Séance du jeudi 30 novembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 1re session - 50e séance

Q 3535
de Mme Liliane Maury Pasquier : L'arbre cache-t-il la forêt ? ( )Q3535

(Q 3535)

de Mme Liliane Maury Pasquier (S)

Dépôt: 17 février 1995

L'arbre cache-t-il la forêt ?

La Feuille d'avis officielle (FAO) nous tient régulièrement informés des requêtes en autorisation d'abattages d'arbres.

Or, si la raison de l'abattage est clairement indiquée, aucune mention n'est faite de l'espèce de l'arbre concerné. De plus, le lecteur/la lectrice doit se satisfaire de l'indication du singulier ou du pluriel pour connaître le nombre de végétaux en cause.

C'est ainsi que, par exemple dans la FAO du 9 novembre 1994, on peut prendre connaissance d'une requête d'abattage d'arbres pour construction d'immeubles qui recoupe en fait « l'abattage de futaies composées de plantes indigènes sur une surface d'environ 3 000 m2 ». Dans le même numéro de la FAO, une autre requête au même motif porte sur l'abattage d'un tilleul.

Mais, pour le savoir, il faut se rendre au service des forêts.

Ne serait-il pas plus simple de publier des requêtes plus détaillées, apportant ainsi aux citoyens/nes une meilleure information, simplifiant du même coup leur vie et celle des fonctionnaires du service des forêts ?

Le Conseil d'Etat peut-il améliorer les conditions d'information des citoyens/nes soucieux/ses de la préservation de notre environnement ?

RÉPONSE DU CONSEIL D'ÉTAT

du 15 novembre 1995

Le Conseil d'Etat tient tout d'abord à rappeler que le service de la protection de la nature et des paysages du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, compétent en la matière, traite et fait publier chaque année plus de 650 requêtes en autorisation d'abattage d'arbres.

Chaque dossier fait l'objet d'un examen de terrain minutieux, divers éléments devant être pris en compte.

Le nombre des végétaux concernés et leur espèce ne sont pas les seuls facteurs déterminants pour accorder ou non une autorisation d'abattage. Pour permettre au public de juger de l'opportunité d'un abattage, il faudrait que des précisions sur la qualité, la valeur, les dimensions des arbres concernés, leur état de santé, en relation avec le contexte environnemental dans lequel ils se trouvent, soient fournis. Or, la diffusion de tels renseignements n'est évidemment pas envisageable.

A titre de comparaison, il sied de relever que les publications concernant les constructions s'en tiennent aux informations essentielles et que les personnes intéressées doivent se rendre auprès du département des travaux publics et de l'énergie pour consulter les dossiers.

Il est donc raisonnable de ne pas introduire des éléments nouveaux dans les publications concernant les abattages d'arbres, ceux-ci risquant même de provoquer des erreurs d'appréciation.

Dès lors, la pratique actuelle nous semble devoir être maintenue, la meilleure démarche pour celui qui souhaite connaître les détails d'une requête, consistant à se rendre auprès du service compétent afin de consulter les documents.

Pour le surplus, nos services ont prouvé qu'ils accomplissaient scrupuleusement leur travail et qu'ils se tenaient toujours à disposition du public pour le renseigner en cas de besoin.

10. Déclarations du Conseil d'Etat et communications.

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Au nom du Conseil d'Etat, je tiens à faire devant votre parlement la déclaration suivante, à propos du défilé militaire du régiment genevois, le 21 novembre dernier, ainsi que sur les violences qui ont suivi :

Le Conseil d'Etat a pris la décision d'autoriser le défilé. Il en assume pleinement la responsabilité et revendique ici la légitimité de sa décision. Accessoirement, je vous répète que la Ville de Genève a donné son aval à la tenue de ce défilé sur son territoire, par lettre adressée le 4 octobre 1995, tant au commandant du régiment qu'à notre collègue, M. Gérard Ramseyer

Mais c'est essentiellement sur le fond que je tiens, au nom du Conseil d'Etat, à revenir maintenant. L'armée est une de nos institutions. Cela vient d'être confirmé par le Parlement fédéral qui a voté très largement, le 3 février dernier, la loi créant «Armée 1995», fixant par là même sa nouvelle organisation et ses nouvelles missions. Aucun référendum n'est venu remettre en cause ce vote qui engage donc tous les cantons et leurs citoyens, Genève y compris, n'en déplaise à certains.

