Séance du
vendredi 1 décembre 1995 à
17h
53e
législature -
3e
année -
2e
session -
53e
séance
PL 7305
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève, du 7 octobre 1993, est modifiée comme suit:
Art. 25, al. 4 (nouveau)
4 Quand le budget est présenté par enveloppes bud-gétaires (total des charges et des revenus) pour des services ou des sous-services, il détaille par service et sous-service les estimations internes des rubriques budgétaires par nature, mais sans que ces dernières soient contraignantes pour eux. L'engagement du personnel fait l'objet d'une enveloppe générale totalisant l'ensemble des postes, la composition des effectifs par statut et la masse salariale des services et sous services.
Art. 26, al. 2 et 3 (nouveaux)
2 Chaque fois que le budget est présenté par enveloppes budgétaires, le budget fonctionnel reprend la nomenclature par enveloppe. Il est voté en même temps que le budget administratif.
3 L'autorité compétente ne peut pas, à l'occasion du vote du budget annuel, renoncer à l'exécution d'une tâche publique ou réduire les moyens à disposition de telle façon que l'existence même d'une tâche publique soit mise en danger. Toute suppression de prestation doit être soumise à l'approbation du Grand Conseil sous la forme d'un projet de loi ad hoc.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'examen du projet de budget du Conseil d'Etat par le Grand Conseil représente une tâche longue et ardue, souvent ressentie comme insatisfaisante par les députés. Confrontés aux multiples rubriques budgétaires, les députés de la commission des finances les passent consciencieusement en revue, posent de nombreuses questions, proposent quelques (rares) amendements et, en fin de compte, votent ou ne votent pas le budget, tout en éprouvant le sentiment d'avoir effectué un travail tatillon sur des rubriques détaillées, mais sans avoir eu de prise réelle sur les options politiques du budget et sur la manière de les atteindre.
L'exercice est certainement fastidieux également pour le Conseil d'Etat et les hauts fonctionnaires de l'administration, appelés à répéter souvent les mêmes réponses aux mêmes questions et à voir des députés s'achopper longuement sur des points de détails en omettant l'essentiel. Soulignons à ce propos la grande disponibilité dont font preuve les chefs de départements et leurs collaborateurs tout au long de cet examen.
Il n'en demeure pas moins que la procédure budgétaire actuelle est lourde et rigide dans la gestion qu'elle entraîne. (Les rubriques budgétaires sont estimées un à deux ans avant leur utilisation, sur la base des résultats de l'année précédente.)
Or, la modernisation de la gestion publique devient une impérieuse nécessité en période de déficit budgétaire, si l'on veut contenir la croissance des coûts et produire le plus efficacement possible les prestations souhaitées. Dans cette même optique, il est important de responsabiliser les services dans leur gestion courante. Il nous apparaît donc que le Grand Conseil doit disposer d'un côté d'un budget clair et concis, fixant des objectifs et de l'autre des possibilités de contrôle offertes par des comptes détaillés et exhaustifs.
Ce sont les raisons pour lesquelles nous sommes intéressées par l'expérience pilote «nouveau management public», menée dans sept services de l'administration cantonale.
Cette expérience signifie, en termes budgétaires, un système d'enveloppes accompagnées de contrats de prestations, les autorités politiques définissant, en effet, les objectifs stratégiques et les budgets globaux; le choix des moyens et la gestion courante étant laissés à la compétence des services concernés.
Le système des enveloppes est déjà en vigueur aujourd'hui en ce qui concerne les établissements publics médicaux et les établissements autonomes, de même que pour l'université. Dans ces cas, le Grand Conseil ne se prononce plus que sur un budget global.
Notre souci, en présentant ce présent projet, est d'assortir l'existence d'un système d'enveloppes d'une clarification du volet budgétaire, notamment en ce qui concerne la gestion des effectifs.
Nous souhaitons également préciser les compétences entre autorités politiques, la suppression d'une tâche publique devant faire l'objet d'un vote du Grand Conseil sous la forme d'un projet de loi ad hoc et non pas simplement résulter d'un vote du parlement sous forme d'enveloppe. Il importe donc de prévoir dans la loi une disposition particulière sur ce point.
