Séance du vendredi 15 décembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 2e session - 57e séance

PL 7286-A
6. Suite du premier débat sur le rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat d'application de l'article 33, alinéa 2, de la loi générale sur les contributions publiques (suspension de l'adaptation des barèmes fiscaux A et B au renchérissement) (D 3 10,1). ( -) PL7286
 Mémorial 1995 : Projet, 4139. Commission, 4144. Rapport, 6717. Premier débat, 6943.
Rapport de majorité de M. Claude Basset (L), commission des finances
Rapport de première minorité de M. Bernard Clerc (AG), commission des finances
Rapport de deuxième minorité de Mme Claire Torracinta-Pache (S), commission des finances
Rapport de troisième minorité de Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve), commission des finances

M. Pierre Kunz (R). S'agissant de la suppression de l'indexation des barèmes fiscaux, comment ne pas éprouver un certain malaise lorsqu'on pèse les conséquences de cette mesure ?

Un malaise comptable d'abord, et il est curieux que certains persistent à nier que cette mesure correspond bien à une hausse d'impôts, puisqu'il est indéniable qu'un impôt inchangé pèse plus lourdement sur un revenu inchangé, lui aussi, comme c'est le cas pour la majorité des Genevois, mais réduit, de fait, de 2,3 voire 5% par la hausse du coût de la vie.

Un malaise économique, également. Cette hausse de la fiscalité ne peut, en effet, que réduire encore la propension à consommer des Genevois; d'abord à cause de son impact psychologique et, ensuite, parce que ces Genevois auront, qu'on le veuille ou non, 15 millions de francs de moins pour vivre.

Un malaise de caractère social, ensuite. On pouvait mettre en doute l'opportunité, à une époque où les Genevois attendaient toujours plus de prestations de l'Etat, de supprimer la progression à froid. Les radicaux s'y étaient opposés, comme l'a rappelé M. Lescaze ce matin. Mais il est certain que revenir sur cette décision en période de baisse du niveau de vie, lorsque les citoyens attendent que l'Etat lui aussi, comme eux, se serre la ceinture, est spécialement discutable, d'autant plus que cette mesure vise proportionnellement plus lourdement les petits revenus que les gros.

Un malaise politique, enfin. Si nous acceptons cette hausse d'impôts, comment ce Grand Conseil et ce gouvernement - et je m'adresse particulièrement à mes amis de l'Entente - pourront-ils justifier en mars prochain notre opposition à une hausse d'impôts préconisée par les initiatives 101 et 102 ? Comment pourrons-nous, après avoir accepté cette hausse pour des raisons de cosmétique budgétaire, refuser des impôts qui seront prélevés, dira-t-on, au nom de la solidarité ?

C'est ce quadruple malaise qui m'incite à vous engager, à gauche comme à droite, premièrement, à renoncer à la mesure visant à réintroduire la non-indexation des barèmes fiscaux pour 1996 en rejetant ce projet de loi, et, deuxièmement, à demander au Conseil d'Etat de nous proposer en janvier prochain, en février peut-être, le train de mesures d'économies qu'il entendra prendre pour compenser la diminution des recettes qui découlera manifestement de ce renoncement.

C'est encore un effort supplémentaire qui s'ajoute à tous ceux qui ont déjà été accomplis et qui sont bien plus lourds que ce qui était envisagé, lors de l'établissement du plan de redressement des finances publiques, sans parler des prestations en diminution.

Comme M. Vodoz l'a rappelé, le rééquilibrage des finances cantonales est une opération qui touche au dilemme politique. Elle oblige, en effet, à des sacrifices immédiats, plus importants que ceux escomptés, au profit de gains futurs souvent abstraits. Réduire les déficits alourdit et complique la situation actuelle des Genevois dans le seul intérêt ou presque des générations futures.

Mais qui oserait nier - et là je m'adresse surtout à l'opposition et, en particulier, à M. Spielmann - que c'est bien à notre génération, à notre Etat qu'il revient de sortir maintenant Genève du déséquilibre dans lequel nous l'avons jeté par notre légèreté, notre imprévoyance et notre incapacité à voir les signes annonciateurs des changements auxquels nous faisons face. De surcroît - et ce sera ma conclusion - nous savons tous que plus nous reporterons nos choix, plus ils seront douloureux et plus les risques de fracture sociale seront importants.