«Armée 1995» a fixé, en outre, les nouvelles tâches du régiment genevois en lui confiant notamment la garde de notre aéroport, des organisations internationales et les diverses activités diplomatiques en découlant. Toute propagande déformante visant à accréditer l'idée que notre régiment serait l'incarnation d'une violence institutionnelle, machine agressive et menaçante à l'égard du peuple, est tout simplement ridicule. Essayer de faire un amalgame entre les détestables événements de 1932 et le défilé à la fin de son cours de répétition du régiment genevois relève de la désinformation subversive !

Notre régiment, Mesdames et Messieurs les députés, quels que soient nos sentiments sert la cause de la paix, de la sécurité et du droit. Il renforce, lorsque cela est nécessaire, l'image à la fois sûre et accueillante de Genève comme ville internationale.

Voilà pourquoi le Conseil d'Etat a répondu positivement, comme les autorités fédérales, à la demande de défiler qui lui a été faite. D'ailleurs, la dizaine de milliers de spectateurs, jeunes et moins jeunes, venus pour applaudir nos citoyens soldats ont bien compris ce que des médias ont essayé de ne pas voir.

Mais restait à apprécier l'éventualité de manifestations pouvant dégénérer dans la violence. En démocratie, on a le droit de contester, de manifester et de s'exprimer, pour autant que l'on reste dans les normes de la légalité. Le Conseil d'Etat a le devoir de garantir aussi cette liberté. Sa pratique de large tolérance lui permet donc, précisément, de stigmatiser ceux-là mêmes qui se montrent les plus intolérants. Non, contrairement à ce qu'ont affirmé publiquement des manifestants, casser des vitrines, brûler des voitures et mettre à sac le domaine public ne constituent pas, je cite : «un moyen d'expression comme un autre» !

N'inversons pas les valeurs ! Ni les casseurs ni les extrémismes n'ont jamais fait avancer la démocratie ou le droit, et ce n'est pas avec eux, au contraire - et l'histoire, même la plus récente, est là pour nous le rappeler - que nous cultiverons nos vertus démocratiques. Je pense d'ailleurs que la très grande majorité de notre jeunesse partage ce point de vue.

Autoriser le défilé ne constituait en aucune manière une provocation légitimant les excès commis. C'est une mauvaise rhétorique qui consiste à renvoyer la responsabilité de la casse à ceux qui sont restés strictement dans le droit.

En revanche, ceux qui se sont préparés à la violence, en apportant des pavés, des barres de fer, des cocktails Molotov, en se munissant de frondes avec des billes et des écrous, sont les responsables directs de leurs débordements. Ils ont voulu ces violences; ils doivent en assumer les conséquences. Que ceux, en outre, qui les ont inspirés et excités directement ou indirectement, reconnaissent aussi leur responsabilité morale.

Nos institutions, Mesdames et Messieurs les députés, fonctionnent. Elles sont respectées par une large majorité de nos concitoyens. Les chantages à la violence, les menaces et les semeurs de tempête ne sauraient les faire plier et affaiblir ainsi les valeurs civiques, éthiques et humaines, qui, au-delà de nos divergences - et je les respecte - restent la force de notre démocratie. (Applaudissements.)

Mme Fabienne Bugnon(Ve). Je vous remercie d'avoir accepté que nous ayons un débat sur ce sujet, ce soir. Mais je prendrai délibérément un ton moins agressif que celui du président du Conseil d'Etat ! (Manifestation, rires et applaudissements.)

Les événements qui se sont déroulés le 21 novembre sont très graves, d'autant plus qu'ils étaient prévisibles. Les raisons de notre débat de ce soir sont doubles. Nous avons des responsabilités. L'exécutif porte une responsabilité, car il a donné l'autorisation qui a permis le défilé militaire. Le législatif porte, lui aussi, une responsabilité, puisqu'il a refusé de retirer cette autorisation.

Nous, nous étions dans le clan de ceux qui voulaient retirer cette autorisation par la motion du 14 septembre, pour des raisons que je vous rappelle brièvement : à cause de l'opposition de notre canton à l'armée, parce que Genève est une ville de paix, parce que c'est à Genève que de nombreux conflits sont résolus et parce qu'une grande partie du monde est en proie à des conflits armés.

Cela, c'est le passé, mais il est indispensable de le rappeler pour donner un ordre chronologique à cette affaire. Le 21 novembre, le défilé a donc eu lieu; diverses manifestations d'opposition également. Je souhaite ne commenter ni l'un ni les autres, puisque vous étiez présents à l'un ou aux autres, ou parce que vous avez été très largement informés par la presse qui s'est fait l'écho des événements.

