décembre, lorsque j'ai développé une interpellation urgente.
M. Segond m'a demandé pourquoi je me plaignais, puisque chaque année nous recevions un rapport et qu'il pouvait très bien me donner des détails chiffrés. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait et ces chiffres m'ont été transmis. Je les ai examinés attentivement et je dois dire qu'ils m'ont quelque peu surpris. Je vais vous en donner quelques-uns. Il est intéressant de comparer l'évolution des subventions versées aux différents services de l'aide à domicile et celle des prestations fournies par ces services. On peut ainsi constater qu'entre 1992 et 1994 les subventions au SASCOM ont augmenté de 25%, mais les heures fournies seulement de 10%. L'augmentation pour les aides familiales a été de 42% et les prestations de 25%. Pour les repas à domicile cette augmentation a été de 30% et leur nombre a seulement augmenté de 1% ! Je le répète, j'ai été quelque peu surpris.
Je dois bien avouer qu'un doute m'a assailli : je me suis demandé si Martine Brunschwig Graf, libérale, du temps où elle était encore députée à la commission des affaires sociales, n'avait pas raison d'attirer notre attention sur le fait qu'il ne fallait donner de l'argent au Conseil d'Etat qu'avec des directives très précises sous peine de voir cet argent dilapidé. Nous sommes bien en présence d'une certaine dilapidation du denier public, Monsieur Segond !
Je constate, avec ma petite expérience de médecin de quartier, que la sectorisation entre les différents services n'est même pas réalisée, malgré les promesses faites il y a quatre ans et les affirmations selon lesquelles les choses avaient été réglées. J'en suis étonné.
Le rapport Gruson, établi à l'intention du Conseil d'Etat, juge très durement la pratique des services d'aide à domicile et parle de lacunes, d'insuffisances, de gestion incompréhensible, etc. Je me dis que cet argent n'a vraiment pas été utilisé à bon escient. Je regrette, non pas de faire ce constat négatif - je sais très bien que l'application de cette loi est extrêmement difficile - mais que vous, Monsieur le conseiller d'Etat, ne nous en ayez jamais informé sérieusement, bien que la loi vous y oblige et malgré le fait que nous vous l'ayons demandé à moult reprises.
Finalement, la situation dans laquelle nous nous trouvons me contraint à vous dire que si je n'ai pas des garanties formelles que les services de l'aide à domicile - cette véritable gabegie ! - vont changer et que vous ne nous donnez pas les moyens de les contrôler, je ne voterai pas le prochain crédit quadriennal ! Je vous dis cela très sérieusement, parce que je trouve que la gestion de ces quatre dernières années a vraiment laissé à désirer. Si vous ne gérez pas directement ces services, vous devez exercer un contrôle, ce que vous n'avez pas fait. Vous ne nous avez pas donné les informations à ce sujet et je ne pense pas que l'on puisse continuer à fonctionner de cette manière.
Présidence de Mme Christine Sayegh, première vice-présidente
M. Pierre-Alain Champod (S). Effectivement, le peuple a accepté en 1992 une loi sur l'aide à domicile, qui prévoit expressément que le Conseil d'Etat doit présenter régulièrement un rapport au Grand Conseil sur l'évolution de l'aide à domicile. Comme l'a dit M. Saurer, nous n'avons pas encore reçu du Conseil d'Etat un document digne d'être appelé «rapport». En effet, les quelques lignes figurant dans le budget et les comptes ne peuvent pas être considérées comme tel.
Pourtant, la mise en place de l'aide à domicile pose un certain nombre de problèmes, notamment ceux liés au regroupement des services, dont les pratiques étaient différentes. Je pense également à la formation et à la définition de certaines professions qu'il conviendrait probablement de regrouper sous une même appellation; je pense, par exemple, aux aides extra-hospitalières et aux aides polyvalentes dont la différence n'est pas évidente. Comme l'a dit M. Godinat, se pose aussi le problème de la gestion et de la cohabitation de différents services dans les centres de quartiers ou de communes.
Je ne développerai pas davantage ces aspects dans le cadre de cette intervention. Le département est d'ailleurs conscient des difficultés, puisqu'il a demandé une étude sur ce thème, et je pense qu'il serait extrêmement important que les députés aient accès au rapport établi par Mme Ehrismann ou, au moins, à un résumé de ce rapport.
Les socialistes ont toujours soutenu le principe des soins à domicile, et nous continuons de penser que c'est une bonne formule, raison pour laquelle nous estimons qu'il est important que le Conseil d'Etat nous fournisse les informations nous permettant de faire un bilan de l'application de cette loi, bilan qui comprendrait un certain nombre de chiffres, aussi bien sur les coûts, que sur le personnel et l'évolution du nombre de bénéficiaires, afin de nous permettre de réfléchir à des améliorations du système en place pour les prochaines années.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutiendra le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Danielle Oppliger (AdG). Je n'ai pas la prétention de vous apprendre quelque chose en vous disant que la population est de plus en plus sérieusement inquiète des dispositions qui ont été prises dans le domaine de la santé et qu'elle a le sentiment d'être souvent l'otage de théoriciens, très éloignés de la réalité quotidienne.
Le système d'aide à domicile est rassurant s'il représente un plus, une alternative souhaitable pour les patients. Par contre, le système de l'aide à domicile peut être fort inquiétant s'il ne recouvre qu'une pure mesure d'économies avec réduction de la qualité de la prestation, quelles qu'en soient les conséquences sur le traitement des patients !
Chacun est de plus en plus témoin du discernement discutable des réorganisateurs ou «consultants», comme on désigne maintenant ces coûteux intervenants qui appliquent linéairement - pour ne pas dire bêtement - la réduction du personnel : le manque de disponibilité du personnel soignant se fait de plus en plus sentir. Il faut déplorer l'hémorragie du personnel au chevet des patients.
Et c'est dans cette atmosphère, que je n'hésite pas à qualifier «d'équivoque», que je déplore - avec les députés auteurs de la proposition de motion 1040 qui vous est soumise - que le Conseil d'Etat n'ait présenté aucun des rapports annuels prévus par la loi devant ce Grand Conseil, après trois années complètes.
Je me permets de vous demander, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir suivre les motionnaires dans leur conclusion et de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Je ne formule aucune objection à ce que vous me renvoyiez cette motion. Mais, Madame Oppliger, je ne peux pas laisser passer deux choses.
D'abord, vous ne pouvez parler de diminution d'effectifs dans les services d'aide à domicile : c'est exactement le contraire qui s'est produit ! Les effectifs ont été diminués dans les établissements hospitaliers, c'est vrai, mais, en revanche, ils ont augmenté dans les services d'aide à domicile. C'était même le but de la loi votée par le peuple.