M. Michel Balestra (L). Lorsque j'entends mon préopinant, j'ai envie d'applaudir d'émotion. Comment ? Des impôts ! Puis, lorsque je commence à raisonner sur ce sujet, je me souviens que la lutte contre la progression à froid était un mécanisme politique voulu pour que l'Etat sorte du cercle vicieux dans lequel il était : plus il y avait d'inflation, plus il recevait d'argent, moins sa gestion était rigoureuse. Et pour nous, libéraux, à cette époque, il était déterminant de stopper ce cercle vicieux.

Aujourd'hui nous sommes à la recherche d'un cercle vertueux. Il s'agit de retrouver l'équilibre, et, pour y parvenir, nous ne pouvons pas supporter que la masse fiscale s'effondre. C'est pourquoi nous voterons ce projet de loi, mais à contrecoeur.

M. Daniel Ducommun (R). Notre collègue Pierre Kunz s'exprimait à titre strictement personnel, ce qui est le signe d'une saine démocratie, dont un parti du centre peut s'enorgueillir. En ce qui concerne notre groupe, nous maintenons bien sûr ce budget 1995, tel qu'il est proposé : compact, et non morcelé.

M. Jean Spielmann (AdG). Je ne voudrais pas limiter aux interventions de MM. Balestra et Kunz le problème qui nous est présenté ici. Il faut rappeler que le problème de la progression à froid n'est pas seulement lié à l'augmentation des recettes de l'Etat par rapport à une situation donnée. C'est un impôt progressif qui modifie l'assiette fiscale des contribuables, sur la base d'un prélèvement fiscal.

A partir du moment où la progression fiscale s'arrête à un niveau donné de revenus - qui était de 75 000 F pendant de nombreuses années - il est clair que la plupart des contribuables bénéficiant d'une augmentation de leurs revenus, mais pas d'une augmentation du pouvoir d'achat - il s'agit simplement d'une indexation des salaires par rapport à des prix qui ont augmenté souvent davantage et bien avant qu'ils soient compensés - voient leur charge fiscale augmenter, alors que leur pouvoir d'achat est stable.

L'autre élément est la progressivité de l'impôt, alors que les revenus ne sont pas supérieurs à ce qu'ils étaient auparavant, en termes de pouvoir d'achat. C'est donc une augmentation d'impôts déguisée : les taux d'imposition augmentaient, alors que le pouvoir d'achat n'augmentait pas. Ces taux d'imposition augmentaient beaucoup plus dans les courbes de revenus où la progressivité de l'impôt était la plus forte. Elle n'augmentait pas du tout pour ceux qui avaient des revenus supérieurs aux limites à partir desquelles la tranche s'arrête. Ainsi, pendant des années, les petits et moyens contribuables ont vu leurs impôts augmenter de manière considérable et la progressivité de l'impôt remise en cause.

Il fallait donc faire une proposition de modification de la loi, ce que nous avons fait par voie d'initiative qui a malheureusement été refusée. Nous avions pris la responsabilité de trouver la couverture financière, logique et normale, permettant de retrouver l'équilibre des finances, c'est-à-dire de faire participer - même dans une moindre mesure - ceux qui n'avaient pas été victimes de la progression à froid et qui n'avaient pas vu leurs impôts augmenter.

Il fallait donc procéder à un rééquilibrage, et les comparaisons intercantonales démontraient que cette modification de la loi fiscale avait complètement transformé la charge fiscale en fonction des capacités contributives. Cette loi a donc été refusée, et vous vous trouvez dans des difficultés considérables pour appliquer cette suppression de la progression fiscale et de l'indexation des barèmes, par manque de prévision de la contrepartie.

Il n'est donc pas juste de dire que la progressivité de l'impôt et l'indexation des barèmes permettent d'augmenter les recettes. En fait, elles permettent aux recettes de suivre le niveau du coût de la vie. Puisqu'elles sont adaptées, elles progressent. Toute augmentation de revenus provenant d'une progressivité adaptée à un renchérissement provoque, en fait, une augmentation de la masse et, ensuite, son adaptation.