Chacun interprète ces événements à sa manière, et, en ce qui me concerne, ce n'est vraiment pas le sujet qui m'intéresse. J'aimerais, au contraire, que ce débat nous amène à comprendre un certain nombre de choses, et je le ferai sous forme de remarques ou de questions que j'adresse aussi bien au Conseil d'Etat qu'à ce Grand Conseil.

D'abord, pourquoi cet acharnement à maintenir un défilé militaire dans un canton qui n'est pas favorable à l'armée, dans une période économique difficile ? L'armée a d'autres moyens de se présenter si vraiment cela correspond à un besoin, ce qui, en soi, paraît tout de même assez surprenant. Cela aurait, par exemple, pu se faire à l'intérieur d'une caserne.

Pourquoi, également, annoncer si longtemps à l'avance ce défilé, provoquant ainsi des tensions inutiles ?

Second point. Les manifestations, parfois violentes, doivent sérieusement nous interpeller sur les besoins de la jeunesse et sur le malaise, la révolte et le mal de vivre que de nombreux jeunes ont démontré à cette occasion. Quelle est notre réaction face à ce malaise ? Je crois que l'on doit tous se poser cette question !

Troisième point. On est obligé de revenir sur l'absurdité de la police ayant pour rôle de protéger l'armée qui veut se présenter à la population; police qui était très présente, trop présente : des forces disproportionnées !

Je ne vais pas m'attarder sur la provocation. Pour nous, l'idée du défilé militaire en lui-même en était une : nous l'avons déjà dit. Le déploiement abusif des forces de police en était une autre. Mais il est vrai que les manifestants étaient également très excités, et force est de constater que ni les organisateurs des manifestations ni les responsables des forces de police n'ont pu maîtriser leurs troupes respectives. Les images de la télévision nous l'ont prouvé.

Derrière la police comme derrière les manifestants se cachent des êtres humains avec leurs qualités, leurs défauts et leurs faiblesses. On ne peut d'un côté comme de l'autre généraliser et donner de bons ou de mauvais points. C'est vrai qu'il y avait des manifestants non violents et que d'autres l'étaient; c'est aussi vrai que la plupart des policiers sont des gens respectables, mais que certains abusent de leur pouvoir, et cela doit cesser.

Je terminerai en m'adressant au gouvernement. Madame, Messieurs les membres du gouvernement, la police exécute des ordres. Elle est à l'image de la politique qui la gouverne. Et lorsque je me suis retrouvée dans la rue, ce 21 novembre, j'ai ressenti les tensions que j'avais connues, il y a longtemps, à l'époque où M. Schmidt dirigeait la police. Je peux vous dire que cela m'a fait froid dans le dos. M. Fontanet puis M. Ziegler ont successivement su apaiser les tensions. Je pense que ces personnes avaient des relais plus directs avec la population, avec les associations, avec la jeunesse. Il me semble que notre gouvernement actuel prouve, une fois de plus, qu'il est coupé de la population, et cela est grave.

Enfin un dernier mot sur les réactions des conseillers d'Etat après les manifestations. Je trouve déplorable que M. Vodoz ait tenté de faire porter la responsabilité à la Ville de Genève, comme il vient de le refaire ce soir. Il sait très bien que les lettres d'autorisation de la Ville de Genève sont des lettres de procédure administrative traitant de la voirie et non de l'autorisation d'un défilé bien particulier.

M. Ramseyer, à la radio, a comparé la démission, que certains lui demandaient, à une fusillade du responsable du GSsA. Je trouve cela lamentable !

Voilà, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, mes remarques, mes questions et mes regrets, regrets que ces événements aient eu lieu et l'espoir qu'ils ne se reproduiront pas. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Christian Ferrazino(AdG). Je regrette que le représentant du Conseil d'Etat, au lieu de rechercher l'apaisement sur ce dossier, ait adopté, comme l'a relevé Mme Bugnon, un ton reflétant surtout le grand clivage qui existe aujourd'hui entre le Conseil d'Etat et une grande partie de la population. Je ne peux pas m'expliquer votre attitude différemment, Monsieur Vodoz !

Pour notre part, nous ne reviendrons pas longtemps sur les raisons qui nous ont amenés à contester ce défilé militaire. Là encore, comme l'a rappelé Mme Bugnon, un tel défilé est tout simplement incompatible avec le rôle de ville de paix que joue Genève. Cette ville reste le siège de la Croix-Rouge et sa vocation, je vous le rappelle, est de contribuer à trouver des solutions pacifiques aux conflits.