Ensuite, vous ne pouvez pas affirmer que vous n'avez pas reçu de rapport : chaque rapport de gestion comporte plusieurs pages sur la gestion du Conseil d'Etat. Et il serait tout à fait anormal qu'un rapport sur la gestion de l'Etat comporte des rapports d'institutions privées. En effet, si on procédait ainsi pour une institution privée, il faudrait le faire, en bonne logique, pour toutes ou, en tout cas, pour la plupart d'entre elles. Vous pouvez éventuellement dire que ces rapports étaient insuffisants et que vous n'y avez pas trouvé tous les renseignements souhaités - c'est bien possible. Pourtant, tout le monde nous reproche la longueur du rapport de gestion du Conseil d'Etat et il n'est malheureusement pas lu, ce que nous vérifions une fois encore ce soir !
Monsieur Saurer, j'ai bien entendu vos reproches, mais je ne vous ai jamais dit que les services d'aide à domicile étaient la perfection incarnée sur terre !
Ce sont des services privés sur lesquels nous n'avons aucune autre autorité, Monsieur Saurer, que celle de la subvention.
Vous savez très bien que nous avons reconnu les imperfections existantes : nous avons demandé à Mme Ehrismann une évaluation extérieure qui a abouti à des projets de restructuration qui sont en cours.
Si ces projets tardent, c'est parce que nous suivons les procédures de concertation avec les syndicats, comme nous le faisons traditionnellement au DASS.
Vous aurez probablement à une très prochaine séance du Grand Conseil - si je ne me trompe pas sur les délais nécessaires à la typographie - le rapport des services privés d'aide à domicile. Il est logique que vous ne l'ayez pas eu plus tôt : nous devions d'abord être en possession des comptes et des statistiques au 31 décembre 1995.
Je n'ai donc aucune objection à ce que vous votiez cette motion. Le Conseil d'Etat est prêt à l'accepter : vous pouvez bien penser que je n'aurai pas l'inexpérience politique de vous soumettre un deuxième crédit quadriennal sans avoir répondu, au moins dans l'exposé des motifs, à la plupart des critiques formulées par le père de la loi que vous êtes !
M. Andreas Saurer (Ve). Il y a un problème d'interprétation de la loi, Monsieur Segond !
Selon la loi, le Conseil d'Etat est tenu de nous transmettre un rapport. Cela peut être interprété, comme vous le faites, par quelques paragraphes. Nous, nous demandons - c'est l'esprit de la loi, et vous avez assisté aux travaux de la commission - un rapport annuel séparé, comme le Conseil d'Etat nous en fournit de temps en temps sur des sujets X ou Y. En l'occurrence, nous n'avons jamais obtenu satisfaction !
La question du contenu du rapport se pose évidemment. J'ai relu les différents chapitres des rapports de gestion et je les ai comparés avec le rapport de M. Gruson : c'est le jour et la nuit ! Les textes fournis dans le rapport de gestion sont lénifiants et ne permettent, en aucun cas, de comprendre où se trouvent les problèmes, alors que ceux-ci existent bel et bien et qu'ils sont importants. Ce n'est que maintenant que ces problèmes ont surgi, et cela m'inquiète. Ma réaction n'est pas isolée. Sur tous les bancs, des députés se demandent s'il est vraiment raisonnable de continuer dans la voie qui a été fixée il y a quatre ans.
Votre responsabilité est extrêmement lourde et vous devrez l'assumer. Vous ne nous avez pas informés sérieusement des innombrables problèmes existants.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
sur le développement de l'aide à domicile
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- que la loi sur l'aide à domicile (K 1 2) approuvée en votation populaire le 16 février 1992 est entrée en vigueur le 10 mars 1992 et en application le 1er janvier 1993;
- que l'article 9, alinéa 4, de ladite loi prévoit que le Conseil d'Etat présente au Grand Conseil un rapport annuel sur la mise en oeuvre et le développement de l'aide à domicile;
- qu'à la fin de l'année 1995, aucun rapport n'a encore été présenté après bientôt quatre années d'entrée en vigueur de la loi K 1 2;
- que les motions 921, 922 et 925 adoptées le 27 mai 1994 concernant l'application de ladite loi n'ont toujours pas reçu de réponses,
invite le Conseil d'Etat
à présenter au Grand Conseil un rapport détaillé, répondant à l'ensemble des motions citées ci-dessus, sur la mise en oeuvre et le développement de l'aide à domicile, comme la loi K 1 2 le prévoit, dans les délais les plus brefs.
Sous la présidence de Mme Geneviève Mottet-Durand, la commission a consacré une séance à cette proposition. Assistaient aux travaux, M. Jean-Pierre Rageth, directeur du département de l'action sociale et de la santé, et M. Albert Rodrik, directeur de cabinet du département de l'action sociale et de la santé.
Historique
C'est le 30 mars 1995 que le Grand Conseil renvoyait en commission cette motion 984. Lors des débats de préconsultation, Mme Claire Torracinta-Pache avait souhaité traiter conjointement sa proposition avec celle de MM. Philippe Schaller, Bénédict Fontanet et Pierre-François Unger concernant les emplois à domicile, motion 963 (voir texte en annexe). Or, M. Daniel Ducommun, président de la commission fiscale, dans une lettre du 31 mai 1995, informait la commission des affaires sociales qu'il préférait (en accord avec les auteurs) lui renvoyer la motion 963, afin qu'elle soit un outil de référence à la motion 984.
Travaux de la commission
Après un premier tour d'horizon, les députés ont constaté que les deux motions étaient fondamentalement différentes:
- la motion du PDC demande à étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé concernant les emplois à domicile;
- la motion socialiste consiste à demander une simplification nécessaire à la déclaration des personnes employées partiellement à des activités familiales ou domestiques (femmes de ménage - jardiniers - gardes d'enfants); elle soulève un problème de forme, de procédure administrative.
La commission des affaires sociales constate que les deux motions ne sont pas liées. C'est pourquoi elle a décidé d'étudier prioritairement la motion socialiste, car il est urgent de simplifier les formalités de déclaration des emplois à domicile.
En effet, force est de constater qu'aujourd'hui elles constituent un véritable parcours du combattant. Tout d'abord, l'employeur s'adresse à la caisse cantonale de compensation qui lui envoie un questionnaire à remplir, il le renvoit dûment rempli. En réponse, il reçoit trois ou quatre brochures avec tous les renseignements sur les taux des diverses cotisations à payer ainsi que les frais administratifs y relatifs.
Chaque employeur doit faire lui-même les calculs tous les trois mois. Ainsi, tous les trimestres, il refait les calculs en fonction du nombre d'heures et du salaire horaire afin de s'acquitter des charges sociales dues au moyen des bordereaux de versements adéquats. En outre, en fin d'année, l'administration exige un résumé récapitulatif et, le cas échéant, l'employeur doit remplir une attestation supplémentaire pour les allocations familiales, sans parler encore du contrat d'assurance-accident à conclure. Et tout cela... pour quelques heures de travail par semaine ! C'est tout à fait dissuasif.
La commission estime que la procédure est trop compliquée et qu'il est nécessaire de changer le système. C'est un problème de pure technique administrative qui ne peut pas être résolu dans une commission parlementaire.
Conclusion
Il est étonnant que le Conseil économique et social fasse exactement la même proposition au Conseil d'Etat, ce d'autant plus qu'il ne doit pas ignorer les travaux parlementaires et que cette proposition de motion date du 2 mars 1995.