Mais si on ne trouve pas de contrepartie, il n'y a pas plus de recettes, contrairement à ce que prétend M. Balestra. Actuellement, avec la suppression de l'indexation, on remet en route le mécanisme visant à augmenter les impôts d'une partie des gens - peu nombreux - qui ont vu leurs revenus indexés, mais qui ont participé, par leurs revenus, à l'activité économique et qui contribuent à supprimer cet état de fait.

Une mauvaise politique fiscale dirigée par les radicaux pendant des années a conduit à l'impasse dans laquelle nous nous trouvons maintenant et qui provoque une nécessaire réadaptation de notre échelle fiscale. Par conséquent, les mesures préconisées ici, pour la deuxième fois, sont de mauvaises mesures. Elles ne font que repousser les échéances, et il faudra bien un jour changer cette loi.

M. Claude Blanc (PDC). Lorsque nous avons décidé, il y a quelques années, de supprimer le système de la progression à froid, le groupe démocrate-chrétien était assez réservé, et je me souviens avoir dit dans ce Grand Conseil que nous étions sous la pression conjuguée des libéraux et des communistes; ils avaient le courage de s'appeler ainsi à l'époque ! Mais ils agissaient pour des raisons diamétralement opposées. Les libéraux préconisaient une diminution des ressources de l'Etat pour l'obliger à restreindre ses dépenses et ils y sont parvenus au-delà de toute espérance ! Les communistes, eux, pensaient que, lorsque l'Etat n'aurait plus d'argent, on puiserait dans la poche des riches qui sont malheureusement moins riches ou qui se sont sauvés...

Il est vrai que cette loi fut votée, parce que ces deux partis étaient presque majoritaires et que l'on n'osait pas maintenir la progression à froid; je l'ai dit dans ce Grand Conseil, vous pouvez consulter le Mémorial.

Actuellement, nous nous trouvons dans une situation différente : le plan d'assainissement des finances de l'Etat voté par ce Grand Conseil et par le peuple prévoyait une augmentation de la fiscalité, mais le Grand Conseil, par sa commission fiscale, a refusé d'entrer en matière sur cette augmentation de la fiscalité, dont acte.

Mais, aujourd'hui, on ne peut prétendre continuer dans la voie tracée en diminuant la fiscalité, parce que, si le système n'est pas rétabli, on assistera à une régression fiscale que nous n'avons pas les moyens de nous offrir. Il faut tenir le cap et, au moins, ne pas diminuer la masse fiscale faute d'avoir pu l'augmenter, comme le peuple en avait voté le principe.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve), rapporteuse de troisième minorité. Comme je l'ai dit et écrit, les Verts estiment, comme le Conseil d'Etat, qu'un supplément de recettes est nécessaire. En ce qui concerne la non-indexation des barèmes fiscaux, nous avons déjà débattu, pour le budget 1993, de la suspension de l'adaptation des barèmes fiscaux à l'accroissement du coût de la vie pour une année.

A l'époque, déjà, notre groupe s'était abstenu et avait exprimé sa préférence pour un centime additionnel. Aujourd'hui, nous y ajouterons la nécessité d'imposer tous les revenus et d'envisager, plutôt, une contribution sociale généralisée.

Que le taux d'inflation modéré de 0,5% en 1994 et de 1,9 pour le premier semestre 1995 réalise de fait une régression à froid des impôts, ne rend pas le système de progression à froid plus équitable ni moins discutable socialement, comme cela a déjà été exposé tout à l'heure.

En lieu et place, nous aurions pu, pour plus de transparence, proposer de prélever un centime additionnel, notamment pour réaliser l'audit de l'Etat, accepté en votation populaire en juin de cette année, mais sans le financement. Pour des raisons de transparence, le groupe des Verts s'abstiendra sur ce sujet, parce que, d'une part, il estime que des ressources supplémentaires seraient les bienvenues, mais, d'autre part, il discute la méthode.