Il est, d'autre part, indécent de vouloir valoriser l'armée, Monsieur le président, au moment où la guerre sévit, malheureusement, dans de très nombreux pays du monde. Il n'est pas possible, non plus, de faire abstraction de la situation de crise - vous n'en avez pas parlé - qui touche une grande partie de la population. Celle-ci ne pouvait dès lors ressentir que comme une provocation cette opération saugrenue de propagande visant à justifier, notamment, un programme d'armement de plusieurs centaines de millions.

Cela étant rappelé, nous ne pouvons que fustiger l'attitude du Conseil d'Etat et, plus particulièrement, les propos que nous venons d'entendre. En effet, il était insensé de vouloir maintenir ce défilé, alors que tout le monde pressentait, y compris le gouvernement, qu'il conduirait à une confrontation. Je rejoins pleinement l'avis de Mme Bugnon : il y avait d'autres possibilités, si véritablement l'armée entendait vouloir faire une démonstration, que de faire un défilé. Un ancien magistrat, ancien responsable du parti radical, M. Ducret, l'a exprimé assez clairement, suite aux événements que nous avons vécus.

Lorsqu'on mobilise toute la police, comme cela a été fait par le Conseil d'Etat, c'est bien qu'on s'attend à ce qu'il y ait des troubles de l'ordre public. Alors, il ne faut pas tenir un double langage. On ne pouvait pas, à la fois, dire qu'il fallait accepter ce défilé et, parallèlement, ne pas voir en face les provocations qu'il représentait et les risques de troubles publics qu'il allait engendrer. Et vous le saviez, Monsieur le président ! Vous le saviez, puisque vous avez mobilisé toute la police pour ce défilé militaire !

Ce qui est assez extraordinaire c'est que, finalement, il faut se rappeler qui souhaitait véritablement ce défilé militaire : un seul homme ! C'est le désir d'un seul homme qui n'a même pas consulté ses troupes. A Genève, autre paradoxe, le gouvernement mobilise toute la police pour le caprice pour le moins saugrenu et délirant d'un seul homme ! (Applaudissements.)

Le président. S'il vous plaît ! S'il vous plaît !

Une voix. Oui, mon colonel !

Le président. S'il vous plaît !

Une voix. Bien, mon colonel ! (Des remarques fusent depuis la tribune.)

Le président. Je rappelle aux personnes qui se trouvent à la tribune qu'elles n'ont pas, selon notre loi portant règlement du Grand Conseil, l'autorisation de manifester ! Merci. (Remarques.) Je ferai évacuer la salle, si je le juge nécessaire !

Monsieur le député, vous pouvez continuer.

M. Christian Ferrazino. C'était simplement une invective du colonel Gougler, face à la réaction, ô combien légitime, de cette salle !

Je disais seulement que l'intérêt public non seulement ne commandait pas d'autoriser ce défilé mais, Monsieur Vodoz, il exigeait, face au désir - je le répète - d'un seul homme d'assurer une provocation dans cette République, que le gouvernement renonce à délivrer l'autorisation de défiler. Ce sont les règles de la proportionnalité les plus élémentaires et, en refusant de décommander ce défilé, le gouvernement a gravement failli à sa mission.

Pour notre part, nous ne voulons pas que Genève devienne le théâtre de nouveaux affrontements, et il est temps que nos autorités prennent en considération les préoccupations de la jeunesse et de la majorité de la population. Je vous le rappelle, Monsieur le président, la population s'est clairement exprimée lors du vote pour une Suisse sans armée. Il m'apparaît que vous n'allez pas dans le bon sens, Monsieur le président, lorsque vous osez affirmer qu'il s'agit de «désinformation subversive», alors que votre gouvernement se devait, quant à lui, pour assurer la paix publique, d'interdire ce défilé !

Il est regrettable que le Conseil d'Etat, aujourd'hui, au lieu de tirer ces conclusions, vienne nous dire que sa décision était légitime. Nous espérons, comme Mme Bugnon, que M. Ramseyer ne sera pas le nouveau M. Schmidt et qu'il saura reprendre la politique de ses prédécesseurs ! Cette politique a permis, Monsieur Ramseyer, d'éviter les événements que certaines villes de Suisse ont connus dans notre République. Pour notre part, nous ne souhaitons pas connaître de tels événements.

M. Laurent Moutinot (S). Nous avions dit à l'époque que l'organisation d'un défilé militaire était une erreur. J'ai le regret de constater aujourd'hui que l'analyse que nous présente le chef du gouvernement en est une deuxième, car manifestement, Monsieur le président, vous ne tenez pas suffisamment compte de l'importance des événements qui ont éclaté le 21 novembre 1995.