En espérant que sa requête renforcera cette démarche politique, la commission souhaite une rapide simplification de procédure de déclaration des emplois à domicile pour que les employés puissent bénéficier des droits qui sont les leurs (notamment les prestations sociales).
Dans cet objectif, c'est à l'unanimité que la commission vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette proposition de motion, dans sa rédaction initiale, au Conseil d'Etat.
ANNEXE
(M 963)
PROPOSITION DE MOTION
concernant les emplois à domicile
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- le taux de chômage élevé qui subsiste dans notre canton;
- le fait que le chômage touche plus particulièrement les personnes peu ou pas qualifiées;
- qu'il faut tout mettre en oeuvre pour créer des emplois;
- que certains pays voisins se sont essayés avec succès à la création d'emplois de proximité par le biais notamment d'incitations fiscales;
- qu'il existe de nombreux salariés à domicile en situation non déclarée;
- que ces situations créent un certain nombre d'inégalités tant au niveau de la protection sociale que des relations de travail;
- qu'il est souhaitable de créer des emplois familiaux, notamment dans le cadre de gardes d'enfants ou de personnes âgées,
invite le Conseil d'Etat
- à étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé;
- à déterminer le type d'emploi susceptible d'être pris en considération;
- à fixer, le cas échéant, le montant maximum pouvant être déduit;
- à évaluer l'impact d'une telle mesure sur les finances publiques, la création d'emplois et la protection sociale.
Débat
M. John Dupraz (R), rapporteur. Je voudrais apporter quelques compléments. Tout d'abord, quel a été notre étonnement en constatant que le Conseil économique et social avait fait la même proposition que nous au Conseil d'Etat, alors que cette motion est pendante devant notre parlement depuis plusieurs mois. J'espère que le Conseil économique et social sert à autre chose qu'à répéter les actions de notre Grand Conseil ! (Rires.)
De plus, cette motion peut paraître anodine à certains, lesquels considèrent que la plupart des personnes ayant des emplois à domicile sont des personnes dont le conjoint travaille et bénéficie de prestations sociales, puisque régulièrement déclaré. Dans ces circonstances, la famille bénéficie notamment des allocations familiales, des prestations AVS, etc.
Mais il peut arriver, suite à un décès, à un divorce, que les personnes occupant ces emplois à domicile se trouvent seules à 50 ans, voire à un âge plus avancé, sans prestations sociales, puisqu'elles n'ont pas été déclarées. L'intérêt de cette motion réside dans la demande au Conseil d'Etat de mettre en place un système qui permette aux employeurs de déclarer leurs employés occupant ces emplois à domicile - ce sont souvent des emplois à mi-temps, à tiers-temps ou à temps partiel. Il est important de déclarer ces employés pour qu'ils puissent bénéficier de toutes les prestations sociales.
Et puis, Mesdames et Messieurs les députés, au moment où l'on parle de déréglementation, de dérégulation, de libéralisation, de concentration des entreprises, on supprime de plus en plus d'emplois. Avec le vieillissement de la population il y aura de plus en plus d'occasions de créer des emplois à domicile qui seront les bienvenus pour de nombreuses personnes. Il est donc utile de mettre en place un système reconnaissant le statut de ces employés pour qu'ils puissent bénéficier de la protection sociale qui leur est due.
Mme Claire Torracinta-Pache (S). Je remercie M. Dupraz de son rapport. Je remercie également le Grand Conseil de bien vouloir accepter de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
Nous ne pensons pas que cette motion va permettre de faire sortir de l'ombre d'un seul coup toutes les travailleuses et les travailleurs, appelés «travailleurs gris». Ce n'est pas très joli, mais c'est l'expression consacrée pour désigner ces travailleuses et ces travailleurs non déclarés. Nous pensons qu'une simplification de la procédure, grâce à l'utilisation, par exemple, du chèque emploi service, devrait inciter un certain nombre d'employeurs et d'employés concernés à se mettre en règle, et cela pour le bien des deux parties.
Mais il est clair que pour atteindre ce but il ne suffira pas de simplifier la procédure. Cette simplification devra également être accompagnée d'une information aux deux milieux concernés. Comment ? Là est la question !
Côté employeurs on pourrait, par exemple, imaginer une circulaire envoyée à toutes les familles à partir d'un certain revenu. Côté employés, il faudrait imaginer une collaboration avec les syndicats.
Il reste certainement des réflexions à mener dans ce domaine, mais je pense que le Conseil d'Etat pourra s'appuyer sur l'excellent rapport fourni par le Conseil économique et social, même si sur ce point je partage l'étonnement de M. Dupraz. Quelle n'a pas été ma surprise, en effet, de découvrir en manchette, il y a quelques mois, que le Conseil économique et social avait trouvé une idée de génie : il préconisait l'emploi du chèque emploi service ! Je suis certainement très contente qu'il nous ait rejoints sur ce point. Mais il faudrait améliorer l'information et l'articulation des sujets traités dans les deux instances. Je me demande toutefois ce qui se serait passé, Monsieur le président du Conseil d'Etat, si nous étions partis dans des conclusions différentes ?
Je dirai encore que des mesures incitant à la déclaration facilitée d'emplois à domicile sont indispensables et urgentes. Actuellement, des femmes de ménage qui travaillent à plein-temps - pas à mi-temps ou à tiers-temps - mais chez une dizaine d'employeurs différents, ne sont pas déclarées et se trouvent sans aucune protection sociale, ce qui est inadmissible.
La première étape de ce processus est la simplification de la procédure de déclaration. C'est pourquoi nous espérons que le Conseil d'Etat pourra faire diligence et trouver rapidement un système qui corresponde à nos us et coutumes suisses.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant la déclaration des emplois à domicile
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- le nombre de personnes travaillant à temps partiel dans l'économie domestique et non déclarées par leurs employeurs;
- le fait que ces personnes ne bénéficient par conséquent d'aucune protection sociale;
- la complication des démarches administratives à effectuer pour régulariser la situation de ces personnes, même pour des emplois de quelques heures par semaine;
- le côté dissuasif que peut avoir la procédure actuelle;
- la motion 963 renvoyée en commission,
invite le Conseil d'Etat
- à simplifier au maximum les formalités nécessaires à la déclaration des personnes employées partiellement à des activités familiales ou domestiques;
- à s'inspirer pour ce faire du système français du chèque emploi service.
Déposée par M. Edmond Moulin, la pétition susmentionnée a été traitée par la commission des pétitions les 20 novembre et 4 décembre 1995. Elle a successivement entendu le pétitionnaire, accompagné de son avocat, Me Luc Payot, M. François Chaix, substitut du procureur général, et M. François Longchamp, secrétaire général du département de l'action sociale et de la santé (DASS), avant de parvenir aux conclusions présentées, non sans avoir pu forger son opinion grâce au volumineux dossier présenté par le pétitionnaire, soit vingt pièces et plusieurs centaines de pages disponibles au secrétariat du Grand Conseil.