M. Jean Spielmann (AdG). Je comprends que ce soit compliqué pour M. Blanc de faire de multiples contorsions pour tenter d'expliquer une position en fait inexplicable. Si j'ai bien compris, M. Blanc a suivi tout le monde sans avoir sa propre idée. Il n'a pas compris le mécanisme, et, en plus, il affuble de noms des partis qui n'en ont pas. (Brouhaha.) Je ne renie rien du tout contrairement à vous, Monsieur Blanc, et je suis fier de continuer ce combat depuis des années. Déjà à l'époque où M. Babel était sur ces bancs, je me battais au sujet de la progression à froid !

Avec la progression à froid des impôts, vous avez pris dans la poche des petits et moyens contribuables des sommes considérables pour mettre à l'abri de la fiscalité vos amis politiques et les grosses fortunes. Et jamais, dans ce canton, elles n'ont été dans une situation aussi privilégiée. Jamais le nombre de millionnaires n'a augmenté aussi rapidement que depuis le début de la crise. Et il y aurait, dans ce sens, un pas à faire pour modifier la fiscalité; c'est ce qui est proposé par deux initiatives.

Mais l'essentiel réside dans le fait que le problème de la progression à froid ne peut être remis en cause, parce que le peuple a voté en sa faveur après des années et des années de lutte. Supprimer l'indexation des barèmes, comme le peuple l'a votée, n'est pas de la régression fiscale, mais la persistance d'une injustice ! Les petits revenus sont plus taxés que les gros, et sur ce point - vous pouvez compter sur nous - nous n'accepterons pas que cette situation injuste persiste. Nous nous battrons par tous les moyens nécessaires pour que cette loi soit refusée !

M. Pierre Kunz (R). Je voudrais répondre en deux mots à M. Balestra pour lui faire remarquer qu'effectivement le cercle est tellement bien rompu qu'il s'est carrément inversé. Ce que les Genevois veulent aujourd'hui, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est que l'Etat serre, lui aussi, d'un cran sa ceinture, comme eux-mêmes sont obligés de le faire, suite à la hausse du coût de la vie et à la réduction de leurs revenus. Et ils ont tellement bien voulu nous le faire comprendre qu'ils nous ont «flanqué» un audit sur le dos !

Les Genevois sont persuadés que l'Etat peut et doit faire des économies, plus marquées encore.

Monsieur Blanc, vous ne pouvez pas affirmer qu'actuellement l'Etat a davantage de droits que les citoyens de conserver ses moyens d'existence, alors qu'eux-mêmes ont des problèmes. C'est exactement ce que vous avez dit tout à l'heure, en des termes compliqués. Ainsi, vous admettez que l'Etat aurait le droit de prélever sur les revenus des gens davantage que ce qu'ils attendent de l'Etat en contrepartie.

M. Claude Blanc (PDC). Je voudrais répéter à M. Spielmann, et il peut lire le Mémorial à ce sujet, que lorsque nous avons débattu de ces problèmes il y a quelques années, le groupe démocrate-chrétien et le groupe socialiste ont été les deux seuls à émettre des réserves et à prédire ce qui arrive aujourd'hui. Vous ne pouvez pas le nier ! Je répondrai à M. Kunz, qui me prend directement à partie, qu'il est vrai que l'Etat a des besoins, mais ce sont des besoins de redistribution. Vous avez le culot de prétendre que l'Etat prend dans la poche des citoyens pour son propre profit. Avant de faire des insinuations, vous devriez examiner le budget en détail et analyser toutes les prestations de l'Etat. M. Vodoz a dressé tout à l'heure un inventaire de tous les domaines où l'Etat intervient, domaines de plus en plus nombreux, compte tenu de la crise. Après cet examen, vous n'auriez pas l'indécence de dire que l'Etat prend davantage pour ses propres besoins. Vos insinuations sont inacceptables !

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Le débat que nous avons à l'instant sur ce problème de fiscalité est inéluctable, parce que c'est un problème de fond extrêmement délicat.