De même, le système d'enveloppes doit s'accompagner d'un vote du parlement sur les prestations qui en forment la contrepartie. Nous proposons donc qu'un budget fonctionnel reprenant la nomenclature par enveloppe budgétaire soit établi parallèlement et fasse l'objet d'une décision séparée du législatif.
Vu les explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver bon accueil à ce projet de loi.
Préconsultation
M. Chaïm Nissim (Ve). J'aimerais profiter du dépôt de ce projet de loi socialiste pour vous présenter un projet de motion...
Une voix. Il faut que tu attendes la presse !
M. Chaïm Nissim. Non ! J'attends surtout l'arrivée de mes collègues socialistes...
Une voix. Ils vont arriver... (Rires.)
Une autre voix. Ils n'ont pas encore fini de boire ! (Rires.)
Le président. Allez-y, Monsieur le député !
M. Chaïm Nissim. Oui, j'ai quelque chose à dire !
Peut-être vous en souviendrez-vous, Mesdames et Messieurs les députés ? Nous avons essayé de vous présenter, il y a trois mois, ma collègue Sylvia Leuenberger et moi-même, une motion sur le «new public management», mais nous n'avons pas pu le faire en raison de l'heure tardive. Elle a donc été renvoyée directement en commission.
Or, je crois que le moment est venu de nous rattraper, d'autant plus que notre président, M. Olivier Vodoz, nous a dit, la semaine derrière, que les deux projets seraient étudiés ensemble au mois de janvier. L'heure me semble donc adéquate pour vous parler de notre projet de motion 993 et vous expliquer, en quelques mots, en quoi il diffère du projet de loi socialiste, ce qui servira d'introduction à celui-ci.
Notre projet de motion propose aussi des enveloppes et des contrats de prestations, mais sans les cautèles du projet de ce soir, précisées dans le cadre d'un budget... Ma collègue, Micheline Calmy-Rey, vous les présentera mieux que moi tout à l'heure, d'ailleurs elle a déjà levé la main. Je ne veux pas parler à sa place.
De plus, nous présentons des propositions en matière de «démocratie économique», c'est-à-dire la démocratie dans les bureaux ou dans les services. Nous voulons surtout des sortes de «soviets», c'est-à-dire des conseils de bureau qui décident ensemble des contrats de prestations liant le service de l'Etat avec l'électeur. Ce concept de démocratie au bureau est, à notre avis, beaucoup plus opérationnel que les cautèles des socialistes.
Ce n'est pas au Grand Conseil de réintroduire, au niveau budgétaire, un contrôle des enveloppes qu'il aurait perdu, mais c'est bien aux employés eux-mêmes de gérer leur travail. C'est parce qu'ils sont proches de leur travail qu'ils sauront quelle est la meilleure gestion à proposer dans le cadre d'un contrat de prestations.
Telle est la grande différence existant entre notre projet de motion et le projet de loi socialiste : la seule cautèle que nous envisageons est celle de la «démocratie économique», alors que nos collègues en prévoient toute une liste.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). J'adresse un grand merci à M. Nissim qui a occupé le terrain pendant un petit moment ! Je suis désolée d'être arrivée en retard.
Le projet de loi que nous vous présentons, ce soir, parle d'enveloppes budgétaires. Vous connaissez bien ce système, puisqu'il est appliqué dans les divers budgets successifs qui nous sont présentés, depuis plusieurs années, s'agissant des établissements publics médicaux et, à partir du budget 1996, de l'université. De plus, le Conseil d'Etat a décidé de mener une expérience pilote de nouveau management public dans sept services de l'Etat, dont la conséquence ultime, sur le plan financier, sera la présentation d'un budget global par service ou sous-service, sous forme d'enveloppe.
Lorsque le système des enveloppes a été évoqué devant moi, je dois dire que ma première réaction fut très négative, car il ne nous permet plus d'intervenir, à l'intérieur des rubriques budgétaires, comme nous le faisons aujourd'hui. Par exemple, nous pouvons augmenter ou diminuer une dotation budgétaire à l'intérieur d'un service, la rubrique des charges de personnel ou celles des dépenses générales, tandis que nous ne pouvons intervenir, avec ce système, que sur l'enveloppe générale et non plus sur son contenu.