1. Audition du pétitionnaire
M. Edmond Moulin, accompagné de son avocat, qui épouse entièrement sa cause, expose les raisons de sa pétition. En février 1987, son épouse, enceinte de jumeaux, fut transférée de la Clinique des Grangettes, où elle devait accoucher par césarienne avec péridurale, sur les instructions de son gynécologue, à la maternité, en raison d'une naissance s'annonçant difficile.
Selon le pétitionnaire, le chef de clinique qui les reçut ne suivit pas les prescriptions de son confrère et opta pour un accouchement normal. Ensuite d'une cascade d'incidents médicaux, l'épouse de M. Moulin devait donner le jour à deux garçons, par une césarienne pratiquée d'urgence, puis, à la suite d'une infection, décéder dix jours plus tard, le 12 mars 1987, dans de grandes souffrances.
Six jours plus tard, soit le 18 mars 1987, le pétitionnaire déposait plainte pour homicide par négligence auprès du procureur général et se constituait partie civile.
Près de neuf ans plus tard, le pétitionnaire se plaint que justice ne lui a pas été rendue. De nombreuses expertises ont été effectuées. Toutefois, la Cour de justice a égaré le dossier médical pénal. Faute de constater l'existence d'une prévention suffisante de l'existence d'une infraction à l'article 117 CPS, le Ministère public avait classé la plainte du pétitionnaire le 7 décembre 1989. Sur recours, la Chambre d'accusation en fit de même le 7 mars 1990. Le pétitionnaire et son avocat adressèrent alors un recours de droit public au Tribunal fédéral, qui l'admit partiellement, le 13 juillet 1990. Ensuite de cet arrêt, une nouvelle décision de la Chambre d'accusation intervint le 10 avril 1991, concluant également au classement. Contre cette décision, le pétitionnaire recourut une nouvelle fois au Tribunal fédéral qui le débouta et infligea une amende à son avocat, le 23 août 1991.
Le pétitionnaire entreprit alors de poursuivre une action contre une compagnie d'assurances qui refusait de lui verser les prestations auxquelles il prétendait. C'est alors qu'il s'est avisé de la disparition du dossier médical naguère saisi par le juge d'instruction, communiqué à un expert, le professeur P. et rendu au greffe par celui-ci.
Pour le pétitionnaire, la justice genevoise n'a pas fait son travail et il soupçonne certains de vouloir enterrer l'affaire en ayant égaré le dossier médical. Depuis huit ans, il essaie d'obtenir justice pour ses enfants qu'il a dû mettre en pension dans le canton de Vaud, en raison de problèmes financiers. Du fait qu'il est domicilié en France voisine, l'AVS ne verse rien pour ses enfants. Il souhaite pouvoir prouver l'accident médical afin d'obtenir pour ses enfants la rente d'orphelin à laquelle ils ont droit.
Bien que certaines expertises aient été accomplies avec le dossier médical saisi, le pétitionnaire estime qu'il a été débouté en raison de l'absence de ce dossier dans la procédure civile.
2. Audition du substitut François Chaix
Tentant de mieux percer les méandres de cette douloureuse affaire, la commission des pétitions auditionne, le 4 décembre 1995, le substitut François Chaix.
Ce dernier rappelle que la procédure civile avait pour but de déterminer si le décès de Mme Moulin était dû à un accident médical ou à une cause naturelle. Sur la base des expertises produites, il n'est pas possible de dire qu'il y a eu des actes qui ont entraîné la mort, indique le substitut. Certes, la disparition du dossier médical est fâcheuse. Le dernier expert à l'avoir eu en main a communiqué au greffe qu'il le retournait sous pli séparé, mais ce pli n'est jamais parvenu au Palais de justice. Les conséquences juridiques de cette disparition ne sauraient cependant être surévaluées dans la mesure où les expertises sont concordantes, notamment celles des médecins ayant eu en main le dossier médical.
La commission des pétitions s'étonnant qu'il n'y ait pas de copies d'un tel dossier, le substitut précise qu'il n'existe qu'un seul exemplaire d'un dossier pénal et rappelle qu'il y a 1 000 procédures pénales par mois à Genève. M. Chaix ajoute qu'il y a eu plusieurs expertises et qu'on ne peut les multiplier. Dans ce cas, c'est précisément parce que le plaignant reprochait à la justice genevoise de vouloir étouffer l'affaire que le Parquet s'est adressé à des experts vaudois.
Par ailleurs, il faut distinguer entre le dossier pénal, dont l'accès demeure assez strict, dans la procédure, pour des raisons évidentes et le dossier médical qui relève du droit public.
Dans le cas présent, le substitut constate que la justice n'ayant pu établir de manière certaine les responsabilités, il ne lui est pas possible de poursuivre et il convient de classer. Il s'agit là de la contrepartie de la présomption d'innocence. Il est vrai qu'une telle décision, froidement juridique, ne peut satisfaire le pétitionnaire qui jugera toujours que sa vérité n'est pas prise en compte. Cela est douloureux, mais toute justice a ses limites.
Le substitut, en fin d'audition, confirme que des recherches ont été entreprises au sein du Palais pour retrouver le dossier médical disparu, mais qu'elles n'ont pas abouti. Il confirme d'autre part qu'une telle situation est rarissime.
3. Audition de M. François Longchamp, secrétaire général du DASS
Le secrétaire général du DASS n'entend pas se prononcer sur le fond du dossier, dont il méconnaît plusieurs éléments. En revanche, sur le plan formel, les choses sont claires, pour ce qui regarde la disparition du dossier médical. Celui-ci a été saisi à l'Hôpital cantonal le 25 mars 1987, ainsi qu'en fait foi un procès-verbal de perquisition et de saisie signé le jour même par le juge d'instruction en charge du dossier. Il n'a jamais été restitué. De ce jour, l'hôpital ne le détient plus. Il n'en existe pas de double. En matière d'archivage, il s'agit là d'une situation courante. Après un certain temps sans consultation, le dossier est classé dans le service. Au bout de quelques mois, voire quelques années, le dossier est transféré dans un autre lieu d'archivage où l'on microfilme les dossiers chirurgicaux. Après vingt ans, le dossier est transmis à l'Etat.
Le secrétaire général, après enquête à l'hôpital, peut confirmer qu'il n'existe pas de microfilm du dossier.
La commission des pétitions profite de la présence du secrétaire général du DASS pour lui demander comment se passe l'annonce d'un décès tel que celui de Mme Moulin à la famille. Ce dernier confirme qu'il n'y a pas de suivi psychologique de la famille, et qu'un tel suivi relèverait plutôt de services tels que ceux de l'Hospice général ou de la protection de la jeunesse. Il rappelle également qu'il existe deux commissions de surveillance, l'une pour les médecins privés, l'autre pour les médecins publics, qui sont chargées de sanctionner les médecins qui auraient commis des fautes. Tous les faits avérés sont présentés à ces commissions.
4. Discussion de la commission et conclusions
La commission, parfaitement consciente de la douleur éprouvée par le pétitionnaire et ses deux enfants, maintenant âgés de 8 ans, ne cache pas qu'elle a éprouvé un certain malaise face à une affaire où le plan juridique l'a emporté sur le côté humain. La disparition du dossier médical paraît avérée. La prescription absolue se rapproche. En raison du principe de la séparation des pouvoirs, la commission des pétitions ne peut toutefois que constater son impuissance, tout en réitérant sa compassion envers le pétitionnaire. Elle lui suggère de s'adresser, s'il ne l'a déjà fait, à l'ombudsman des assurances afin de tenter de trouver un compromis sur le plan matériel.