Ce qui me surprend dans la démarche de M. le député Pierre Kunz, n'est pas tant sa réflexion que le moment où elle intervient. J'aimerais vous rappeler, en effet, que lorsque j'ai présenté à la commission des finances, fin août dernier, le projet de budget 1996, ainsi que les projets de lois annexés comprenant celui qui nous préoccupe actuellement, j'ai indiqué tout à fait clairement aux députés que c'était sans aucun enthousiasme que le Conseil d'Etat proposait de suspendre l'indexation des barèmes fiscaux pendant une année. La commission des finances allait se trouver devant la même situation que le gouvernement : ou accepter, pendant une année, la suspension de l'indexation des barèmes fiscaux, ou trouver des économies supplémentaires, afin de respecter le plan de redressement sur lequel je serai intransigeant.

Ce débat en commission n'a donné lieu à aucune proposition d'économies complémentaires et, ainsi, la commission des finances a voté dans sa majorité le projet de loi qui vous est soumis. Dès lors, je ne comprends pas très bien un certain nombre de choses. Bien entendu, on va pouvoir discuter de la question de la fiscalité. Mais, au niveau de la méthode, il ne faut pas, en séance plénière, au moment où le budget est présenté, demander que le Conseil d'Etat trouve d'autres économies et qu'il revienne en janvier ou en février. Nous avons fait ce que nous pouvions pour respecter le plan de redressement. Nous avons fait nos choix, nous les avons soumis à la commission des finances et il n'en est rien ressorti : aucune économie complémentaire n'a été proposée.

Il est évident que lorsque le peuple, sur la base de l'initiative de 1987, a voté la suppression de la progression à froid, c'était d'abord un acte de justice sociale évident. Mais, en supprimant la progression à froid dont l'Etat avait bénéficié largement, il fallait également réduire les dépenses de l'Etat. L'un ne pouvait pas aller sans l'autre. Or les dépenses de l'Etat, pendant cette période de prospérité, non seulement ne furent pas réduites mais elles ont encore augmenté. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans cette situation dès 1990.

Mon prédécesseur, Robert Ducret, avait très clairement dit que toute suppression de la progression à froid ne pouvait être acceptable que dans la mesure où le ménage de l'Etat se réduisait. Ce ne fut pas le cas. Quel est l'effet de l'indexation ou de la non-indexation ? D'abord l'indexation déploie des effets financiers tant pour le contribuable que pour l'Etat. Pour le contribuable, il en résulte une diminution de l'impôt à payer. L'indexation annule l'effet inflationniste sur la partie fiscale. Son objectif est le maintien du pouvoir d'achat relatif car limité à l'impôt du citoyen. Pour l'Etat, deux effets se cumulent : l'indexation, d'une part, qui entraîne une diminution des recettes fiscales pour la couverture des services offerts et l'inflation, d'autre part, qui rend nécessaire une dépense supérieure pour une même prestation.

La conséquence est une diminution du revenu de l'Etat aggravée d'une perte du pouvoir d'achat. L'indexation des barèmes pose donc au responsable des finances, ici comme ailleurs, un problème majeur. Cette régression à froid, ou «débudgétisation cumulative», comme l'on dit dans les cercles autorisés, mérite que l'on se préoccupe de ce problème et que l'on en débatte. Et j'ai remis à la commission des finances les chiffres que cela représente. Il faut bien situer le débat.

Sur la base d'un revenu inchangé, entre 1995 et 1996, si l'on prend l'exemple d'un contribuable qui a 50 000 F de revenu net imposable, l'impôt cette année est de 11 860 F. Avec indexation des barèmes, l'impôt serait de 11 825 F. Donc 35,15 F de moins. Sans indexation des barèmes, il est le même qu'en 1995. Ce sont des exemples que j'ai fournis à la commission des finances. Si vous indexez les barèmes en 1996, il est évident qu'à revenu égal net imposable le contribuable paiera moins d'impôts qu'en 1995.

Pour un revenu d'un million, le contribuable payait, en 1995, 348 709 F d'impôts. Sans indexation, le montant serait exactement le même. Avec l'indexation des barèmes, il payerait 348 397 F, donc 312,20 F de moins. Nous ne voulons pas qu'un contribuable à revenu net imposable égal paie moins d'impôts que l'an dernier, par l'indexation du barème. Il est vrai, en revanche, que le pouvoir d'achat du contribuable est érodé par l'inflation. Mais cette phase de redressement est difficile pour l'Etat, à cause de la régression à froid. En effet, à revenu net imposable égal, avec indexation des barèmes, on paiera moins d'impôts en 1996.