Ce qui s'est passé révèle un grave malaise de la jeunesse. Il ne s'agit pas de quelques casseurs ou de professionnels, venus d'ailleurs. Cette manifestation, très soudaine et très inattendue - je ne pensais pas qu'elle aurait cette ampleur - a été faite par des jeunes qui sont inquiets, qui n'ont ni espoir pour leur emploi ni aucun idéal auquel se rattacher. Et vous savez, Mesdames et Messieurs les députés, que, lorsque la jeunesse n'a plus d'enthousiasme, cela peut conduire à un véritable drame.

Cela nous oblige à un examen de conscience en tant que parents, enseignants, députés et adultes. Mais je ne m'adresserai ici qu'à la classe politique; les parents et professeurs discuteront ailleurs. Nous devons constater la très faible attractivité des idéaux que nous proposons à la jeunesse. La «Main invisible» mise en scène par Michel Balestra n'attire pas, la «Lutte des classes II : le retour» de l'Alliance de gauche, pas d'avantage. L'«Auberge espagnole», version socialiste, a les mêmes insuccès.

Nous devons, Mesdames et Messieurs les députés, proposer, encourager les idéaux de la jeunesse. Ceux que nous lui donnons maintenant ne sont manifestement pas mobilisateurs, probablement parce que nous attachons trop d'importance à l'argent et que le traitement de la plupart des dossiers, qu'il s'agisse d'instruction publique, d'environnement, d'urbanisme, tient presque toujours compte du seul élément financier. Il est vrai que l'argent est le «nerf de la guerre», mais, s'il dicte nos choix, ceux-ci se voient considérablement restreints.

Nos discours sont généralement empreints de trop de morosité, de trop de négativisme. Nous avons pu voir, par exemple lors du vote au sujet de l'audit, que nous sommes arrivés, à force de dire que tout va mal, à un résultat que nous ne souhaitions pas.

Il n'existe pas de recette miracle, ni de formule toute faite, parce que les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont complexes. En cherchant ce que nous pouvions dire qui soit porteur d'un peu d'espoir, me vient à l'esprit un texte d'Albert Camus qui, dans les heures les plus noires de la deuxième guerre mondiale, écrivait ceci : «Notre tâche d'homme est de trouver les quelques formules qui apaiseront l'angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle.»

Mesdames et Messieurs les députés, dans l'examen de certains projets de lois, nous avons un réflexe «région» ou un réflexe «eurocompatibilité». Je vous demande, à l'avenir, d'avoir un réflexe «idéal pour la jeunesse».

M. Hervé Burdet (L). Je suis un peu surpris des analyses que j'entends sur les bancs d'en face. On nous brosse un grand panorama de politique générale, alors que Mme Bugnon avait réclamé un débat sur le défilé et les récents événements survenus à ce sujet.

Au nom du groupe des députés libéraux, je tiens à dire que le parti libéral genevois exprime sa vive indignation à la suite des incidents violents, qui ont eu lieu en marge du défilé du régiment genevois. Il souligne que ce défilé, parfaitement légitime, a rassemblé un très nombreux public. On parle de plus de quinze mille personnes. La présentation des unités attachées à la défense de l'aéroport et à la protection des organisations internationales a été très remarquée. Le régiment genevois incarnait bien la volonté d'indépendance et d'action pour la paix de notre pays et, plus particulièrement, de notre cité.

Ceux qui ont semé le désordre sont totalement responsables de leurs actes. Parler à ce propos de violence légitimée par une provocation militaire est une absurdité et une indignité. Ces casseurs ont montré leur mépris d'une culture démocratique. Quant au GSsA, par l'escalade de ses discours agressifs, il a une responsabilité d'incitation, au moins indirecte, à la haine et à la violence.

Belle illustration d'esprit démocratique et pacifique ! Que reste-t-il de la tolérance ?

Le parti libéral estime que l'on entrerait dans un engrenage pervers si les décisions politiques, de quelque nature qu'elles soient, devaient dépendre de la pression, des contestations et des menaces de violence.

L'histoire n'est que trop riche d'exemples où les démocrates cèdent devant les pressions et les violences de quelque bord qu'elles viennent. Le parti libéral réaffirme son engagement viscéral aux valeurs et usages de la démocratie. Il réaffirme, avec force, la notion de responsabilité personnelle et collective de ceux qui ont la charge de cette démocratie.

Le parti libéral affirme, en outre, tout son soutien au Conseil d'Etat et à son président. Il l'appuiera toujours sur le chemin du courage et de la vérité.

M. Pierre Froidevaux (R). Je n'entends pas revenir sur les motifs qui ont conduit à l'autorisation du défilé - ce fut l'objet d'un précédent débat - mais je souhaite parler de ce qui m'a, quant à moi, fortement surpris, lorsque j'y participais activement.