Pour le reste, ne pouvant diligenter d'autres investigations qui ne sont pas de sa compétence, la commission des pétitions vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, par 8 voix (2 R, 2 DC, 4 L) contre 6 abstentions (3 AdG, 2 S, 1 Ve), de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
(P 1085)
PÉTITION
concernant une plainte contre les médecins de l'Hôpital cantonal
Afin que nul ne l'ignore, je me permets de porter à votre connaissance mon affaire.
Le 12 mars 1987 décédait mon épouse à l'Hôpital cantonal de Genève, après avoir donné naissance à des jumeaux. Le périple qu'elle vécut du 2 mars au 12 mars fut un vrai calvaire, les médecins de différents services accumulant les erreurs.
J'aurais voulu, à cette époque, que les médecins incriminés soient punis pour des fautes volontaires puisqu'il s'agissait de cela.
S'agissant au mieux d'un accident au sens de l'assurance-accidents, j'aurais pu et dû bénéficier pour mes enfants de la rente d'orphelin liée à la LAA. Cela m'aurait permis de mieux les élever, même si la disparition de leur mère est irréparable.
Je me suis battu pour cela durant huit années, mais sans succès.
Tout a été fait par la justice genevoise pour couvrir cette affaire, jusqu'à «perdre» les dossiers médicaux saisis et mis sous main de justice en 1987 suite à ma plainte.
C'est en 1993 que j'appris que les dossiers avaient été perdus en 1989 lors du classement du dossier pénal.
Le 12 janvier 1995, mon avocat saisissait M. Michel Halpérin, président de la commission judiciaire du Grand Conseil, qui lui répondit, le 23 janvier, qu'il était loisible d'agir par voie de pétition.
Seriez-vous d'accord que j'installe une tente sur la place du Molard, entre l'entrée du Grand Passage, du Bon Génie et de l'Uniprix, et qu'en compagnie de mes enfants, nous interpellions la foule, un samedi par exemple, afin d'obtenir un nombre suffisant de signatures pour avoir le droit d'être entendu ?
Pour ma part, je ne saurais tolérer que cette situation se poursuive, ni qu'elle sombre définitivement. Depuis quelque temps je mets tout en oeuvre pour empêcher cela, et je suis obligé d'utiliser les médias, n'en déplaise à Monsieur le procureur.
Souhaitant que votre attention soit sensible à ce qui précède, je vous prie de croire, Madame la présidente, à l'assurance de ma parfaite considération.
Edmond Moulin
4-6, rue de la Scie
1207 Genève
Débat
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. Je n'ai qu'une chose à ajouter à mon rapport, mais elle est relativement importante.
Après le dépôt du rapport, nous avons reçu du pétitionnaire une copie de l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances cassant le jugement de la Cour de justice. Il l'a cassé parce que la Cour de justice n'avait pas fait la preuve de la disparition réelle du dossier médical. Le Tribunal fédéral constate qu'il n'était effectivement plus en main de la justice genevoise, mais imagine, dans son jugement, qu'il pourrait encore se trouver à l'hôpital cantonal.
Or nos travaux - qui nous ont conduits à auditionner les responsables du département de l'action sociale et de la santé - ont clairement démontré que l'hôpital n'a toujours qu'un seul dossier médical et jamais sa copie, et que ledit dossier avait été saisi, en son temps, par le juge d'instruction Trembley. L'hôpital cantonal détient une décharge, signée par le juge d'instruction; il n'a donc plus le dossier médical.
Ce dossier a bel et bien été perdu, soit au Palais de justice, soit entre Lausanne et Genève, puisqu'il avait été confié à un expert. C'est très regrettable en raison des conséquences humaines de cette affaire. Le jugement de la Cour de justice a donc été cassé. Un autre moyen était de demander à la Cour de justice de se prononcer sur le dossier médical. Mais, comme celui-ci a disparu, nous sommes malheureusement dans une impasse et, bien que certains ayant, d'une façon très humaine, suggéré un renvoi, je doute que notre commission parlementaire ou une autre commission parlementaire puissent parvenir à un résultat.
Dès lors, il appartient à la justice genevoise de revoir le cas à la lumière de l'arrêt du Tribunal fédéral et de se prononcer à nouveau. L'affaire, je crois, doit malheureusement revenir entre les mains de la justice.
M. Christian Ferrazino (AdG). En lisant le rapport de M. Lescaze, j'ai effectivement constaté l'impuissance de ce Grand Conseil à aller plus loin que ce qu'il a fait dans le cadre de ses travaux à la commission des pétitions.
Il faut s'interroger sur cet arrêt du Tribunal fédéral, intervenu postérieurement aux travaux de la commission et, comme l'a relevé M. Lescaze, au dépôt du rapport.
Tout de même, la perte d'un dossier médical lorsqu'il y a décès, en l'occurrence la mort d'une femme, doit susciter des questions ! Le Tribunal fédéral dit lui-même que, sur la base des pièces en sa possession, il a bien compris que le dossier n'était ni à l'Instruction ni au Parquet, c'est-à-dire pas au Palais de justice, mais il ne peut pas se contenter de déclarer, à l'instar de la Cour de justice, que le dossier médical n'étant plus en sa possession de nouvelles investigations ne peuvent être faites. Et le Tribunal fédéral de rappeler à la Cour de justice - et c'est l'expression du bon sens le plus élémentaire - que, si le dossier n'est pas chez elle, la moindre des choses est qu'elle cherche à savoir où il est. Une personne est morte; un citoyen demande réparation, ses héritiers sont là. Ce citoyen s'adresse à la justice et le Tribunal fédéral, qui est la plus haute instance de ce pays, le remet à l'ordre avec cet arrêt précité.
Le parlement que nous sommes ne peut se satisfaire de conclure : «Ce pauvre citoyen, avec ce dossier égaré, n'a pas eu de chance. Laissons la justice faire son travail !».
Ce cas, où un dossier médical se perd sans que l'on cherche à savoir où il se trouve, est typique de ceux à propos desquels le parlement doit véritablement s'interroger sur le fonctionnement de la justice.
Vu ce fait nouveau et compte tenu de cette situation particulière, je vous demande de renvoyer cette pétition - non pas à la commission des pétitions qui a fait son travail comme elle avait à le faire - mais à la commission judiciaire, formée de spécialistes et de juristes qui, travaillant régulièrement sur des dossiers de ce genre, pourront, je l'espère, être à même de cerner de plus près cette question particulièrement préoccupante. Ainsi pourrons-nous donner une réponse plus satisfaisante à ce citoyen.
Je demande donc formellement le renvoi de cette pétition à la commission judiciaire.