Pour le Conseil d'Etat ce fut un choix difficile. Nous n'étions évidemment pas favorables à la non-indexation des barèmes fiscaux. Nous avons recherché, pendant les six à sept mois de préparation du projet de budget, les possibilités de retrancher encore 15 à 16 millions. Nous n'y sommes pas arrivés. La commission des finances n'y est pas arrivée. Le résultat est clair et net : vous aggravez d'autant le déficit du budget, et vous en prenez la responsabilité. Pour ma part, et avec le gouvernement, nous ne la prendrons pas. Nous jugeons prioritaire de maintenir le cap du redressement plutôt que d'accroître encore le déficit de 15 à 16 millions.

A celles et ceux qui envisageraient de lancer un référendum dans ce domaine, il leur incombera de prendre aussi leurs responsabilités. Nous, gouvernement, nous considérons que cet effort demandé par la non-indexation du barème fiscal pour une année seulement, comme on l'avait fait en 1993, est supportable et nécessaire. Cela permettrait à l'Etat de tenir son cap et d'assurer les prestations telles que nous les avons prévues.

M. Pierre Kunz (R). Je ne voudrais pas allonger le débat, mais j'aimerais préciser qu'il n'est pas question de ne pas tenir avec rigueur le cap du redressement des finances.

Voilà ma proposition : que le Conseil d'Etat nous soumette un train de mesures visant à économiser 15 millions supplémentaires. Monsieur Vodoz, vous nous dites que cela ne vous paraît pas possible. Alors j'aimerais vous poser la question suivante : comment ferons-nous l'an prochain pour trouver 80, 90 millions d'économies supplémentaires imposées par le redressement des finances publiques ?

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Je n'ai jamais dit que c'était impossible; on peut toujours couper dans des dépenses, mais ce sont les effets de ces coupures qu'il s'agit d'apprécier. La commission des finances et votre groupe, Monsieur le député Kunz, n'ont pas proposé de coupure ailleurs, alors que, parfois, il est arrivé à des députés de certains groupes, à gauche comme à droite, de faire des propositions. C'est précisément parce qu'ils se sont rendu compte qu'imposer une coupure dans les prestations sociales, dans les efforts du logement et de l'éducation ou dans la sécurité, pour ne reprendre que ces quatre grands ensembles, était très difficile qu'ils n'ont pas fait de propositions. Je pourrais supprimer l'indexation dans la fonction publique, mais nous sommes liés par un accord que je défendrai jusqu'au bout, donc je ne peux pas le faire, et ce n'est que justice, compte tenu des efforts déjà fournis.

Je pourrais réduire les investissements pour diminuer à terme les charges financières, mais ce n'est pas dans ce sens que j'ai entendu votre message, tout à l'heure. Ah ! vous êtes prêt à réduire encore les investissements ? Vous vous bornez, Monsieur Kunz, à renvoyer le problème au gouvernement en lui demandant de trouver une solution : c'est trop facile ! Dans quel secteur de l'Etat considérez-vous qu'il serait acceptable de réduire encore les dépenses de 16 millions ? Faites-moi des propositions, et je vous dirai ce que j'en pense.

Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

(PL 7286)

LOI

d'application de l'article 33, alinéa 2, de la loi généralesur les contributions publiques

(suspension de l'adaptation des barèmes fiscaux A et B au renchérissement)

(D 3 10,1)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Suspension de l'indexation des barèmes

1 En application de l'article 33, alinéa 2, de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, l'application de l'article 33, alinéa 1, est suspendue jusqu'au 31 décembre 1996.

2 L'impôt dû pour l'année 1996 est calculé conformément aux barèmes A et B applicables en 1995 (articles 32A, 32B et annexes A, B et C de la loi générale sur les contributions publiques).

Art. 2

Reprise de l'indexation des barèmes

En vue de la reprise de l'indexation des barèmes A et B, la valeur du paramètre Co d'adaptation des barèmes A et B au renchérissement, figurant à l'annexe C (art. 33) de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, sera à compter du 1er janvier 1997 de 524 255.

Art. 3

Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1996.