Séance du
vendredi 10 novembre 1995 à
17h
53e
législature -
3e
année -
1re
session -
48e
séance
I 1951
M. Roger Beer (R). Je vous parlerai de l'office des poursuites et poserai quelques questions le concernant.
En mai et juin dernier, plusieurs journaux locaux se sont fait l'écho d'une bien étrange affaire dans laquelle l'office des poursuites était impliqué. Il s'agissait de la collection d'art tribal de Serge Diakonoff, cet artiste genevois notoirement connu pour ses portraits vivants de peinture sur visage. Permettez-moi de vous rappeler brièvement cette affaire.
Suite à un différend avec une régie immobilière, le citoyen Diakonoff a été interpellé par l'office des poursuites. Fort de son droit, ce dernier a saisi une oeuvre d'art estimée entre 4 000 et 5 000 F. Et c'est là que l'affaire se corse. En effet, estimer une oeuvre d'art est toujours problématique, mais de là à l'adjuger à 450 F et apprendre ensuite que son propriétaire, une fois les frais et émoluments soustraits, n'a reçu que 90 F, il y a un pas que j'ai peine à franchir. Reconnaissez que cette procédure est, pour le moins, bizarre.
En matière de poursuites et de ventes aux enchères, Genève, une fois de plus, est un cas particulier, un fameux «Sonderfall» ! Je n'entrerai pas ici dans le détail de la procédure en matière d'estimation, lors de saisies par l'office des poursuites. Il serait toutefois intéressant que ce Grand Conseil soit informé de la légitimité de l'évaluation de ces différentes saisies.
Par ailleurs, et j'en viens aux questions, comment se fait-il qu'en cas de saisie et de vente aux enchères publique, aucune disposition légale n'exige qu'un montant minimal soit fixé pour l'adjudication des pièces, notamment quand il s'agit d'oeuvres d'art ? N'est-il pas légitime de se demander si cette lacune ou omission profite à un tiers ? Si oui, à qui ?
Cette interpellation me permet également de demander qui, lors de ventes aux enchères, est habilité ou assermenté pour légaliser ou authentifier lesdites ventes. Est-il vrai qu'à cette occasion les acquéreurs repartent avec leurs achats sans récépissé, ni facture, de sorte qu'il est impossible, ensuite, d'obtenir la liste des objets vendus et leurs prix, ainsi que la liste des acheteurs ?
A toutes fins utiles, je rappelle, avec une certaine perplexité, que, dans presque tous les autres cantons, les ventes des offices de faillites semblent être réglementées avec plus de précision.
En vertu de ce qui précède, je me plais à rappeler que mon interpellation auprès du Conseil d'Etat s'adresse plus particulièrement à M. Gérard Ramseyer, magistrat notamment chargé de la police et de l'office des poursuites. Je lui serais reconnaissant de bien vouloir répondre à mes questions.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. M. le député Roger Beer a eu la courtoisie de me faire tenir le texte de son intervention bien avant ce soir. Je suis donc à même de lui répondre immédiatement.
L'affaire Diakonoff ayant suscité certaines interrogations dans le public, il est bon de rappeler que, en matière d'exécution forcée, la réalisation est soumise au principe de l'offre et de la demande et que l'idée d'un prix, même minimum, est écartée par la loi, hormis deux exceptions : la vente de métaux précieux et la vente d'objets soumis à une réserve de propriété.
Du fait d'une publicité abondante et de l'expérience des préposés à la vente, les offices cherchent toujours à valoriser les objets proposés aux enchères, dans l'intérêt bien compris tant des créanciers que des débiteurs.
Notez que sur les 1 120 m3 de marchandises vendues depuis le début de 1995, correspondant à 857 dossiers en traitement, le cas Diakonoff est le seul qui a posé un problème. S'agissant de ce cas, j'aimerais, Monsieur le député, vous rappeler que l'autorité de surveillance, soit la plus haute juridiction cantonale en la matière, a confirmé, dans sa décision du 13 mars 1995, que la vente querellée s'était déroulée de manière régulière. Chargés d'appliquer une loi fédérale, les offices des poursuites et faillites genevois ont une pratique identique à celle de leurs homologues suisses. La bonne application de ces normes est contrôlée par diverses autorités de surveillance de notre pays et, en dernier ressort, par le Tribunal fédéral.
Contrairement à votre assertion, tous les objets vendus sont répertoriés dans un procès-verbal de vente, avec l'indication des prix d'adjudication. Le procès-verbal de saisie mentionne, quant à lui, les prix d'estimation. Il s'agit des pièces essentielles du dossier que tout intéressé est en droit de consulter.
L'adjudication se formalise par le paiement au comptant contre la remise d'un justificatif de caisse, mentionnant spécifiquement le numéro du lot acquis et son prix.
Il est vrai, Monsieur le député, que Genève est un cas particulier, mais dans le sens opposé à ce que vous imaginez ! Contrairement aux autres cantons, et pour aider au confort de nos clients, les objets vendus sont consignés jusqu'à leur enlèvement qui n'intervient que contre la remise de la contremarque. Mis à part le cas d'objets mobiliers nécessitant leur inscription dans un registre public, par exemple les armes à feu et les véhicules à moteur, l'identité des acquéreurs n'est pas exigée, au même titre que pour tout achat dans un commerce de détail.
Enfin, nous rappelons, si besoin est, que les préposés aux ventes sont assermentés et mis au bénéfice d'une patente les autorisant à exercer leur activité de commissaire-priseur.
Dans l'affaire Diakonoff, Monsieur le député, le drame vient de ce qu'une oeuvre d'art représente, pour son auteur ou son propriétaire, une valeur très importante et que les lois du marché font que cette valeur est largement diminuée, d'où cette amertume que je peux comprendre.
M. Roger Beer (R), conseiller d'Etat. Je remercie M. le conseiller d'Etat de sa réponse circonstanciée et m'étonne, bien qu'il n'y soit pour rien, que, en matière d'objets d'art, la fixation d'un prix minimum soit interdite par la loi, hormis les exceptions citées.
Cela m'étonne d'autant plus que l'on va bientôt recevoir, en retour de commission, un projet de loi sur la dation. Il semble que l'on pourrait établir un parallèle entre les deux situations. Nous pourrions même concevoir qu'il n'est pas normal qu'un prix minimum ne soit pas établi pour les objets d'art.
Je suis heureux d'apprendre que le prix d'estimation, lui, est fixé. En revanche, je suis surpris que l'acheteur n'ait pas l'obligation de se faire connaître. On y reviendra !
Cette interpellation est close.