Mme Vesca Olsommer (Ve). Notre groupe ne s'opposera pas au renvoi de cette pétition à la commission judiciaire. Il ne s'y opposera pas pour la bonne et simple raison qu'il ne veut pas passer à côté d'une éventuelle solution que la commission pourrait trouver, afin d'apporter quelque apaisement dans cette affaire très pénible.
Néanmoins, je voudrais prendre la défense de la commission des pétitions parce qu'elle n'a pas mal fait son travail. Pour ce faire, je reviens à la pétition de M. Moulin. Nous l'avons examinée attentivement et avons revu les interventions de M. Moulin auprès de la commission. Il est clair qu'il attendait qu'elle exerce des pressions sur la justice pour qu'elle revoie les deux procédures engagées qui, en effet, nous laissent perplexes.
Cependant, le principe de la séparation des pouvoirs a fait que la commission des pétitions n'a pas cru devoir entrer en matière à propos des demandes du pétitionnaire. Mme Moulin est décédée dans des circonstances incroyables, suite à une série d'incidents impliquant l'examen de multiples spécialistes; aucun expert mandaté par les tribunaux n'a pu déterminer la cause de sa mort et en imputer la faute à quiconque. Nous pourrions donc avoir le sentiment que les médecins se soutiennent mutuellement et que la justice n'a pu savoir de quoi était réellement morte Mme Moulin. L'ignorant, il lui était difficile, en effet, d'incriminer l'un des nombreux praticiens concernés.
Cela dit, nous répétons que le principe de la séparation des pouvoirs nous interdisait de faire pression sur les autorités judiciaires, d'autant plus que nous avons reçu, par la suite, l'arrêt du Tribunal fédéral qui cassait le jugement de la Cour de justice statuant en tant que Tribunal cantonal des assurances. Cela donne raison à M. Moulin. La justice doit continuer à s'occuper de son cas, faire des enquêtes complémentaires et, si le dossier a été perdu, comme le précise l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances, la Cour de justice doit tenter de le retrouver, sinon le recomposer. A ce stade, la demande de M. Moulin est satisfaite, du moins en ce qui concerne la procédure civile.
De plus, nous nous sommes penchés sur deux autres points :
1. La façon dont M. Moulin a quitté l'hôpital cantonal. Après le décès de sa femme, il s'en est allé, avec ses deux bébés dans les bras. Il n'a reçu le soutien de personne. L'hôpital cantonal l'a laissé partir sans qu'un médecin, une infirmière, une assistante sociale ne l'accompagnent ni sur le plan social ni sur le plan psychologique. Aussi pensions-nous rédiger un rapport de minorité pour que le Conseil d'Etat inflige un blâme à l'hôpital cantonal, mais M. Lescaze a relevé, dans son propre rapport, ce manque d'humanité qui nous a beaucoup étonnés.
2. Le dossier perdu. La commission s'est évidemment interrogée à son sujet. Qu'est devenu ce dossier ? On n'arrive pas à le localiser. Se trouve-t-il au Tribunal fédéral, au Palais de justice ou dans les mains du dernier expert qui l'a étudié ? Il affirme l'avoir envoyé, mais nous n'en savons rien. La première procédure pénale a été conduite sur sa base, les experts médicaux l'ont eu en main et la deuxième procédure civile doit le reconstituer. Sa perte constitue toujours un problème.
Je voulais simplement dire que le commission des pétitions avait fait le tour des questions. M. Lescaze a bien exprimé à quel point nous avons été émus par la mort de Mme Moulin...
La présidente. Madame Olsommer, vous avez épuisé votre temps de parole.
Mme Vesca Olsommer. Je conclus en disant que, par souci de justice, nous sommes d'accord avec le renvoi de la pétition.
La présidente. Avant que vous ne poursuiviez, sachez que nous avons l'ambition de terminer ce soir les points du département de l'action sociale et de la santé.
Mme Liliane Charrière Urben (S). Je serai brève, Mme Olsommer ayant exprimé une partie de ce que j'entendais dire.
Cependant, je voudrais préciser qu'avant même de recevoir l'arrêt du Tribunal fédéral nous avions l'intention, en tant que députés, de nous abstenir à la fin des débats. Notre abstention n'est pas liée à un désaccord ou au désaveu du rapport qui vous a été fourni, mais plutôt au malaise suscité par cette situation, décrite par M. Lescaze avec discrétion et sobriété. Vu la complexité du dossier, il fallait quand même être fort pour nous exposer, en quelques mots, ce qui s'est passé !
D'habitude, les naissances sont source de joie. Ici, elles ont été une source de malheurs qui n'ont cessé de frapper M. Moulin et sa famille.
Nous avons eu le sentiment d'un dysfonctionnement ou d'un vide. En commission, nous avons tous ressenti un lourd malaise et compris que nous étions démunis pour intervenir d'une manière ou d'une autre.
Le dossier a été perdu, lors de sa transition entre un expert et le Palais de justice. Faut-il incriminer ce dernier ? Faut-il incriminer la poste ou l'expéditeur ? Je me garderai bien de me prononcer. Il n'empêche que la Cour de justice n'a pas spécialement cherché à savoir ce qu'il en était; elle s'est simplement contentée de constater la disparition du dossier.
S'agissant d'un dossier constitué sur des bases matérielles, l'on pourrait peut-être se satisfaire de cette réponse. Quand il y a mort de personne, cette réponse est légère, ainsi que l'a relevé le Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral a encore relevé autre chose. Il dit que des zones d'ombre subsistent dans la succession des complications qui ont entouré l'accouchement de Mme Moulin. Il y a donc des difficultés et des points qui n'ont pas été éclaircis.
Vous comprendrez qu'il n'appartenait pas aux membres de la commission de dire si la justice a mal fait son travail, si le dysfonctionnement provient de l'hôpital, de la justice, ou bien des deux, ou encore d'ailleurs. Nous avons simplement eu le sentiment que dans un tel cas, il aurait fallu que le citoyen, aux prises avec une situation extrêmement difficile, puisse recourir à une instance ad hoc.
Or force est de constater que nous n'avons pas su où l'envoyer pour déposer son recours, puisque nous avons voulu respecter le principe de la séparation des pouvoirs.
Le Tribunal fédéral ayant pris une décision assez ferme en l'occurrence, la sagesse voudrait que l'on renvoie ce dossier à la commission judiciaire... (Exclamations, chahut.)... pour que les gens compétents qui y siègent puissent apprécier s'il y a eu ou non application des principes de justice minimaux. Je vous rappelle qu'il ne s'agit pas d'une affaire financière au premier chef, mais, en priorité, d'un cas humain. C'est cet aspect-là qui nous a retenus, parce qu'étant le plus important. (Chahut.) Merci à ceux des bancs d'en face qui semblent dire que la vie n'a guère d'importance !
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. J'aurais mauvaise grâce à m'opposer au renvoi de la pétition à la commission judiciaire. Je tiens cependant à dire que cette commission ne pourra se renseigner que sur la manière dont le dossier médical a disparu au Palais de justice. Il est maintenant prouvé qu'il n'est plus à l'hôpital, qu'il a été en main de la justice et je ne voudrais pas qu'en renvoyant cette pétition à la commission judiciaire on suscite de faux espoirs.