Il est vrai que l'examen tatillon des positions budgétaires n'est pas forcément non plus un gage de transparence ou le signe que nous maîtrisons les objectifs politiques voulus par le gouvernement et le parlement. Très souvent les discussions budgétaires relèvent davantage de querelles de clocher qu'elles ne portent sur de véritables objectifs politiques.
La question est donc de savoir si le système des enveloppes permet précisément une meilleure transparence et un contrôle plus adéquat du parlement sur les objectifs politiques. Comme en toute chose, tout dépend de l'application qui en est faite. Or, le système des enveloppes, tel que proposé aujourd'hui, pose un certain nombre de problèmes :
1) Le contrôle du parlement : ces structures d'arbitrage restent en main du pouvoir politique, c'est-à-dire de l'exécutif ou du législatif, pour la définition des objectifs stratégiques. Chaque enveloppe doit donc être étudiée et liée à des missions clairement définies.
Or, dans le budget 1996 concernant l'université, par exemple, nous n'avons pas vu que l'on nous propose de lier la subvention à des objectifs politiques sur lesquels nous pourrions nous prononcer. Nous n'avons pas non plus connaissance d'un contrat de prestations négocié entre l'entité «université» indépendante et l'exécutif de l'Etat.
Notre projet demande donc, lorsque le budget est présenté par enveloppe, qu'un budget fonctionnel, c'est-à-dire par tâche, soit présenté simultanément et voté en même temps par le parlement. Toujours dans un souci de transparence, nous introduisons aussi dans la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat un article 26, alinéa 3 nouveau, stipulant que la suppression d'une prestation publique doit faire l'objet d'un vote du Grand Conseil, sous la forme d'une loi ad hoc, et non pas être adoptée au travers d'une modification de l'enveloppe budgétaire par un vote du parlement sur un budget global.
2) L'entité ou le service au bénéfice d'une enveloppe peut parfaitement supprimer des postes, sous-traiter des prestations à l'extérieur, voire développer des emplois précaires au lieu d'emplois stables, et cela alors même que le Grand Conseil aurait décidé soit des augmentations d'effectif ou des diminutions comme c'est le cas actuellement.
Vous me rétorquerez que, dans le système d'enveloppes, les décisions de gestion ne sont pas le fait d'une hiérarchie, mais se prennent à la base, par les gens concernés. Et il est juste de penser que les personnes accomplissant le travail sont le mieux à même de juger et de décider des procédures et du contenu des enveloppes.
Reste que le personnel et les syndicats ne sont pas associés, aujourd'hui, à la démarche et que les choix ne se font pas de façon décentralisée. Dans ces conditions, introduire un système d'enveloppes budgétaires, c'est donner le volant d'une voiture de course à quelqu'un qui n'aurait pas de permis de conduire, sur un circuit de vitesse sans glissières : c'est l'accident programmé !
Notre projet prévoit donc une certaine maîtrise de l'engagement du personnel par le vote d'une enveloppe générale sur les effectifs.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre intérêt pour ce projet de loi que vous voudrez bien renvoyer en commission.
M. Claude Blanc (PDC). Il est évident que nous sommes également d'accord de renvoyer ce projet de loi en commission, parce qu'il pose un certain nombre de problèmes. Je suis heureux que Mme Calmy-Rey ait précisé sa pensée, parce que, à première vue, cette affaire me semblait assez trouble.
Actuellement, un certain nombre d'établissements autonomes bénéficient d'enveloppes budgétaires, mais, à ma connaissance, les services directs de l'Etat n'en ont pas. Or, vous introduisez dans votre projet une notion sans l'avoir explicitée dans la loi.
Vous avez écrit : «Quand le budget est présenté par enveloppes...». Je n'avais pas compris s'il s'agissait d'une nouvelle situation des services ordinaires de l'Etat ou si vous visiez les enveloppes budgétaires actuellement accordées aux établissements autonomes. Ce sont deux points de vue assez différents.
Les établissements autonomes se gèrent eux-mêmes; leur conseil d'administration sait prendre ses responsabilités, et le système des enveloppes leur convient parfaitement.