J'ai assuré la visite sanitaire d'entrée d'un des bataillons, soit de cinq cents hommes. J'ai été frappé, cette année, par le fait de devoir éliminer plus de 5% des soldats qui, pour la plupart, se plaignaient essentiellement de souffrance psychosociale. Certains, dont la situation paraissait sans issue, ont refusé, malgré mes injonctions, de quitter définitivement l'armée, espérant y retrouver un jour un cadre rassurant.

Les hommes qui marchent avec discipline ont, parfois, la même détresse personnelle que ceux qui se sont couchés devant les tanks. Ils expriment l'un et l'autre la dureté de notre temps. Ce sont les symptômes d'un mal profond.

Lorsque, pour retrouver des forces de cohésion, l'homme devient grégaire, ayant perdu l'autonomie qui aurait dû faire sa raison, lorsque l'égotisme se transforme en égoïsme de masse, les temps durs que nous vivons peuvent se transformer en temps troubles.

Je ne puis que nous souhaiter un travail constructif dans ce parlement, en ayant toujours à coeur de s'assurer de l'amélioration constante de l'autonomie individuelle. Elle est la meilleure prévention de ces événements pénibles, la voie qui mène au progrès. C'est l'essentiel.

M. Pierre Vanek (AdG). Je ne prendrai pas le ton martial de M. Vodoz pour relever un certain nombre d'éléments de la déclaration du Conseil d'Etat et revenir sur certains propos de députés de la majorité.

Votre intervention, Monsieur Vodoz, consistant à renvoyer simplement cette affaire au rayon des clichés, en parlant des casseurs, est un refus de voir une réalité sociale. Gouverner, c'est prévoir, c'est aussi savoir voir. Si vous aviez reconnu votre erreur d'avoir autorisé ce défilé, si vous aviez présenté quelques éléments d'analyse, vous auriez accompli un acte politique d'une certaine grandeur.

Vous avez attaqué les médias et parlé de leur conception subversive et désinformatrice. Je vais vous lire un extrait d'une publication éminemment «subversive» : l'éditorial de «L'Illustré», dans lequel M. Pillard, qui n'a rien d'un gauchiste, écrit ceci : «Face aux boucliers des policiers genevois déguisés en C.R.S. - et c'est bien de cela qu'il s'agit - c'est tout une jeunesse qui a soudain laissé libre cours à une révolte venue du tréfonds d'elle-même. Aux yeux du collégien comme du squatter, le flic et le militaire devenaient subitement la caricature de cette société hostile où il est toujours plus difficile de trouver place.» Je pense qu'il y a là quelque chose à creuser, mais vous êtes vraiment resté à la surface du problème, avec une caricature de déclaration du Conseil d'Etat.

Vous avez évoqué le fait qu'il s'agissait, pour ce corps militaire, de préserver l'image d'une Genève sûre et accueillante. Etes-vous certain, Monsieur Vodoz, que les événements du mardi 21 novembre - dont vous portez la responsabilité - soient de nature à donner cette image positive ? Vous en portez non seulement la responsabilité mais vous les avez amplifiés par certaines déclarations ne correspondant pas à ce qui s'est réellement passé.

Lorsque vous déclarez que ces unités militaires doivent assurer la protection des organisations internationales et garantir cet aspect extrêmement important de la vie genevoise, je vous rétorque que ce ne sont pas des tâches à confier à l'armée, mais à la police. A l'évidence le dispositif policier considérable a été mobilisé à tort pour ce défilé, qui n'aurait pas dû avoir lieu. En revanche, il devrait l'être pour protéger les organisations internationales.

Vous avez évoqué les déplorables événements de 1932, en niant tout amalgame avec ceux d'aujourd'hui. Mais nous devons, précisément, retenir de cette leçon de l'histoire - dont, par ailleurs, on peut faire une analyse plus radicale - ce à quoi peut mener l'utilisation d'une troupe militaire à des fins policières.

Vous avez déclaré, en préambule, que vous assumiez la responsabilité de ce défilé et en revendiquiez la légitimité. Comme le serment des nouveaux députés nous le rappelle, nous sommes en démocratie et soumis à la suprême autorité du peuple Une majorité de citoyens a défendu, par des voies démocratiques, une position plus radicale que celle consistant à dire que l'armée ne doit pas défiler, à savoir que l'armée soit supprimée. A cela vous répondez que «l'Armée 95» est suisse et parfaitement légale. C'est vrai sur le plan fédéral, mais vous avez également un mandat de la population genevoise qui, en l'occurrence, vous demandait de respecter la volonté populaire en interdisant cette démonstration militaire.

