Séance du
vendredi 26 janvier 1996 à
17h
53e
législature -
3e
année -
3e
session -
3e
séance
M 1044
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le très grave danger qu'ont couru de très nombreuses personnes à l'occasion de l'incendie survenu le 15 décembre dernier dans un magasin du passage Malbuisson, lequel s'est étendu dans deux grands magasins et un cinéma du centre-ville, qui ont dû être évacués d'urgence;
- les causes ayant provoqué l'extension de l'incendie et les mesures de sécurité insuffisantes qui sont apparues à cette occasion, qui auraient pu avoir des conséquences catastophiques,
invite le Conseil d'Etat
- à veiller à ce que la recherche de la rentabilité maximale dans la construction de bâtiments et la réalisation d'objectifs commerciaux ne se fassent pas au détriment de la sécurité des usagers;
- à charger le service cantonal du feu, en collaboration avec les services concernés du département des travaux publics et de l'énergie, de renforcer les mesures préventives et de sécurité contre le feu dans les locaux accessibles au public (tels que magasins, salles de spectacles, hôtels, hôpitaux, pensions pour personnes âgées, etc.) et tout particulièrement ceux situés en sous-sol.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Tenant compte du danger couru par le public lors de l'incendie du 15 décembre dernier au centre-ville, il importe de tirer les leçons qui en découlent et de prendre les mesures de prévention qui s'imposent dans les constructions existantes et futures pour prévenir autant que possible de tels drames. Il est notoire, à ce sujet, que les incendies les plus dangereux sont ceux qui surviennent dans de grands espaces ouverts au public lorsque celui-ci peut être important (tels que salles de spectacles, grands magasins, entreprises) et dont les sorties sont souvent éloignées du centre de ces constructions, ainsi que dans les hôtels, hôpitaux et homes pour personnes âgées où les personnes ont des difficultés pour se déplacer. C'est du reste pour ce type de construction que des mesures de sécurité spéciales sont prévues ainsi que des exercices d'évacuation.
Le danger est également important pour les constructions en sous-sol, ce qui constituait un des motifs pour lesquels le Grand Conseil avait été saisi en son temps d'un projet de loi visant à interdire de telles constructions pour des locaux (tels que magasins et salles de spectacles ouverts au public), projet de loi qui fut, hélas, rejeté par la majorité du Grand Conseil.
L'incendie du 15 décembre dernier a mis en évidence le très grave danger qu'ont couru certains spectateurs d'un cinéma du centre-ville qui, dès sa construction, a inquiété de nombreuses personnes, mais dont on avait assuré que les sorties de secours donnant sur un passage ouvert assimilable à l'extérieur offrait les garanties de sécurité suffisantes. Une porte qui aurait dû être condamnée et conduisant dans un passage sans issue a failli coûté la vie à une dizaine de personnes enfermées dans ces lieux pendant 40 minutes, ce qui démontre que les mesures de sécurité contre le feu étaient insuffisantes, sans parler de l'importante fumée qui se trouvait dans le passage sur lequel débouchait les sorties de sécurité.
Il est donc indispensable que le service cantonal du feu procède à une inspection de l'ensemble des salles de spectacles pour vérifier que ces lieux offrent la sécurité suffisante et que les sorties de secours soient dimensionnées correctement pour une évacuation rapide de ces lieux, ce qui ne semble pas être le cas de certains cinémas en sous-sol au centre-ville.
A ce sujet, l'incendie du 15 décembre démontre le grave danger que représente la mise en place de portes visant à fermer la rue intérieure du bâtiment de Confédération-Centre pour des motifs purement commerciaux (à savoir de rendre cet espace plus convivial) et au détriment de la sécurité du public. Il convient de rappeler que, lors de la construction de ce bâtiment, la fermeture de cette rue intérieure (dont le principe même avait été critiqué par les services de sécurité) avait été refusée par le département des travaux publics pour des motifs de sécurité, afin d'assurer l'évacuation de la fumée en cas d'incendie et parce que les sorties de secours des deux salles de cinéma en sous-sol ne débouchaient pas à l'extérieur du bâtiment, mais sur cette rue intérieure, assimilée à l'espace extérieur du fait que les deux extrémités du passage restaient ouvertes. Il convient que le Conseil d'Etat exige le maintien de l'état des lieux tel qu'il a été autorisé et s'assure que d'autres passages de ce type ne soient pas fermés.