Si, par l'alinéa 3 de l'article 26 nouveau, vous avez l'intention de vous immiscer dans leur cuisine interne, notamment pour les empêcher de diminuer le personnel ou supprimer quelques branches «gourmandes», nous ne pourrons pas vous suivre.
Mais si vous voulez introduire le système des enveloppes budgétaires dans l'ensemble de l'administration, on pourra certainement discuter de ce fameux alinéa 3, sous ce jour nouveau. J'ai le sentiment qu'en voulant vous ouvrir à un certain libéralisme vous mettez d'entrée des cautèles et vous verrouillez toutes les portes possibles.
Nous aurons l'occasion d'en discuter en commission. C'est un problème politique intéressant et je vous suis reconnaissant de l'avoir soulevé. Pour une fois que vous ne venez pas enfoncer des portes ouvertes, mais que vous posez une vraie question, nous nous réjouissons de l'étudier en commission.
M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Comme j'ai eu l'occasion de le dire à la dernière séance de la commission des finances, le Conseil d'Etat, et plus particulièrement mon département, accepte non seulement d'examiner ce projet de loi mais de débattre, comme nous avions déjà commencé à le faire avant que nos travaux ne soient interrompus par d'autres priorités, sur la problématique des enveloppes budgétaires et du budget à deux positions, en un mot sur le moyen de maintenir un contrôle de nature comptable et de le renforcer par un contrôle des lignes politiques.
Vous vous souvenez sans doute que je fus pris à partie, lors de la présentation du «new public management», parce que j'avais déclaré, ici et dans des conférences publiques, que si l'on pouvait se lancer dans ces nouvelles technologies de gestion d'entreprises et de services, il n'en demeurait pas moins un certain nombre de problèmes à résoudre. Parmi eux, figurait notamment celui de la situation budgétaire d'un service ayant une plus large autonomie par le biais d'une enveloppe.
Dans le cadre des sept services test, le département des finances a finalisé dans un document toute une série de questions sur la problématique résultant des enveloppes et de leur gestion, non seulement par rapport au contrôle parlementaire - qui est un des points importants - mais également par rapport au contrôle du gouvernement sur l'utilisation des fonds. Mesdames et Messieurs les députés, qui dit enveloppes ne dit pas forcément, bien au contraire, suppression de contrôles de nature comptable. D'autres contrôles seront nécessaires comme, par exemple, celui de la tâche affectée au service.
Demain, l'université; après-demain : d'autres services auront une mission pour laquelle on leur donnera des moyens. Dès qu'ils auront une enveloppe leur laissant une plus grande liberté de gestion, il nous faudra contrôler que la mission confiée soit réalisée dans tous ses termes.
Ces critères d'analyse et de contrôle ne sont pas évidents à mettre sur pied. Encore aucun service en Suisse, introduisant le «new public management», n'a résolu ces problèmes. C'est la raison pour laquelle je suis heureux que nous puissions en discuter en commission des finances, de manière structurée.
Enfin, je vous donne une dernière précision pour que les choses soient claires. Il faut distinguer le système par enveloppes, au sens où les auteurs du projet de loi l'ont précisé ce soir, du système que l'on connaît déjà, notamment pour les établissements publics médicaux, les autres établissements autonomes et, dès le budget 1996, pour l'université, celui de la subvention.
Ce dernier système consiste à allouer, par une ligne budgétaire, un montant de plusieurs centaines de millions, comme on le fait aujourd'hui au niveau des hôpitaux et autres établissements autonomes derrière laquelle existe un processus budgétaire avec natures et sous-natures, permettant au parlement de contrôler d'abord l'affectation des sommes attribuées et, ensuite, leur utilisation dans le cadre des tâches confiées.
Il faudra donc examiner ces divers problèmes. Pour ma part, ma conviction est claire. Je suis pour une plus large autonomie de gestion à l'intérieur des services, mais je souhaite aussi que l'on se dote de moyens de contrôle non seulement comptables mais politiques, par rapport à l'exécution de la mission confiée au service. C'est un enjeu difficile à résoudre par le biais de la loi, mais c'est un défi important et intelligent pour l'avenir. Je me réjouis d'aborder ces problèmes avec la commission des finances.
Ce projet est renvoyé à la commission des finances.