A propos de l'autorisation donnée - ou pas - par le conseiller administratif de la Ville de Genève, vous savez, aussi bien que moi, qu'une majorité du Conseil municipal de la Ville de Genève a voté une résolution demandant que ce défilé ne soit pas autorisé sur notre territoire. Si vous parlez d'institution démocratique, le Conseil municipal de la Ville de Genève est une institution démocratique qui aurait dû être mieux entendue.

Personne n'a évoqué les dix mille signatures récoltées, en un temps record, pour une pétition demandant de surseoir à ce défilé. Une pétition est aussi une institution démocratique, et les pétitionnaires n'ont obtenu, pour seule réponse, que la mobilisation d'un impressionnant dispositif policier. Vous avez commis une erreur politique lamentable, et je déplore que vous ne soyez pas capables de le reconnaître.

Il est parfaitement sain que des centaines de jeunes et de moins jeunes - j'y étais - se soient mobilisés pour contester sur les lieux du défilé. Si ce défilé s'était déroulé à Genève, avec l'histoire qui est la sienne, dans les conditions sociales existantes, sans qu'une partie de la population, de la jeunesse, ne se lève pour protester, cela aurait été beaucoup plus grave et inquiétant pour notre démocratie.

Mme Barbara Polla (L). Rarement défilé militaire n'a fait couler autant d'encre. Bien sûr, c'est normal, nous dit-on, certains à Genève sont pacifistes, certains sont opposés aux défilés militaires. Il est normal qu'ils s'expriment. En ce qui me concerne, je fais partie des premiers : les pacifistes, mais pas des seconds et cela n'est pas incompatible, contrairement à ce que disait tout à l'heure M. Ferrazino.

Je me rends régulièrement, début novembre, à la cérémonie militaire et civile, dont le but est de célébrer la mémoire des soldats de Genève, morts au service de la patrie. Cérémonie militaire au cours de laquelle défilent certains détachements militaires et corps d'élite, aux côtés des représentations et des représentants des sociétés civiles. Cérémonie civile aussi, qui réunit - et réunissait particulièrement le 12 novembre 1995 - une bonne partie de la population.

La Constitution suisse est ainsi faite que l'armée est non seulement aux côtés des civils - pas seulement dans les casernes - mais qu'elle est constituée par eux. Assister à un défilé militaire en Suisse c'est également reconnaître, soutenir, encourager, applaudir l'engagement de nos fils, de nos frères, de nos amis, pour la défense de notre patrie.

Pour nous, politiciens, le bien de la patrie n'est-il pas, comme nous nous y engageons au début de chacune de nos séances, le bien supérieur, dont la défense est essentielle. A cette cérémonie annuelle, point de manifestants, de pseudo-représentants des pacifistes, de casseurs. Il est vrai que ce défilé a lieu le dimanche matin et qu'il est plus émouvant que médiatique. Rien ne sert donc de manifester ou de faire couler de l'encre.

Ce dimanche 12 novembre, lors de cette cérémonie à la mémoire des soldats de Genève, voici ce qu'a dit Gilles Petitpierre. Je cite : «Comme Suisses et Genevois, nous avons cette chance, qui est aussi une responsabilité : celle de bien comprendre et de bien illustrer cette acceptation de la patrie, genevoise et helvétique. Cette patrie au sens le plus noble qui est l'identité personnelle, l'identité collective, exprimée par la patrie, suppose la reconnaissance de l'altérité et de la complémentarité.» Nous sommes, Genevois et Suisses, liés à une Constitution qui inscrit l'armée dans ses institutions, et ce n'est pas parce que Genève a souvent voté différemment de la Suisse, qu'elle ne respecte pas la Constitution suisse, indépendamment de l'objet de la votation. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement, pour ce qui concerne l'armée.

Messieurs, vous ne vous êtes pas seulement trompés de moyens mais de combat. Nous avons la chance de vivre dans une démocratie, où chacun peut s'exprimer. Si vous êtes opposés à l'existence d'une armée en Suisse, vous avez toutes les possibilités - et vous avez su, en d'autres circonstances, les utiliser - de vous confronter à la population, de chercher à la convaincre, mais vous avez, nous avons, ensuite l'obligation de respecter la loi et la Constitution. S'opposer à un défilé militaire n'est pas un vrai combat politique.

S'agissait-il d'une manifestation pacifiste ? C'eût été possible, encore que, surtout dans un pays neutre, pacifisme et armée ne sont en aucune manière contradictoires, si tant est que le maintien de la paix résulte des moyens mis en oeuvre pour maintenir cette paix si précieuse.