Il convient également d'exiger la pose d'extincteurs en nombre suffisant dans tous les lieux publics, y compris dans les magasins, afin de pouvoir intervenir immédiatement en cas de début d'incendie. La présence d'un tel équipement élémentaire aurait pu prévenir l'incendie du 15 décembre. De même, il convient que les restrictions en matières de matériaux inflammables imposées à certains types de construction le soient également aux commerces.
Enfin, il convient que les mesures de sécurité complémentaires qui avaient été envisagées pour les hôtels, hôpitaux et homes pour personnes âgées soient ordonnées, si elles n'ont pas été mises en place.
Débat
Mme Liliane Johner (AdG). L'incendie du 15 décembre, en ville de Genève, a mis en évidence les dangers encourus par la population, surtout lorsqu'un événement de ce genre survient à l'intérieur de certaines constructions - notamment dans des constructions en sous-sol. Nous ne devons pas privilégier les motifs purement commerciaux au détriment de la sécurité du public. C'est pourtant ce qui se passe, notamment à Confédération-Centre, où certaines salles de cinéma en sous-sol n'ont pas de sorties de secours vers l'extérieur.
Nous vous rappelons qu'un projet de loi a été déposé, afin d'interdire de telles constructions. Ce projet de loi fut malheureusement repoussé par la majorité de ce Grand Conseil. Aujourd'hui, cette motion vient à point, et nous pouvons la renvoyer au Conseil d'Etat. Elle renforcera les mesures préventives de sécurité dans les locaux accessibles au public.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Les invites de la motion susvisée rejoignent les intentions de nos deux départements : celui de mon collègue M. Claude Haegi et le département des travaux publics.
Au sujet de la première invite, j'aimerais souligner que nous n'avons jamais admis de favoriser des objectifs économiques et commerciaux au détriment de la sécurité. Les problèmes les plus délicats ne se posent pas forcément au moment de l'autorisation de construire, mais pendant la période d'exploitation. C'est alors que des négligences dans l'organisation des sorties de secours et la surveillance d'évacuation de matériel se produisent. Il est donc indispensable de faire des campagnes de contrôle régulières, en collaboration avec l'inspectorat cantonal du feu, comme nous le faisons déjà.
A ce titre, j'ai poursuivi les démarches qui avaient été engagées par mon prédécesseur dans l'hôtellerie, les établissements hospitaliers et analogues. Plus récemment, un à deux jours après l'incendie qui a fait l'objet de cette motion, j'ai fait contrôler, rapidement, l'ensemble des cinémas de la place pour m'assurer que nous n'avions pas besoin d'ordonner des fermetures préventives. Ces contrôles seront poursuivis. Nous allons procéder de suite à un premier contrôle systématique - d'abord rapide - de tous les théâtres et dancings. Par la suite, nous entrerons dans les détails. Une des réponses essentielles à cette motion se trouve dans la notion de surveillance et d'aide aux exploitants, afin de respecter les normes de sécurité.
M. Christian Grobet (AdG). Cet incendie du passage Malbuisson a effectivement mis en évidence les dangers présentés par certains types de constructions. C'est le résultat d'une volonté de très forte urbanisation. Des constructions importantes utilisent les droits à bâtir jusqu'au dernier cm2. Je ne vous cacherai pas, Monsieur Joye, que je partage la préoccupation des motionnaires. Confédération-Centre présente, en effet, de graves problèmes que vous n'avez pas évoqués. Il s'agit de la part du propriétaire de l'immeuble - et non de la part du département - d'intérêts strictement commerciaux. La construction de ce bâtiment a été autorisée il y a une vingtaine d'années.