De toute façon, l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances est clair. D'autres expertises devront être analysées. La justice poursuivra son cours, et la commission judiciaire pourra, en effet, s'interroger sur la façon dont certaines pièces sont conservées ou non au Palais de justice. A ce moment-là, les remarques de M. Ferrazino devront être prises en compte.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport à la commission judiciaire est adoptée.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Etant donné l'heure tardive, j'essaierai d'être brève pour traiter d'une question latente... (Chahut.)
La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît, afin que la députée puisse être précise, concise et efficace !
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus. J'essaierai, Madame la présidente ! Je vais donc traiter d'une question latente, voire ringarde : y a-t-il, oui ou non, pénurie d'infirmières ? C'est pourquoi je voudrais m'adresser au chef du département.
Dans un canton qui forme autant de médecins que d'infirmières; où il existe, de fait, un numerus clausus sur la formation d'infirmière; où les effets conjugués des postes non pourvus avec ceux des longues absences alimentent le paradoxe de la pénurie et du chômage des infirmières, les effets des restrictions budgétaires vont-ils suffire pour trouver une solution remédiant à la pénurie d'infirmières ?
Cette pénurie est souvent exploitée dans la discussion commune. Elle sert d'excuse, de légitimité et à d'autres choses encore.
Or nous sommes dans un canton, voire dans un pays, qui utilise des diplômées en provenance de tous pays. Les cantons de Genève et de Vaud accueillent plus de 50% d'infirmières diplômées étrangères. En disant cela, je ne leur dénie pas le droit de travailler chez nous, mais signifie qu'elles ont été formées dans leur pays d'origine et qu'elles ont été attirées par le nôtre qui en avait besoin et disposait des moyens matériels pour les inciter à venir.
Est-ce une bonne politique ou devons-nous souscrire à des directives d'organisations internationales, dont le Conseil de l'Europe, qui préconisent l'autosuffisance de chaque pays en la matière, quitte à ce que les personnes puissent circuler librement ?
Quelques restrictions budgétaires ont semblé apporter une solution au manque chronique de personnel soignant. Par conséquent, continuerons-nous à nous appuyer sur des perspectives budgétaires pour remédier à la situation ou entreprendrons-nous une réelle planification du personnel de santé ?
En effet, comment faut-il faire pour maintenir au travail des personnes qualifiées en la matière, compte tenu de l'augmentation de la durée de vie diplômée et professionnelle des femmes, souvent conduite en deux étapes, soit avant la naissance des enfants, soit après ? Oui, comment faut-il faire, compte tenu des conséquences de la prédominance féminine dans les métiers de santé; de l'attitude des femmes par rapport à leur travail d'intérieur et leur carrière professionnelle; de l'astreinte à des horaires de vingt-quatre heures sur vingt-quatre, six jours sur sept; de la dévalorisation des prestations du fait de la nouvelle loi sur le travail ?
Pour autant qu'elle existe, la pénurie de personnel infirmier doit être discutée, à mon avis, selon trois critères :
1. Le nombre de diplômés. Il est à relever que dans ce canton on a ouvert un plus grand nombre de places dans les écoles de soins.
2. L'organisation du travail. Peut-elle attirer le personnel diplômé de ce canton ? Le canton de Fribourg, confronté, il y a quelques années, à un manque de personnel soignant, a résolu le problème en ouvrant son organisation du travail dans son hôpital, avec différents horaires à choix.
3. La valorisation de la profession. Pour ce faire, il ne suffit pas de supprimer les indemnités de formation pour obtenir un soi-disant statut d'étudiant. Il faut valoriser la profession en élevant la formation et les salaires.
La planification du personnel de santé doit préoccuper le canton, à l'instar de la planification des lits et de la planification des prestations offertes.
Y a-t-il pénurie ? Y a-t-il une pénurie détournée, résolue par l'engagement de personnel étranger, lequel prive des pays de leurs professionnels qualifiés ? La Suisse emploie des infirmières de quarante nationalités différentes; la plupart viennent des pays frontaliers, étant donné qu'il nous faut des personnes parlant nos langues. Le quatrième pays étant l'ex-Yougoslavie, on peut se demander s'il n'a pas besoin des infirmières qu'il a formées ?
La planification du personnel de santé est-elle prise en compte dans celles des lits et des établissements mis en réseau ? Autrement dit, la politique de planification va-t-elle devenir une planification intercantonale ? Dépassera-t-elle le stade de tentatives sporadiques ?
Le nombre de professionnelles non actives dans ce canton est-il connu ? Serait-il judicieux d'étudier les conditions auxquelles elles réintégreraient leur profession ?
L'insuffisance chronique de personnel soignant et le recours tout aussi chronique à des diplômées étrangères, sans réciprocité, sont-ils recommandables ?
La réponse du Conseil d'Etat à cette interpellation figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Le 25 janvier 1996, M. Bernard Clerc m'interpellait sur le tarif des prestations des psychiatres genevois, s'étonnant de l'augmentation qui leur avait été accordée.
En 1991, quand nous avons revu le tarif-cadre qui s'applique lorsqu'il n'y a pas d'accord conventionnel entre l'AMG et la Fédération genevoise des caisses maladie, les actes médicaux dits intellectuels ont été revalorisés par rapport aux actes médicaux dits techniques.
Les bénéficiaires de cette revalorisation ont été les médecins cliniciens, singulièrement les généralistes, les internistes et les pédiatres. A l'époque, le tarif des psychiatres n'avait pas été modifié.
En 1993, le Groupe des psychiatres genevois a présenté une demande de révision du tarif. A l'époque, le nouveau tarif souhaité n'a pu entrer en vigueur en raison des arrêtés fédéraux urgents. Le département de l'action sociale a utilisé ce temps pour conduire une étude comparative des tarifs des psychiatres par rapport à ceux des autres médecins, ainsi que des tarifs des psychiatres genevois par rapport à ceux des psychiatres d'autres cantons.
Les résultats de cette étude ont permis de vérifier que l'écart moyen entre les tarifs et les revenus des médecins psychiatres et les tarifs des autres médecins genevois était de 27,5%. L'écart était de 16% entre les revenus des psychiatres genevoise et ceux des psychiatres des autres cantons romands et des cantons alémaniques de Berne, Zurich et Bâle.
Entendant corriger cette inégalité, le Conseil d'Etat a abouti à un nouveau tarif horaire des psychiatres devant permettre la suppression de l'écart des tarifs entre les différentes disciplines médicales. Désormais, le tarif horaire des psychiatres est comparable à celui des généralistes, des internistes et des pédiatres.
Comme vous le savez, tous ces tarifs-cadres ont été attaqués par la Fédération genevoise des caisses maladie : nous sommes dans l'attente des décisions définitives de l'autorité fédérale.
Cette interpellation urgente est close.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. M. Champod m'a interpellé sur l'application de la législation relative aux prestations complémentaires fédérales et cantonales et la prise en compte, dans le calcul, de la cotisation d'assurance-maladie.