En fait ce ne fut ni un combat politique ni une manifestation pacifiste, mais des manifestations violentes, dont on se prévaut ensuite comme succès et dont on cherche à repousser la responsabilité ailleurs. A cela, nous disons résolument et absolument non, et remercions le Conseil d'Etat de n'avoir pas cédé à la menace à peine voilée de ce type de réactions. Non seulement il ne s'agit pas d'une erreur, comme le prétend M. Vanek, mais d'une position dictée par la démocratie. L'histoire nous démontre bien que, quand on commence à décider sous la menace, cela annonce généralement la fin de la démocratie.

Encourager des casseurs, c'est dire non à la démocratie, à la tolérance, au pacifisme et nous, les libéraux, disons oui à la démocratie, à la tolérance, à la paix et à l'ordre; oui aux moyens qui nous permettent de faire respecter paix et ordre - moyens dont font partie et l'armée et la police - ainsi que la qualité de notre éducation et notre culture.

M. Andreas Saurer (Ve). Je partage jusqu'à un certain point l'avis exprimé par M. Vodoz. Bien sûr, le gouvernement a le droit d'autoriser un défilé militaire. Il s'agit également d'une démarche parfaitement légitime pour une partie de la population. Se pose cependant la question de savoir si une telle décision est politiquement intelligente et judicieuse. Des personnes - comme Mme Buffat et M. Ducret - se sont interrogées sur sa pertinence.

Je suis parfaitement conscient que vous n'avez pas souhaité provoquer, Monsieur Vodoz, comme je vous l'avais fait remarquer au moment du débat sur la motion. La question est de savoir comment une décision peut être perçue par la population et, plus particulièrement, par la jeunesse. Il est évident que la simple vue de l'armée, associée aux gendarmes, constitue une provocation. Même moi, en tant que soldat de l'armée suisse, je sens monter une décharge d'adrénaline quand je vois l'armée entourée de la police.

Cette manifestation n'était-elle le fait que d'une minorité ? J'en doute sérieusement, et vous aurez beaucoup de peine, Messieurs les conseillers d'Etat, à prouver que la majorité de la jeunesse soutient l'armée et le défilé militaire. Pourtant cette jeunesse n'est pas une jeunesse de casseurs, comme l'a prouvé la manifestation de samedi dernier. Elle a attiré plus de participants que celle de mardi. La manifestation de samedi s'est déroulée sans problème, du fait que chacun s'est senti responsabilisé et qu'il n'y avait ni provocation ni agent de police. La police a effectivement joué un rôle très discret et les organisateurs avaient insisté sur le fait qu'il s'agissait d'une manifestation non violente.

J'ai été étonné de l'attitude de M. Beer, chef de la gendarmerie. Sur ses ordres, la police a refoulé les manifestants vers le quartier des Eaux-Vives. C'était, sans doute, le meilleur moyen d'exciter les jeunes et de les inciter à «casser». Par analogie, lors d'une manifestation de Contratom, M. Beer avait fait boucler le quartier de l'ambassade de France, de sorte que la foule s'est trouvée enfermée dans un cul-de-sac. Il avait fallu négocier et expliquer, à ce pauvre M. Beer, qu'il serait sans doute souhaitable d'ouvrir les barricades, afin de permettre aux manifestants de se disperser !

Enfin, lorsque je suis passé, samedi dernier, par la rue de la Corraterie, j'ai constaté que les lampadaires de Noël avaient été posés provisoirement dans des trous sans être scellés et auraient pu constituer des barres redoutables, d'une vingtaine de kilos chacune. Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passé s'il y avait eu un échauffement de la manifestation. Ces lampadaires auraient pu servir à faire des casses incroyables. Les bras m'en tombent de constater que le chef de la gendarmerie ne se rende pas sur le terrain et ne procède pas à l'enlèvement de tels objets. La police a un rôle de prévention et aurait dû enlever ces objets.

Evidemment, on peut avoir une tout autre lecture de ces événements. En effet, chaque année, vous nous «offrez» ce qu'il faut bien appeler des «maladresses» : hier le SAN et Montana, aujourd'hui le défilé militaire. Je vous suggère, parce que c'est légal et légitime, d'organiser un défilé de la police protégée, cette fois-ci, par l'armée. Ainsi, il y aurait à nouveau des problèmes, et je vous garantis que c'est le meilleur moyen d'avoir, d'ici deux ans, un gouvernement homogène non pas de droite, mais vert, rouge et rose !