Séance du
jeudi 14 décembre 1995 à
17h
53e
législature -
3e
année -
2e
session -
54e
séance
R 307
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le droit à la parole, la liberté d'expression sont des droits fondamentaux. A l'exception de propos incitant à la haine ou à la violence, ces droits doivent pouvoir être exercés en toute liberté.
Le fait qu'un de nos citoyens, M. Tariq Ramadan, dont l'engagement pour la transmission des valeurs de non-violence, de tolérance et de recherche de dialogue est particulièrement reconnu, soit aujourd'hui interdit de parole et même d'entrer sur le territoire français est particulièrement difficile à comprendre. Par cette résolution, notre parlement réaffirme ici son attachement au respect des droits de l'homme et demande aux autorités de notre pays voisin d'y être fidèles.
Enfin, M. Ramadan est enseignant au Collège de Genève. Nombreux sont les jeunes qu'il a amenés, et qu'il amène encore, à la découverte de la solidarité et du partage. Accepter la décision de l'Etat français sans réagir, c'est laisser planer le doute sur la probité de cet enseignant et cela ne peut que semer le trouble parmi ses collègues et ses élèves. C'est aussi dans ce souci qu'il est important d'intervenir auprès des autorités françaises.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Il me semble inutile d'épiloguer sur cette affaire, mais il est important ici de réaffirmer notre attachement à certaines valeurs telles que la liberté d'expression, qui est un droit fondamental. En tant qu'élus du peuple et représentants de toutes les tendances qui forment la richesse et le tissu de notre société, nous nous devons de souligner publiquement l'importance que nous portons à la diversité des voix et notre volonté de défendre la liberté d'expression comme droit fondamental de l'homme.
Dans cette optique, je vous invite à voter cette résolution qui demande aux autorités suisses d'intervenir auprès des autorités françaises, afin que l'interdiction d'entrer sur le territoire français et la privation du droit d'expression touchant M. Ramadan soient levées.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Nous n'avons aucun commentaire à faire sur une décision française qui vise l'accès au territoire français. Toutefois, je doute qu'une décision gouvernementale soit sans fondement.
Par cette résolution, le Conseil fédéral est invité à intervenir auprès des autorités françaises pour qu'elles reconsidèrent cette interdiction. Personnellement, je pense qu'il serait plus prudent de demander au Conseil fédéral l'obtention d'éclaircissements, avant de décider de la suite à donner.
Néanmoins, je vous fais remarquer que, lors de la dernière séance concernant l'affaire Hoyos, je vous ai longuement expliqué que nous avions affaire aux lenteurs de la justice française. Vous aviez souhaité ne pas vous adresser à cette dernière, préférant inciter la justice genevoise à intervenir auprès de nos collègues français. J'aurais souhaité que l'on fasse preuve de la même prudence dans l'affaire de M. Tariq Ramadan, je tiens à souligner cette incohérence.
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). A la suite de la déclaration de M. Ramseyer, je rappelle que M. Tariq Ramadan est un citoyen suisse, qu'il est enseignant dans le corps professoral du collège de Genève, qu'il est connu dans cette enceinte, cette ville et ce canton par de très nombreuses personnes. Et ceux qui le côtoient depuis longtemps savent que l'affaire qui le regarde ne relève pas de la justice, mais de l'Etat, les Ramadan étant interdits de séjour en Egypte où leur famille est pourchassée par le gouvernement.
Il s'agit donc d'une affaire d'Etat visant un citoyen suisse et, en tant que députés, il nous semble de notre devoir d'intervenir politiquement sans attendre un acte de justice.
M. Pierre Kunz (R). Je connais personnellement M. Tariq Ramadan ainsi que les fondements religieux et moraux de son action. Je désire dire à ce Grand Conseil qu'il faut les respecter. A mon avis, il est impossible que M. Ramadan soit engagé dans une quelconque, et même à son corps défendant, action de déstabilisation de la société française. C'est impossible ! Au contraire, il cherche le dialogue entre les différentes communautés et fait en sorte de développer l'esprit de tolérance. Par conséquent, l'interdiction qui lui a été signifiée d'entrer en France est inacceptable.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
concernant la décision des autorités françaises d'interdire l'entréede leur pays à un citoyen genevois
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- l'interdiction d'entrer en France prononcée à l'encontre d'un ressortissant suisse, citoyen genevois;
- l'engagement reconnu de ce citoyen, professeur au Collège de Genève, contre toute forme d'exclusion, d'intolérance et de violence;
- l'importance de réaffirmer notre attachement aux valeurs de liberté d'expression et de droit à la parole, en tant que liberté fondamentale et droit inaliénable,
proteste contre la décision prise par les autorités françaises
et invite le Conseil fédéral
à intervenir auprès des autorités françaises compétentes, afin qu'elles reconsidèrent l'interdiction de séjour sur territoire français prononcée à l'encontre de M. Ramadan, et lèvent cette mesure dans les plus brefs délais.