A cette époque déjà, le constructeur avait prévu une rue intérieure, afin de tirer un meilleur parti du sol. Cela ne convenait pas au service de sécurité du département des travaux publics qui l'avait mis en garde contre les risques en cas d'incendie. Ces risques sont d'autant plus évidents aujourd'hui après l'incendie du passage Malbuisson. Cette rue intérieure n'a été acceptée qu'à une seule condition : les deux extrémités devaient rester ouvertes. Ainsi, l'air pouvait circuler et la fumée s'évacuer de façon naturelle en cas d'incendie. Si l'on prévoit le maintien de la circulation naturelle de l'air, nul besoin d'être grand clerc pour imaginer que cela fait des courants d'air en hiver. L'acquéreur de l'immeuble a voulu agir pour lutter contre ces courants d'air. Du temps de M. Vernet, lors de la délivrance de l'autorisation de construire, il fut clairement spécifié qu'il n'y aurait pas de fermeture aux extrémités. Cette rue intérieure a été fictivement assimilée à une rue extérieure, et, ainsi, le département a autorisé les sorties de secours des deux cinémas sur cette rue intérieure.
L'affaire de l'incendie du mois de décembre a démontré le danger que représentait la salle de cinéma de l'ABC, comme certains l'ont toujours craint, alors que d'autres se montraient rassurants. Dans ce cas, la fumée peut se répandre beaucoup plus rapidement qu'on ne le pense. Au passage Malbuisson, l'incendie s'est propagé à une vitesse fulgurante. La tenancière du magasin où l'incendie a éclaté a failli perdre la vie. Cela figure dans une lettre qu'elle a envoyée à la presse. On n'ose pas imaginer ce qui se passerait, si un incendie de ce type se déclarait à Confédération-Centre et s'il fallait évacuer les deux salles de cinéma à une heure d'affluence.
Vous avez hérité de ce dossier difficile, Monsieur Joye. Je l'ai traité, également. Des décisions ont été portées devant l'autorité de recours, car le propriétaire de l'immeuble envisageait d'installer un système d'extraction de fumée qui se mettrait automatiquement en marche en cas d'incendie. Or, en cas d'incendie, un court-circuit peut se produire immédiatement, comme ce fut le cas au passage Malbuisson. J'estime que les services de sécurité du département avaient parfaitement raison de considérer qu'une installation d'extraction de fumée ne donnait pas toutes les garanties. En raison des risques de court-circuit et du volume de fumée à évacuer, le propriétaire de l'immeuble doit prendre conscience qu'il n'est pas tolérable de mettre en place une installation délibérément écartée dès le début. On ne peut pas mettre en danger le public des salles de cinéma uniquement pour des raisons commerciales. Ces constructions en sous-sol n'auraient pas dû être réalisées.
Cette affaire est une nouvelle démonstration du bien-fondé du maintien de la salle de l'Alhambra dont les portes donnent directement sur l'extérieur. Il y a nonante ans, on réalisait des constructions qui répondaient aux normes de sécurité. Aujourd'hui, on fait des salles de spectacle en sous-sol, dont on sort par d'étroits escaliers. Cela représente un danger indiscutable pour le public.
M. Daniel Ducommun (R). Mme Johner propose le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. Ce problème doit entraîner une réflexion beaucoup plus large au sujet des systèmes et des moyens de sécurité dans les lieux publics à Genève. Les commentaires de la motion au sujet du bâtiment de Confédération-Centre sont manifestement infondés.
En conséquence, nous sommes plutôt favorables à un renvoi à la commission des travaux.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je remercie le député Grobet de parler du problème très important de Confédération-Centre. Je m'y suis aussi attelé, puisqu'il y avait un litige entre mes services et les autorités suisses du service de protection contre l'incendie. Ce service s'occupe des expertises et délivre les autorisations. Il certifie qu'une autorisation est conforme aux prescriptions de sécurité.
A la suite de ce recours, j'ai tranché en faveur du SPI, service dont l'audience est absolument reconnue sur le plan national. Il y a des milliers de salles souterraines. La place Ville-Marie, à Montréal, est bâtie sur plusieurs étages. Imaginez qu'on soit obligé de les fermer ! Et ce n'est qu'un exemple. Il existe des milliers de centres commerciaux de plusieurs étages.
Le système d'extraction de fumée et d'ouverture de portes sont des systèmes automatiques, tous deux approuvés par l'autorité de surveillance suisse; nous nous y sommes donc ralliés. Je vais procéder à un contrôle général, puisque ce système va être mis en fonction maintenant. Je souhaiterais renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, et faire un rapport complet sur les différentes démarches entreprises avec M. Haegi. Elles concernent les hôtels, les établissements hospitaliers, les cinémas, les théâtres, les dancings et Confédération-Centre, en particulier.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des travaux.