Comme vous le savez, la législation fédérale sur l'assurance-maladie a supprimé la prise en compte, dans le cadre du calcul des prestations complémentaires fédérales, de la cotisation d'assurance-maladie qui devait être, dans l'esprit du législateur fédéral, remplacée par le subside.
Ainsi, jusqu'au 31 décembre 1995, un certain nombre de personnes ont pu bénéficier des prestations complémentaires parce que la cotisation d'assurance-maladie était comptée. A partir du 1er janvier 1996, les nouvelles demandes n'ont plus été traitées de cette manière, de sorte que les personnes non seulement n'avaient pas le droit aux prestations complémentaires, mais ne bénéficiaient pas d'un subside égal à la cotisation de l'assurance-maladie de base.
Après avoir mesuré les dimensions du phénomène, qui porte sur environ 3% des bénéficiaires de l'OCPA, nous avons donné les instructions nécessaires - et M. Champod en recevra la confirmation écrite - pour que soit corrigée cette inégalité de traitement entre ceux qui ont bénéficié des prestations complémentaires, en raison d'une décision prise avant le 31 décembre 1995, et ceux qui n'en bénéficieraient plus, en raison de la nouvelle législation. Ainsi, l'OCPA fera ses calculs non pas conformément à la législation fédérale mais conformément à la législation genevoise.
Cette interpellation urgente est close.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. M. Godinat m'a interpellé, tout à l'heure, à propos de la brochure d'information sur l'assurance-maladie et ses différents mécanismes.
Monsieur le député, nous avions une brochure pratiquement prête - raison pour laquelle je vous l'avais annoncée au mois de janvier - lorsque sont parues simultanément la brochure de l'OFAS, que tout le monde peut se procurer auprès de l'administration fédérale, celle de la Fédération romande des consommatrices et les notes que l'on peut demander à la télévision romande, suite aux émissions «A Bon Entendeur».
Il y a donc trois sources possibles d'information. Il n'a pas paru utile au Conseil d'Etat d'en ajouter une quatrième pour dire les mêmes choses.
C'est pourquoi nous avons réorienté la conception de cette brochure afin qu'elle paraisse au moment où les gens auront la possibilité de résilier leur participation à une caisse maladie, en temps utile et avant le prochain délai de résiliation. Cette brochure sera moins axée sur les spécificités de la nouvelle loi sur l'assurance-maladie, qui commencent à être bien connues et font l'objet d'interventions politiques dans les parlements fédéraux et cantonaux, mais davantage sur la façon de bénéficier du libre passage, et sur les conditions de la résiliation de sa relation avec telle ou telle caisse maladie pour entrer dans une autre.
Cette interpellation urgente est close.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. C'est plus le président du Conseil d'Etat que le conseiller chargé du département de l'action sociale et de la santé qui répond à M. le député Lescaze !
Je suis désolé d'avoir signé une réponse qui non seulement était réactionnaire, antifédérale et antieuropéenne mais, de surcroît, contraire à toutes les déclarations de mon collègue, M. Haegi ! C'est par inadvertance que j'ai dû le faire, à moins qu'il n'y ait eu une erreur de plume.
Toujours est-il que nous cherchons le vrai auteur de la réponse. M. Haegi vous dira demain pourquoi et quelles étaient les raisons dirimantes qui ont fait que la réponse a été donnée dans ces termes.
Pour le reste, M. Haegi a pris bonne note de consulter, à l'avenir, la Société auxiliaire des archives et, sans doute, certains de ses honorables membres.
La La présidente. Monsieur Lescaze, vous recevrez demain un complément d'information de la part de M. le conseiller d'Etat Haegi.
La suite de la réponse du Conseil d'Etat figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Il est exact que la loi sur la planification sanitaire cantonale, consécutive à une intervention parlementaire de M. Hausser, prévoit que le Conseil d'Etat présente, pour le 31 mars 1996, la planification sanitaire.
Comme je l'ai déjà dit oralement à M. Hausser, il est plus intelligent, avant d'élaborer et d'adopter une planification sanitaire, de connaître les moyens financiers mis à notre disposition, soit par l'intermédiaire de l'argent public, le département des finances, soit par l'intermédiaire de l'argent privé, les caisses maladie, afin de connaître les tarifs-cadres et tarifications qui seront définitivement retenus.
Pêchant sans doute par excès d'optimisme, nous pensions faire coïncider la planification sanitaire avec la publication du plan financier quadriennal 1997 - 2000, qui donne les différentes enveloppes budgétaires pour les différents secteurs d'activités du département de la santé. Nous avons un retard d'un mois ou deux. Ce n'est pas un grand retard !
Comme je l'ai indiqué à la commission des affaires sociales et à la commission de la santé, nous procéderons en deux temps.
Dans un premier temps, dès que nous aurons le plan financier quadriennal, nous présenterons une planification quantitative, qui portera essentiellement sur des lits, des postes et des francs.
Dans un deuxième temps, nous aurons une planification qualitative en objectifs de santé, en francs et en nombre de postes. Elle fait l'objet d'un mandat donné à l'Institut de médecine sociale et préventive. Celui-ci doit inscrire cette planification sanitaire qualitative dans le suivi du cahier intitulé «Bilan de santé des Genevois».
Nous présenterons cette planification qualitative pour septembre 1997. La planification quantitative sera publiée, elle, en même temps que le plan financier quadriennal.
Cette interpellation urgente est close.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. M. Ferrazino vient d'interpeller le Conseil d'Etat sur la brochure... mais où est M. Ferrazino ?
Une voix. Il est parti !
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Je réponds donc à son groupe au sujet de la brochure accompagnant les documents nécessaires au vote du 9 juin sur la traversée de la rade.
Il est indiqué dans la législation genevoise, à l'article 53 de la loi sur les droits politiques, que l'enveloppe envoyée aux citoyens doit comporter : premièrement, le bulletin de vote; deuxièmement, les textes soumis à la votation; troisièmement, les explications - celles qui intéressent M. Ferrazino - comportant un commentaire des autorités, d'une part, et celui des auteurs du référendum ou de l'initiative, d'autre part.
M. Christian Grobet. C'est scandaleux !
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Cette lecture, je l'ai dit, Monsieur Grobet, est strictement juridique. Elle est conforme à l'article 53 de la loi cantonale que j'ai sous les yeux. (Remarque de M. Christian Grobet.)
La présidente. Nous sommes en interpellation urgente et les dialogues ne sont pas autorisés, Monsieur Grobet.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Attendez la fin de ma réponse, Monsieur Grobet ! Le Conseil d'Etat a également examiné la question sous un angle plus politique. Considérant l'importance du vote et des crédits requis, il a pensé qu'il était fondamentalement faux que les opposants n'aient pas, d'une manière ou d'une autre, la possibilité de présenter leurs arguments à la population appelée à voter.
Je n'ai pas lu, Monsieur le député, la jurisprudence à laquelle vous faites allusion, mais le Conseil d'Etat cherchera, en collaboration avec le département de l'intérieur et de l'environnement chargé de l'organisation des élections, une solution qui permette de présenter à la population l'essentiel des arguments des opposants.
Cette interpellation urgente est close.
La séance est levée à 0 h.